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Une nouvelle mine d’uranium en Mongolie ?

Derrière l’annonce d’Orano, la réalité : une industrie polluante à l’odeur coloniale

Article publié le 19 octobre 2023



Mi-octobre 2023, Orano annonce avoir signé un accord avec la Mongolie pour exploiter un gisement d’uranium. Il faut dire qu’après avoir dû suspendre ses activités au Niger, l’industriel du combustible nucléaire est privé d’une importante source d’approvisionnement. Et que la volonté affichée par le gouvernement de relancer le nucléaire en France exige de facto de nouvelles ressources de ce minerai depuis longtemps tari sur le sol français. L’annonce de cet accord, signé très officiellement en présence du Président Emmanuel Macron, a été largement reprise dans les médias. Mais sans vraiment d’analyse critique. Qu’en est-il réellement du gisement de Zuuvch-Ovoo ? Véritable mine d’or pour l’industrie nucléaire ou véritable coup de com’ ?



Photo : Orkhon River Valley, Wikimedia, CC BY 2.0

Sans uranium, il n’y a pas de production d’électricité possible par les centrales nucléaires d’EDF. La fameuse "indépendance énergétique" permise par la filière atomique ne tient qu’à des accords commerciaux et des importations, puisque les mines françaises sont taries depuis plus de 20 ans. À se demander quelle indépendance est possible quand on est totalement assujetti aux importations d’un minerai extrait dans d’autres pays...

Canada, Australie, mais aussi Niger, Kazakhstan et Ouzbékistan, les relations de la France avec ces pays ne sont pour certaines pas des plus stables. Un coup d’état au Niger au début de l’été suivi d’un blocus économique décidé par la Communauté des états de l’Afrique de l’Ouest, a d’ailleurs obligé Orano à y suspendre ses activités minières. La coupure de ce robinet d’uranium a vite fait monter la pression dans la filière nucléaire  [1].

Un gisement "stratégique" ?

Hasard du calendrier ou anticipation de l’évolution de la situation géopolitique, moins d’un mois avant, fin juin 2023, Emmanuel Macron s’est rendu en Mongolie pour y promouvoir un partenariat axé sur l’énergie. C’est que le pays a beau être semi-désertique, ses terres sont riches en ressources rares - et donc précieuses.

« Le partenariat avec Orano est un élément structurant », « cela permettra d’extraire des métaux critiques extrêmement importants », avait-il indiqué, en évoquant sa quête de « souveraineté énergétique » pour la France. [2]

Comme le précise La Tribune, le président français, en véritable VRP de l’industrie nucléaire, s’est engagé à "faciliter le financement de la transition écologique de la Mongolie avec des coopérations sur les énergies renouvelables et le nucléaire". Cet accord pour l’exploitation du gisement de Zuuvch-Ovoo signé à l’Élysée quelques mois après, illustré par une photo sous copyright Orano montrant les directeurs des sociétés stylos à la main et derrière chacun d’eux, le président du pays, n’est donc pas si surprenant.

Mais qu’en est-il réellement de ce gisement, annoncé par La Tribune comme "l’une des plus importantes mines d’uranium du monde" ? Orano est en réalité sur le coup depuis plus de 20 ans. La société, "acteur minier responsable, a déployé entre 2021 et 2022, avec succès, un pilote industriel pour confirmer la faisabilité économique, environnementale et sociétale d’exploitation du site de Zuuvch-Ovoo, un projet développé par Badrakh Energy, la co-entreprise entre Orano et l’entreprise publique mongole MonAtom". Et grâce à cette activité, la Mongolie sera "un acteur stratégique et un contributeur important à l’effort climatique mondial" [3].

Un rendement qui vaut le coût ?

D’après les données officielles de l’industriel franco-mongole, le gisement de Zuuvch-Ovoo aurait été découvert en 2010. En 2013 ses ressources auraient été estimées à 54 640 tonnes, ressources largement revues à la hausse après la mise en service des installations pilotes (en 2019) qui sont désormais chiffrées à 93 291 tonnes d’uranium.

