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Sortir du nucléaire n°79



Automne 2018

Focus sur l’usine de Malvési

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°79 - Automne 2018

 Sites nucléaires  Malvési


Les dernières Rencontres internationales antinucléaires ont eu lieu à quelques kilomètres de l’usine chimico-nucléaire de Malvési, site autant dangereux que stratégique.



Une usine indispensable au nucléaire civil et militaire.

Voilà 60 ans donc, dans la course effrénée au “progrès nucléaire“, le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) décide de traiter industriellement le minerai d’uranium pour le purifier et le transformer. Officiellement, il s’agit de préparer le combustible pour les futurs réacteurs de centrales électronucléaires mais, surtout, les militaires poussent à la construction d’une usine facilitant l’obtention d’uranium adapté à leurs bombes atomiques. Sous l’impulsion de P. Guillaumat (X-mines) et de G. Guille (député de l’Aude), notamment, le site de Malvési est choisi pour y construire une installation industrielle.

En 1959, le général de Gaulle inaugure donc en “grande pompe“ l’usine de traitement d’uranium de Malvési, près de Narbonne.

Un process chimique hautement dangereux

À grand renfort d’acides, le ‘yellowcake’ (minerai d’uranium concentré) est trituré et raffiné en UF4 (tétrafluorure d’uranium). 14 000 tonnes d’uranium sont ainsi traitées chaque année, ce qui nécessite annuellement 3 000 à 4 000 tonnes d’acide nitrique quasi-pur, et autant d’ammoniac. Ensuite, il faut de l’hydrogène et 4 000 à 5 000 tonnes d’acide fluorhydrique. Plus de 100 000 m3 d’eau sont aussi consommés.

L’entreprise Orano, ex-Areva, est fière d’annoncer que son site fournit ainsi plus du quart de la production mondiale d’UF4 destiné à la fabrication de “combustibles nucléaires“ et qu’elle vise à y traiter annuellement jusqu’à 21 000 tonnes d’uranium ! Mais derrière cette mégalomanie, la réalité fait froid dans le dos …

D’abord par l’énorme quantité de déchets liquides nitratés déversés dans une dizaine d’immenses bassins à l’air libre afin que l’évaporation naturelle en réduise le volume, et ce, à moins d’un kilomètre de Narbonne. Officiellement, il reste des boues inoffensives, mais des prélèvements ont révélé une radioactivité non négligeable. Les bassins 1 et 2 contiennent même des éléments radioactifs artificiels (plutonium, américium, etc.), preuve que l’usine a aussi retraité des combustibles hautement radioactifs. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a classé ces bassins en Installation Nucléaire de Base (INB), … mais pas le reste du site !

En 2004, suite à de fortes pluies, la digue d’un des bassins s’est éventrée, laissant s’échapper 30 000 m3 d’effluents radioactifs dans les jardins environnants. En fait, depuis le démarage de l’usine, rebaptisée Comurhex en 1971, les fuites par infiltration sont continuelles, et la nappe phréatique souterraine aux bassins n’aurait été “isolée“ qu’en 2013.

Incidents et accidents multiples (liste non-exhaustive)

Le 19 septembre 2018  : en fin de matinée, à l’ouverture d’un fût de 200 litres d’oxydes métalliques issus du processus de traitement de l’uranium, une détonation s’est produite, suivie d’un départ d’incendie et d’un dégagement de fumée. Trois personnes ont été blessées et hospitalisées, mais bien sûr, les autorités affirment que cet accident n’a eu ‘‘aucun impact sur l’environnement et les populations’’.

23 et 24 août 2009 : l’usine déverse fluor et ammonium, contaminant les eaux du canal de Taurran, de la Robine jusqu’ à l’étang de Bages-Sigean et Port-la-Nouvelle, tuant les poissons et interdisant l’arrosage agricole. En 2011 la Comurhex sera condamnée à 60 000 € d’amende pour ses graves négligences ayant causé cette pollution.

Juillet 2007 : une trentaine de kilogramme de matière radioactive se répand lors du déchargement d’un fût d’uranium percé.

Juin-juillet 2006 : fuite d’effluents radioactifs contaminant le site et les voies ferrées.

Janvier 2006 : inondation et dispersion de nitrate sur le site et dans le canal de la Mayral.

Mars 2001 : trois wagons remplis de 100 tonnes d’acide fluorhydrique déraillent en gare de Narbonne entraînant l’évacuation partielle de la population.

Un projet désespéré pour réduire les déchets

Comme dans toute la filière nucléaire, c’est la fuite en avant : il faut produire plus, aménager de nouveaux bassins, évacuer coûte que coûte les résidus, “diluer“ les particules radioactives dans l’environnement.

