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Nucléaire et canicule

Par un été caniculaire, EDF a continué de réchauffer les cours d’eau

Article publié le 15 septembre 2022



D’ordinaire, lorsque surviennent de fortes chaleurs, certains réacteurs sont arrêtés pour préserver des cours d’eau déjà surchauffés. Cette année, « nécessité publique » oblige, cette pollution thermique s’est poursuivie malgré des températures exceptionnelles. Faute d’une réorientation en urgence de notre modèle énergétique vers la sobriété et les énergies renouvelables, les cours d’eau et la vie qu’ils abritent sont condamnés à souffrir.



Une pollution thermique habituellement réglementée

Avec ses trois épisodes caniculaires, l’été 2022 a compté parmi les plus chauds et les plus secs jamais mesurés en France. Personne n’a échappé à ces tristes images de plans d’eau à sec, de lacs rétrécis comme peau de chagrin et de rivières réduites à la taille de ruisseaux. En toute logique, cette situation aurait dû aller de pair avec des restrictions majeures pour les rejets des centrales.

En effet, le fonctionnement d’un réacteur nucléaire nécessite d’importantes quantités d’eau, qui est prélevée dans les cours d’eau ou les mers, puis rejetée à une température plus élevée. Selon les modèles de réacteurs et les sites, cet échauffement peut s’avérer plus ou moins important : inférieur à 1°C pour certains, de plusieurs degrés pour d’autres (jusqu’à 10°C pour la centrale nucléaire du Blayais, sur la Gironde). Il n’est pas sans incidences sur une biodiversité aquatique déjà malmenée par la chaleur estivale, la baisse du débit des cours d’eau ou la pollution. Pour en limiter les impacts, des arrêtés ministériels fixent pour chaque site l’écart maximal de température autorisé entre l’amont et l’aval et, parfois, la température maximale que le fleuve est censé atteindre après mélange des eaux. Lorsque ces limites sont en passe d’être atteintes (ce qui arrive d’autant plus vite que le débit est faible), les réacteurs concernés doivent alors réduire leur puissance, voire être mis à l’arrêt, ce qui est régulièrement arrivé ces dernières années.

À l’été 2022, un régime d’exception

Pourtant, à la différence des étés précédents, la logique inverse a fini par prévaloir à partir de juillet 2022. En cause, la situation désastreuse du parc nucléaire : entre défauts de corrosion, maintenance en retard et travaux déjà prévus, la moitié des réacteurs français étaient à l’arrêt, démentant le cliché d’une énergie toujours disponible. Ajoutons à cela la baisse de niveau des barrages hydrauliques, victimes de la sécheresse.

Dans l’arbitrage entre protection de la biodiversité et sécurité d’approvisionnement, la vie des organismes aquatiques n’a pas pesé lourd. C’est ainsi que RTE (Réseau de Transport d’Électricité) a demandé à ce que puissent rester en fonctionnement les réacteurs mêmes qui, d’ordinaire, sont arrêtés en priorité car ils réchauffent le plus les cours d’eau [1]. Le 15 juillet, un premier arrêté dérogatoire a été publié concernant les centrales du Blayais (Gironde), Bugey (Ain), Golfech (Tarn-et-Garonne) et Saint-Alban (Isère), suivi, les semaines suivantes, de deux autres, le troisième ajoutant le Tricastin (Drôme) à la liste. Dans les grandes lignes, ces textes permettaient à EDF de ne plus tenir compte de la température de l’eau après rejet et de se contenter de respecter le différentiel de température entre amont et aval. « Nécessité publique » oblige, aucune consultation n’a été organisée pour instaurer ce régime d’exception, qui a perduré jusqu’au 11 septembre.

Quel impact sur les cours d’eau ?

En accordant son feu vert aux dérogations, l’Autorité de sûreté nucléaire a estimé que celles-ci étaient « acceptables au regard du retour d’expérience de la surveillance de l’environnement spécifiquement réalisée par EDF lors d’épisodes caniculaires antérieurs ». Mais peut-on vraiment s’attendre à ce que l’industriel rende compte de façon objective et transparente des impacts qu’il aura infligé à l’environnement ?