Mais si l’on creuse un peu et que l’on va puiser des sources plus indépendantes, comme d’un réseau d’experts internationaux, les données disent tout autre chose. Wise Uranium chiffre la réserve probable de ce gisement à 34 461 tonnes d’uranium, la ressource présumée étant de 39 280 tonnes (estimation sur la base de preuves géologiques et d’échantillonnages limités). Soit moins de la moitié de ce qui est annoncé par l’exploitant minier. Quant à la teneur moyenne en uranium du minerai (sa concentration), elle est de 0,02%. Ce qui est faible, même très faible.

Tellement faible qu’en France, les gisements présentant cette teneur en uranium étaient appelés "stériles" et jugés trop peu rentables. Les gisements exploités par Orano au Kazakhstan ont une teneur en uranium qui est 2 à 6 fois plus concentrée. La teneur moyenne des mines françaises était de 1,54 pour mille, soit 1,54 kg par tonne de minerai. Avec 0,2 kg par tonne, la teneur en uranium du site mongole est 8 fois plus faible. Au NIger, à Arlit, la teneur moyenne est de 3 à 4 kg par tonne (0.3 à 0.4%), soit 20 fois plus élevée qu’en Mongolie. Le pays a fourni à la France plus de 17 000 tonnes d’uranium rien que pour l’année 2022  [4] . Il a été extrait de ses mines plus de 150 000 tonnes d’uranium [5]. Alors non, le site de Zuuvch-Ovoo ne pourra certainement pas compenser la perte des importations nigériennes. Ni pourvoir aux besoins supplémentaires inhérents à une multiplication des centrales nucléaires.

Une industrie propre ?

Sans compter que cette teneur particulièrement faible impose un procédé d’extraction bien particulier. Il ne s’agit pas là d’une exploitation minière comme on l’entend communément, avec des mineurs et des galeries. Non, le procédé, dit ISR (in situ recovery ou lixiviation in situ) fonctionne sur la dissolution chimique. Il consiste à creuser un trou jusqu’au minerai, puis à y injecter de l’acide (type acide sulfurique) pour dissoudre l’uranium (et tout le reste). Il faut ensuite attendre plusieurs mois, puis récupérer le tout en forant un autre trou. Puis traiter chimiquement la solution pompée dans une autre installation. Ces transports impliquent forcément eux aussi leurs quota d’émissions polluantes.

La méthode, jusque là utilisée principalement au Kazakhstan, en Ouzbékistan et aux États-Unis est un procédé extrêmement polluant. Elle libère des quantités considérables de gaz radioactif (radon), et produit de grandes quantités de boues et d’effluents contaminés lors de la récupération de l’uranium en phase liquide. Par ses infiltrations d’acide dans les sols, la lixiviation in situ laisse aussi des concentrations élevées de métaux lourds toxiques dans les nappes phréatiques. Si en surface, le paysage est visuellement très peu marqué par un champ de forage, cette technique d’extraction du minerai est irréversible et rend impossible le rétablissement des conditions des eaux souterraines naturelles après l’achèvement des opérations de lixiviation.
Et c’est sans compter les impacts environnementaux dus à l’usage de quantités colossales de produits chimiques et d’eau nécessaire à cette technique. Cet aspect n’est évidemment pas mis en avant par Orano. Ni par les médias qui ont repris cette annonce commerciale, faite avec la complicité du gouvernement français.

Ce n’est d’ailleurs certainement pas pour rien que dès 2011 un mouvement de contestation local s’est mis en mouvement [6]. Face à l’image d’un "acteur minier responsable" et d’un pays qui devient un "contributeur important à l’effort climatique", cette annonce avant tout commerciale semble surtout destinée à rassurer quelques investisseurs et à calmer les esprits qui s’interrogeraient sur le devenir de la filière nucléaire. Le tout avec une forte odeur d’attitude coloniale. "J’irai polluer près de chez vous", voilà ce qu’a annoncé Orano le 12 octobre, avec la bénédiction du président français. Au nom d’une indépendance énergétique qui n’existe déjà plus et sous couvert d’une action climatique qui laissera des dégâts environnementaux irréversibles. Jusqu’où ira la filière nucléaire française ?


