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Sortir du nucléaire n°31



Juin 2006

Interview

Un intérimaire du nucléaire témoigne : "j’ai arrêté de jouer le jeu"

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°31 - Juin 2006

 Risque nucléaire  Travailleurs du nucléaire
Article publié le : 1er juin 2006


Christian Ugolini est un ancien intérimaire du nucléaire aujourd’hui passé du côté des “anti”. (…) “Ils ont réussi à me dégoûter”, dit-il simplement, la voix tranquille de celui qui assume son passé, son parcours et ses erreurs.



Je suis entré dans le nucléaire à la suite d’un stage de formation à l’AFPA où j’ai obtenu mon Certificat d’Aptitude à Manipuler des Appareils émettant des Rayonnements Ionisants (Camari) ainsi qu’une formation en Contrôles Non Destructifs. C’était une formation théorique et pratique. J’y ai appris la radiographie industrielle, la magnétoscopie, les ressuages. C’est cette technique que j’ai pratiquée pendant la fameuse campagne couvercles de cuves en 1992/93. Je travaillais avec un robot.

- En quoi consistait cette campagne “couvercles de cuves” ?
- On avait détecté une fissure sous un couvercle de cuve de la Centrale du Bugey dans l’Ain, sur l’adaptateur 54, un défaut qualifié de générique, c’est-à-dire éventuellement présent sur l’ensemble des couvercles de cuves du parc atomique. Ils ont donc lancé une campagne de contrôle.

- En quoi les couvercles de cuve sont-ils un élément central en terme de sécurité radiologique, selon vous ?
- Parce que c’est le couvercle qui va sur la cuve, comme une cocotte-minute. C’est là que l’on fait bouillir l’eau qui est sous pression (150kg/cm2). Le combustible rentre dans la cuve à travers les adaptateurs du couvercle de cuve. Certains adaptateurs servent au passage de barres de contrôles.

- Comment se passaient vos interventions sur les couvercles de cuves des réacteurs nucléaires ?
- D’abord, on arrête la marmite puis on enlève le couvercle pour recharger le cœur. Pendant ce temps, on contrôle le couvercle. C’est un endroit très chargé en radioactivité. Même après avoir été nettoyé, ce couvercle était radioactif dans sa masse et contaminant en surface. Il y reste toujours de la contamination. D’ailleurs, quand on arrive sur place, il y a des pancartes qui portent les résultats des mesures de radioactivité faites autour. À l’entrée du sas, une pancarte nous dit combien il y a de rems et de millisieverts à l’heure dans la pièce, et on nous donne les résultats des frottis pour contamination surfacique ou contamination d’ambiance... C’était un chantier réputé “pourri”, où personne ne voulait aller. C’est pour cela que nous autres prestataires extérieurs sommes là. On y faisait les trois huit. On tenait les postes en permanence parce que c’était un chantier “dosé”. Comme le robot déconnait pas mal, on passait beaucoup de temps à dérouler des câbles, changer des pièces, faire le boulot à la place du robot, faire des opérations de maintenance sur le robot, tout ça sous le couvercle de cuve, avec masque ventilé.

- Comment étiez-vous habillés pour vos interventions ?
- J’étais en blanc. Quand on doit travailler sous le couvercle ou autour du robot, on se met en tenue Muru, c’est-à-dire en tenue ventilée : toute la tenue gonflable, avec masque et gants. Ces vêtements s’appelaient combinaisons Mururoa, c’était écrit dessus. La secrétaire de Cep industries, la boîte pour laquelle je travaillais, m’a dit en 2002 que ces tenues avaient été rebaptisées tenues “Emmanuelle”. Pour des opérations rapides, on met juste le heaume ventilé et une sur-combinaison blanche en papier. Toutes nos opérations de contrôle sont réalisées par le robot (ressuage) ainsi que le filmage des résultats. Le robot s’appelait le Pocicc, Porteur d’outils de contrôles internes de couvercles de cuve. Ce robot a été inventé en 1992, pour effectuer cette vérification générique sur les soudures du couvercle. Avant on ne faisait pas ce genre de vérifications. D’ailleurs, le robot était régulièrement déficient et en panne, ce qui nous obligeait à aller sous le couvercle de cuve pour lui suppléer.

