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Sortir du nucléaire n°69



Mai 2016

Travailleurs du nucléaire

Vers une réelle prise en compte judiciaire du risque nucléaire pour les travailleurs ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°69 - Mai 2016

 Travailleurs du nucléaire


C’est notamment par le biais d’actions en justice qu’ont éclaté au grand jour les plus grandes affaires sanitaires de ces dernières années : l’amiante, le Distilbène, le Mediator, ..., et plus récemment les pesticides avec la première condamnation en justice de Monsanto et les perturbateurs endocriniens avec une condamnation de la Commission européenne pour ne pas avoir défini des critères pour les encadrer. Depuis quelques années, les instances judiciaires sont de plus en plus amenées à se prononcer sur des affaires concernant les travailleurs du nucléaire. Retour sur certaines décisions rendues ces dernières années en la matière qui ont permis quelques avancées.



Les recours en justice jouent un rôle considérable dans l’éclatement de ces scandales, bien en amont de la reconnaissance par les pouvoirs publics qui, sous le poids des industriels, optent pour la politique de l’autruche jusqu’à être contraints d’agir sous la pression de l’opinion, des médias et de la justice. Que ces procédures aboutissent à une condamnation ou non des responsables, celles-ci permettent une crédibilisation des dossiers et une réelle prise de conscience des enjeux par le public. Engager des actions juridiques pour faire reconnaître de graves problèmes sanitaires s’avère donc capital.

Depuis quelques années, les instances judiciaires sont de plus en plus amenées à se prononcer sur des affaires concernant les travailleurs du nucléaire. Il semble donc important de mettre en lumière les décisions rendues à ce sujet afin de faire le point sur les dernières avancées en la matière.

Les conditions d’indemnisation des vétérans des essais nucléaires enfin précisées

Des centaines de cancer diagnostiqués par an, un taux de mortalité infantile largement supérieur à celui de l’Hexagone... C’est le triste bilan des conséquences sur la santé des essais nucléaires conduits par la France sur les atolls polynésiens de Mururoa et Fangataufa, et en Algérie.

La loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires prévoit qu’en principe, quand une personne souffre d’une maladie radio-induite alors qu’elle a séjourné, pendant des périodes déterminées, dans ces zones, sa maladie est regardée comme ayant été causée par son exposition aux rayonnements ionisants dus aux effets nucléaires. Elle a alors droit à une indemnisation du fait de la responsabilité de l’État. Toutefois, la loi prévoit que cette présomption de causalité peut être renversée lorsqu’il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable, en raison de la nature de la maladie qui s’est déclarée et des conditions d’exposition de la personne.

En décembre 2015, le Conseil d’État est enfin venu préciser les conditions d’application du régime d’indemnisation. Il a admis que soient pris en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu’il exerçait effectivement, ses conditions d’affectation ainsi que les missions de son unité au moment des tirs.

Il a également jugé que le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) pouvait se fonder sur la dose reçue de rayonnements ionisants, à condition de disposer de résultats, pour les personnes concernées ou pour des personnes se trouvant dans une situation comparable, de mesures de surveillance de la contamination suffisantes. Lorsque de telles données ne sont pas disponibles alors que des mesures de surveillance auraient été nécessaires, le Conseil d’État juge que la présomption de causalité ne peut pas être écartée, car il est impossible d’établir que le risque était négligeable. Cette décision est une avancée considérable pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires menés par la France.

Serge Venel, devant la mine d’uranium d’Akokan au Niger

Prémices d’une reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

En mai 2012, le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Melun a condamné Areva pour faute inexcusable pour la mort par cancer du poumon de Serge Venel, ex-salarié d’une mine d’uranium du groupe français au Niger. Serge Venel est mort à l’âge de 59 ans d’un cancer du poumon en juillet 2009, après avoir travaillé de 1978 à 1985 pour une filiale d’Areva, la Cominak, société de droit nigérien qui exploite des mines d’uranium du groupe à Akokan, au nord-ouest du Niger. Quelques mois avant le décès, le pneumologue avait dit que la cause du cancer était "l’inhalation de poussières d’uranium", avait expliqué lors de l’audience Peggy Venel, fille de la victime. Bien que la Cour d’appel de Paris ait finalement infirmé le jugement de première instance au motif qu’Areva ne pouvait être tenu responsable en temps qu’employeur, la décision du TASS de Melun reste un espoir d’une évolution jurisprudentielle pour les mineurs victimes.

