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Un épouvantail à la française : l’"intermittence" des énergies renouvelables

Article publié le 25 septembre 2013



Pour affronter les enjeux écologiques et énergétiques majeurs de notre siècle, la France se doit d’accepter une utopie mobilisatrice : viser une production d’énergie reposant à 100 % ou presque sur des sources renouvelables, à l’instar d’autres pays européens (Danemark, Allemagne, Portugal...) bien plus courageux et avancés dans cette voie.

Mais on entend souvent que, comme le soleil ne brille pas en permanence, pas plus que le vent ne souffle constamment, cela serait impossible à moins d’installer de nombreuses centrales à charbon pour compenser leur intermittence. Qu’en est-il vraiment ? Décryptage.



Les renouvelables sont variables, mais pas "intermittentes"

Les promoteurs du nucléaire (mais aussi des fossiles) mettent souvent en avant la soi-disant intermittence des énergies renouvelables pour les disqualifier, ou plus subtilement défendre une prétendue indispensable complémentarité avec les renouvelables. Pourtant, la variabilité (ou fluctuation) de celles-ci ne se confond pas avec l’intermittence. Pour bien comprendre ce qu’est l’intermittence, en voici deux exemples - gérés depuis toujours par EDF [1], sans protester :

  • Est intermittent un convecteur électrique, lequel passe des dizaines de fois par jour des positions "marche" à "arrêt" : c’est tout ou rien ; de 1 ou 2 kW à zéro, sans transition. Il y en a en France autant que dans le reste de l’Europe (25 millions ?). Non seulement EDF s’en accommode, mais en est depuis des décennies un grand promoteur [2].
  • Est intermittente également une centrale de production "en base" qui tombe en panne et prive le réseau, d’un seul coup, d’une puissance de plusieurs centaines de MW, de manière parfaitement imprévisible. Nos réacteurs nucléaires en sont un très bon exemple. EDF semble pourtant gérer. Et en vouloir encore longtemps.

Pour les principales d’entre elles (éolienne, photovoltaïque, marines, biomasse), les productions renouvelables se caractérisent par leur dépendance aux cycles naturels.

La "fluctuation" dont nous devons relever le défi, celle des éoliennes par exemple, est, elle, non seulement prévisible (les prévisions de vent sont aujourd’hui très fines), mais le vent ne s’arrête jamais brutalement ; de sorte que la puissance d’une machine parmi les plus courantes oscillera, en période de vent - c’est-à-dire 80 % du temps, prévu plusieurs jours à l’avance -, entre 50 et 2000 kW, mais très fréquemment stabilisée à sa puissance maxi, dès que le vent souffle à une quarantaine de km/h à hauteur de moyeu (à 70 m du sol au minimum).

Tout comme la puissance de production photovoltaïque oscillera, dans des plages horaires bien connues (sauf passages nuageux), entre 5 % et 100 % de sa capacité crête. Certes, à partir d’une certaine heure, la production s’arrête. Mais cela est parfaitement prévu.

De même qu’est parfaitement prévue la séquence de production des hydroliennes exploitant les courants, ou celle des usines marémotrices exploitant les marées. [3]

Station de transfert d’énergie par pompage (STEP) : quand on a trop de courant, on pompe de l’eau vers un réservoir en hauteur ; quand on en manque, on relâche l’eau pour faire tourner les turbines de générateurs.

Les prévisions de la production fluctuante permettent ainsi une programmation avec faibles marges d’erreur et, par conséquent, une planification aisée de la production d’appoint [4]. Notons que celle-ci n’est pas obligatoirement issue de ressources fossiles ou fissiles. Les appoints peuvent exploiter, pour commencer, des énergies renouvelables stockables ; ou bien la transformation par divers moyens des excédents de production électrique renouvelable (la nuit ou l’été) : stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage, production par électrolyse de méthane ou d’hydrogène stockables dans les réseaux de gaz naturel existants, etc.

La technique n’est pas la seule réponse

Néanmoins, ces techniques ne sont pas les seuls moyens d’adaptation pour un meilleur calage de la production avec les cycles (journaliers ou saisonniers) de consommation. D’autres formes d’adaptation sont également possibles : question d’organisation.

Chercher à caler notre activité selon les rythmes de la nature n’a rien de scandaleux. Les différés de consommation en sont l’un des meilleurs exemples. D’abord parce que nous le faisons déjà, tout simplement en acceptant majoritairement de travailler le jour et de prendre nos vacances l’été, selon "arrivages" du flux solaire.