- Quelle impression ça fait d’être sous la tenue “Muru” et de travailler en contexte radioactif ?
- Je ne peux pas dire que l’on s’y fait. Moi, malgré l’habitude, je me rendais compte que j’étais toujours épouvantablement stressé… Mais je me sentais quand même à l’aise dans l’univers radioactif… D’ailleurs, à cette époque, je voyais plus souvent le robot que ma femme… J’étais complètement familiarisé, mais il n’empêchait pas que j’avais quand même les mains moites, une espèce de nervosité, peut-être que la radioactivité tape sur le système nerveux central ? Par exemple, quand il fallait regarder sous le couvercle en passant la tête par la trappe, vite fait qu’on la retirait… Fallait pas laisser la tête dedans, morbleu !… Ici, tous les gestes sont accélérés et ça se répercute dans la vie où tu deviens irritable lorsque les choses ne se font pas assez vite… Tu deviens stressé, je ne vois pas d’autre mot pour décrire ce que ça fait. Dans certains cas, il fallait entrer sous le couvercle de cuve pour nettoyer les adaptateurs, et donc à ce moment-là, ton radiamètre clignote et sonne. Et là tu te dis que tu es en train d’en prendre quoi !, et qu’il faut que tu te grouilles. Il ne s’agit pas de rester traîner là et des fois tu jures contre ce putain de matos de merde qui ne marche pas au moment où l’on a besoin de lui et que toi tu es en train de te bouffer de la dose ! D’ailleurs, au fur et à mesure que le chantier progresse [dans le temps] les gens sont de plus en plus dosés, alors on commence à envoyer le type qui commande le robot, le pilote, je veux dire que l’on recherche les “moins dosés” pour qu’ils y aillent… Y’a pas de raison pour que ce soient toujours les mêmes qui prennent des doses, et au bout d’un moment, ça commence à faire beaucoup.

- Quelle était votre perception du risque sanitaire radioinduit ?
- Nous étions tous persuadés d’être bien protégés. On savait aussi que le couvercle était hyper dangereux. Et même quand j’avais l’impression d’être décontracté, je m’apercevais que j’avais des palpitations, que je faisais tout à un rythme forcené... par exemple de visser et dévisser avec les deux mains à la fois, ce qui n’est pas naturel. Quand tu vas sous le couvercle et que ça crache à mort, tu plonges et ressors tout de suite. Tu fais ce que tu as à faire très très très vite et tu ressors en courant. On était bien conscients que l’on était dans un endroit dangereux, mais on n’en parlait pas plus que cela. Je peux vous dire que j’ai clairement eu le sentiment qu’avec cette manip’ sur les couvercles de cuve, on avait pourri le travail. Nous avons été les cobayes d’une expérience sur la flexibilité.

- Dans quel sens employez-vous ce mot, cobaye ?
- Dans le sens de celui sur qui on expérimente quelque chose qui n’est pas forcément bon pour lui, un peu comme avec des essais cliniques sans bénéfice thérapeutique pour le patient. Dans mon cas, je me suis senti dans cette situation vis-à-vis d’une certaine forme de management qu’ils appellent management par la qualité : horaires décalés, dépassements d’horaires, ne pas savoir si tu rentres chez toi le week-end, etc... J’ai vécu tout ça comme l’expérimentation d’une certaine façon de travailler, je veux dire de faire travailler les hommes. Le retour d’expérience leur a montré que si ça avait marché avec nous, ça pourrait marcher avec les autres. Ce mode de travail a été ensuite généralisé à l’ensemble du secteur de la sous-traitance. Aujourd’hui toutes les manips se font dans l’urgence, il faut bosser le week-end, etc., d’où les conséquences importantes sur la vie de famille notamment, et le reste. Avec ce système, nous ne sommes plus maîtres de notre vie.

