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Fuite d’uranium au Tricastin : AREVA-SOCATRI définitivement condamnée pour pollution des eaux

Tricastin, une série d’accidents inquiétants

Article publié le 8 juillet 2008



L’été 2008 a malheureusement été riche en accidents ayant impliqué l’industrie nucléaire européenne. Parmi ceux-ci, les plus importants se sont produits en France, sur le site du Tricastin. Rappel des événements.



Article paru dans la revue "Sortir du nucléaire" de nov 2008

Une gestion de crise opaque et chaotique

Lundi 7 juillet 2008, 19 h. Une alarme se déclenche dans l’usine SOCATRI, filiale d’Areva, sur le site nucléaire du Tricastin à Bollène (Vaucluse). Elle signale un niveau élevé d’effluents uranifères dans une cuve. Vers 22 h, les employés constatent un débordement, et vers 4 h 45 du matin le 8 juillet, ils s’aperçoivent que le système de rétention de la cuve fuit. Une partie du liquide radioactif se répand sur le sol et dans le canal adjacent, polluant les rivières de la Gaffière et du Lauzon. A 6 h 15, un plan d’urgence interne est déclenché. Peu après 7 h, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et les préfectures de la Drôme et du Vaucluse sont averties. Pourtant, ce n’est qu’à 16 heures que les premières mesures de sécurité publique sont prises, soit plus de 10 heures après la découverte de la fuite. Toute la journée, la population a donc pu être en contact avec de l’eau contaminée… Plus grave, les informations divulguées alors par la SOCATRI sont très vagues. Dans un premier temps, les chiffres avancés sont de 360 kg d’uranium rejetés. La CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) s’étonne de l’unité de mesure utilisée – le gramme au lieu du Becquerel - et constate que cette information ne rend pas compte de l’ampleur de la fuite.

Elle demande que soit précisée la composition isotopique des effluents, afin de déterminer la quantité exacte de radioactivité relarguée dans l’environnement. Le lendemain, la SOCATRI revoit les chiffres à la baisse : 75 kg d’uranium “seulement” auraient atteint les rivières des environs. Malgré tout, en se basant sur une hypothèse de radioactivité minimale, la CRIIRAD montre que ce rejet représente plus de 27 fois la limite annuelle autorisée. Ce qui n’empêchera pas l’ASN, quelques jours plus tard, de classer la fuite au niveau 1 de l’échelle INES. Pourtant les critères de cette échelle, si contestée et peu scientifique soit-elle, indiquent qu’un rejet dans l’environnement doit être classé au minimum en niveau 3. Y a-t-il eu volonté de minimiser l’événement ? La question se pose d’autant plus que cet accident survient dans un contexte délicat, peu après l’annonce par le Chef de l’État de la construction d’un second EPR français, malgré les sérieuses difficultés rencontrées par les deux premiers chantiers et les protestations des associations de protection de l’environnement. L’affaire est gênante, comme vont en témoigner les gesticulations des différents responsables au cours des jours suivants. Mais surtout, elle n’est pas terminée.