Pour aller vers notre utopie, il nous faudra juste (ré)apprendre à vivre avec les saisons. Pour quelles raisons ne pourrions-nous pas accepter une forme d’organisation sociale s’adaptant aux rythmes de production des énergies renouvelables ? Cela ne veut nullement dire que nous resterions tous à la maison, tous appareils éteints, les jours nuageux sans vent.

Des pans entiers de la production et des consommations associées pourraient s’organiser de manière à optimiser l’exploitation de ces flux. Est-il indispensable, ou même utile, de tout dimensionner à l’échelle d’un pays ou d’un continent pour que toutes les consommations possibles d’énergie puissent avoir lieu à tout moment ? C’est pourtant ce modèle que nous vendent les grands énergéticiens, publics et privés, sous l’emballage de la "sécurité d’approvisionnement".

À contre-courant de ce modèle, certains fournisseurs suisses proposent la double distribution électrique dans les logements et obligent, par des prises de courant spécifiques, le branchement de certains appareils gros consommateurs sur un réseau dédié. Lequel ne distribuera le courant qu’à certaines heures seulement. Ce choix n’a rien à voir avec la rhétorique du pays sous-développé, telle qu’on l’entend souvent dès que la politique centrée sur l’offre, menée par EDF depuis 40 ans, est à peine questionnée.

Question de sobriété, non d’abstinence

Avant de choisir notre modèle de réseau, la question énergétique exige également de réfléchir à une cure d’amaigrissement : nos surconsommations électriques, ou énergétiques en général, conduisent nos réseaux à la saturation.

L’attitude de sobriété, qui devrait guider nos comportements et soigner notre boulimie, est antagonique de la logique congénitale de notre programme nucléaire, lequel pariait, dès sa conception, sur une consommation en forte croissance permanente ; de gré ou de force. [5]

Les conséquences de cette politique de l’offre, outre le fait que la consommation totale n’a jamais atteint les niveaux prévus - et ce malgré la surconsommation qui en a résulté comparativement à nos pays voisins [6] -, a nécessité la multiplication et le renforcement des lignes HT et THT ; qui ne seront jamais suffisantes. La preuve en est dans les records absurdes de consommation de pointe constatés en France à chaque hiver.

À titre de comparaison, prenons - encore - le cas de l’Allemagne : avec ses 80 millions d’habitants, elle connaît une pointe de consommation appelant une puissance de 80 GW. Alors que l’Hexagone, avec 60 millions d’habitants, doit mobiliser 100 GW. Pourtant, toute cette puissance française est à peine suffisante lors des pics de froid [7]. Ainsi, le réseau français est absurde, à la fois surdimensionné et insuffisant.

De plus, notre production centralisée, composée de grosses unités, a donné lieu à une architecture de réseau pyramidale, conçue pour "acheminer" le courant uniquement du haut (la centrale) vers le bas (les 30 millions d’abonnés). Est-on sûrs de son efficience ?

Quand le réseau électrique révèle un modèle de société

L’avènement des énergies renouvelables, majoritairement décentralisées, permettrait facilement une distribution locale du courant qu’elles produisent si nos réseaux suivaient un dessin cellulaire et un fonctionnement "neuronal", dont la principale caractéristique est une plus grande capacité d’interconnexions entre utilisateurs, à l’instar des synapses dans un système nerveux.

Alors que le réseau électrique français induit, compte-tenu de son aspect pyramidal et donc de son grand éloignement entre le lieu de production et le lieu de consommation :

 une grande difficulté à relier les petites unités de production distribuées
 des lignes surdimensionnées pour assurer les connexions autour d’épines dorsales.
 des pertes en ligne non négligeables (environ 7 % de ce qui sort des centrales)

À l’inverse, l’architecture de type neuronal, outre la plus grande résilience (résistance aux fluctuations de production et de consommation en amortissant les variations possibles de l’une et de l’autre) qu’elle confère, permet d’avoir un réseau avec une plus grande répartition d’unités de production, fonctionnant en "circuit court" (ce qui est différent d’un fonctionnement en autarcie). Ici, toutes les "cellules" de production-consommation sont interconnectées, soutiennent et régulent la tension au gré des besoins de soutirage ou d’injection.