“Au plan pratique, poursuit-il, il faut travailler de plus en plus vite et dans des délais de plus en plus courts. Il y a désormais un caractère obligatoire vis-à-vis des délais butoirs : une journée d’arrêt vaut un million, et il est hors de question que ce soit la boîte qui paye l’amende… Toutes les sociétés intervenant sur les arrêts de tranche sont mises à l’amende en cas de retard dans l’exécution d’une tâche bloquant la Centrale. Je l’ai appris à mes dépens.”

Voici comment.

À l’amende
“J’avais un contrôle par ressuage à faire sur une vanne dans la salle dite des quatre as, de la Centrale de Dampierre, raconte ensuite Christian Ugolini. La salle des 4 as est un lieu hautement contaminé. Imaginez que vous êtes au milieu des tuyauteries de partout, obligé de vous mettre à quatre pattes entre les tuyaux, les morceaux de laine de verre, les calorifuges, et qu’au milieu se trouve une vanne. Je suis là-dedans avec mon collègue Bébert, c’est la fin de journée et nous n’avons pas envie de faire du zèle. On a plutôt envie de se casser, de rentrer au gîte où nous logeons… Les robinetiers qui doivent remonter la vanne après notre contrôle sont dans le même état d’esprit et tout le monde espère que le contrôle sera “ras”… En bout de chaîne, le superviseur attend pour signer le contrôle qualité.
“Arrivés sur place, voilà que nous détectons une indication linéaire de non-conformité, ce qui peut signifier qu’il peut y avoir une fissure, et si c’est le cas, c’est rédhibitoire par rapport à la procédure que l’on a à suivre (normes isna, Afnor, etc.). De nous-mêmes on se dit que c’est peut-être grave et qu’il ne faut pas qu’on se plante. Pour être sûrs de ce que l’on va dire, on décide de refaire tout le contrôle. C’est alors que les robinetiers commencent à nous dire qu’on encule les mouches, que c’est pas une fissure mais simplement une rayure et qu’on peut laisser tomber. À quoi Bébert et moi on répond que l’on va vérifier, point. Une petite rayure aurait pu faire une indication, mais on savait par expérience que c’était pas une rayure. Et comme on était tous les deux qualifiés niveau 2 “ressuage”, ceci nous autorisait à signer un rapport de non-conformité du robinet, si tel était le cas. Point barre.
“Après le deuxième contrôle, nous avons donc constaté la même chose. Les robinetiers râlent car ils n’ont pas d’autres vannes pour la remplacer, pour cause de flux tendu. J’appelle donc mes supérieurs au gdl, le groupe des laboratoires, qui centralise pour edf tous les contrôles. Ils nous disent de ne pas nous en faire, mais finissent tout de même par se déplacer. Arrivés sur place, ils nous demandent un troisième contrôle.
“Sur ces entrefaites, un ingénieur de la salle des commandes déboule. Le type s’est déplacé pour nous demander d’arrêter notre cinéma et avec beaucoup de précautions, il essaya de me faire comprendre que ce n’était qu’une rayure plutôt qu’une fissure.
“Je lui fis alors remarquer que sur mon front n’était pas écrit handicapé et que je signerais le rapport comme quoi c’est bien une indication rédhibitoire, que ça lui plaise ou non. L’ingénieur me répondit, texto : “Vous savez combien ça va nous coûter votre petite comédie ?… Un million de francs !”… Tu parles, comme si ça me faisait plaisir de rester à côté du circuit primaire… Vraiment pourri comme endroit… Il était au moins dix-neuf heures et cela faisait près de deux heures que nous aurions dû être sortis…
“Moi, j’avais pris trois fois la dose, c’est-à-dire deux doses gratuites vu que j’étais retourné trois fois sur la vanne et que j’avais absorbé le triple de la contamination prévue, surtout avec les produits volatiles… Mais comme cette vanne était inscrite sur les circuits ips, “importants pour la sécurité”, nous ne pouvions pas déconner. Sur le circuit primaire d’une centrale nucléaire, on ne doit rien laisser passer !… Avec cette histoire, j’ai vu tous les responsables de la hiérarchie venir me faire la danse des Sioux pour me dire que ce n’était pas une fissure, etc., etc. Tout le monde voulait que je leur signe un “ras” et aller hop !, tous à la maison... Demain, il ferait jour.