D’où le projet de traiter les déchets nitratés par un procédé soi-disant performant, appelé TDN-Thor 1. En résumé, il s’agit d’incinérer les effluents des bassins d’évaporation afin de réduire leur volume et de récupérer des déchets ultimes pour les confier à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) qui pourrait les stocker dans l’Est de la France (à Soulaines, par exemple). Mais, de l’aveu même de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), il faudrait réfléchir à des solutions plus globales. Toujours est-il que TDN-Thor se révèle loin d’être une alternative réelle. Il semble qu’il faudrait brûler au moins 5 700 tonnes de charbon et 2 000 tonnes de gaz par an, d’où des émissions de CO2 conséquentes. Oxydes d’azote, de souffre, d’ammoniac, de métaux lourds, etc., s’échapperont d’une cheminée (à construire) haute de plus de 30 mètres avec un débit de 40 000 m3/h. Mais de cette cheminée sortiront également quantités d’autres particules nocives.

Et la population narbonnaise a toute raison de contester ce projet qui, utilisé en deux endroits (Erwin et Idaho Falls) aux États-Unis, a débouché sur des conséquences sanitaires désastreuses, suite à la contamination de l’air, des eaux et des sols.

Les 13 mai et 5 novembre 2017, deux grandes manifestations ont eu lieu place de l’Hôtel de Ville de Narbonne pour demander l’abandon de ce projet autorisé par la Préfecture de l’Aude, malgré toutes les incertitudes sur sa viabilité.

Bernard Cottier et Hervé Loquais

Maladie, décès et cynisme de l’usine (extrait du dépliant Narbonne menacée par l’industrie nucléaire de Adn34, Greenpeace Montpellier et Sdn11.)

François Gabart, décédé en 2001 d’une leucémie aiguë survenue en 1999. Bernard Moya, décédé d’un cancer broncho-pulmonaire. Pour ces deux personnes la maladie professionnelle ne sera reconnue que post-mortem.

Michel Leclerc travailleur à Malvési de 1980 à 1984, souffre d’une leucémie myéloïde chronique. Maladie professionnelle reconnue en 1992. La Comurhex sera condamnée en justice pour faute en 1999. Le TGI de Narbonne déclare en 2012 que la Comurhex est entièrement responsable, jugement cassé en 2013 par la cour d’appel de Montpellier.

Serge Belly, sous-traitant contaminé lors de travaux effectués au pied de la digue effondrée en 2004. Il déclare une leucémie lymphoïde chronique en 2007.

La direction de l’usine n’hésite pas à faire appel des jugements et y met les moyens. Elle pousse parfois le cynisme jusqu’à offrir une compensation pour éviter les procédures judiciaires source de mauvaise publicité. Par exemple, en proposant un emploi à un membre de la famille ou même en envoyant un chèque de 5 000 francs à la famille d’un employé décédé (source revue XXI n° 29).

Une usine indispensable au nucléaire civil et militaire.

Voilà 60 ans donc, dans la course effrénée au “progrès nucléaire“, le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) décide de traiter industriellement le minerai d’uranium pour le purifier et le transformer. Officiellement, il s’agit de préparer le combustible pour les futurs réacteurs de centrales électronucléaires mais, surtout, les militaires poussent à la construction d’une usine facilitant l’obtention d’uranium adapté à leurs bombes atomiques. Sous l’impulsion de P. Guillaumat (X-mines) et de G. Guille (député de l’Aude), notamment, le site de Malvési est choisi pour y construire une installation industrielle.

En 1959, le général de Gaulle inaugure donc en “grande pompe“ l’usine de traitement d’uranium de Malvési, près de Narbonne.

Un process chimique hautement dangereux

À grand renfort d’acides, le ‘yellowcake’ (minerai d’uranium concentré) est trituré et raffiné en UF4 (tétrafluorure d’uranium). 14 000 tonnes d’uranium sont ainsi traitées chaque année, ce qui nécessite annuellement 3 000 à 4 000 tonnes d’acide nitrique quasi-pur, et autant d’ammoniac. Ensuite, il faut de l’hydrogène et 4 000 à 5 000 tonnes d’acide fluorhydrique. Plus de 100 000 m3 d’eau sont aussi consommés.

L’entreprise Orano, ex-Areva, est fière d’annoncer que son site fournit ainsi plus du quart de la production mondiale d’UF4 destiné à la fabrication de “combustibles nucléaires“ et qu’elle vise à y traiter annuellement jusqu’à 21 000 tonnes d’uranium ! Mais derrière cette mégalomanie, la réalité fait froid dans le dos …

D’abord par l’énorme quantité de déchets liquides nitratés déversés dans une dizaine d’immenses bassins à l’air libre afin que l’évaporation naturelle en réduise le volume, et ce, à moins d’un kilomètre de Narbonne. Officiellement, il reste des boues inoffensives, mais des prélèvements ont révélé une radioactivité non négligeable. Les bassins 1 et 2 contiennent même des éléments radioactifs artificiels (plutonium, américium, etc.), preuve que l’usine a aussi retraité des combustibles hautement radioactifs. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a classé ces bassins en Installation Nucléaire de Base (INB), … mais pas le reste du site !

