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Des accidents nucléaires partout

France : Chinon : Activité de maintenance "inadéquate"

Quand EDF fait mal ses branchements mais ne sait ni quand ni comment




17 janvier 2024


Le 9 janvier 2024, sur le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Chinon (Centre - Val de Loire), EDF fait un test : est-ce que, en cas de coupure de courant, les équipements sont bien alimentés par le système électrique de secours ? Le test échoue, une pompe ne démarre pas, et pas n’importe laquelle : une pompe essentielle en cas de problème. En raison d’un mauvais câblage, une erreur de raccordement commise... on ne sait pas quand.


Crédit photo : André Paris

La pompe qui n’a pas démarré appartient au circuit d’injection de sécurité (dit circuit RIS [1]). Un système qui ne sert qu’en cas d’accident, mais fondamental : c’est lui qui permet de refroidir le réacteur nucléaire en cas de problème sur le circuit habituel (le circuit primaire [2]) et d’arrêter la réaction nucléaire.

Si la pompe n’a pas démarré, alors qu’elle aurait dû être alimentée en électricité par un basculement automatique sur le circuit électrique de secours, c’est qu’un branchement était mal fait. En raison de ce "défaut de câblage" comme le nomme EDF, la pompe du circuit RIS ne pouvait pas être mise en service, faute d’alimentation électrique par le circuit de secours. En d’autres termes, en cas de coupure d’électricité sur le réacteur, il n’aurait pas été possible de faire marcher la pompe du circuit d’injection de sécurité si nécessaire.

Le réacteur 2 de Chinon a été redémarré fin septembre 2023 après plusieurs semaines de maintenance [3] . Pourquoi ne faire le test de bon fonctionnement du basculement sur l’alimentation électrique de secours qu’en janvier 2024 ? Probablement car une intervention a été faite sur ce système depuis. Le but du test était de requalifier l’équipement, c’est-à-dire vérifier qu’il est bien apte à remplir ses fonctions. EDF le dit d’ailleurs dans son communiqué : le défaut de câblage est lié à une "activité de maintenance inadéquate". Qui a été réalisée .... au cours des trois derniers mois. Car - et c’est un autre problème - EDF n’est pas capable de dater précisément cette intervention ratée. Entre le 5 octobre 2023 et le 9 janvier 2024 (le jour de la découverte du mauvais câblage) nous dit l’industriel. Pourtant, les interventions faites sur les équipements des centrales nucléaires sont censées être contrôlées après leur réalisation (le contrôle technique qui vient vérifier que la maintenance a été faite correctement), et elles sont censées être tracées : qui l’a réalisée, quand et qui l’a contrôlée. Tout doit normalement être enregistré et consigné.

Non seulement EDF a laissé son réacteur tourner avec une pompe qui n’aurait pas fonctionné en cas de coupure de courant (ce qui est interdit par les règles qui régissent le fonctionnement du réacteur), non seulement les interventions de maintenance sont mal faites et ne sont pas vérifiées correctement, mais qui plus est, l’industriel n’est pas capable de savoir quand cette intervention a été faite - donc depuis quand le réacteur fonctionne avec un mauvais branchement. Si les dysfonctionnements ne sont pas repérés, les équipements ne peuvent pas être réparés. et EDF pense que tout fonctionne correctement. Dans ces conditions, comment l’industriel peut-il respecter les délais impartis pour réparer les diverses avaries ? Comment respecter les règles de fonctionnement du réacteur si on ne connaît pas l’état de ses équipements ?

Des systèmes de secours qui n’auraient pas fonctionné, des opérations d’entretien qui font plus de mal que de bien, des contrôles tardifs et manifestement pas toujours exhaustifs, un industriel incapable de tracer les interventions faites sur ses matériels... L’incident déclaré le 15 janvier 2024 montre de multiplies manquements, qui se cumulent à différents niveaux. Un manque de rigueur somme toute. À se demander si, dans ces conditions, EDF maîtrise vraiment l’état de ses systèmes et a une connaissance réelle du fonctionnement de ses équipements.

Ce que dit EDF :

Détection tardive du non-respect a posteriori de la conduite à tenir prévue par les Règles Générales d’Exploitation sur l’unité de production n°2

Publié le 17/01/2024

Le 9 janvier 2024, l’unité de production n°2 est en fonctionnement. Les équipes de la centrale réalisent un essai de requalification d’une armoire d’un circuit d’alimentation électrique de secours. Lors de cet essai, une pompe du circuit d’injection de sécurité RIS ne démarre pas de manière automatique. Le dispositif de basculement électrique automatique de cette pompe est alors considéré indisponible.