- En somme, si vous n’aviez rien dit, personne ne l’aurait vu ?
- Exactement, puisque nous étions payés pour signaler ce genre de choses. D’ailleurs, à cette époque, je n’étais pas du tout antinucléaire, mais c’est l’accumulation de ce genre d’événements qui a fait que j’ai arrêté de jouer le jeu.”
Warren Buffett craint un accident nucléaire

Le célèbre financier Warren Buffett, considéré par plusieurs comme le plus grand investisseur de tous les temps, estime qu’un accident nucléaire est inévitable aux États-Unis.

"Ça va arriver un jour", a lancé Warren Buffett hier pendant l’assemblée annuelle des actionnaires de Berkshire Hathaway, le conglomérat américain spécialisé dans l’assurance et la réassurance qu’il dirige depuis plus de 40 ans.
Il répondait ainsi à une question d’un actionnaire qui lui demandait de se prononcer sur les risques d’une tragédie nucléaire et l’impact d’une telle éventualité sur Berkshire et sur l’économie nord-américaine. "C’est un problème réel. Il y aura toujours des gens malintentionnés", a ajouté le multimilliardaire de 75 ans.

"Je ne sais pas combien, mais je suis certain que le gouvernement en a intercepté (des menaces potentielles) au fil des années."
Le numéro 2 de Berkshire, Charlie Munger, ne s’est pas fait plus rassurant. "Les probabilités qu’il ne survienne rien au cours des 60 prochaines années sont nulles", a-t-il dit avant d’ajouter qu’il ne croyait pas vraiment que l’on puisse faire quoi que ce soit pour empêcher une telle éventualité de se concrétiser.
Warren Buffett a toutefois souligné qu’élire des leaders politiques prêts à consacrer des énergies à la question représentait une piste de solution. Mais il a aussi mentionné qu’il était impossible d’éliminer complètement les risques d’un accident ou d’une attaque terroriste impliquant du matériel nucléaire.
"Le génie est sorti de la bouteille", a dit Buffett en faisant référence aux connaissances entourant la manipulation de l’énergie nucléaire.

Source : La Presse canadienne - 07 mai 2006
Richard Dufour
Extrait du livre de Jean-Philippe Desbordes Atomic Park. A la recherche des victimes du nucléaire (Editions Actes Sud)

Je suis entré dans le nucléaire à la suite d’un stage de formation à l’AFPA où j’ai obtenu mon Certificat d’Aptitude à Manipuler des Appareils émettant des Rayonnements Ionisants (Camari) ainsi qu’une formation en Contrôles Non Destructifs. C’était une formation théorique et pratique. J’y ai appris la radiographie industrielle, la magnétoscopie, les ressuages. C’est cette technique que j’ai pratiquée pendant la fameuse campagne couvercles de cuves en 1992/93. Je travaillais avec un robot.

- En quoi consistait cette campagne “couvercles de cuves” ?
- On avait détecté une fissure sous un couvercle de cuve de la Centrale du Bugey dans l’Ain, sur l’adaptateur 54, un défaut qualifié de générique, c’est-à-dire éventuellement présent sur l’ensemble des couvercles de cuves du parc atomique. Ils ont donc lancé une campagne de contrôle.

- En quoi les couvercles de cuve sont-ils un élément central en terme de sécurité radiologique, selon vous ?
- Parce que c’est le couvercle qui va sur la cuve, comme une cocotte-minute. C’est là que l’on fait bouillir l’eau qui est sous pression (150kg/cm2). Le combustible rentre dans la cuve à travers les adaptateurs du couvercle de cuve. Certains adaptateurs servent au passage de barres de contrôles.