Pour mieux comprendre ce fonctionnement, il est nécessaire de sortir du schéma simpliste habituel qui compare un réseau électrique à un circuit hydraulique. En courant alterné surtout, les électrons d’un fil métallique ne se comparent pas aux molécules d’un fluide circulant dans un tuyau. On ne "transporte" pas ces électrons d’un point A vers un point B comme des marchandises dans un camion. Un réseau électrique s’analyse plutôt comme une vaste innervation, dont la tension est affaiblie par chaque appareil mis en marche, ou renforcée par chaque unité de production qui démarre. La tension d’un circuit électrique se manifeste par les vibrations des électrons et non par des déplacements linéaires massifs de la génératrice vers un appareil (frigo, ampoule, ordinateur, convecteur, etc.) qui les "consommerait". La compréhension de cette réalité physique permet de mieux appréhender la pertinence et l’adéquation d’une organisation sociétale bâtie sur une production distribuée [8]. Les formes coopératives réunissant les consommateurs et/ou producteurs, prennent alors tout leur sens dans une économie où le rôle du citoyen ne se voit pas étouffé par l’organisation pyramidale.

Pour qui l’évolution vers la décentralisation serait-elle un danger ?

Dans le contexte hexagonal, on comprend mieux la virulence des attaques contre l’Allemagne et son choix de transition énergétique. Dans la logique de certains acteurs sociaux influents, recrutés principalement chez nos grands Corps d’État ou les syndicats de l’énergie, il ne faudrait surtout pas laisser croire à la pertinence de ces expériences allemandes décentralisées ; elles sont à contre-courant, nous explique-t-ils avec morgue, de notre modèle de pouvoir, héritage tenace de notre Ancien Régime ; liquidé pourtant brutalement, faute de transition. Deux siècles après il serait temps qu’on en tire toutes les leçons.

Claudio Rumolino
Energéticien et géographe, chargé de mission éolien participatif


Notes

[1Depuis le début des années 2000 c’est RTE, filiale d’EDF, qui en a la charge.

[2RTE s’en alarme désormais (voir son bilan électrique 2012, sur les pics de consommation/thermosensibilité)

[3Les autres énergies renouvelables ne sont pas fluctuantes : du fait de leur facilité de stockage pour la biomasse (solide, liquide ou gazeuse) et dans une certaine mesure pour l’hydraulique de barrage ; ou à cause de leur flux continu pour la géothermie.

[4RTE a développé le système de prévision des productions éolienne et solaire (IPES : Insertion des Productions Eoliennes et solaires) qui obtient de bons résultats.

[5Dès son lancement en 1973, il nous prévoyait une consommation de 750 TWh en 2000, soit 3/4 de plus que la consommation réelle cette année-là. Et ce malgré les efforts pour nous pousser à surconsommer, en faisant la promotion du chauffage électrique et des chauffe-eau électriques à accumulation.

[6Plus 30 % par rapport à l’Allemagne, hors usages thermiques, entre 1990 et 2008.

[7En France métropolitaine, chaque degré en moins l’hiver appelle une puissance de 2300 MW électriques (les besoins de Marseille) supplémentaires (si on en dispose), ou les importations correspondantes (si nos voisins, l’Allemagne principalement, en offrent). À défaut, notre réseau s’écroule. Voilà la raison pour laquelle nos gestionnaires de réseau sont sur les dents chaque hiver entre le 15 novembre et le 15 mars.

[8Tout comme sera "distribuée" la richesse qu’elle permet de générer.

Les renouvelables sont variables, mais pas "intermittentes"

Les promoteurs du nucléaire (mais aussi des fossiles) mettent souvent en avant la soi-disant intermittence des énergies renouvelables pour les disqualifier, ou plus subtilement défendre une prétendue indispensable complémentarité avec les renouvelables. Pourtant, la variabilité (ou fluctuation) de celles-ci ne se confond pas avec l’intermittence. Pour bien comprendre ce qu’est l’intermittence, en voici deux exemples - gérés depuis toujours par EDF [1], sans protester :

  • Est intermittent un convecteur électrique, lequel passe des dizaines de fois par jour des positions "marche" à "arrêt" : c’est tout ou rien ; de 1 ou 2 kW à zéro, sans transition. Il y en a en France autant que dans le reste de l’Europe (25 millions ?). Non seulement EDF s’en accommode, mais en est depuis des décennies un grand promoteur [2].
  • Est intermittente également une centrale de production "en base" qui tombe en panne et prive le réseau, d’un seul coup, d’une puissance de plusieurs centaines de MW, de manière parfaitement imprévisible. Nos réacteurs nucléaires en sont un très bon exemple. EDF semble pourtant gérer. Et en vouloir encore longtemps.