De mal en pis

Alors que Jean-Louis Borloo, ministre de l’Environnement, déclare que “toutes les conclusions devront être tirées, notamment en termes d’éventuelles suites pénales et administratives”, la SOCATRI rejette les accusations de mauvaise gestion de crise. Elle sera pourtant mise en cause par un rapport accablant de l’ASN. Mais si cette dernière est prompte à condamner, elle est moins rapide à se remettre en question et se défend d’avoir tardé à réagir, malgré un silence de plus de 6 heures le jour de l’accident. Les choses auraient pu en rester là, mais le 15 juillet, un article du Monde révèle que des prélèvements effectués autour du Tricastin montrent un taux d’uranium anormalement élevé dans la nappe phréatique. L’un des points de contrôle les plus inquiétants est un puits appartenant à des riverains. Pour la CRIIRAD, ces résultats pourraient signifier que des pollutions antérieures n’ont pas été rendues publiques. M. Borloo saisit alors le récent et très peu indépendant Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire, puis annonce que des prélèvements seront effectués dans les nappes phréatiques autour des centrales nucléaires, sans toutefois donner de détails : en quoi différeront-ils des contrôles déjà obligatoires ? Cette mesure ne satisfait pas les associations écologistes et le Réseau “Sortir du nucléaire” demande que des mesures exhaustives soient effectuées autour de tous les sites nucléaires français. La société Areva tente à son tour d’allumer des contre-feux. Le directeur de la SOCATRI est limogé et Mme Lauvergeon se rend sur le site du Tricastin. Nouveau coup de théâtre le 23 juillet, cette fois dans la centrale : une centaine d’employés est contaminée au cours de la maintenance du réacteur n°4. Après la légendaire “transparence” du nucléaire, c’est sa mythique “culture de la sécurité” qui est à nouveau ébranlée. Afin de minimiser l’incident, le directeur de la centrale n’hésite pas à proposer à l’ASN de classer l’incident au niveau 0 de l’échelle INES, malgré la contamination de dizaines de salariés. Moins d’une semaine plus tard, le réacteur n°4 est à nouveau évacué, heureusement cette fois sans contamination. Enfin, deux autres révélations vont clore le sombre été du Tricastin : le 6 août, l’ASN annonce qu’en juin un rejet de carbone 14 gazeux avait été classé en niveau 1 sur l’échelle INES, et le 25 août, des ouvriers découvrent une fuite sur une canalisation enterrée sur le réseau de la Comurhex (autre filiale d’Areva), datant peut-être de plusieurs années…

Difficultés à obtenir des informations

De nombreux autres accidents impliquant des sites nucléaires ont émaillé la saison estivale en France et en Europe. Selon la CRIIRAD, une telle répétition d’incidents traduit “un manque de culture de sûreté particulièrement préoccupant”. S’il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences des accidents survenus cet été sur les riverains et sur l’environnement, la série noire du Tricastin a montré qu’au-delà des déclarations d’intention, les vieux réflexes ont la vie dure. Une fois de plus, les intérêts économiques et politiques semblent passer avant la santé de la population. Déclenchement tardif des mesures de sécurité, minimisation des incidents, puis sur-communication pour jouer la transparence et provoquer l’habituation du public… Ainsi, Jean Louis Borloo a-t-il déclaré que les “anomalies” de niveau 1 étaient courantes. Est-ce à dire qu’elles sont inoffensives ? Certainement pas. Tout d’abord, comme on l’a vu au Tricastin, les responsables s’arrangent toujours pour classer les accidents en niveau 0 ou 1 sur l’échelle INES, parfois sans même en respecter les critères. On peut donc s’interroger sur la crédibilité d’une classification aussi commodément flexible. Ensuite, si aucune industrie n’est sûre à 100 %, comme le serinent les tenants du nucléaire, il faut rappeler que les conséquences d’un accident nucléaire sont sans commune mesure avec celle d’autres accidents industriels. Même si l’on excepte les catastrophes de type Tchernobyl, les accidents mineurs et les rejets permanents de radionucléides et de produits chimiques par les centrales ont un impact sur l’environnement dont nul ne peut prédire les conséquences à long terme. Une étude allemande récente a d’ailleurs mis en évidence une augmentation dramatique des cas de cancers de l’enfant parmi les populations vivant autour des centrales nucléaires. Malgré le discours de ses dirigeants et de ses défenseurs, l’industrie du nucléaire pollue. Et le modèle économique actuel aggrave cette situation. Dans un contexte de mondialisation et de course au profit, certains dirigeants considèrent que la sécurité, si imparfaite soit-elle dans le cas du nucléaire, coûte trop cher. Mieux vaut donc, comme le fait Areva depuis le 27 août, employer les fabuleux bénéfices générés par ce secteur pour indemniser les victimes après coup, si un accident survient. Et pour payer des campagnes de communication qui feront oublier les pollutions dont l’entreprise est responsable… Le Réseau “Sortir du nucléaire”, la CRIIRAD, Greenpeace, ainsi que des riverains du site du Tricastin ont porté plainte dans cette affaire.

