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Une conception surprenante de la "sûreté" !

Un risque avéré d’accident grave par éjection des grappes de contrôle

Article publié le 8 août 2016



Au cours de l’année 2010, le Réseau "Sortir du nucléaire" a rendu publics plusieurs documents confidentiels [1] qui jettent une lumière crue sur une accumulation de défauts de conception d’un dispositif crucial pour la sûreté du réacteur EPR, les grappes de contrôle.

Les grappes de contrôle servent à piloter le réacteur. Elles sont chacune constituées de plusieurs barres faites de métaux absorbeurs de neutrons. La réaction en chaîne du réacteur produisant un surplus de neutrons, les grappes permettent le réglage de la puissance. Elles doivent être en mesure de stopper très rapidement la réaction nucléaire en s’insérant par gravité parmi les crayons de combustible au cœur du réacteur. Pour ce faire, le mécanisme de commande des grappes doit les libérer dans un temps très court dès que l’alimentation électrique est interrompue, et les barres de contrôle doivent s’insérer très rapidement sur toute leur longueur (en 3,5 secondes selon Areva [2]) dans les assemblages combustible, pour étouffer la réaction nucléaire.

Le réacteur EPR est conçu pour pouvoir faire varier sa puissance en fonction des besoins du réseau électrique ; c’est ce que l’on appelle un fonctionnement en "suivi de charge". Areva indique ainsi : "entre 60 et 100% de sa puissance nominale, le réacteur EPR peut faire varier sa puissance de 5% /mn et ce, à température constante, pour une meilleure durée de vie des composants et de la centrale." [3] À cette fin, l’EPR est censé réaliser des variations rapides de puissance grâce à un mode de pilotage inédit, le pilotage RIP (Retour Instantané en Puissance). Ce pilotage s’effectue au moyen des grappes de contrôle.

Or, d’après les documents internes d’EDF, on peut conclure que le pilotage du réacteur en mode RIP et la disposition des grappes de contrôle du réacteur peuvent provoquer un accident d’éjection des grappes de contrôle et entraîner la rupture d’enceintes du mécanisme de commande de certaines grappes. Cette rupture provoquerait la fuite de l’eau de refroidissement sous haute pression en-dehors de la cuve du réacteur nucléaire. La perte de réfrigérant (un type d’accident nucléaire très grave) entraînerait la rupture d’un nombre important de crayons combustible par échauffement, et donc le relâchement de vapeur extrêmement radioactive dans l’enceinte de confinement. Il y a alors un risque important d’excursion critique au sein du cœur, qui résulterait en une explosion, la puissance du réacteur se trouvant alors démultipliée de façon extrêmement brutale.

Suffirait-il de renoncer au fonctionnement en suivi de charge pour éliminer le risque d’accident par éjection de grappe de contrôle ? Malheureusement non.

Le réacteur EPR comporte 89 grappes de contrôle, de 5,18 m de haut [4] et 403 kg [5]. Chacune est commandée par un mécanisme de commande de grappe (MCG), indépendant des autres, qui est enclos dans une enceinte sous pression en acier dont l’épaisseur n’est que de 6 mm à l’endroit le plus mince. Ces 89 enceintes font partie intégrante du couvercle de la cuve du réacteur, et donc, plus largement, du circuit primaire dans lequel circule de l’eau sous très haute pression (155 bar) et à 320°C.

Les enceintes des MCG des 58 réacteurs français en service sont "constituées d’une seule pièce en acier inoxydable forgé", pour éviter tout risque de rupture d’une soudure. Cette précaution est aussi l’esprit de l’arrêté ESPN (Équipements Sous Pression Nucléaires) qui régit l’ensemble du circuit primaire des réacteurs depuis le 12 décembre 2005, et qui interdit "les raccords emmanchés soudés de tuyauterie".

Les prescriptions de l’arrêté ESPN s’appliquent tout aussi bien pour l’EPR. Mais il s’avère que, contrairement à la précaution prise sur les 58 réacteurs du parc actuel, les enceintes des MCG de l’EPR comportent chacune pas moins de quatre soudures ! Et dans l’un des documents internes [6] que nous avons rendu publics, on découvre que bien que "les règles techniques françaises demand[ent] la limitation du nombre de soudures", il a été fait le choix de toutes les conserver, car les supprimer "aurait entraîné des modifications de la conception de l’enceinte sous pression beaucoup trop lourdes", en d’autres termes des coûts supplémentaires de conception.