Jean-François Cloix, chaudronnier pendant 30 ans à la centrale de Dampierre, avec sa femme Laure

Fin août 2013, le TASS d’Orléans a condamné EDF pour faute inexcusable pour le cancer du poumon contracté par un employé de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly. Jean-François Cloix, qui avait travaillé dans la centrale durant 30 ans comme chaudronnier, est mort en 2009, à 53 ans. Dans le cadre de ses fonctions d’agent EDF, il avait été soumis à des doses de rayonnements ionisants. EDF avait l’intention de faire appel.

Le long combat judiciaire de Michel Leclerc

À l’instar d’autres travailleurs du nucléaire malades, Michel Leclerc s’est lancé dans une procédure en justice pour faire reconnaître la responsabilité de la société qui l’a "indirectement" employé. Il a travaillé comme mécanicien pour la société sous-traitante Serci, à l’usine Comurhex Malvési (maintenant Areva Malvési) de 1980 à 1984.

Michel Leclerc, ancien sous-traitant de l’usine Areva-Comurhex de Malvési

En 1991, une leucémie lui est diagnostiquée et les médecins font le lien avec son travail au contact des matières radioactives. Dans son dossier médical, auquel on lui refusait l’accès et qu’il a donc été contraint de voler, des analyses d’urine réalisées en 1983 révélaient un taux d’uranium jusqu’à dix fois supérieur à la norme ! En 1995, il attaque la Comurhex et la Serci devant le TASS de l’Aude ; en 1999, celui-ci reconnaît la faute de la Comurhex, mais se déclare incompétent pour statuer sur le recours intenté contre un tiers, la Comurhex n’étant pas l’employeur direct de Michel (l’entreprise sous-traitante ayant été mise hors de cause). Le Tribunal de grande instance de Narbonne a été saisi ; celui-ci déclare en juin 2012 que la Comurhex est entièrement responsable de la leucémie myéloïde chronique de Michel Leclerc. L’entreprise a fait appel.

En novembre 2013, la Cour d’appel de Montpellier a infirmé le jugement du TGI de Narbonne et a dégagé la Comurhex de ses responsabilités. Le 15 janvier 2016, par un arrêt non motivé, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé à l’encontre de cette décision.

"Je suis déterminé à aller jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour faire condamner l’État pour la longueur de cette procédure", affirme Michel Leclerc, le jour du rejet de son pourvoi. "De nombreux salariés de la sous- traitance ont attendu que la justice reconnaisse la responsabilité de ceux qui ont réduit l’espérance de vie en bonne santé de Michel. Une fois de plus, les vrais criminels ne sont pas reconnus pour les méfaits qu’ils causent. Nous continuerons, nous, salariés de la sous-traitance, à nous battre pour une pénalisation des employeurs", déclare Philippe Billard, syndicaliste et président de l’association Santé Sous-traitance Nucléaire Chimie (SSNC).

Marie Frachisse

Coordinatrice des questions juridiques

Soutenez Michel Leclerc dans son long combat judiciaire

Michel Leclerc a besoin d’un soutien financier pour saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme et aller ainsi au bout de sa procédure en justice qui n’a que trop duré. Il est temps que justice soit rendue pour les travailleurs du nucléaire, premières victimes de cette industrie mortifère.

Pour soutenir Michel et tous les travailleurs du nucléaire dans leur combat judiciaire : https://www.sortirdunucleaire.org/Soutenez-nous

Dernière minute !