Notes

[1Le Niger représente près de 5 % de la production mondiale d’uranium. Il est l’un des principaux fournisseurs de l’Europe et de la France. Il fournit à la France 15% du minerai qui est nécessaire à ses centrales nucléaires selon le média Reporterre (article du 11/09/2023), 19% selon La Tribune (article du 13/10/2023)

[2Source :La Tribune

[5Atlas de l’uranium, Fournisseurs du nord riche, p.15.

Photo : Orkhon River Valley, Wikimedia, CC BY 2.0

Sans uranium, il n’y a pas de production d’électricité possible par les centrales nucléaires d’EDF. La fameuse "indépendance énergétique" permise par la filière atomique ne tient qu’à des accords commerciaux et des importations, puisque les mines françaises sont taries depuis plus de 20 ans. À se demander quelle indépendance est possible quand on est totalement assujetti aux importations d’un minerai extrait dans d’autres pays...

Canada, Australie, mais aussi Niger, Kazakhstan et Ouzbékistan, les relations de la France avec ces pays ne sont pour certaines pas des plus stables. Un coup d’état au Niger au début de l’été suivi d’un blocus économique décidé par la Communauté des états de l’Afrique de l’Ouest, a d’ailleurs obligé Orano à y suspendre ses activités minières. La coupure de ce robinet d’uranium a vite fait monter la pression dans la filière nucléaire  [1].

Un gisement "stratégique" ?

Hasard du calendrier ou anticipation de l’évolution de la situation géopolitique, moins d’un mois avant, fin juin 2023, Emmanuel Macron s’est rendu en Mongolie pour y promouvoir un partenariat axé sur l’énergie. C’est que le pays a beau être semi-désertique, ses terres sont riches en ressources rares - et donc précieuses.

« Le partenariat avec Orano est un élément structurant », « cela permettra d’extraire des métaux critiques extrêmement importants », avait-il indiqué, en évoquant sa quête de « souveraineté énergétique » pour la France. [2]

Comme le précise La Tribune, le président français, en véritable VRP de l’industrie nucléaire, s’est engagé à "faciliter le financement de la transition écologique de la Mongolie avec des coopérations sur les énergies renouvelables et le nucléaire". Cet accord pour l’exploitation du gisement de Zuuvch-Ovoo signé à l’Élysée quelques mois après, illustré par une photo sous copyright Orano montrant les directeurs des sociétés stylos à la main et derrière chacun d’eux, le président du pays, n’est donc pas si surprenant.

Mais qu’en est-il réellement de ce gisement, annoncé par La Tribune comme "l’une des plus importantes mines d’uranium du monde" ? Orano est en réalité sur le coup depuis plus de 20 ans. La société, "acteur minier responsable, a déployé entre 2021 et 2022, avec succès, un pilote industriel pour confirmer la faisabilité économique, environnementale et sociétale d’exploitation du site de Zuuvch-Ovoo, un projet développé par Badrakh Energy, la co-entreprise entre Orano et l’entreprise publique mongole MonAtom". Et grâce à cette activité, la Mongolie sera "un acteur stratégique et un contributeur important à l’effort climatique mondial" [3].

Un rendement qui vaut le coût ?

D’après les données officielles de l’industriel franco-mongole, le gisement de Zuuvch-Ovoo aurait été découvert en 2010. En 2013 ses ressources auraient été estimées à 54 640 tonnes, ressources largement revues à la hausse après la mise en service des installations pilotes (en 2019) qui sont désormais chiffrées à 93 291 tonnes d’uranium.