Areva n’ignore évidemment pas que le nombre de soudures sur un équipement sous pression est un élément pertinent pour la sûreté. C’est ainsi que Bertrand de l’Épinois, directeur des normes de sûreté d’Areva, a pu déclarer aux parlementaires, concernant cette fois la cuve du réacteur, que "sur un certain nombre de sujets importants en matière de sûreté, la cuve de l’EPR réalise des progrès substantiels. […] Nous avons aussi réduit le nombre de soudures. C’est un point important." [7]

Comme si cela ne suffisait pas, il s’avère qu’un acier inoxydable particulier, dit "martensitique", a été retenu pour la conception de certaines parties des MCG et de leurs enceintes, alors qu’il est totalement inadapté pour des équipements sous pression. Ce n’est pas par ignorance : une note interne d’EDF témoigne en 2006 que "des constats […] de fragilisations et de ruptures brutales de tiges de vannes en aciers inoxydables martensitiques" ont été constatées au début des années 1990.

Une autre note d’EDF, consacrée aux MCG de l’EPR, indique d’ailleurs que, jusqu’à présent, "l’utilisation de ce type d’acier a toujours été proscrite sur le parc [de réacteurs] pour les parties soumises à pression du circuit primaire principal. Son utilisation pour les mécanismes [de commande de grappes] EPR a donc été remise en question, d’autant plus que cet acier ne satisfait pas au critère [de l’arrêté] ESPN stipulant que le rapport entre la limite d’élasticité et la résistance à la traction doit être inférieur à 0,85. Cependant, ses propriétés magnétiques ont rendu impossible son remplacement". Impossible ? Pourtant, si l’on a su faire des enceintes de MCG dans un autre type d’acier pour les 58 réacteurs en fonction, il aurait été possible de faire de même pour l’EPR... mais sans doute a-t-on affaire, une fois de plus, à du rognage sur les coûts de conception, au détriment manifeste de la sûreté.

Certes, un tel acier a bien été utilisé pour fabriquer certaines parties des enceintes de MCG de réacteurs allemands... mais ces réacteurs ont, eux, été équipés de dispositifs qui bloquent l’éjection des grappes de contrôle en cas de rupture d’une ou plusieurs enceintes. Un dispositif totalement absent de la conception du réacteur EPR.


Notes

[2Areva, brochure en anglais non datée, EPR, p.21 ; voir également la vidéo d’Areva consacrée à La fiabilité de la sûreté EPR (voir à 2:29)

[4F. Dubos, Y. Benmehrez, E. Brau, O. Flexas, Contrôles automatisés réalisés sur les composants du circuit primaire principal des réacteurs EPR, Areva NDE-Intercontrôle, non daté

[5Areva, brochure en anglais non datée, EPR, p.21

[6Synthèse des choix de conception des mécanismes de commande de grappes de l’EPR, EDF, 2008

[7Jean-Yves Le Déaut, Christian Bataille, Bruno Sido, Le contrôle des équipements sous pression nucléaires-Le cas de la cuve du réacteur EPR, Compte rendu de l’audition publique du 25 juin 2015 et de la présentation des conclusions du 8 juillet 2015, OPECST

Au cours de l’année 2010, le Réseau "Sortir du nucléaire" a rendu publics plusieurs documents confidentiels [1] qui jettent une lumière crue sur une accumulation de défauts de conception d’un dispositif crucial pour la sûreté du réacteur EPR, les grappes de contrôle.

Les grappes de contrôle servent à piloter le réacteur. Elles sont chacune constituées de plusieurs barres faites de métaux absorbeurs de neutrons. La réaction en chaîne du réacteur produisant un surplus de neutrons, les grappes permettent le réglage de la puissance. Elles doivent être en mesure de stopper très rapidement la réaction nucléaire en s’insérant par gravité parmi les crayons de combustible au cœur du réacteur. Pour ce faire, le mécanisme de commande des grappes doit les libérer dans un temps très court dès que l’alimentation électrique est interrompue, et les barres de contrôle doivent s’insérer très rapidement sur toute leur longueur (en 3,5 secondes selon Areva [2]) dans les assemblages combustible, pour étouffer la réaction nucléaire.

Le réacteur EPR est conçu pour pouvoir faire varier sa puissance en fonction des besoins du réseau électrique ; c’est ce que l’on appelle un fonctionnement en "suivi de charge". Areva indique ainsi : "entre 60 et 100% de sa puissance nominale, le réacteur EPR peut faire varier sa puissance de 5% /mn et ce, à température constante, pour une meilleure durée de vie des composants et de la centrale." [3] À cette fin, l’EPR est censé réaliser des variations rapides de puissance grâce à un mode de pilotage inédit, le pilotage RIP (Retour Instantané en Puissance). Ce pilotage s’effectue au moyen des grappes de contrôle.

