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Sortir du nucléaire n°62



Août 2014

Alternatives

Urbanisme et consommation d’énergie des bâtiments

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°62 - Août 2014

 Alternatives et sortie du nucléaire  Sortie du nucléaire  Maîtrise de l’énergie  Habitat écologique


L’influence de l’urbanisme sur la consommation énergétique des bâtiments est un sujet méconnu. Nous avons demandé à deux spécialistes de la question de nous éclairer sur les caractéristiques du tissu urbain qui peuvent jouer, en bien ou mal, sur ces dépenses d’énergie.



Les liens entre l’agencement du tissu urbain et ses consommations énergétiques sont assez perceptibles. On peut évoquer par exemple l’accessibilité à la lumière naturelle qui limite la consommation de l’éclairage artificiel ou la protection contre les vents froids pour réduire les besoins de chauffage.

Les liens entre la morphologie d’une zone bâtie et le confort des usagers à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments sont également assez nets. Les vieux centres-villes témoignent de partis-pris architecturaux et d’aménagements préservant les personnes des rigueurs du climat.

Morphologie urbaine, énergie et confort

Les paramètres de conception détenus par l’urbaniste relèvent globalement de la densité et des formes. Les choix qu’il effectue en la matière impactent la lumière, les vents et les îlots de chaleur.

L’analyse de la morphologie d’un quartier repose sur quelques indicateurs principaux :
  La compacité (S/V, surface d’enveloppe extérieure divisée par volume)
  La densité urbaine ; à l’échelle d’un quartier ou d’une ville, elle représente le produit du coefficient d’emprise au sol des bâtiments par le nombre d’étages (d = CES x e). Dans le résidentiel, la densité varie très largement de 0,25 pour du pavillonnaire diffus à 4,5 pour un quartier haussmannien
  La forme de rue (W/H, W étant le prospect et H la hauteur moyenne des façades). W/H=1 est considéré comme un point d’équilibre du point de vue de l’aménagement d’un îlot urbain, conciliant les considérations d’espace de vie (lieu d’interactions économiques et sociales) et les considérations pratiques et physiques (déplacements, lumière, vents). Lorsque W/H est inférieur à 1, il y a "clôture de l’espace" ; lorsque W/H est supérieur à 1, il y a dissolution de l’interaction des bâtiments. Globalement, on constate que le coefficient de forme des rues augmente du sud vers le nord dans les centres historiques des villes. Ceci est lié à la recherche de conservation de la fraîcheur au sud et d’accès au soleil au nord.
  La verticalité (H2/W). La verticalité d’un quartier limite la pénétration de lumière naturelle, contribue à l’effet d’îlot de chaleur, en favorisant la réflexion multiple entre façades, et influence les vents. Elle peut être évitée ou favorisée, au cas par cas, en fonction de multiples critères locaux : climat, confort, activités, cohérence architecturale…

Ces indicateurs essentiels permettent de comparer ou d’étudier des propositions d’urbanisme avec objectivité et de faire tomber certaines idées reçues.

Une première idée reçue consiste à penser que plus les bâtiments sont hauts, plus la zone est dense. Par exemple, la densité urbaine du quartier de la Défense, en région parisienne, est deux fois moins importante que celle du 8ème arrondissement de Paris, quartier tertiaire haussmannien1.

Une seconde idée reçue consiste à penser que plus la zone est dense, plus elle est favorable d’un point de vue énergétique. En réalité, bien plus que la densité, c’est la forme urbaine qui impacte nettement les performances énergétiques, en corrélation avec le climat pour les bâtiments et l’organisation des transports pour les déplacements.

À titre d’illustration, le climat chaud et sec favorise les bâtiments bas, avec un bon accès à la lumière par des cours intérieures tout en évitant leur échauffement par radiations sur les parois et par un nombre limité de réflexions entre façades ; le climat tempéré et froid favorise les bâtiments plus élevés, concentrant la radiation grâce à la profondeur des cours et la réflexion entre façades.