Rappelons que les textes d’origine prévoyaient déjà des exceptions autorisant à atteindre des températures de l’eau très hautes, s’élevant jusqu’à 27°C pour le Rhône au Bugey, 29°C pour Saint-Alban, 30°C pour la Garonne à Golfech… et jusqu’à 36,5° C au point de rejet pour le Blayais. À part pour Golfech, il s’agit de températures moyennes journalières, ce qui masque de potentiels pics aux heures les plus chaudes. Selon EDF, à l’été 2022, en vertu de ces dérogations, ces seuils ont été dépassés respectivement 8 journées pour le Bugey, 8 pour Golfech, une pour St Alban et 9 pour Tricastin (il n’y aurait finalement pas eu de dépassement pour le Blayais). Or dans une eau à 25°C, la plupart des espèces de poissons se trouvent déjà dans une situation d’inconfort. À 28°C, certaines luttent déjà pour leur survie ! En outre, ces températures élevées accélèrent aussi le phénomène d’eutrophisation [2] et la prolifération d’espèces invasives.

Une exception qui deviendra la norme ?

Les températures exceptionnelles de l’été 2022 risquent de ne plus le rester longtemps. Selon Météo France, si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent à un rythme soutenu, elles deviendront la norme d’ici à 2050. Une note de l’INSEE précise qu’une grande partie du territoire français est susceptible de connaître de 16 à 29 journées anormalement chaudes par an dans les prochaines décennies . L’étude de référence Explore 2070, elle, prévoit une baisse moyenne annuelle du débit des cours d’eau comprise entre 10% et 40%.

Dans ces conditions, allons-nous continuer à réchauffer encore plus des cours d’eaux déjà mis à très rude épreuve ? Verra-t-on même apparaître des dérogations hors périodes estivales, lors des périodes de reproduction et de migration de la faune aquatique ?

La question de la sécurité d’approvisionnement à court et moyen terme est indéniablement un enjeu complexe. Mais faute d’une réorientation en urgence de notre modèle énergétique vers la sobriété et les énergies renouvelables, les cours d’eau et la vie qu’ils abritent souffriront de plus en plus.


Notes

[1Pour la majeure partie d’entre eux, il s’agit de réacteurs fonctionnant en circuit dit « ouvert », le plus souvent sans tour de refroidissement, qui rejettent la quasi totalité de l’eau pompée mais la réchauffent significativement plus que les autres modèles. Quant à la centrale de Golfech, elle est implantée sur la Garonne, cours d’eau plus fragile en raison de son faible débit et de sa température déjà élevée.

[2Prolifération d’algues et de bactéries, qui peut être aggravée par la chaleur des eaux et aboutit à une dégradation de la qualité des milieux aquatiques et de leur teneur en oxygène.

Une pollution thermique habituellement réglementée

Avec ses trois épisodes caniculaires, l’été 2022 a compté parmi les plus chauds et les plus secs jamais mesurés en France. Personne n’a échappé à ces tristes images de plans d’eau à sec, de lacs rétrécis comme peau de chagrin et de rivières réduites à la taille de ruisseaux. En toute logique, cette situation aurait dû aller de pair avec des restrictions majeures pour les rejets des centrales.

En effet, le fonctionnement d’un réacteur nucléaire nécessite d’importantes quantités d’eau, qui est prélevée dans les cours d’eau ou les mers, puis rejetée à une température plus élevée. Selon les modèles de réacteurs et les sites, cet échauffement peut s’avérer plus ou moins important : inférieur à 1°C pour certains, de plusieurs degrés pour d’autres (jusqu’à 10°C pour la centrale nucléaire du Blayais, sur la Gironde). Il n’est pas sans incidences sur une biodiversité aquatique déjà malmenée par la chaleur estivale, la baisse du débit des cours d’eau ou la pollution. Pour en limiter les impacts, des arrêtés ministériels fixent pour chaque site l’écart maximal de température autorisé entre l’amont et l’aval et, parfois, la température maximale que le fleuve est censé atteindre après mélange des eaux. Lorsque ces limites sont en passe d’être atteintes (ce qui arrive d’autant plus vite que le débit est faible), les réacteurs concernés doivent alors réduire leur puissance, voire être mis à l’arrêt, ce qui est régulièrement arrivé ces dernières années.