Lionel Cavicchioli

Article paru dans la revue "Sortir du nucléaire" de nov 2008

Une gestion de crise opaque et chaotique

Lundi 7 juillet 2008, 19 h. Une alarme se déclenche dans l’usine SOCATRI, filiale d’Areva, sur le site nucléaire du Tricastin à Bollène (Vaucluse). Elle signale un niveau élevé d’effluents uranifères dans une cuve. Vers 22 h, les employés constatent un débordement, et vers 4 h 45 du matin le 8 juillet, ils s’aperçoivent que le système de rétention de la cuve fuit. Une partie du liquide radioactif se répand sur le sol et dans le canal adjacent, polluant les rivières de la Gaffière et du Lauzon. A 6 h 15, un plan d’urgence interne est déclenché. Peu après 7 h, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et les préfectures de la Drôme et du Vaucluse sont averties. Pourtant, ce n’est qu’à 16 heures que les premières mesures de sécurité publique sont prises, soit plus de 10 heures après la découverte de la fuite. Toute la journée, la population a donc pu être en contact avec de l’eau contaminée… Plus grave, les informations divulguées alors par la SOCATRI sont très vagues. Dans un premier temps, les chiffres avancés sont de 360 kg d’uranium rejetés. La CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) s’étonne de l’unité de mesure utilisée – le gramme au lieu du Becquerel - et constate que cette information ne rend pas compte de l’ampleur de la fuite.

Elle demande que soit précisée la composition isotopique des effluents, afin de déterminer la quantité exacte de radioactivité relarguée dans l’environnement. Le lendemain, la SOCATRI revoit les chiffres à la baisse : 75 kg d’uranium “seulement” auraient atteint les rivières des environs. Malgré tout, en se basant sur une hypothèse de radioactivité minimale, la CRIIRAD montre que ce rejet représente plus de 27 fois la limite annuelle autorisée. Ce qui n’empêchera pas l’ASN, quelques jours plus tard, de classer la fuite au niveau 1 de l’échelle INES. Pourtant les critères de cette échelle, si contestée et peu scientifique soit-elle, indiquent qu’un rejet dans l’environnement doit être classé au minimum en niveau 3. Y a-t-il eu volonté de minimiser l’événement ? La question se pose d’autant plus que cet accident survient dans un contexte délicat, peu après l’annonce par le Chef de l’État de la construction d’un second EPR français, malgré les sérieuses difficultés rencontrées par les deux premiers chantiers et les protestations des associations de protection de l’environnement. L’affaire est gênante, comme vont en témoigner les gesticulations des différents responsables au cours des jours suivants. Mais surtout, elle n’est pas terminée.