Pour les principales d’entre elles (éolienne, photovoltaïque, marines, biomasse), les productions renouvelables se caractérisent par leur dépendance aux cycles naturels.

La "fluctuation" dont nous devons relever le défi, celle des éoliennes par exemple, est, elle, non seulement prévisible (les prévisions de vent sont aujourd’hui très fines), mais le vent ne s’arrête jamais brutalement ; de sorte que la puissance d’une machine parmi les plus courantes oscillera, en période de vent - c’est-à-dire 80 % du temps, prévu plusieurs jours à l’avance -, entre 50 et 2000 kW, mais très fréquemment stabilisée à sa puissance maxi, dès que le vent souffle à une quarantaine de km/h à hauteur de moyeu (à 70 m du sol au minimum).

Tout comme la puissance de production photovoltaïque oscillera, dans des plages horaires bien connues (sauf passages nuageux), entre 5 % et 100 % de sa capacité crête. Certes, à partir d’une certaine heure, la production s’arrête. Mais cela est parfaitement prévu.

De même qu’est parfaitement prévue la séquence de production des hydroliennes exploitant les courants, ou celle des usines marémotrices exploitant les marées. [3]

Station de transfert d’énergie par pompage (STEP) : quand on a trop de courant, on pompe de l’eau vers un réservoir en hauteur ; quand on en manque, on relâche l’eau pour faire tourner les turbines de générateurs.

Les prévisions de la production fluctuante permettent ainsi une programmation avec faibles marges d’erreur et, par conséquent, une planification aisée de la production d’appoint [4]. Notons que celle-ci n’est pas obligatoirement issue de ressources fossiles ou fissiles. Les appoints peuvent exploiter, pour commencer, des énergies renouvelables stockables ; ou bien la transformation par divers moyens des excédents de production électrique renouvelable (la nuit ou l’été) : stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage, production par électrolyse de méthane ou d’hydrogène stockables dans les réseaux de gaz naturel existants, etc.

La technique n’est pas la seule réponse

Néanmoins, ces techniques ne sont pas les seuls moyens d’adaptation pour un meilleur calage de la production avec les cycles (journaliers ou saisonniers) de consommation. D’autres formes d’adaptation sont également possibles : question d’organisation.

Chercher à caler notre activité selon les rythmes de la nature n’a rien de scandaleux. Les différés de consommation en sont l’un des meilleurs exemples. D’abord parce que nous le faisons déjà, tout simplement en acceptant majoritairement de travailler le jour et de prendre nos vacances l’été, selon "arrivages" du flux solaire.

Pour aller vers notre utopie, il nous faudra juste (ré)apprendre à vivre avec les saisons. Pour quelles raisons ne pourrions-nous pas accepter une forme d’organisation sociale s’adaptant aux rythmes de production des énergies renouvelables ? Cela ne veut nullement dire que nous resterions tous à la maison, tous appareils éteints, les jours nuageux sans vent.

Des pans entiers de la production et des consommations associées pourraient s’organiser de manière à optimiser l’exploitation de ces flux. Est-il indispensable, ou même utile, de tout dimensionner à l’échelle d’un pays ou d’un continent pour que toutes les consommations possibles d’énergie puissent avoir lieu à tout moment ? C’est pourtant ce modèle que nous vendent les grands énergéticiens, publics et privés, sous l’emballage de la "sécurité d’approvisionnement".

À contre-courant de ce modèle, certains fournisseurs suisses proposent la double distribution électrique dans les logements et obligent, par des prises de courant spécifiques, le branchement de certains appareils gros consommateurs sur un réseau dédié. Lequel ne distribuera le courant qu’à certaines heures seulement. Ce choix n’a rien à voir avec la rhétorique du pays sous-développé, telle qu’on l’entend souvent dès que la politique centrée sur l’offre, menée par EDF depuis 40 ans, est à peine questionnée.

Question de sobriété, non d’abstinence

Avant de choisir notre modèle de réseau, la question énergétique exige également de réfléchir à une cure d’amaigrissement : nos surconsommations électriques, ou énergétiques en général, conduisent nos réseaux à la saturation.

