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Une conception surprenante de la "sûreté" !

Le récupérateur de corium : ce qui est sûr, c’est le risque

Article publié le 8 août 2016



Areva n’a eu de cesse, dès les années 1990, de présenter l’EPR comme le réacteur nucléaire "le plus sûr du monde", arguant en particulier de la présence d’une double enceinte en béton, de quatre systèmes de sauvegarde redondants (dont deux bunkerisés), ainsi que d’un "récupérateur de corium" situé sous la cuve du réacteur et censé permettre l’étalement, le refroidissement et par conséquent le confinement du cœur fondu (le corium) en cas de fusion accidentelle.

Ce dernier dispositif est emblématique de la conception bien particulière qu’Areva se fait d’une sûreté améliorée : il pourrait provoquer de violentes explosions de vapeur, susceptibles de détruire l’enceinte de confinement, si le cœur en fusion entrait en contact avec de l’eau, même en faible quantité, qui pourrait avoir fui dans le bassin de récupération du corium [1], même si ce risque est réputé "éliminé par conception".

Un rapport publié en 2006 par l’IRSN et le CEA [2] permet de déceler diverses incertitudes sur le comportement du corium, qui conditionne également l’efficacité et la sûreté du récupérateur. "D’un point vu sûreté du réacteur, les systèmes de récupération du corium doivent satisfaire plusieurs fonctions type […] L’ensemble des contraintes relatives à toutes ces fonctions est difficile à satisfaire et induit des dispositifs de conception relativement complexes. Il en résulte une difficulté de démonstration du bon fonctionnement de ces dispositifs, et des besoins de R&D importants."

Sur cette photo, la mise en place des briques en fonte dans la chambre de récupération du corium est achevée. Depuis, elles ont été recouvertes ensuite de béton "sacrificiel".

L’étalement du corium doit se produire en une seule fois, puisqu’une fois l’étalement achevé, le corium est progressivement noyé sous eau pour le refroidir ; si une nouvelle arrivée de corium se produisait alors, son comportement serait imprévisible : "la coulée d’un corium sous eau est soumise à de grosses incertitudes et ne peut, à ce jour, être correctement modélisée". La stabilité puis la solidification du corium étalé dépendent, entre autres, du bon fonctionnement du système de refroidissement du récupérateur de corium, en particulier au-delà de quelques jours. Et caetera. Cela fait beaucoup de "si". D’autant plus que le même rapport note que "il reste des incertitudes sur les propriétés physiques du corium".

Dans le documentaire Fusion du cœur et produits de fission publié par l’IRSN en mars 2011, Gérard Cénérino, expert en matière d’accidents nucléaires graves, explique : "Un cœur qui fusionne […] c’est quelque chose dont on connaît la composition vaguement […] c’est un mélange de… de… une centaine de corps différents… la chimie de ce qui se passe… on fait des essais qui approchent le comportement mais on ne saura jamais… Si un jour on a une fusion du cœur, on pourra toujours dire : "on pense qu’on est dans cette situation de fusion" mais on ne pourra jamais dire "il n’y a que 20% du cœur qui est fondu, 45% du cœur, 32% du cœur", ça les codes de calcul nous disent ça, en réalité on aura simplement une… une appréciation de ce qui peut se passer."

L’ancien PDG d’EDF Marcel Boiteux, sceptique sur l’utilité du récupérateur de corium, a par ailleurs indiqué en décembre 2009 à Médiapart que pour pouvoir installer ce dispositif en-dessous de la cuve du réacteur, il a fallu "un changement pas négligeable" : dans l’EPR, les "sorties" de cuve correspondant aux divers capteurs et sondes de contrôle ne peuvent plus être sous la cuve, mais ont dû être implantées au-dessus, et donc "sont mélangées aux mécanismes des barres" de contrôle de la réaction de fission, un mécanisme de sûreté crucial puisque pour pouvoir arrêter le réacteur en urgence, il faut laisser chuter les barres de contrôle dans le coeur.

Marcel Boiteux ajoutait : "Quand vous savez que les incidents courants, c’est les barres qui se bloquent, maintenant il y aura à la fois les barres, les thermomètres, et caetera... Et donc des gens disent, il faudrait quand même voir avant d’aller plus loin." Mais, en 2009, c’était déjà tout vu... [3]


Notes

[1Henrik Paulitz, Les défauts techniques sur la sûreté du réacteur européen à eau pressurisée (EPR) - Une première évaluation, IPPNW, 9 décembre 2003

[3Martine Orange, EPR : enquête sur un fiasco industriel, Médiapart. Transcription de la vidéo de l’entretien avec Marcel Boiteux en p.3, plus fidèle que les citations telles qu’indiquées dans l’article lui-même.