Immeubles de grande hauteur (IGH) : le grand débat

Les tours de bureaux se sont développées en France il y a plusieurs décennies pour répondre à différents types d’enjeux : regroupement géographique d’entités de l’entreprise, visibilité et image de puissance, émergence de quartiers d’affaires dans le cadre d’une concurrence mondiale entre les villes. Depuis, le contexte a beaucoup évolué (modes de travail, charges d’exploitation et de maintenance, évolutivité des bâtiments, valeur verte).

Les consommations énergétiques

Les ratios de consommation énergétiques sont nettement plus élevés dans une tour que dans un bâtiment de bureaux de quelques étages. Les plus anciennes montent jusqu’à 1000 ou 1500 kWhep/m2 tous usages ; les plus récentes consomment autour de 500 kWhep/m2 ; les tours les plus performantes affichent 200 à 300 kWhep/m2 (ex : tour PB6 à La Défense, Post-Tower à Bonn). Par comparaison un bâtiment de bureaux passif consomme autour de 70-80 kWhep/m2 tous usages.

Par ailleurs le dimensionnement des fondations, des structures et une forte réduction du rapport surface utile / surface brute, liée à l’emprise plus importante des locaux techniques et des circulations verticales, impliquent une énergie grise plus élevée, insuffisamment compensée par une plus grande compacité du bâtiment.

Des surcoûts importants

Le coût d’investissement pour 1m2 en IGH est élevé : conditions de chantier, mode constructif, fondations, résistance au vent, ratio surface utile nette / surface utile brute passant de 90% pour 4 étages à 75% au-delà de 40 étages, ascenseurs sophistiqués, façades complexes (doublées, voire triplées, ventilées…) et non reproductibles du bas en haut compte tenu des effets différentiels du vent en fonction de la hauteur.

Les charges d’exploitation sont naturellement importantes et ont tendance à augmenter plus rapidement dans le temps que sur un bâtiment classique. Cela est essentiellement lié à une plus grande difficulté d’adaptation de l’ouvrage aux besoins réels des occupants et à sa rapide obsolescence. Nous observons que le cycle de rénovation des tours est de plus en plus court (maintenant inférieur à 30 ans), afin de maintenir l’attractivité des lieux et de contenir la hausse des charges. Mais ces rénovations, même labélisées, ne sont plus la garantie d’un fort taux d’occupation.

À contre-courant de la tendance des années 1970-80, l’avènement de l’informatique et l’accroissement de la mobilité pourraient favoriser la déconcentration géographique des lieux de travail ainsi qu’une demande accrue de locaux plus flexibles et peu onéreux en loyers et charges.

Finalement, la conception d’un IGH et son intégration dans son environnement met assez bien en lumière l’interdépendance croissante qui existe entre l’évolution des besoins des occupants (flexibilité, confort, faibles charges), la valeur (attractivité, résistance à l’obsolescence), et les performances énergétiques (consommations énergétiques et énergie grise pour la construction et les remises à niveau).

Existe-t-il un juste milieu ?

En écartant toute considération politique ou dogmatique, les paramètres objectifs entrant en jeu dans la décision de réaliser une tour sont tellement nombreux qu’il serait vain de dégager une règle.

Si tour il doit y avoir, elle doit pouvoir s’intégrer dans un tissu urbain sans le perturber, que ce soit en termes de confort des espaces (lumière, vents, vision), de continuité urbaine, de transports. "Les tours s’adaptent au tissu urbain traditionnel au lieu de le démanteler. Une tour écologique, c’est finalement une tour qui respecte son environnement urbain au sens large et se construit avec lui, non contre lui" (S. Salat, 2011).

La nature aurait-elle intégré des hauteurs raisonnables ? L’arbre le plus haut du monde est un séquoia de 115m. C’est la hauteur maximale au-delà de laquelle l’énergie nécessaire pour faire monter la sève ne peut plus être fournie par le soleil et le sol. De la même manière, nous pourrions considérer qu’au-delà de 30 étages, les moyens à mettre en œuvre pour faire monter les personnes sont supérieurs à ce que tolère l’équilibre technico-environnemental. Qui plus est, les tours de cette hauteur s’intègrent plus aisément dans leur environnement immédiat sans l’écraser.

