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Des accidents nucléaires partout

France : Cruas : 4 mois de fuites et de rejets dans la nature

Manque d’entretien, de surveillance, de connaissances et d’analyses : EDF cumule les incompétences




22 mai 2024


À la centrale de Cruas (Rhône-Alpes), une fuite est détectée mi-janvier 2024. EDF laisse le "léger écoulement" en l’état et prévoit une réparation... dans 8 mois. En attendant, l’eau chargée de produits chimiques est envoyée dans le réseau qui récolte l’eau de pluie qui se déverse directement dans le Rhône et la fuite s’aggrave. EDF mettra 4 mois à réaliser que cette eau polluée doit être traitée avant d’être rejetée dans l’environnement.


On ne sait ni ce qui a causé la fuite ni quand elle a commencé. On sait toutefois que EDF l’a découverte le 14 janvier 2024 et qu’elle provient du circuit qui apporte de l’eau aux générateurs de vapeur (GV  [1] ). Cette eau n’est pas radioactive mais elle passe dans de très fins tubes pour être juxtaposée à l’eau extrêmement chaude qui provient de la cuve, où elle recouvre le combustible nucléaire. Les GV sont des gros échangeurs thermiques : c’est là, dans leurs tubes, que la chaleur dégagée par la réaction nucléaire (portée par l’eau du circuit primaire  [2] ) est utilisée pour créer de la vapeur d’eau (le circuit secondaire  [3] ). Cette vapeur est ensuite envoyée sous haute pression vers une turbine qui, couplée à un alternateur, permet de produire de l’électricité. Avoir suffisamment d’eau dans les générateurs de vapeur est essentiel car par le transfert de chaleur du circuit primaire vers le secondaire, ce n’est pas seulement la production d’électricité qui est assurée, c’est le aussi le refroidissement du cœur du réacteur.

L’eau qui est envoyée dans les générateurs de vapeur pour être transformée en vapeur est traitée chimiquement, avec différents produits détergents et de l’ammoniac notamment. Il faut à la fois éviter l’encrassement et la formation de tartre (qui pourraient créer des bouchons) mais aussi la corrosion les tuyaux (pour préserver l’étanchéité des tubes métalliques des GV et éviter que l’eau du circuit primaire ne contamine le circuit secondaire) et le développement de bactéries. La fuite constatée le 14 janvier sur le circuit d’alimentation en eau des GV était donc de l’eau issue du circuit secondaire, "propre" au plan radiologique mais contenant des produits chimiques.

Pour autant, l’industriel n’a pas orienté cette fuite vers le système de collecte des eaux industrielles. Il a mis en place une dérivation pour qu’elle rejoigne le réseau d’eau pluviale. Un circuit qui se jette directement dans la nature (en l’occurrence le Rhône qui jouxte la centrale nucléaire), sans passer par aucun filtre ni aucun système de dépollution.
Que personne au sein d’EDF n’ait identifié que cette fuite du circuit secondaire devait être envoyée vers le système de traitement dédiés spécialement à tous les résidus liquides émanant de cette partie des installations a de quoi surprendre. EDF ne connaît-il donc pas ses circuits, leurs caractéristiques et la manière de traiter les fuites ? N’y a-t-il donc pas eu de réunion d’échanges, d’informations, un examen, une analyse de la situation ? Quoiqu’il en soit, le risque de pollution de l’environnement n’a été identifié par personne. Et personne n’a non plus songé que ce faisant, EDF contournait les procédures de rejets qu’il est censé respecter pour ses effluents industriels.

Trois mois et demi plus tard, EDF constate que la fuite s’est aggravée. Si le débit initial n’est pas communiqué par l’exploitant, ce sont désormais 150 litres d’eau industrielle qui sont déversés dans le fleuve toutes les heures. On ne sait pas ce qui a causé l’aggravation de la fuite, ni depuis combien de temps EDF n’était pas allé vérifier son évolution. Manque d’entretien et de surveillance des équipements viennent s’ajouter au manque de connaissances et d’analyse d’une situation à risque. Il faudra encore attendre 2 semaines, mi mai 2024, pour que EDF réalise enfin que l’eau qui fuite doit être considérée comme un déchet de production industrielle et doit être traitée avant d’être rejetée dans la nature.