Areva n’a eu de cesse, dès les années 1990, de présenter l’EPR comme le réacteur nucléaire "le plus sûr du monde", arguant en particulier de la présence d’une double enceinte en béton, de quatre systèmes de sauvegarde redondants (dont deux bunkerisés), ainsi que d’un "récupérateur de corium" situé sous la cuve du réacteur et censé permettre l’étalement, le refroidissement et par conséquent le confinement du cœur fondu (le corium) en cas de fusion accidentelle.

Ce dernier dispositif est emblématique de la conception bien particulière qu’Areva se fait d’une sûreté améliorée : il pourrait provoquer de violentes explosions de vapeur, susceptibles de détruire l’enceinte de confinement, si le cœur en fusion entrait en contact avec de l’eau, même en faible quantité, qui pourrait avoir fui dans le bassin de récupération du corium [1], même si ce risque est réputé "éliminé par conception".

Un rapport publié en 2006 par l’IRSN et le CEA [2] permet de déceler diverses incertitudes sur le comportement du corium, qui conditionne également l’efficacité et la sûreté du récupérateur. "D’un point vu sûreté du réacteur, les systèmes de récupération du corium doivent satisfaire plusieurs fonctions type […] L’ensemble des contraintes relatives à toutes ces fonctions est difficile à satisfaire et induit des dispositifs de conception relativement complexes. Il en résulte une difficulté de démonstration du bon fonctionnement de ces dispositifs, et des besoins de R&D importants."

Sur cette photo, la mise en place des briques en fonte dans la chambre de récupération du corium est achevée. Depuis, elles ont été recouvertes ensuite de béton "sacrificiel".

L’étalement du corium doit se produire en une seule fois, puisqu’une fois l’étalement achevé, le corium est progressivement noyé sous eau pour le refroidir ; si une nouvelle arrivée de corium se produisait alors, son comportement serait imprévisible : "la coulée d’un corium sous eau est soumise à de grosses incertitudes et ne peut, à ce jour, être correctement modélisée". La stabilité puis la solidification du corium étalé dépendent, entre autres, du bon fonctionnement du système de refroidissement du récupérateur de corium, en particulier au-delà de quelques jours. Et caetera. Cela fait beaucoup de "si". D’autant plus que le même rapport note que "il reste des incertitudes sur les propriétés physiques du corium".

Dans le documentaire Fusion du cœur et produits de fission publié par l’IRSN en mars 2011, Gérard Cénérino, expert en matière d’accidents nucléaires graves, explique : "Un cœur qui fusionne […] c’est quelque chose dont on connaît la composition vaguement […] c’est un mélange de… de… une centaine de corps différents… la chimie de ce qui se passe… on fait des essais qui approchent le comportement mais on ne saura jamais… Si un jour on a une fusion du cœur, on pourra toujours dire : "on pense qu’on est dans cette situation de fusion" mais on ne pourra jamais dire "il n’y a que 20% du cœur qui est fondu, 45% du cœur, 32% du cœur", ça les codes de calcul nous disent ça, en réalité on aura simplement une… une appréciation de ce qui peut se passer."

L’ancien PDG d’EDF Marcel Boiteux, sceptique sur l’utilité du récupérateur de corium, a par ailleurs indiqué en décembre 2009 à Médiapart que pour pouvoir installer ce dispositif en-dessous de la cuve du réacteur, il a fallu "un changement pas négligeable" : dans l’EPR, les "sorties" de cuve correspondant aux divers capteurs et sondes de contrôle ne peuvent plus être sous la cuve, mais ont dû être implantées au-dessus, et donc "sont mélangées aux mécanismes des barres" de contrôle de la réaction de fission, un mécanisme de sûreté crucial puisque pour pouvoir arrêter le réacteur en urgence, il faut laisser chuter les barres de contrôle dans le coeur.

Marcel Boiteux ajoutait : "Quand vous savez que les incidents courants, c’est les barres qui se bloquent, maintenant il y aura à la fois les barres, les thermomètres, et caetera... Et donc des gens disent, il faudrait quand même voir avant d’aller plus loin." Mais, en 2009, c’était déjà tout vu... [3]



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