Alors que nous bouclons ce numéro, nous apprenons que, pour la première fois en France, le TASS (tribunal des affaires de sécurité sociale) a reconnu la "faute inexcusable" d’un employeur de la sous-traitance du nucléaire dans le décès d’un de ses salariés. Christian Verronneau est mort à 57 ans le 10 septembre 2012 d’un cancer broncho-pulmonaire radio-induit. Il était employé par Endel, filiale d’Engie (ex GDFSuez), et avait passé 30 années à effectuer les tâches les plus dangereuses – décontamination, tri des déchets, pose de matelas de plomb sur des tuyaux très fortement radioactifs.

Les recours en justice jouent un rôle considérable dans l’éclatement de ces scandales, bien en amont de la reconnaissance par les pouvoirs publics qui, sous le poids des industriels, optent pour la politique de l’autruche jusqu’à être contraints d’agir sous la pression de l’opinion, des médias et de la justice. Que ces procédures aboutissent à une condamnation ou non des responsables, celles-ci permettent une crédibilisation des dossiers et une réelle prise de conscience des enjeux par le public. Engager des actions juridiques pour faire reconnaître de graves problèmes sanitaires s’avère donc capital.

Depuis quelques années, les instances judiciaires sont de plus en plus amenées à se prononcer sur des affaires concernant les travailleurs du nucléaire. Il semble donc important de mettre en lumière les décisions rendues à ce sujet afin de faire le point sur les dernières avancées en la matière.

Les conditions d’indemnisation des vétérans des essais nucléaires enfin précisées

Des centaines de cancer diagnostiqués par an, un taux de mortalité infantile largement supérieur à celui de l’Hexagone... C’est le triste bilan des conséquences sur la santé des essais nucléaires conduits par la France sur les atolls polynésiens de Mururoa et Fangataufa, et en Algérie.

La loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires prévoit qu’en principe, quand une personne souffre d’une maladie radio-induite alors qu’elle a séjourné, pendant des périodes déterminées, dans ces zones, sa maladie est regardée comme ayant été causée par son exposition aux rayonnements ionisants dus aux effets nucléaires. Elle a alors droit à une indemnisation du fait de la responsabilité de l’État. Toutefois, la loi prévoit que cette présomption de causalité peut être renversée lorsqu’il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable, en raison de la nature de la maladie qui s’est déclarée et des conditions d’exposition de la personne.

En décembre 2015, le Conseil d’État est enfin venu préciser les conditions d’application du régime d’indemnisation. Il a admis que soient pris en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu’il exerçait effectivement, ses conditions d’affectation ainsi que les missions de son unité au moment des tirs.

Il a également jugé que le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) pouvait se fonder sur la dose reçue de rayonnements ionisants, à condition de disposer de résultats, pour les personnes concernées ou pour des personnes se trouvant dans une situation comparable, de mesures de surveillance de la contamination suffisantes. Lorsque de telles données ne sont pas disponibles alors que des mesures de surveillance auraient été nécessaires, le Conseil d’État juge que la présomption de causalité ne peut pas être écartée, car il est impossible d’établir que le risque était négligeable. Cette décision est une avancée considérable pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires menés par la France.

Serge Venel, devant la mine d’uranium d’Akokan au Niger

Prémices d’une reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

En mai 2012, le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Melun a condamné Areva pour faute inexcusable pour la mort par cancer du poumon de Serge Venel, ex-salarié d’une mine d’uranium du groupe français au Niger. Serge Venel est mort à l’âge de 59 ans d’un cancer du poumon en juillet 2009, après avoir travaillé de 1978 à 1985 pour une filiale d’Areva, la Cominak, société de droit nigérien qui exploite des mines d’uranium du groupe à Akokan, au nord-ouest du Niger. Quelques mois avant le décès, le pneumologue avait dit que la cause du cancer était "l’inhalation de poussières d’uranium", avait expliqué lors de l’audience Peggy Venel, fille de la victime. Bien que la Cour d’appel de Paris ait finalement infirmé le jugement de première instance au motif qu’Areva ne pouvait être tenu responsable en temps qu’employeur, la décision du TASS de Melun reste un espoir d’une évolution jurisprudentielle pour les mineurs victimes.