Or, d’après les documents internes d’EDF, on peut conclure que le pilotage du réacteur en mode RIP et la disposition des grappes de contrôle du réacteur peuvent provoquer un accident d’éjection des grappes de contrôle et entraîner la rupture d’enceintes du mécanisme de commande de certaines grappes. Cette rupture provoquerait la fuite de l’eau de refroidissement sous haute pression en-dehors de la cuve du réacteur nucléaire. La perte de réfrigérant (un type d’accident nucléaire très grave) entraînerait la rupture d’un nombre important de crayons combustible par échauffement, et donc le relâchement de vapeur extrêmement radioactive dans l’enceinte de confinement. Il y a alors un risque important d’excursion critique au sein du cœur, qui résulterait en une explosion, la puissance du réacteur se trouvant alors démultipliée de façon extrêmement brutale.

Suffirait-il de renoncer au fonctionnement en suivi de charge pour éliminer le risque d’accident par éjection de grappe de contrôle ? Malheureusement non.

Le réacteur EPR comporte 89 grappes de contrôle, de 5,18 m de haut [4] et 403 kg [5]. Chacune est commandée par un mécanisme de commande de grappe (MCG), indépendant des autres, qui est enclos dans une enceinte sous pression en acier dont l’épaisseur n’est que de 6 mm à l’endroit le plus mince. Ces 89 enceintes font partie intégrante du couvercle de la cuve du réacteur, et donc, plus largement, du circuit primaire dans lequel circule de l’eau sous très haute pression (155 bar) et à 320°C.

Les enceintes des MCG des 58 réacteurs français en service sont "constituées d’une seule pièce en acier inoxydable forgé", pour éviter tout risque de rupture d’une soudure. Cette précaution est aussi l’esprit de l’arrêté ESPN (Équipements Sous Pression Nucléaires) qui régit l’ensemble du circuit primaire des réacteurs depuis le 12 décembre 2005, et qui interdit "les raccords emmanchés soudés de tuyauterie".

Les prescriptions de l’arrêté ESPN s’appliquent tout aussi bien pour l’EPR. Mais il s’avère que, contrairement à la précaution prise sur les 58 réacteurs du parc actuel, les enceintes des MCG de l’EPR comportent chacune pas moins de quatre soudures ! Et dans l’un des documents internes [6] que nous avons rendu publics, on découvre que bien que "les règles techniques françaises demand[ent] la limitation du nombre de soudures", il a été fait le choix de toutes les conserver, car les supprimer "aurait entraîné des modifications de la conception de l’enceinte sous pression beaucoup trop lourdes", en d’autres termes des coûts supplémentaires de conception.

Areva n’ignore évidemment pas que le nombre de soudures sur un équipement sous pression est un élément pertinent pour la sûreté. C’est ainsi que Bertrand de l’Épinois, directeur des normes de sûreté d’Areva, a pu déclarer aux parlementaires, concernant cette fois la cuve du réacteur, que "sur un certain nombre de sujets importants en matière de sûreté, la cuve de l’EPR réalise des progrès substantiels. […] Nous avons aussi réduit le nombre de soudures. C’est un point important." [7]

Comme si cela ne suffisait pas, il s’avère qu’un acier inoxydable particulier, dit "martensitique", a été retenu pour la conception de certaines parties des MCG et de leurs enceintes, alors qu’il est totalement inadapté pour des équipements sous pression. Ce n’est pas par ignorance : une note interne d’EDF témoigne en 2006 que "des constats […] de fragilisations et de ruptures brutales de tiges de vannes en aciers inoxydables martensitiques" ont été constatées au début des années 1990.

Une autre note d’EDF, consacrée aux MCG de l’EPR, indique d’ailleurs que, jusqu’à présent, "l’utilisation de ce type d’acier a toujours été proscrite sur le parc [de réacteurs] pour les parties soumises à pression du circuit primaire principal. Son utilisation pour les mécanismes [de commande de grappes] EPR a donc été remise en question, d’autant plus que cet acier ne satisfait pas au critère [de l’arrêté] ESPN stipulant que le rapport entre la limite d’élasticité et la résistance à la traction doit être inférieur à 0,85. Cependant, ses propriétés magnétiques ont rendu impossible son remplacement". Impossible ? Pourtant, si l’on a su faire des enceintes de MCG dans un autre type d’acier pour les 58 réacteurs en fonction, il aurait été possible de faire de même pour l’EPR... mais sans doute a-t-on affaire, une fois de plus, à du rognage sur les coûts de conception, au détriment manifeste de la sûreté.

Certes, un tel acier a bien été utilisé pour fabriquer certaines parties des enceintes de MCG de réacteurs allemands... mais ces réacteurs ont, eux, été équipés de dispositifs qui bloquent l’éjection des grappes de contrôle en cas de rupture d’une ou plusieurs enceintes. Un dispositif totalement absent de la conception du réacteur EPR.



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