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Sortir du nucléaire n°54



Eté 2012

Transition énergétique ou arrêt immédiat ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°54 - Eté 2012

 Sortie du nucléaire


Les éditions Golias ont publié en mars un livre bref et très accessible, qui défend et expose un scénario d’ arrêt "immédiat" du nucléaire, s’étalant sur un délai de trois à cinq ans. Les auteurs, Pierre Lucot et Jean-Luc Pasquinet, entendent créer le débat en regard des scénarios de transition énergétique programmant la sortie du nucléaire sur un délai plus long. Pierre Lucot synthétise ici les grands traits de cette analyse.



Depuis Fukushima nous savons que le risque de catastrophe nucléaire est une réalité chaque jour évitée. Alors que les menaces perdurent et que les piscines de refroidissement du réacteur n°4 exposées à l’air libre peuvent en cas de nouveau séisme rendre Tokyo inhabitable, il est encore peu fait état de la réalité actuelle et future de l’accident. Nous en connaissons la raison : la catastrophe nucléaire dilue son impact dans le temps, permettant guerre des chiffres et mise en question de la réalité du désastre.

Nous le savons, une catastrophe à Nogent-sur-Seine nécessiterait d’évacuer toute la région parisienne sans retour possible pour plusieurs générations, Blayais rayerait de la carte le bordelais (et anecdotiquement son vin), Le Bugey, Saint-Alban, Cruas ou Pierrelatte rendraient la zone invivable, et en cas de mistral, la vallée du Rhône et tout le bassin méditerranéen.

Comment alors se résigner face à la réalité de cette éventualité, et attendre 10 ou 20 ans avec la quasi certitude que durant une si longue période, le pays le plus nucléarisé du monde sera le théâtre d’une catastrophe ? Refuser de la vivre et préserver des régions qui auront mis tant de générations à se construire devient alors un devoir citoyen qui ne peut avoir qu’une réponse : l’arrêt du nucléaire ne peut attendre la catastrophe, il doit être immédiat. Telle est l’option défendue par le scénario d’arrêt immédiat, qui appelle au débat face aux scénarios de transition énergétique. Il pose certaines questions légitimes auxquelles il est indispensable de répondre.

La sortie immédiate est-elle possible ?

Prenant en compte a minima les mesures d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables nécessaires à sa réalisation, l’arrêt immédiat se caractérise par son pragmatisme, et lève la confusion entre électricité et énergie. En voici les données principales :

 les centrales thermiques classiques disponibles (gaz, fuel, charbon) fonctionnent à moins de 20 % de leurs capacités, il est possible d’en accroître immédiatement le taux de fonctionnement. La durée de construction d’une centrale thermique fonctionnant au gaz ou au charbon est de trois ans, il est donc parfaitement possible d’en construire dans un délai très court.

 le développement de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables est envisageable, mais restera limité dans ce court délai de trois à cinq ans ; la sobriété peut en revanche être accrue rapidement comme le montre l’exemple japonais post-Fukushima.

 pour pallier les pointes de consommation, qui justifient aujourd’hui la surproduction d’énergie et le maintien des centrales thermiques, il faut prioritairement supprimer le chauffage électrique au moyen d’aides à l’isolation et à la substitution énergétique des logements "bénéficiant" de cette hérésie énergétique promue arbitrairement pour développer le nucléaire.

D’un point de vue économique, il faut rappeler que ni EDF, ni l’État n’ont la capacité d’investir les 50 à 60 milliards dans les onze réacteurs EPR qui seraient nécessaires pour remplacer tout le parc actuel. La construction de centrales combinées au gaz coûterait quant à elle quatre à cinq fois moins, tout en permettant d’éviter la catastrophe dont le coût est estimé pour le moment au Japon à plus de 50 milliards d’euros !

La mise en œuvre de ce dispositif d’arrêt ne pourra être effective qu’avec le soutien majoritaire des citoyens conscients de leur impact et de la nécessité urgente et impérative de passer d’un contexte de "gestion de risque" à un contexte de "gestion de l’énergie".