Jean-François Cloix, chaudronnier pendant 30 ans à la centrale de Dampierre, avec sa femme Laure

Fin août 2013, le TASS d’Orléans a condamné EDF pour faute inexcusable pour le cancer du poumon contracté par un employé de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly. Jean-François Cloix, qui avait travaillé dans la centrale durant 30 ans comme chaudronnier, est mort en 2009, à 53 ans. Dans le cadre de ses fonctions d’agent EDF, il avait été soumis à des doses de rayonnements ionisants. EDF avait l’intention de faire appel.

Le long combat judiciaire de Michel Leclerc

À l’instar d’autres travailleurs du nucléaire malades, Michel Leclerc s’est lancé dans une procédure en justice pour faire reconnaître la responsabilité de la société qui l’a "indirectement" employé. Il a travaillé comme mécanicien pour la société sous-traitante Serci, à l’usine Comurhex Malvési (maintenant Areva Malvési) de 1980 à 1984.

Michel Leclerc, ancien sous-traitant de l’usine Areva-Comurhex de Malvési

En 1991, une leucémie lui est diagnostiquée et les médecins font le lien avec son travail au contact des matières radioactives. Dans son dossier médical, auquel on lui refusait l’accès et qu’il a donc été contraint de voler, des analyses d’urine réalisées en 1983 révélaient un taux d’uranium jusqu’à dix fois supérieur à la norme ! En 1995, il attaque la Comurhex et la Serci devant le TASS de l’Aude ; en 1999, celui-ci reconnaît la faute de la Comurhex, mais se déclare incompétent pour statuer sur le recours intenté contre un tiers, la Comurhex n’étant pas l’employeur direct de Michel (l’entreprise sous-traitante ayant été mise hors de cause). Le Tribunal de grande instance de Narbonne a été saisi ; celui-ci déclare en juin 2012 que la Comurhex est entièrement responsable de la leucémie myéloïde chronique de Michel Leclerc. L’entreprise a fait appel.

En novembre 2013, la Cour d’appel de Montpellier a infirmé le jugement du TGI de Narbonne et a dégagé la Comurhex de ses responsabilités. Le 15 janvier 2016, par un arrêt non motivé, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé à l’encontre de cette décision.

"Je suis déterminé à aller jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour faire condamner l’État pour la longueur de cette procédure", affirme Michel Leclerc, le jour du rejet de son pourvoi. "De nombreux salariés de la sous- traitance ont attendu que la justice reconnaisse la responsabilité de ceux qui ont réduit l’espérance de vie en bonne santé de Michel. Une fois de plus, les vrais criminels ne sont pas reconnus pour les méfaits qu’ils causent. Nous continuerons, nous, salariés de la sous-traitance, à nous battre pour une pénalisation des employeurs", déclare Philippe Billard, syndicaliste et président de l’association Santé Sous-traitance Nucléaire Chimie (SSNC).

Marie Frachisse

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Michel Leclerc a besoin d’un soutien financier pour saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme et aller ainsi au bout de sa procédure en justice qui n’a que trop duré. Il est temps que justice soit rendue pour les travailleurs du nucléaire, premières victimes de cette industrie mortifère.

Pour soutenir Michel et tous les travailleurs du nucléaire dans leur combat judiciaire : https://www.sortirdunucleaire.org/Soutenez-nous

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Alors que nous bouclons ce numéro, nous apprenons que, pour la première fois en France, le TASS (tribunal des affaires de sécurité sociale) a reconnu la "faute inexcusable" d’un employeur de la sous-traitance du nucléaire dans le décès d’un de ses salariés. Christian Verronneau est mort à 57 ans le 10 septembre 2012 d’un cancer broncho-pulmonaire radio-induit. Il était employé par Endel, filiale d’Engie (ex GDFSuez), et avait passé 30 années à effectuer les tâches les plus dangereuses – décontamination, tri des déchets, pose de matelas de plomb sur des tuyaux très fortement radioactifs.



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