Après investigation des équipes, un défaut de câblage est constaté dans le processus de mise en service du matériel. Le défaut est aussitôt traité et l’essai de requalification est soldé, permettant de retrouver la pleine disponibilité du matériel.

Les équipes de la centrale de Chinon ont respecté en temps réel la conduite à tenir prévue par les Règles Générales d’Exploitation. L’analyse de l’évènement amène à relier le défaut de câblage synonyme de l’indisponibilité du matériel à une activité de maintenance inadéquate réalisée entre le 5 octobre 2023 et le 9 janvier 2024.

Cet évènement n’a pas eu d’impact réel sur la sûreté des installations. Toutefois, en raison de sa détection tardive, il a été déclaré par la direction de la centrale nucléaire de Chinon le 15 janvier 2024 à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), comme événement significatif pour la sûreté au niveau 1 de l’échelle INES, qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-chinon/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-chinon/detection-tardive-du-non-respect-a-posteriori-de-la-conduite-a-tenir-prevue-par-les-regles-generales-dexploitation-sur-lunite-de-production-ndeg2


Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité d’une alimentation électrique de secours du réacteur 2

Publié le 08/02/2024

Centrale nucléaire de Chinon B Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 15 janvier 2024, l’exploitant de la centrale nucléaire de Chinon a déclaré à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) un évènement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des règles générales d’exploitation du réacteur 2 concernant l’indisponibilité d’un système d’alimentation électrique de secours.

Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles prescrivent notamment les délais maximums de réparation et la conduite à tenir en cas d’indisponibilité des systèmes requis pour assurer la sûreté des réacteurs.

Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident, d’introduire de l’eau borée sous pression dans le circuit primaire afin d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. En cas de perte des alimentations électriques normales, une des pompes de ce circuit doit disposer d’une alimentation électrique de secours pour assurer le refroidissement des joints des groupes motopompes primaires et éviter leur détérioration, qui conduirait à une brèche du circuit primaire.

Le circuit de secours LLS assure l’alimentation électrique des équipements minimaux de conduite, de l’éclairage d’ultime secours et de la pompe RIS dédiée au refroidissement des joints des groupes motopompes primaires. Il est notamment composé, sur la centrale de Chinon, d’un turbo-alternateur alimentant une armoire électrique de commande commune à deux réacteurs. Cette armoire électrique dispose d’un système de basculement automatique vers une seconde source électrique en cas d’indisponibilité de l’alimentation par LLS.

Le 5 octobre 2023, alors que le réacteur 2 était en puissance et le réacteur 1 à l’arrêt pour rechargement en combustible, une intervention de maintenance a été réalisée sur l’armoire électrique de commande du circuit LLS. Une requalification partielle du matériel après intervention a été validée le même jour.

Le 9 janvier 2024, alors que le réacteur 2 était toujours en production, la seconde phase de la requalification de l’armoire électrique de commande LLS a permis à l’exploitant de détecter l’absence de démarrage de la pompe du système d’injection de sécurité lorsque l’alimentation électrique par LLS était indisponible, provoquant alors l’indisponibilité partielle du système RIS.

Les investigations menées a posteriori par l’exploitant ont révélé qu’une erreur de câblage avait eu lieu dans l’armoire électrique de commande lors de l’intervention de maintenance du 5 octobre 2023. Le matériel était de ce fait indisponible depuis 3 mois. Les RGE, qui prévoient le repli du réacteur sous 3 jours en cas d’indisponibilité partielle du système RIS, n’ont donc pas été respectées a posteriori.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, l’événement a affecté la fonction de sûreté liée au refroidissement du réacteur. Compte tenu de l’indisponibilité partielle du système concerné et de sa détection tardive, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

Dès la détection de ce défaut de câblage, l’exploitant a remis en conformité l’installation et effectué les requalifications nécessaires. L’ASN sera vigilante quant à l’analyse des causes humaines et organisationnelles ayant entraîné cette anomalie et aux actions prises pour en éviter le renouvellement.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/detection-tardive-de-l-indisponibilite-d-une-alimentation-electrique-de-secours-du-reacteur-2


[1Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. https://www.asn.fr/lexique/R/RIS

[2Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[3Le lundi 25 septembre, vers 00h30, l’unité de production n°2 de la centrale de Chinon a été reconnectée au réseau électrique national. Elle était en arrêt programmé dans le cadre de son arrêt pour simple rechargement depuis le 4 août dernier.

Plus de 800 intervenants se sont mobilisés pour réaliser près de 4000 opérations de contrôles et de maintenance ainsi que le renouvellement d’un tiers du combustible. Source : EDF


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Installation(s) concernée(s)

Chinon

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