Cette condition de mise en œuvre démocratique est un préalable qu’il nous parait indispensable de rappeler. Elle a été spontanément appliquée par les Japonais, après la catastrophe ; l’objet du scénario "immédiatiste" est de plaider pour qu’elle soit mise en œuvre… avant !

Quel impact ce scénario immédiat a-t-il sur le dérèglement climatique ?

Cette sortie "immédiate", permise par le recours à ce qui peut être mobilisé immédiatement, c’est-à-dire le thermique fossile, peut paradoxalement s’accompagner d’une stagnation ou même d’une diminution de la production de gaz à effet de serre (GES).

Ainsi l’Allemagne, qui a arrêté sept réacteurs nucléaires et construit des centrales à gaz et à charbon, a réussi à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre, grâce à un programme volontariste de réduction de 10 % de la consommation d’électricité.

Dans le contexte autrement plus dramatique de l’après-Fukushima, le Japon a promulgué en juillet 2011 une loi obligeant les entreprises et les particuliers à réduire leur consommation d’électricité de 15 %, pour faire face à la fermeture de l’ensemble des réacteurs. Cette mesure n’a pas impacté lourdement la vie quotidienne des japonais, si ce n’est par la réduction de l’éclairage public, publicitaire ou de la climatisation.

Il est aujourd’hui impossible de calculer avec exactitude les économies de CO2 induites par le nucléaire : selon les sources, les estimations de grammes de CO2 par kWh générés par le nucléaire varient de 5 g (pour EDF !) à 120 g.

Sur la base de l’estimation moyenne de 66 g/kWh, le résultat en France serait le suivant : l’arrêt, au bout de trois ans, des 58 réacteurs, avec la mise en service à pleine production des centrales thermiques existantes et la construction de 30 nouvelles centrales à gaz en cycle combiné, conduirait à une augmentation des GES correspondant à 66,1 millions de tonnes de CO2, soit une augmentation de 15 % des émissions globales en France.

Le CO2 n’étant cependant qu’un des principaux gaz à effet de serre – il pèse pour 50 % du total, l’impact en France du scénario sur les GES dans leur ensemble serait donc de 7,5 % (15 % x 50 %). Et si l’on retient l’hypothèse haute d’émission de CO2 par le nucléaire, soit 120 g/kWh, l’impact du scénario serait encore inférieur de moitié et ne correspondrait plus qu’à une augmentation de 3,75 % des émissions de GES.

Il s’agit là d’une vision au niveau national. Cette augmentation pourra aisément être compensée si l’on réduit l’impact des autres polluants, notamment dans les transports, dont l’aérien qui n’est aujourd’hui pas pris en compte et dont le carburant (le kérosène) est exempté de toute taxe. Mais les GES ne connaissent pas les frontières. Si l’on considère le poids du nucléaire français dans la production primaire d’énergie dans le monde (1 %), l’impact serait négligeable et facilement compensable en intervenant sur d’autres secteurs comme le transport ou l’habitat.

Un scénario immédiat, vertueux pour la biosphère… et l’humanité

Loin d’accroître le risque climatique par ces émissions supplémentaires de GES, le scénario de sortie du nucléaire "à grande vitesse" présente l’intérêt stratégique de remettre au premier plan la question de la sortie de l’énergie fossile après l’arrêt définitif du nucléaire.

Elle présente par ailleurs l’avantage de pouvoir s’inscrire dans la temporalité d’une mandature, ce qui devrait limiter fortement les risques de revirement politique et de remise en cause du choix de sortie, comme cela a pu être le cas en Allemagne ou en Belgique. Il faut toujours garder à l’esprit l’inconstance de la mémoire publique, qui se caractérise par l’oubli des accidents lorsque ceux-ci s’éloignent dans le temps… Puisse cette conscience rester vigilante… avant la catastrophe ! C’est le pari citoyen que font les défenseurs de l’arrêt immédiat.