L’attitude de sobriété, qui devrait guider nos comportements et soigner notre boulimie, est antagonique de la logique congénitale de notre programme nucléaire, lequel pariait, dès sa conception, sur une consommation en forte croissance permanente ; de gré ou de force. [5]

Les conséquences de cette politique de l’offre, outre le fait que la consommation totale n’a jamais atteint les niveaux prévus - et ce malgré la surconsommation qui en a résulté comparativement à nos pays voisins [6] -, a nécessité la multiplication et le renforcement des lignes HT et THT ; qui ne seront jamais suffisantes. La preuve en est dans les records absurdes de consommation de pointe constatés en France à chaque hiver.

À titre de comparaison, prenons - encore - le cas de l’Allemagne : avec ses 80 millions d’habitants, elle connaît une pointe de consommation appelant une puissance de 80 GW. Alors que l’Hexagone, avec 60 millions d’habitants, doit mobiliser 100 GW. Pourtant, toute cette puissance française est à peine suffisante lors des pics de froid [7]. Ainsi, le réseau français est absurde, à la fois surdimensionné et insuffisant.

De plus, notre production centralisée, composée de grosses unités, a donné lieu à une architecture de réseau pyramidale, conçue pour "acheminer" le courant uniquement du haut (la centrale) vers le bas (les 30 millions d’abonnés). Est-on sûrs de son efficience ?

Quand le réseau électrique révèle un modèle de société

L’avènement des énergies renouvelables, majoritairement décentralisées, permettrait facilement une distribution locale du courant qu’elles produisent si nos réseaux suivaient un dessin cellulaire et un fonctionnement "neuronal", dont la principale caractéristique est une plus grande capacité d’interconnexions entre utilisateurs, à l’instar des synapses dans un système nerveux.

Alors que le réseau électrique français induit, compte-tenu de son aspect pyramidal et donc de son grand éloignement entre le lieu de production et le lieu de consommation :

 une grande difficulté à relier les petites unités de production distribuées
 des lignes surdimensionnées pour assurer les connexions autour d’épines dorsales.
 des pertes en ligne non négligeables (environ 7 % de ce qui sort des centrales)

À l’inverse, l’architecture de type neuronal, outre la plus grande résilience (résistance aux fluctuations de production et de consommation en amortissant les variations possibles de l’une et de l’autre) qu’elle confère, permet d’avoir un réseau avec une plus grande répartition d’unités de production, fonctionnant en "circuit court" (ce qui est différent d’un fonctionnement en autarcie). Ici, toutes les "cellules" de production-consommation sont interconnectées, soutiennent et régulent la tension au gré des besoins de soutirage ou d’injection.

Pour mieux comprendre ce fonctionnement, il est nécessaire de sortir du schéma simpliste habituel qui compare un réseau électrique à un circuit hydraulique. En courant alterné surtout, les électrons d’un fil métallique ne se comparent pas aux molécules d’un fluide circulant dans un tuyau. On ne "transporte" pas ces électrons d’un point A vers un point B comme des marchandises dans un camion. Un réseau électrique s’analyse plutôt comme une vaste innervation, dont la tension est affaiblie par chaque appareil mis en marche, ou renforcée par chaque unité de production qui démarre. La tension d’un circuit électrique se manifeste par les vibrations des électrons et non par des déplacements linéaires massifs de la génératrice vers un appareil (frigo, ampoule, ordinateur, convecteur, etc.) qui les "consommerait". La compréhension de cette réalité physique permet de mieux appréhender la pertinence et l’adéquation d’une organisation sociétale bâtie sur une production distribuée [8]. Les formes coopératives réunissant les consommateurs et/ou producteurs, prennent alors tout leur sens dans une économie où le rôle du citoyen ne se voit pas étouffé par l’organisation pyramidale.

Pour qui l’évolution vers la décentralisation serait-elle un danger ?

Dans le contexte hexagonal, on comprend mieux la virulence des attaques contre l’Allemagne et son choix de transition énergétique. Dans la logique de certains acteurs sociaux influents, recrutés principalement chez nos grands Corps d’État ou les syndicats de l’énergie, il ne faudrait surtout pas laisser croire à la pertinence de ces expériences allemandes décentralisées ; elles sont à contre-courant, nous explique-t-ils avec morgue, de notre modèle de pouvoir, héritage tenace de notre Ancien Régime ; liquidé pourtant brutalement, faute de transition. Deux siècles après il serait temps qu’on en tire toutes les leçons.

Claudio Rumolino
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