EDF ne donne que peu de détails sur les produits chimiques qui auront été déversés au cours des 4 derniers mois dans le Rhône du fait de ses incompétences, mais l’eau contenait notamment de l’ammonium, un dérivé de l’ammoniac dissout dans l’eau qui n’est pas dangereux pour la santé mais peut déséquilibrer et dégrader les écosystèmes aquatiques (composé d’azote et d’hydrogène, sa dilution dans l’eau produit un apport de nutriments qui peut conduire au développement invasif de certaines espèces, notamment des algues. Celles-ci vont asphyxier l’écosystème et peuvent conduire à son eutrophisation  [4] ).
Les limites de rejet d’ammonium (12 000 kg/an, ce qui paraît très élevé) n’ont pas été dépassées d’après les calculs effectués a posteriori par l’industriel. Mais ce n’est pas tant là le problème. EDF a détourné durant 4 mois une fuite venant de ses installations pour l’envoyer directement dans un fleuve, sans aucun contrôle préalable, sans identifier le risque d’atteinte de l’environnement, et sans réaliser qu’il contrevenait aux procédures obligatoires de gestion d’effluents. L’incident a finalement été déclaré comme significatif pour l’environnement le 17 mai aux autorités. Pas pour pollution, mais pour contournement des voies de rejets. Un incident provoqué par un défaut d’entretien et de surveillance des équipements, couplé à un manque de connaissances, d’analyses et de compétences, le tout chapeauté par une absence totale de souci de préservation de l’environnement.

L.B.

Ce que dit EDF :

Déclaration d’un événement significatif environnement

Publié le 22/05/2024

Vendredi 17 mai 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire un événement significatif environnement relatif au contournement des voies normales de rejet issue de l’inétanchéité d’un robinet sur le circuit d’alimentation en eau du circuit secondaire de l’unité de production n°3.

Le 14 janvier 2024, les intervenants détectent un léger écoulement au niveau d’un raccord de tuyauterie du circuit appelé ARE, circuit d’alimentation en eau des générateurs de vapeur* sur l’unité de production n°3. Un diagnostic est réalisé, confirmant l’écoulement, et une réparation est programmée lors du prochain arrêt pour maintenance de l’unité de production n°3 en août 2024. Une collecte et des absorbants sont mis en place en niveau de l’écoulement et les effluents sont orientés vers le circuit de récupération des eaux fluviales.

Le 29 avril 2024, lors d’une nouvelle intervention, les salariés constatent que l’écoulement est plus important, avec un débit de 150 litres / heure. Le 13 mai 2024, dans le cadre du traitement de la problématique, il est identifié que les effluents qui s’écoulent vers le circuit de récupération des eaux fluviales devraient, compte tenu de leur nature, être orientées vers le circuit de collecte des effluents non radioactifs du circuit secondaire (circuit SEK). La collecte est alors réorientée vers ce circuit pour permettre un stockage et un traitement adapté.

L’analyse des effluents montre la présence d’ammonium à une concentration de 0,29 mg/L. En supposant de manière majorante que la fuite était de 150 L/h dès le 14 janvier 2024, la quantité rejetée d’ammonium dans le Rhône aurait été de l’ordre de 140 g, soit très en-dessous du seuil réglementaire annuel fixé à 12 000 kg.

Cet évènement n’a pas eu d’impact réel sur l’environnement. Cependant, en raison du temps mis pour identifier et traiter les effluents issus de l’écoulement, la direction de la centrale de Cruas-Meysse a déclaré cet évènement le 17 mai 2024 auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire sous la forme d’un évènement significatif pour l’environnement.

*Le Générateur de Vapeur se remplit en eau venant du circuit secondaire (salle des machines) qui se transforme ensuite en vapeur.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/declaration-dun-evenement-significatif-environnement-0


[1Un générateur de vapeur (GV) est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température (320 °C) et à pression élevée (155 bars) dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine https://www.asn.fr/Lexique/G/Generateur-de-vapeur

[2Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[3Le circuit secondaire est un circuit fermé dans lequel la vapeur produite dans le générateur de vapeur est conduite à la turbine, qui transforme son énergie en énergie mécanique. Il comprend : la partie secondaire des générateurs de vapeur, la turbine, le condenseur, les systèmes d’extraction et de réchauffage de l’eau condensée jusqu’au retour au générateur de vapeur, ainsi que les tuyauteries associées. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-secondaire

[4L’eutrophisation des milieux aquatiques est un déséquilibre du milieu provoqué par l’augmentation de la concentration d’azote et de phosphore dans le milieu. Elle est caractérisée par une croissance excessive des plantes et des algues due à la forte disponibilité des nutriments. Les algues qui se développent grâce à ces substances nutritives absorbent de grandes quantités de dioxygène. Leur prolifération provoque l’appauvrissement, puis la mort de l’écosystème aquatique présent : il ne bénéficie plus du dioxygène nécessaire pour vivre, ce phénomène est appelé « asphyxie des écosystèmes aquatiques »


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Installation(s) concernée(s)

Cruas

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144