Pierre Lucot

Co-auteur de : Nucléaire arrêt immédiat – Pourquoi, comment ?

Le scénario qui refuse la catastrophe, Golias, 2012

Nucléaire – Combattre les idées reçues, Utopia, 2011

Depuis Fukushima nous savons que le risque de catastrophe nucléaire est une réalité chaque jour évitée. Alors que les menaces perdurent et que les piscines de refroidissement du réacteur n°4 exposées à l’air libre peuvent en cas de nouveau séisme rendre Tokyo inhabitable, il est encore peu fait état de la réalité actuelle et future de l’accident. Nous en connaissons la raison : la catastrophe nucléaire dilue son impact dans le temps, permettant guerre des chiffres et mise en question de la réalité du désastre.

Nous le savons, une catastrophe à Nogent-sur-Seine nécessiterait d’évacuer toute la région parisienne sans retour possible pour plusieurs générations, Blayais rayerait de la carte le bordelais (et anecdotiquement son vin), Le Bugey, Saint-Alban, Cruas ou Pierrelatte rendraient la zone invivable, et en cas de mistral, la vallée du Rhône et tout le bassin méditerranéen.

Comment alors se résigner face à la réalité de cette éventualité, et attendre 10 ou 20 ans avec la quasi certitude que durant une si longue période, le pays le plus nucléarisé du monde sera le théâtre d’une catastrophe ? Refuser de la vivre et préserver des régions qui auront mis tant de générations à se construire devient alors un devoir citoyen qui ne peut avoir qu’une réponse : l’arrêt du nucléaire ne peut attendre la catastrophe, il doit être immédiat. Telle est l’option défendue par le scénario d’arrêt immédiat, qui appelle au débat face aux scénarios de transition énergétique. Il pose certaines questions légitimes auxquelles il est indispensable de répondre.

La sortie immédiate est-elle possible ?

Prenant en compte a minima les mesures d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables nécessaires à sa réalisation, l’arrêt immédiat se caractérise par son pragmatisme, et lève la confusion entre électricité et énergie. En voici les données principales :

 les centrales thermiques classiques disponibles (gaz, fuel, charbon) fonctionnent à moins de 20 % de leurs capacités, il est possible d’en accroître immédiatement le taux de fonctionnement. La durée de construction d’une centrale thermique fonctionnant au gaz ou au charbon est de trois ans, il est donc parfaitement possible d’en construire dans un délai très court.

 le développement de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables est envisageable, mais restera limité dans ce court délai de trois à cinq ans ; la sobriété peut en revanche être accrue rapidement comme le montre l’exemple japonais post-Fukushima.

 pour pallier les pointes de consommation, qui justifient aujourd’hui la surproduction d’énergie et le maintien des centrales thermiques, il faut prioritairement supprimer le chauffage électrique au moyen d’aides à l’isolation et à la substitution énergétique des logements "bénéficiant" de cette hérésie énergétique promue arbitrairement pour développer le nucléaire.

D’un point de vue économique, il faut rappeler que ni EDF, ni l’État n’ont la capacité d’investir les 50 à 60 milliards dans les onze réacteurs EPR qui seraient nécessaires pour remplacer tout le parc actuel. La construction de centrales combinées au gaz coûterait quant à elle quatre à cinq fois moins, tout en permettant d’éviter la catastrophe dont le coût est estimé pour le moment au Japon à plus de 50 milliards d’euros !

La mise en œuvre de ce dispositif d’arrêt ne pourra être effective qu’avec le soutien majoritaire des citoyens conscients de leur impact et de la nécessité urgente et impérative de passer d’un contexte de "gestion de risque" à un contexte de "gestion de l’énergie".

Cette condition de mise en œuvre démocratique est un préalable qu’il nous parait indispensable de rappeler. Elle a été spontanément appliquée par les Japonais, après la catastrophe ; l’objet du scénario "immédiatiste" est de plaider pour qu’elle soit mise en œuvre… avant !