- Comment se passaient vos interventions sur les couvercles de cuves des réacteurs nucléaires ?
- D’abord, on arrête la marmite puis on enlève le couvercle pour recharger le cœur. Pendant ce temps, on contrôle le couvercle. C’est un endroit très chargé en radioactivité. Même après avoir été nettoyé, ce couvercle était radioactif dans sa masse et contaminant en surface. Il y reste toujours de la contamination. D’ailleurs, quand on arrive sur place, il y a des pancartes qui portent les résultats des mesures de radioactivité faites autour. À l’entrée du sas, une pancarte nous dit combien il y a de rems et de millisieverts à l’heure dans la pièce, et on nous donne les résultats des frottis pour contamination surfacique ou contamination d’ambiance... C’était un chantier réputé “pourri”, où personne ne voulait aller. C’est pour cela que nous autres prestataires extérieurs sommes là. On y faisait les trois huit. On tenait les postes en permanence parce que c’était un chantier “dosé”. Comme le robot déconnait pas mal, on passait beaucoup de temps à dérouler des câbles, changer des pièces, faire le boulot à la place du robot, faire des opérations de maintenance sur le robot, tout ça sous le couvercle de cuve, avec masque ventilé.

- Comment étiez-vous habillés pour vos interventions ?
- J’étais en blanc. Quand on doit travailler sous le couvercle ou autour du robot, on se met en tenue Muru, c’est-à-dire en tenue ventilée : toute la tenue gonflable, avec masque et gants. Ces vêtements s’appelaient combinaisons Mururoa, c’était écrit dessus. La secrétaire de Cep industries, la boîte pour laquelle je travaillais, m’a dit en 2002 que ces tenues avaient été rebaptisées tenues “Emmanuelle”. Pour des opérations rapides, on met juste le heaume ventilé et une sur-combinaison blanche en papier. Toutes nos opérations de contrôle sont réalisées par le robot (ressuage) ainsi que le filmage des résultats. Le robot s’appelait le Pocicc, Porteur d’outils de contrôles internes de couvercles de cuve. Ce robot a été inventé en 1992, pour effectuer cette vérification générique sur les soudures du couvercle. Avant on ne faisait pas ce genre de vérifications. D’ailleurs, le robot était régulièrement déficient et en panne, ce qui nous obligeait à aller sous le couvercle de cuve pour lui suppléer.

- Quelle impression ça fait d’être sous la tenue “Muru” et de travailler en contexte radioactif ?
- Je ne peux pas dire que l’on s’y fait. Moi, malgré l’habitude, je me rendais compte que j’étais toujours épouvantablement stressé… Mais je me sentais quand même à l’aise dans l’univers radioactif… D’ailleurs, à cette époque, je voyais plus souvent le robot que ma femme… J’étais complètement familiarisé, mais il n’empêchait pas que j’avais quand même les mains moites, une espèce de nervosité, peut-être que la radioactivité tape sur le système nerveux central ? Par exemple, quand il fallait regarder sous le couvercle en passant la tête par la trappe, vite fait qu’on la retirait… Fallait pas laisser la tête dedans, morbleu !… Ici, tous les gestes sont accélérés et ça se répercute dans la vie où tu deviens irritable lorsque les choses ne se font pas assez vite… Tu deviens stressé, je ne vois pas d’autre mot pour décrire ce que ça fait. Dans certains cas, il fallait entrer sous le couvercle de cuve pour nettoyer les adaptateurs, et donc à ce moment-là, ton radiamètre clignote et sonne. Et là tu te dis que tu es en train d’en prendre quoi !, et qu’il faut que tu te grouilles. Il ne s’agit pas de rester traîner là et des fois tu jures contre ce putain de matos de merde qui ne marche pas au moment où l’on a besoin de lui et que toi tu es en train de te bouffer de la dose ! D’ailleurs, au fur et à mesure que le chantier progresse [dans le temps] les gens sont de plus en plus dosés, alors on commence à envoyer le type qui commande le robot, le pilote, je veux dire que l’on recherche les “moins dosés” pour qu’ils y aillent… Y’a pas de raison pour que ce soient toujours les mêmes qui prennent des doses, et au bout d’un moment, ça commence à faire beaucoup.