À l’été 2022, un régime d’exception

Pourtant, à la différence des étés précédents, la logique inverse a fini par prévaloir à partir de juillet 2022. En cause, la situation désastreuse du parc nucléaire : entre défauts de corrosion, maintenance en retard et travaux déjà prévus, la moitié des réacteurs français étaient à l’arrêt, démentant le cliché d’une énergie toujours disponible. Ajoutons à cela la baisse de niveau des barrages hydrauliques, victimes de la sécheresse.

Dans l’arbitrage entre protection de la biodiversité et sécurité d’approvisionnement, la vie des organismes aquatiques n’a pas pesé lourd. C’est ainsi que RTE (Réseau de Transport d’Électricité) a demandé à ce que puissent rester en fonctionnement les réacteurs mêmes qui, d’ordinaire, sont arrêtés en priorité car ils réchauffent le plus les cours d’eau [1]. Le 15 juillet, un premier arrêté dérogatoire a été publié concernant les centrales du Blayais (Gironde), Bugey (Ain), Golfech (Tarn-et-Garonne) et Saint-Alban (Isère), suivi, les semaines suivantes, de deux autres, le troisième ajoutant le Tricastin (Drôme) à la liste. Dans les grandes lignes, ces textes permettaient à EDF de ne plus tenir compte de la température de l’eau après rejet et de se contenter de respecter le différentiel de température entre amont et aval. « Nécessité publique » oblige, aucune consultation n’a été organisée pour instaurer ce régime d’exception, qui a perduré jusqu’au 11 septembre.

Quel impact sur les cours d’eau ?

En accordant son feu vert aux dérogations, l’Autorité de sûreté nucléaire a estimé que celles-ci étaient « acceptables au regard du retour d’expérience de la surveillance de l’environnement spécifiquement réalisée par EDF lors d’épisodes caniculaires antérieurs ». Mais peut-on vraiment s’attendre à ce que l’industriel rende compte de façon objective et transparente des impacts qu’il aura infligé à l’environnement ?

Rappelons que les textes d’origine prévoyaient déjà des exceptions autorisant à atteindre des températures de l’eau très hautes, s’élevant jusqu’à 27°C pour le Rhône au Bugey, 29°C pour Saint-Alban, 30°C pour la Garonne à Golfech… et jusqu’à 36,5° C au point de rejet pour le Blayais. À part pour Golfech, il s’agit de températures moyennes journalières, ce qui masque de potentiels pics aux heures les plus chaudes. Selon EDF, à l’été 2022, en vertu de ces dérogations, ces seuils ont été dépassés respectivement 8 journées pour le Bugey, 8 pour Golfech, une pour St Alban et 9 pour Tricastin (il n’y aurait finalement pas eu de dépassement pour le Blayais). Or dans une eau à 25°C, la plupart des espèces de poissons se trouvent déjà dans une situation d’inconfort. À 28°C, certaines luttent déjà pour leur survie ! En outre, ces températures élevées accélèrent aussi le phénomène d’eutrophisation [2] et la prolifération d’espèces invasives.

Une exception qui deviendra la norme ?

Les températures exceptionnelles de l’été 2022 risquent de ne plus le rester longtemps. Selon Météo France, si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent à un rythme soutenu, elles deviendront la norme d’ici à 2050. Une note de l’INSEE précise qu’une grande partie du territoire français est susceptible de connaître de 16 à 29 journées anormalement chaudes par an dans les prochaines décennies . L’étude de référence Explore 2070, elle, prévoit une baisse moyenne annuelle du débit des cours d’eau comprise entre 10% et 40%.

Dans ces conditions, allons-nous continuer à réchauffer encore plus des cours d’eaux déjà mis à très rude épreuve ? Verra-t-on même apparaître des dérogations hors périodes estivales, lors des périodes de reproduction et de migration de la faune aquatique ?

La question de la sécurité d’approvisionnement à court et moyen terme est indéniablement un enjeu complexe. Mais faute d’une réorientation en urgence de notre modèle énergétique vers la sobriété et les énergies renouvelables, les cours d’eau et la vie qu’ils abritent souffriront de plus en plus.



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