En 2004, suite à de fortes pluies, la digue d’un des bassins s’est éventrée, laissant s’échapper 30 000 m3 d’effluents radioactifs dans les jardins environnants. En fait, depuis le démarage de l’usine, rebaptisée Comurhex en 1971, les fuites par infiltration sont continuelles, et la nappe phréatique souterraine aux bassins n’aurait été “isolée“ qu’en 2013.

Incidents et accidents multiples (liste non-exhaustive)

Le 19 septembre 2018  : en fin de matinée, à l’ouverture d’un fût de 200 litres d’oxydes métalliques issus du processus de traitement de l’uranium, une détonation s’est produite, suivie d’un départ d’incendie et d’un dégagement de fumée. Trois personnes ont été blessées et hospitalisées, mais bien sûr, les autorités affirment que cet accident n’a eu ‘‘aucun impact sur l’environnement et les populations’’.

23 et 24 août 2009 : l’usine déverse fluor et ammonium, contaminant les eaux du canal de Taurran, de la Robine jusqu’ à l’étang de Bages-Sigean et Port-la-Nouvelle, tuant les poissons et interdisant l’arrosage agricole. En 2011 la Comurhex sera condamnée à 60 000 € d’amende pour ses graves négligences ayant causé cette pollution.

Juillet 2007 : une trentaine de kilogramme de matière radioactive se répand lors du déchargement d’un fût d’uranium percé.

Juin-juillet 2006 : fuite d’effluents radioactifs contaminant le site et les voies ferrées.

Janvier 2006 : inondation et dispersion de nitrate sur le site et dans le canal de la Mayral.

Mars 2001 : trois wagons remplis de 100 tonnes d’acide fluorhydrique déraillent en gare de Narbonne entraînant l’évacuation partielle de la population.

Un projet désespéré pour réduire les déchets

Comme dans toute la filière nucléaire, c’est la fuite en avant : il faut produire plus, aménager de nouveaux bassins, évacuer coûte que coûte les résidus, “diluer“ les particules radioactives dans l’environnement.

D’où le projet de traiter les déchets nitratés par un procédé soi-disant performant, appelé TDN-Thor 1. En résumé, il s’agit d’incinérer les effluents des bassins d’évaporation afin de réduire leur volume et de récupérer des déchets ultimes pour les confier à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) qui pourrait les stocker dans l’Est de la France (à Soulaines, par exemple). Mais, de l’aveu même de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), il faudrait réfléchir à des solutions plus globales. Toujours est-il que TDN-Thor se révèle loin d’être une alternative réelle. Il semble qu’il faudrait brûler au moins 5 700 tonnes de charbon et 2 000 tonnes de gaz par an, d’où des émissions de CO2 conséquentes. Oxydes d’azote, de souffre, d’ammoniac, de métaux lourds, etc., s’échapperont d’une cheminée (à construire) haute de plus de 30 mètres avec un débit de 40 000 m3/h. Mais de cette cheminée sortiront également quantités d’autres particules nocives.

Et la population narbonnaise a toute raison de contester ce projet qui, utilisé en deux endroits (Erwin et Idaho Falls) aux États-Unis, a débouché sur des conséquences sanitaires désastreuses, suite à la contamination de l’air, des eaux et des sols.

Les 13 mai et 5 novembre 2017, deux grandes manifestations ont eu lieu place de l’Hôtel de Ville de Narbonne pour demander l’abandon de ce projet autorisé par la Préfecture de l’Aude, malgré toutes les incertitudes sur sa viabilité.

Bernard Cottier et Hervé Loquais

Maladie, décès et cynisme de l’usine (extrait du dépliant Narbonne menacée par l’industrie nucléaire de Adn34, Greenpeace Montpellier et Sdn11.)

François Gabart, décédé en 2001 d’une leucémie aiguë survenue en 1999. Bernard Moya, décédé d’un cancer broncho-pulmonaire. Pour ces deux personnes la maladie professionnelle ne sera reconnue que post-mortem.

Michel Leclerc travailleur à Malvési de 1980 à 1984, souffre d’une leucémie myéloïde chronique. Maladie professionnelle reconnue en 1992. La Comurhex sera condamnée en justice pour faute en 1999. Le TGI de Narbonne déclare en 2012 que la Comurhex est entièrement responsable, jugement cassé en 2013 par la cour d’appel de Montpellier.

Serge Belly, sous-traitant contaminé lors de travaux effectués au pied de la digue effondrée en 2004. Il déclare une leucémie lymphoïde chronique en 2007.

La direction de l’usine n’hésite pas à faire appel des jugements et y met les moyens. Elle pousse parfois le cynisme jusqu’à offrir une compensation pour éviter les procédures judiciaires source de mauvaise publicité. Par exemple, en proposant un emploi à un membre de la famille ou même en envoyant un chèque de 5 000 francs à la famille d’un employé décédé (source revue XXI n° 29).



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