Richard Franck et Frank Hovorka

Les liens entre l’agencement du tissu urbain et ses consommations énergétiques sont assez perceptibles. On peut évoquer par exemple l’accessibilité à la lumière naturelle qui limite la consommation de l’éclairage artificiel ou la protection contre les vents froids pour réduire les besoins de chauffage.

Les liens entre la morphologie d’une zone bâtie et le confort des usagers à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments sont également assez nets. Les vieux centres-villes témoignent de partis-pris architecturaux et d’aménagements préservant les personnes des rigueurs du climat.

Morphologie urbaine, énergie et confort

Les paramètres de conception détenus par l’urbaniste relèvent globalement de la densité et des formes. Les choix qu’il effectue en la matière impactent la lumière, les vents et les îlots de chaleur.

L’analyse de la morphologie d’un quartier repose sur quelques indicateurs principaux :
  La compacité (S/V, surface d’enveloppe extérieure divisée par volume)
  La densité urbaine ; à l’échelle d’un quartier ou d’une ville, elle représente le produit du coefficient d’emprise au sol des bâtiments par le nombre d’étages (d = CES x e). Dans le résidentiel, la densité varie très largement de 0,25 pour du pavillonnaire diffus à 4,5 pour un quartier haussmannien
  La forme de rue (W/H, W étant le prospect et H la hauteur moyenne des façades). W/H=1 est considéré comme un point d’équilibre du point de vue de l’aménagement d’un îlot urbain, conciliant les considérations d’espace de vie (lieu d’interactions économiques et sociales) et les considérations pratiques et physiques (déplacements, lumière, vents). Lorsque W/H est inférieur à 1, il y a "clôture de l’espace" ; lorsque W/H est supérieur à 1, il y a dissolution de l’interaction des bâtiments. Globalement, on constate que le coefficient de forme des rues augmente du sud vers le nord dans les centres historiques des villes. Ceci est lié à la recherche de conservation de la fraîcheur au sud et d’accès au soleil au nord.
  La verticalité (H2/W). La verticalité d’un quartier limite la pénétration de lumière naturelle, contribue à l’effet d’îlot de chaleur, en favorisant la réflexion multiple entre façades, et influence les vents. Elle peut être évitée ou favorisée, au cas par cas, en fonction de multiples critères locaux : climat, confort, activités, cohérence architecturale…

Ces indicateurs essentiels permettent de comparer ou d’étudier des propositions d’urbanisme avec objectivité et de faire tomber certaines idées reçues.

Une première idée reçue consiste à penser que plus les bâtiments sont hauts, plus la zone est dense. Par exemple, la densité urbaine du quartier de la Défense, en région parisienne, est deux fois moins importante que celle du 8ème arrondissement de Paris, quartier tertiaire haussmannien1.

Une seconde idée reçue consiste à penser que plus la zone est dense, plus elle est favorable d’un point de vue énergétique. En réalité, bien plus que la densité, c’est la forme urbaine qui impacte nettement les performances énergétiques, en corrélation avec le climat pour les bâtiments et l’organisation des transports pour les déplacements.

À titre d’illustration, le climat chaud et sec favorise les bâtiments bas, avec un bon accès à la lumière par des cours intérieures tout en évitant leur échauffement par radiations sur les parois et par un nombre limité de réflexions entre façades ; le climat tempéré et froid favorise les bâtiments plus élevés, concentrant la radiation grâce à la profondeur des cours et la réflexion entre façades.

Immeubles de grande hauteur (IGH) : le grand débat

Les tours de bureaux se sont développées en France il y a plusieurs décennies pour répondre à différents types d’enjeux : regroupement géographique d’entités de l’entreprise, visibilité et image de puissance, émergence de quartiers d’affaires dans le cadre d’une concurrence mondiale entre les villes. Depuis, le contexte a beaucoup évolué (modes de travail, charges d’exploitation et de maintenance, évolutivité des bâtiments, valeur verte).