Quel impact ce scénario immédiat a-t-il sur le dérèglement climatique ?

Cette sortie "immédiate", permise par le recours à ce qui peut être mobilisé immédiatement, c’est-à-dire le thermique fossile, peut paradoxalement s’accompagner d’une stagnation ou même d’une diminution de la production de gaz à effet de serre (GES).

Ainsi l’Allemagne, qui a arrêté sept réacteurs nucléaires et construit des centrales à gaz et à charbon, a réussi à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre, grâce à un programme volontariste de réduction de 10 % de la consommation d’électricité.

Dans le contexte autrement plus dramatique de l’après-Fukushima, le Japon a promulgué en juillet 2011 une loi obligeant les entreprises et les particuliers à réduire leur consommation d’électricité de 15 %, pour faire face à la fermeture de l’ensemble des réacteurs. Cette mesure n’a pas impacté lourdement la vie quotidienne des japonais, si ce n’est par la réduction de l’éclairage public, publicitaire ou de la climatisation.

Il est aujourd’hui impossible de calculer avec exactitude les économies de CO2 induites par le nucléaire : selon les sources, les estimations de grammes de CO2 par kWh générés par le nucléaire varient de 5 g (pour EDF !) à 120 g.

Sur la base de l’estimation moyenne de 66 g/kWh, le résultat en France serait le suivant : l’arrêt, au bout de trois ans, des 58 réacteurs, avec la mise en service à pleine production des centrales thermiques existantes et la construction de 30 nouvelles centrales à gaz en cycle combiné, conduirait à une augmentation des GES correspondant à 66,1 millions de tonnes de CO2, soit une augmentation de 15 % des émissions globales en France.

Le CO2 n’étant cependant qu’un des principaux gaz à effet de serre – il pèse pour 50 % du total, l’impact en France du scénario sur les GES dans leur ensemble serait donc de 7,5 % (15 % x 50 %). Et si l’on retient l’hypothèse haute d’émission de CO2 par le nucléaire, soit 120 g/kWh, l’impact du scénario serait encore inférieur de moitié et ne correspondrait plus qu’à une augmentation de 3,75 % des émissions de GES.

Il s’agit là d’une vision au niveau national. Cette augmentation pourra aisément être compensée si l’on réduit l’impact des autres polluants, notamment dans les transports, dont l’aérien qui n’est aujourd’hui pas pris en compte et dont le carburant (le kérosène) est exempté de toute taxe. Mais les GES ne connaissent pas les frontières. Si l’on considère le poids du nucléaire français dans la production primaire d’énergie dans le monde (1 %), l’impact serait négligeable et facilement compensable en intervenant sur d’autres secteurs comme le transport ou l’habitat.

Un scénario immédiat, vertueux pour la biosphère… et l’humanité

Loin d’accroître le risque climatique par ces émissions supplémentaires de GES, le scénario de sortie du nucléaire "à grande vitesse" présente l’intérêt stratégique de remettre au premier plan la question de la sortie de l’énergie fossile après l’arrêt définitif du nucléaire.

Elle présente par ailleurs l’avantage de pouvoir s’inscrire dans la temporalité d’une mandature, ce qui devrait limiter fortement les risques de revirement politique et de remise en cause du choix de sortie, comme cela a pu être le cas en Allemagne ou en Belgique. Il faut toujours garder à l’esprit l’inconstance de la mémoire publique, qui se caractérise par l’oubli des accidents lorsque ceux-ci s’éloignent dans le temps… Puisse cette conscience rester vigilante… avant la catastrophe ! C’est le pari citoyen que font les défenseurs de l’arrêt immédiat.

Pierre Lucot

Co-auteur de : Nucléaire arrêt immédiat – Pourquoi, comment ?

Le scénario qui refuse la catastrophe, Golias, 2012

Nucléaire – Combattre les idées reçues, Utopia, 2011



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