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Des accidents nucléaires partout

France : Chooz : Coupure d’électricité, arrêt d’urgence et consignes ignorées

Quand un exploitant nucléaire ne sait pas ce qu’il faut faire en cas d’accident




5 octobre 2023


L’affaire date de plusieurs mois, mais ce n’est que début octobre 2023 que EDF en fait part au public. Il a fallu neuf mois à l’exploitant nucléaire pour analyser ce qu’il s’est passé. Lors du redémarrage du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Chooz (Grand Est) fin janvier, un problème sur la ligne haute tension fait sauter l’alimentation électrique du réacteur. Les pompes du circuit de refroidissement se sont arrêtées, un arrêt d’urgence a été déclenché. Mais le problème n’est pas tant là que dans ce qui a suivi. EDF reste vague dans son communiqué, mais avoue que les procédures particulière à suivre dans ce cas d’incident pour garder le contrôle de son réacteur nucléaire n’ont pas été appliquées.


Crédit photo : André Paris

Les phases d’arrêt et de démarrage des réacteurs nucléaires sont longues et délicates. Il faut faire évoluer la puissance de la réaction nucléaire pas à pas, ajuster constamment plusieurs paramètres, notamment la température et la pression dans le circuit de refroidissement. Piloter le réacteur dans ces phases transitoires est plus difficile que de le maintenir à une puissance stable et constante.

C’est dans ce contexte, alors qu’il redémarrait, que le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Chooz a été soudainement privé d’électricité. Les pompes du circuit de refroidissement se sont arrêtées et un arrêt d’urgence du réacteur a été déclenché. Ce type d’arrêt n’a rien d’anodin et n’est pas sans conséquence puisque le principe est de stopper d’un coup la réaction nucléaire en cours, un processus qui normalement est progressif. Ces arrêts automatiques sont déclenchés par les systèmes de surveillance du cœur lorsqu’un dysfonctionnement présente un danger pour le fonctionnement du réacteur. Un arrêt automatique est donc synonyme de survenue d’un incident.

Et c’est justement là, dans cette situation d’incident, que EDF n’a pas su réagir correctement. On ne sait pas ce qui précisément ce qu’il s’est passé, le communiqué d’EDF ne le dit pas, mais les consignes à appliquer dans cette situation bien particulière n’ont pas été mises en œuvre par l’exploitant. Avec pour conséquence une "perte d’efficacité dans la conduite de l’installation".

Résumons : un réacteur nucléaire dans une phase délicate de montée en puissance, qui se retrouve d’un coup privé d’électricité. Le circuit de refroidissement s’arrête, les mécanismes d’arrêt se déclenchent pour éviter une perte de contrôle de la réaction nucléaire en cours dans la cuve. Et là, EDF n’applique pas la marche à suivre. Au contraire, il prend des décisions et exécute des actions qui entravent un pilotage efficace de sa machine nucléaire. Manifestement, EDF ne sait pas ce qu’il faut faire en cas de sortie de route de son réacteur nucléaire.

Initialement, EDF a déclaré les faits à l’Autorité de sûreté au plus bas niveau de l’échelle des accidents nucléaires [1] . Mais après des mois d’analyses, l’industriel a compris que derrière cette non application des consignes se nichait un fait autrement plus problématique : ne pas comprendre, ne pas connaître, ne pas savoir ce qu’il faut faire en cas d’incident sur son réacteur. Parce que l’exploitant nucléaire a montré qu’il avait une culture de sûreté largement insuffisante [2] , l’incident survenu fin janvier a été reclassé début octobre à un niveau supérieur, ce qui a valu à EDF de faire un communiqué public. Mieux vaut tard que jamais. Reste à EDF à à cultiver l’ensemble de ses équipes, au plus vite et en profondeur. Question de sûreté.