Les consommations énergétiques

Les ratios de consommation énergétiques sont nettement plus élevés dans une tour que dans un bâtiment de bureaux de quelques étages. Les plus anciennes montent jusqu’à 1000 ou 1500 kWhep/m2 tous usages ; les plus récentes consomment autour de 500 kWhep/m2 ; les tours les plus performantes affichent 200 à 300 kWhep/m2 (ex : tour PB6 à La Défense, Post-Tower à Bonn). Par comparaison un bâtiment de bureaux passif consomme autour de 70-80 kWhep/m2 tous usages.

Par ailleurs le dimensionnement des fondations, des structures et une forte réduction du rapport surface utile / surface brute, liée à l’emprise plus importante des locaux techniques et des circulations verticales, impliquent une énergie grise plus élevée, insuffisamment compensée par une plus grande compacité du bâtiment.

Des surcoûts importants

Le coût d’investissement pour 1m2 en IGH est élevé : conditions de chantier, mode constructif, fondations, résistance au vent, ratio surface utile nette / surface utile brute passant de 90% pour 4 étages à 75% au-delà de 40 étages, ascenseurs sophistiqués, façades complexes (doublées, voire triplées, ventilées…) et non reproductibles du bas en haut compte tenu des effets différentiels du vent en fonction de la hauteur.

Les charges d’exploitation sont naturellement importantes et ont tendance à augmenter plus rapidement dans le temps que sur un bâtiment classique. Cela est essentiellement lié à une plus grande difficulté d’adaptation de l’ouvrage aux besoins réels des occupants et à sa rapide obsolescence. Nous observons que le cycle de rénovation des tours est de plus en plus court (maintenant inférieur à 30 ans), afin de maintenir l’attractivité des lieux et de contenir la hausse des charges. Mais ces rénovations, même labélisées, ne sont plus la garantie d’un fort taux d’occupation.

À contre-courant de la tendance des années 1970-80, l’avènement de l’informatique et l’accroissement de la mobilité pourraient favoriser la déconcentration géographique des lieux de travail ainsi qu’une demande accrue de locaux plus flexibles et peu onéreux en loyers et charges.

Finalement, la conception d’un IGH et son intégration dans son environnement met assez bien en lumière l’interdépendance croissante qui existe entre l’évolution des besoins des occupants (flexibilité, confort, faibles charges), la valeur (attractivité, résistance à l’obsolescence), et les performances énergétiques (consommations énergétiques et énergie grise pour la construction et les remises à niveau).

Existe-t-il un juste milieu ?

En écartant toute considération politique ou dogmatique, les paramètres objectifs entrant en jeu dans la décision de réaliser une tour sont tellement nombreux qu’il serait vain de dégager une règle.

Si tour il doit y avoir, elle doit pouvoir s’intégrer dans un tissu urbain sans le perturber, que ce soit en termes de confort des espaces (lumière, vents, vision), de continuité urbaine, de transports. "Les tours s’adaptent au tissu urbain traditionnel au lieu de le démanteler. Une tour écologique, c’est finalement une tour qui respecte son environnement urbain au sens large et se construit avec lui, non contre lui" (S. Salat, 2011).

La nature aurait-elle intégré des hauteurs raisonnables ? L’arbre le plus haut du monde est un séquoia de 115m. C’est la hauteur maximale au-delà de laquelle l’énergie nécessaire pour faire monter la sève ne peut plus être fournie par le soleil et le sol. De la même manière, nous pourrions considérer qu’au-delà de 30 étages, les moyens à mettre en œuvre pour faire monter les personnes sont supérieurs à ce que tolère l’équilibre technico-environnemental. Qui plus est, les tours de cette hauteur s’intègrent plus aisément dans leur environnement immédiat sans l’écraser.

Richard Franck et Frank Hovorka



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