Mais si l’on creuse un peu et que l’on va puiser des sources plus indépendantes, comme d’un réseau d’experts internationaux, les données disent tout autre chose. Wise Uranium chiffre la réserve probable de ce gisement à 34 461 tonnes d’uranium, la ressource présumée étant de 39 280 tonnes (estimation sur la base de preuves géologiques et d’échantillonnages limités). Soit moins de la moitié de ce qui est annoncé par l’exploitant minier. Quant à la teneur moyenne en uranium du minerai (sa concentration), elle est de 0,02%. Ce qui est faible, même très faible.

Tellement faible qu’en France, les gisements présentant cette teneur en uranium étaient appelés "stériles" et jugés trop peu rentables. Les gisements exploités par Orano au Kazakhstan ont une teneur en uranium qui est 2 à 6 fois plus concentrée. La teneur moyenne des mines françaises était de 1,54 pour mille, soit 1,54 kg par tonne de minerai. Avec 0,2 kg par tonne, la teneur en uranium du site mongole est 8 fois plus faible. Au NIger, à Arlit, la teneur moyenne est de 3 à 4 kg par tonne (0.3 à 0.4%), soit 20 fois plus élevée qu’en Mongolie. Le pays a fourni à la France plus de 17 000 tonnes d’uranium rien que pour l’année 2022  [4] . Il a été extrait de ses mines plus de 150 000 tonnes d’uranium [5]. Alors non, le site de Zuuvch-Ovoo ne pourra certainement pas compenser la perte des importations nigériennes. Ni pourvoir aux besoins supplémentaires inhérents à une multiplication des centrales nucléaires.

Une industrie propre ?

Sans compter que cette teneur particulièrement faible impose un procédé d’extraction bien particulier. Il ne s’agit pas là d’une exploitation minière comme on l’entend communément, avec des mineurs et des galeries. Non, le procédé, dit ISR (in situ recovery ou lixiviation in situ) fonctionne sur la dissolution chimique. Il consiste à creuser un trou jusqu’au minerai, puis à y injecter de l’acide (type acide sulfurique) pour dissoudre l’uranium (et tout le reste). Il faut ensuite attendre plusieurs mois, puis récupérer le tout en forant un autre trou. Puis traiter chimiquement la solution pompée dans une autre installation. Ces transports impliquent forcément eux aussi leurs quota d’émissions polluantes.

La méthode, jusque là utilisée principalement au Kazakhstan, en Ouzbékistan et aux États-Unis est un procédé extrêmement polluant. Elle libère des quantités considérables de gaz radioactif (radon), et produit de grandes quantités de boues et d’effluents contaminés lors de la récupération de l’uranium en phase liquide. Par ses infiltrations d’acide dans les sols, la lixiviation in situ laisse aussi des concentrations élevées de métaux lourds toxiques dans les nappes phréatiques. Si en surface, le paysage est visuellement très peu marqué par un champ de forage, cette technique d’extraction du minerai est irréversible et rend impossible le rétablissement des conditions des eaux souterraines naturelles après l’achèvement des opérations de lixiviation.
Et c’est sans compter les impacts environnementaux dus à l’usage de quantités colossales de produits chimiques et d’eau nécessaire à cette technique. Cet aspect n’est évidemment pas mis en avant par Orano. Ni par les médias qui ont repris cette annonce commerciale, faite avec la complicité du gouvernement français.

Ce n’est d’ailleurs certainement pas pour rien que dès 2011 un mouvement de contestation local s’est mis en mouvement [6]. Face à l’image d’un "acteur minier responsable" et d’un pays qui devient un "contributeur important à l’effort climatique", cette annonce avant tout commerciale semble surtout destinée à rassurer quelques investisseurs et à calmer les esprits qui s’interrogeraient sur le devenir de la filière nucléaire. Le tout avec une forte odeur d’attitude coloniale. "J’irai polluer près de chez vous", voilà ce qu’a annoncé Orano le 12 octobre, avec la bénédiction du président français. Au nom d’une indépendance énergétique qui n’existe déjà plus et sous couvert d’une action climatique qui laissera des dégâts environnementaux irréversibles. Jusqu’où ira la filière nucléaire française ?



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