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Sortir du nucléaire n°42



Mai 2009

Rétrospective

Three Mile Island : retour vers le futur

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°42 - Mai 2009

 Risque nucléaire
Article publié le : 1er mai 2009


Il y a 30 ans, en mars 1979, se produisait aux Etats-Unis l’accident nucléaire de Three Mile Island. Cet événement porta un coup d’arrêt au développement du nucléaire américain, tandis que le programme nucléaire français poursuivit son expansion. Retour sur la crise vue de la France, au travers d’extraits d’époque du journal Le Monde.



Le 16 mars 1979 sortait aux Etats-Unis un film prémonitoire intitulé le “Syndrome Chinois”. Il mettait en scène deux reporters, témoins du début d’un accident nucléaire qui manque de tourner à la catastrophe.

12 jours plus tard, le 28 mars 1979, un accident se produisait à la centrale nucléaire civile de Three Mile Island, près de Harrisburg en Pensylvannie.
Il conduisit au rejet de vapeur radioactive dans l’environnement. Les femmes enceintes et les jeunes enfants furent évacués 2 jours plus tard.
Cet accident, dû à une série d’erreurs humaines et de défaillances techniques, n’avait pas été envisagé par les autorités car estimé très improbable. Plusieurs années après, on apprit qu’à une heure près, la fusion du coeur aurait pu être totale.

Vendredi 30 mars 1979
“Accident dans le système de refroidissement d’une centrale nucléaire aux Etats-Unis.

Un accident a eu lieu mercredi 28 mars à la centrale nucléaire de Three Mile Island en Pennsylvanie (Etats-Unis).
Vers 4 heures du matin (heure locale, 10 heures à Paris) les habitants ont été réveillés par le bruit d’une explosion et ont vu un jet de vapeur au- dessus de la centrale. La valve de l’une des pompes alimentant en eau le système de refroidissement du réacteur venait de céder. Il n’y a pas eu de blessés. S’il y a eu un net accroissement de la radioactivité à l’intérieur de la centrale et même à l’extérieur, dépassant de beaucoup les limites autorisées, on est resté au dessous des taux qui sont considérés comme véritablement dangereux. Les cinq cents employés de la centrale sont soumis à des contrôles ; aucune précaution particulière n’est nécessaire pour les habitants du voisinage (…)
Le réacteur concerné fait partie de la filière PWR (eau pressurisée) et a été construit par la société Babcok et Wilcox. Les réacteurs français de Fessenheim et du Bugey relèvent de la même filière, mais ont été conçus par la société Framatome, sous licence de Westinghouse”.


Dimanche 1er avril - lundi 2 avril 1979
“L’accident nucléaire de Pennsylvanie a pris au dépourvu les techniciens et les autorités.

Ce n’est pas encore la panique, mais [les suites de l’accident sont apparues suffisamment graves] pour transformer l’affaire en une catastrophe d’importance nationale.”


Extrait de l’édito titré “Le pépin” :
“Car la peur vient aussi du mystère dans lequel les pouvoirs publics veulent tenir l’opinion. Celle-ci est suffisamment mûre pour savoir que, sans les apports de l’énergie atomique, au moins pendant un certain temps, c’est l’économie tout entière qui sombrerait au niveau du sous-développement. L’énergie électronucléaire n’a encore jamais tué. En revanche, un brutal changement de cap dans les programmes nucléaires augmenterait sensiblement le nombre des chômeurs. Qui l’accepterait ?”

Mardi 3 avril 1979
“Les techniciens américains rencontrent de grandes difficultés pour refroidir le réacteur. Cet évènement a provoqué de très nombreux commentaires dans le monde entier. En France, M. Raymond Barre a affirmé, dimanche soir, que le programme électronucléaire français ne serait pas remis en cause.”

Titre en pages intérieures :
“Après la visite du président Carter, une évacuation plus ou mois massive des populations est envisagée par de très nombreux experts.”

Article “L’obstination des industriels” :
“(...) Le président de Gulf Oil (...) a déclaré dimanche qu’il n’était pas ébranlé par l’accident, mais par la “sur-réaction” du public et des autorités ; selon lui, il faudra peut-être rectifier certaines choses, mais après tout, “toute activité humaine comporte des risques, y compris lorsqu’il s’agit de marcher dans la rue ou de conduire une voiture” (...).
M. Herbein, vice-président de la compagnie [Metropolitan Edison, propriétaire de la centrale], était allé jusqu’à dire que “la crise était terminée”. Quelques instants plus tard, le responsable de la commission fédérale des règlements nucléaires, M. Denton, convoquait la presse dans un bâtiment voisin pour affirmer qu’il n’en était rien et que la crise ne serait pas surmontée “tant que le réacteur n’aura pas été refroidi”.
De même, la compagnie a caché aux responsables de la commission nucléaire une explosion d’hydrogène qui a eu lieu à l’intérieur du réacteur à une date indéterminée (jeudi selon la compagnie, mercredi selon M. Denton). (...)
Déjà, les centres d’hébergement dressés pour les femmes enceintes et les enfants d’âge préscolaire, évacués vendredi, admettent avoir quelques difficultés à maintenir le calme parmi leurs pensionnaires forcés, parqués dans des conditions sommaires.”