Ce que dit EDF :

Non-respect des principes d’application des procédures incidentelles lors de l’arrêt automatique du réacteur de l’unité n°2 à la suite d’un défaut externe sur la ligne électrique 400 000 Volts

Publié le 06/10/2023

Le 26 janvier 2023, les équipes de la centrale sont mobilisées sur les opérations de redémarrage de l’unité 2.

Alors que le réacteur est en palier de stabilité, un défaut survient sur le réseau externe de la ligne électrique 400 000 Volts, au niveau du poste de transformation appartenant au gestionnaire du réseau.

Ce défaut provoque la perte des alimentations électriques principales du réacteur, entraînant l’arrêt des quatre groupes motopompes primaires et l’arrêt automatique du réacteur.

Cet événement n’a pas eu de conséquence réelle sur la sûreté, tous les automatismes de mise en sécurité de l’installation ayant fonctionné conformément à l’attendu.

Il avait été déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire comme significatif pour la sureté le 31 janvier 2023 au niveau 0 de l’échelle INES.

Les centrales nucléaires sont exploitées conformément à un ensemble de règles générales d’exploitation (RGE), qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associés, en situation normale d’exploitation ainsi qu’en situation incidentelle.

Lors de l’analyse cet événement, des décisions opérationnelles ayant conduit à engager des gestes de manière anticipée par rapport à ce que prévoient les procédures incidentelles ont été mises en évidence, avec pour conséquence une perte d’efficacité dans la conduite de l’installation. En raison de ces défauts dans la déclinaison opérationnelle des principes d’application des procédures d’exploitation, traduisant une insuffisance en termes de culture sûreté, la direction du site de Chooz a pris la décision de redéclarer cet événement le 5 octobre 2023 comme significatif pour la sûreté au niveau 1 de l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-chooz/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-chooz/evenements-significatifs-octobre-2023


Ce que dit l’ASN :

Reclassement au niveau 1 d’un événement significatif relatif au non-respect des règles générales d’exploitation en phase incidentelle du réacteur 2

Publié le 16/10/2023

Centrale nucléaire de Chooz B Réacteurs de 1450 MWe - EDF

Le 5 octobre 2023, EDF a reclassé au niveau 1 de l’échelle INES un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des procédures de conduite incidentelle à la suite de l’arrêt automatique du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Chooz, survenu le 26 janvier 2023. Cet événement avait été initialement déclaré auprès de l’ASN au niveau 0 le 15 juin 2023.

Les règles générales d’exploitation sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent notamment les règles à respecter selon l’état de l’installation. Elles distinguent la conduite normale, qui fixe les règles d’exploitation de l’installation dans des limites garantissant la sûreté, de la conduite incidentelle et accidentelle, qui a pour objet de stabiliser le réacteur et d’atteindre un état sûr lorsqu’il est affecté par un événement.

Le 26 janvier 2023, un défaut sur la ligne externe d’alimentation électrique a provoqué l’indisponibilité des alimentations électriques principales du réacteur 2, entraînant l’arrêt des quatre groupes motopompes primaires et l’arrêt automatique du réacteur. L’équipe de conduite a été amenée à appliquer les procédures de conduite en situation incidentelle, conformément aux règles d’exploitation.

Les analyses approfondies engagées par l’exploitant à la suite de cet événement ont mis en évidence que ces procédures de conduite n’avaient pas été rigoureusement respectées. En particulier, certaines actions ont été anticipées, ce qui a modifié la logique de déroulement de la procédure de mise en sûreté du réacteur et en a altéré l’efficacité, notamment en retardant la sortie de la phase de conduite incidentelle. Ces écarts dans l’application des procédures de conduite incidentelle traduisent un manque de culture de sûreté des intervenants, qui n’avait pas été initialement identifié par l’exploitant.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, compte tenu du non-respect de la conduite incidentelle, traduisant un manque de culture de sûreté, l’événement est reclassé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/reclassement-au-niveau-1-d-un-evenement-significatif-relatif-au-non-respect-des-rge


[1INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES

[2La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire


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Installation(s) concernée(s)

Chooz B

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70