De mal en pis

Alors que Jean-Louis Borloo, ministre de l’Environnement, déclare que “toutes les conclusions devront être tirées, notamment en termes d’éventuelles suites pénales et administratives”, la SOCATRI rejette les accusations de mauvaise gestion de crise. Elle sera pourtant mise en cause par un rapport accablant de l’ASN. Mais si cette dernière est prompte à condamner, elle est moins rapide à se remettre en question et se défend d’avoir tardé à réagir, malgré un silence de plus de 6 heures le jour de l’accident. Les choses auraient pu en rester là, mais le 15 juillet, un article du Monde révèle que des prélèvements effectués autour du Tricastin montrent un taux d’uranium anormalement élevé dans la nappe phréatique. L’un des points de contrôle les plus inquiétants est un puits appartenant à des riverains. Pour la CRIIRAD, ces résultats pourraient signifier que des pollutions antérieures n’ont pas été rendues publiques. M. Borloo saisit alors le récent et très peu indépendant Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire, puis annonce que des prélèvements seront effectués dans les nappes phréatiques autour des centrales nucléaires, sans toutefois donner de détails : en quoi différeront-ils des contrôles déjà obligatoires ? Cette mesure ne satisfait pas les associations écologistes et le Réseau “Sortir du nucléaire” demande que des mesures exhaustives soient effectuées autour de tous les sites nucléaires français. La société Areva tente à son tour d’allumer des contre-feux. Le directeur de la SOCATRI est limogé et Mme Lauvergeon se rend sur le site du Tricastin. Nouveau coup de théâtre le 23 juillet, cette fois dans la centrale : une centaine d’employés est contaminée au cours de la maintenance du réacteur n°4. Après la légendaire “transparence” du nucléaire, c’est sa mythique “culture de la sécurité” qui est à nouveau ébranlée. Afin de minimiser l’incident, le directeur de la centrale n’hésite pas à proposer à l’ASN de classer l’incident au niveau 0 de l’échelle INES, malgré la contamination de dizaines de salariés. Moins d’une semaine plus tard, le réacteur n°4 est à nouveau évacué, heureusement cette fois sans contamination. Enfin, deux autres révélations vont clore le sombre été du Tricastin : le 6 août, l’ASN annonce qu’en juin un rejet de carbone 14 gazeux avait été classé en niveau 1 sur l’échelle INES, et le 25 août, des ouvriers découvrent une fuite sur une canalisation enterrée sur le réseau de la Comurhex (autre filiale d’Areva), datant peut-être de plusieurs années…

Difficultés à obtenir des informations

De nombreux autres accidents impliquant des sites nucléaires ont émaillé la saison estivale en France et en Europe. Selon la CRIIRAD, une telle répétition d’incidents traduit “un manque de culture de sûreté particulièrement préoccupant”. S’il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences des accidents survenus cet été sur les riverains et sur l’environnement, la série noire du Tricastin a montré qu’au-delà des déclarations d’intention, les vieux réflexes ont la vie dure. Une fois de plus, les intérêts économiques et politiques semblent passer avant la santé de la population. Déclenchement tardif des mesures de sécurité, minimisation des incidents, puis sur-communication pour jouer la transparence et provoquer l’habituation du public… Ainsi, Jean Louis Borloo a-t-il déclaré que les “anomalies” de niveau 1 étaient courantes. Est-ce à dire qu’elles sont inoffensives ? Certainement pas. Tout d’abord, comme on l’a vu au Tricastin, les responsables s’arrangent toujours pour classer les accidents en niveau 0 ou 1 sur l’échelle INES, parfois sans même en respecter les critères. On peut donc s’interroger sur la crédibilité d’une classification aussi commodément flexible. Ensuite, si aucune industrie n’est sûre à 100 %, comme le serinent les tenants du nucléaire, il faut rappeler que les conséquences d’un accident nucléaire sont sans commune mesure avec celle d’autres accidents industriels. Même si l’on excepte les catastrophes de type Tchernobyl, les accidents mineurs et les rejets permanents de radionucléides et de produits chimiques par les centrales ont un impact sur l’environnement dont nul ne peut prédire les conséquences à long terme. Une étude allemande récente a d’ailleurs mis en évidence une augmentation dramatique des cas de cancers de l’enfant parmi les populations vivant autour des centrales nucléaires. Malgré le discours de ses dirigeants et de ses défenseurs, l’industrie du nucléaire pollue. Et le modèle économique actuel aggrave cette situation. Dans un contexte de mondialisation et de course au profit, certains dirigeants considèrent que la sécurité, si imparfaite soit-elle dans le cas du nucléaire, coûte trop cher. Mieux vaut donc, comme le fait Areva depuis le 27 août, employer les fabuleux bénéfices générés par ce secteur pour indemniser les victimes après coup, si un accident survient. Et pour payer des campagnes de communication qui feront oublier les pollutions dont l’entreprise est responsable… Le Réseau “Sortir du nucléaire”, la CRIIRAD, Greenpeace, ainsi que des riverains du site du Tricastin ont porté plainte dans cette affaire.

Lionel Cavicchioli



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