- Quelle était votre perception du risque sanitaire radioinduit ?
- Nous étions tous persuadés d’être bien protégés. On savait aussi que le couvercle était hyper dangereux. Et même quand j’avais l’impression d’être décontracté, je m’apercevais que j’avais des palpitations, que je faisais tout à un rythme forcené... par exemple de visser et dévisser avec les deux mains à la fois, ce qui n’est pas naturel. Quand tu vas sous le couvercle et que ça crache à mort, tu plonges et ressors tout de suite. Tu fais ce que tu as à faire très très très vite et tu ressors en courant. On était bien conscients que l’on était dans un endroit dangereux, mais on n’en parlait pas plus que cela. Je peux vous dire que j’ai clairement eu le sentiment qu’avec cette manip’ sur les couvercles de cuve, on avait pourri le travail. Nous avons été les cobayes d’une expérience sur la flexibilité.

- Dans quel sens employez-vous ce mot, cobaye ?
- Dans le sens de celui sur qui on expérimente quelque chose qui n’est pas forcément bon pour lui, un peu comme avec des essais cliniques sans bénéfice thérapeutique pour le patient. Dans mon cas, je me suis senti dans cette situation vis-à-vis d’une certaine forme de management qu’ils appellent management par la qualité : horaires décalés, dépassements d’horaires, ne pas savoir si tu rentres chez toi le week-end, etc... J’ai vécu tout ça comme l’expérimentation d’une certaine façon de travailler, je veux dire de faire travailler les hommes. Le retour d’expérience leur a montré que si ça avait marché avec nous, ça pourrait marcher avec les autres. Ce mode de travail a été ensuite généralisé à l’ensemble du secteur de la sous-traitance. Aujourd’hui toutes les manips se font dans l’urgence, il faut bosser le week-end, etc., d’où les conséquences importantes sur la vie de famille notamment, et le reste. Avec ce système, nous ne sommes plus maîtres de notre vie.

“Au plan pratique, poursuit-il, il faut travailler de plus en plus vite et dans des délais de plus en plus courts. Il y a désormais un caractère obligatoire vis-à-vis des délais butoirs : une journée d’arrêt vaut un million, et il est hors de question que ce soit la boîte qui paye l’amende… Toutes les sociétés intervenant sur les arrêts de tranche sont mises à l’amende en cas de retard dans l’exécution d’une tâche bloquant la Centrale. Je l’ai appris à mes dépens.”

Voici comment.

À l’amende
“J’avais un contrôle par ressuage à faire sur une vanne dans la salle dite des quatre as, de la Centrale de Dampierre, raconte ensuite Christian Ugolini. La salle des 4 as est un lieu hautement contaminé. Imaginez que vous êtes au milieu des tuyauteries de partout, obligé de vous mettre à quatre pattes entre les tuyaux, les morceaux de laine de verre, les calorifuges, et qu’au milieu se trouve une vanne. Je suis là-dedans avec mon collègue Bébert, c’est la fin de journée et nous n’avons pas envie de faire du zèle. On a plutôt envie de se casser, de rentrer au gîte où nous logeons… Les robinetiers qui doivent remonter la vanne après notre contrôle sont dans le même état d’esprit et tout le monde espère que le contrôle sera “ras”… En bout de chaîne, le superviseur attend pour signer le contrôle qualité.
“Arrivés sur place, voilà que nous détectons une indication linéaire de non-conformité, ce qui peut signifier qu’il peut y avoir une fissure, et si c’est le cas, c’est rédhibitoire par rapport à la procédure que l’on a à suivre (normes isna, Afnor, etc.). De nous-mêmes on se dit que c’est peut-être grave et qu’il ne faut pas qu’on se plante. Pour être sûrs de ce que l’on va dire, on décide de refaire tout le contrôle. C’est alors que les robinetiers commencent à nous dire qu’on encule les mouches, que c’est pas une fissure mais simplement une rayure et qu’on peut laisser tomber. À quoi Bébert et moi on répond que l’on va vérifier, point. Une petite rayure aurait pu faire une indication, mais on savait par expérience que c’était pas une rayure. Et comme on était tous les deux qualifiés niveau 2 “ressuage”, ceci nous autorisait à signer un rapport de non-conformité du robinet, si tel était le cas. Point barre.
“Après le deuxième contrôle, nous avons donc constaté la même chose. Les robinetiers râlent car ils n’ont pas d’autres vannes pour la remplacer, pour cause de flux tendu. J’appelle donc mes supérieurs au gdl, le groupe des laboratoires, qui centralise pour edf tous les contrôles. Ils nous disent de ne pas nous en faire, mais finissent tout de même par se déplacer. Arrivés sur place, ils nous demandent un troisième contrôle.
“Sur ces entrefaites, un ingénieur de la salle des commandes déboule. Le type s’est déplacé pour nous demander d’arrêter notre cinéma et avec beaucoup de précautions, il essaya de me faire comprendre que ce n’était qu’une rayure plutôt qu’une fissure.
“Je lui fis alors remarquer que sur mon front n’était pas écrit handicapé et que je signerais le rapport comme quoi c’est bien une indication rédhibitoire, que ça lui plaise ou non. L’ingénieur me répondit, texto : “Vous savez combien ça va nous coûter votre petite comédie ?… Un million de francs !”… Tu parles, comme si ça me faisait plaisir de rester à côté du circuit primaire… Vraiment pourri comme endroit… Il était au moins dix-neuf heures et cela faisait près de deux heures que nous aurions dû être sortis…
“Moi, j’avais pris trois fois la dose, c’est-à-dire deux doses gratuites vu que j’étais retourné trois fois sur la vanne et que j’avais absorbé le triple de la contamination prévue, surtout avec les produits volatiles… Mais comme cette vanne était inscrite sur les circuits ips, “importants pour la sécurité”, nous ne pouvions pas déconner. Sur le circuit primaire d’une centrale nucléaire, on ne doit rien laisser passer !… Avec cette histoire, j’ai vu tous les responsables de la hiérarchie venir me faire la danse des Sioux pour me dire que ce n’était pas une fissure, etc., etc. Tout le monde voulait que je leur signe un “ras” et aller hop !, tous à la maison... Demain, il ferait jour.

- En somme, si vous n’aviez rien dit, personne ne l’aurait vu ?
- Exactement, puisque nous étions payés pour signaler ce genre de choses. D’ailleurs, à cette époque, je n’étais pas du tout antinucléaire, mais c’est l’accumulation de ce genre d’événements qui a fait que j’ai arrêté de jouer le jeu.”
Warren Buffett craint un accident nucléaire

Le célèbre financier Warren Buffett, considéré par plusieurs comme le plus grand investisseur de tous les temps, estime qu’un accident nucléaire est inévitable aux États-Unis.

"Ça va arriver un jour", a lancé Warren Buffett hier pendant l’assemblée annuelle des actionnaires de Berkshire Hathaway, le conglomérat américain spécialisé dans l’assurance et la réassurance qu’il dirige depuis plus de 40 ans.
Il répondait ainsi à une question d’un actionnaire qui lui demandait de se prononcer sur les risques d’une tragédie nucléaire et l’impact d’une telle éventualité sur Berkshire et sur l’économie nord-américaine. "C’est un problème réel. Il y aura toujours des gens malintentionnés", a ajouté le multimilliardaire de 75 ans.

"Je ne sais pas combien, mais je suis certain que le gouvernement en a intercepté (des menaces potentielles) au fil des années."
Le numéro 2 de Berkshire, Charlie Munger, ne s’est pas fait plus rassurant. "Les probabilités qu’il ne survienne rien au cours des 60 prochaines années sont nulles", a-t-il dit avant d’ajouter qu’il ne croyait pas vraiment que l’on puisse faire quoi que ce soit pour empêcher une telle éventualité de se concrétiser.
Warren Buffett a toutefois souligné qu’élire des leaders politiques prêts à consacrer des énergies à la question représentait une piste de solution. Mais il a aussi mentionné qu’il était impossible d’éliminer complètement les risques d’un accident ou d’une attaque terroriste impliquant du matériel nucléaire.
"Le génie est sorti de la bouteille", a dit Buffett en faisant référence aux connaissances entourant la manipulation de l’énergie nucléaire.

Source : La Presse canadienne - 07 mai 2006
Richard Dufour
Extrait du livre de Jean-Philippe Desbordes Atomic Park. A la recherche des victimes du nucléaire (Editions Actes Sud)



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