Mercredi 4 avril 1979
Le journaliste Pierre Viansson-Ponté conclut son article “Mais de grâce, qu’on cesse de nous mentir, de nous traiter comme des enfants indiscrets. Qu’on cesse surtout d’oublier (...) cette donnée oubliée, l’erreur humaine.”

Jeudi 5 avril 1979
“La situation d’alerte est pratiquement terminée dans la région de Harrisburg.”

Vendredi 6 avril 1979
“Pas de panique.
A l’heure où le gouvernement décide de l’accélération du programme nucléaire français, (...) M. André Giraud, ministre de l’Industrie, a estimé que, en cette matière, c’est le manque d’information qui a déclenché la panique du public.”


Samedi 7 avril 1979
Assemblée nationale
M. Giraud : “ personne ne conteste la nécessité inéluctable du recours au nucléaire.”
Et “La commission de la production va envoyer une mission d’information aux Etats-Unis.”



Le sujet ne sera plus abordé dans les pages du Monde après le 7 avril. Alors que le Time, en Grande-Bretagne, titrera en Une le 9 avril : “Nuclear nightmare” (cauchemar nucléaire) sur fond de cheminées réfrigérantes.

L’accident de Three Mile Island porta un coup d’arrêt à l’industrie nucléaire américaine : aucune nouvelle construction de réacteur nucléaire n’a été décidée depuis aux Etats-Unis.

Alain Corréa

Sortir du nucléaire 76
sdn76@nanodata.com

Le 16 mars 1979 sortait aux Etats-Unis un film prémonitoire intitulé le “Syndrome Chinois”. Il mettait en scène deux reporters, témoins du début d’un accident nucléaire qui manque de tourner à la catastrophe.

12 jours plus tard, le 28 mars 1979, un accident se produisait à la centrale nucléaire civile de Three Mile Island, près de Harrisburg en Pensylvannie.
Il conduisit au rejet de vapeur radioactive dans l’environnement. Les femmes enceintes et les jeunes enfants furent évacués 2 jours plus tard.
Cet accident, dû à une série d’erreurs humaines et de défaillances techniques, n’avait pas été envisagé par les autorités car estimé très improbable. Plusieurs années après, on apprit qu’à une heure près, la fusion du coeur aurait pu être totale.

Vendredi 30 mars 1979
“Accident dans le système de refroidissement d’une centrale nucléaire aux Etats-Unis.

Un accident a eu lieu mercredi 28 mars à la centrale nucléaire de Three Mile Island en Pennsylvanie (Etats-Unis).
Vers 4 heures du matin (heure locale, 10 heures à Paris) les habitants ont été réveillés par le bruit d’une explosion et ont vu un jet de vapeur au- dessus de la centrale. La valve de l’une des pompes alimentant en eau le système de refroidissement du réacteur venait de céder. Il n’y a pas eu de blessés. S’il y a eu un net accroissement de la radioactivité à l’intérieur de la centrale et même à l’extérieur, dépassant de beaucoup les limites autorisées, on est resté au dessous des taux qui sont considérés comme véritablement dangereux. Les cinq cents employés de la centrale sont soumis à des contrôles ; aucune précaution particulière n’est nécessaire pour les habitants du voisinage (…)
Le réacteur concerné fait partie de la filière PWR (eau pressurisée) et a été construit par la société Babcok et Wilcox. Les réacteurs français de Fessenheim et du Bugey relèvent de la même filière, mais ont été conçus par la société Framatome, sous licence de Westinghouse”.


Dimanche 1er avril - lundi 2 avril 1979
“L’accident nucléaire de Pennsylvanie a pris au dépourvu les techniciens et les autorités.

Ce n’est pas encore la panique, mais [les suites de l’accident sont apparues suffisamment graves] pour transformer l’affaire en une catastrophe d’importance nationale.”


Extrait de l’édito titré “Le pépin” :
“Car la peur vient aussi du mystère dans lequel les pouvoirs publics veulent tenir l’opinion. Celle-ci est suffisamment mûre pour savoir que, sans les apports de l’énergie atomique, au moins pendant un certain temps, c’est l’économie tout entière qui sombrerait au niveau du sous-développement. L’énergie électronucléaire n’a encore jamais tué. En revanche, un brutal changement de cap dans les programmes nucléaires augmenterait sensiblement le nombre des chômeurs. Qui l’accepterait ?”

Mardi 3 avril 1979
“Les techniciens américains rencontrent de grandes difficultés pour refroidir le réacteur. Cet évènement a provoqué de très nombreux commentaires dans le monde entier. En France, M. Raymond Barre a affirmé, dimanche soir, que le programme électronucléaire français ne serait pas remis en cause.”

Titre en pages intérieures :
“Après la visite du président Carter, une évacuation plus ou mois massive des populations est envisagée par de très nombreux experts.”

Article “L’obstination des industriels” :
“(...) Le président de Gulf Oil (...) a déclaré dimanche qu’il n’était pas ébranlé par l’accident, mais par la “sur-réaction” du public et des autorités ; selon lui, il faudra peut-être rectifier certaines choses, mais après tout, “toute activité humaine comporte des risques, y compris lorsqu’il s’agit de marcher dans la rue ou de conduire une voiture” (...).
M. Herbein, vice-président de la compagnie [Metropolitan Edison, propriétaire de la centrale], était allé jusqu’à dire que “la crise était terminée”. Quelques instants plus tard, le responsable de la commission fédérale des règlements nucléaires, M. Denton, convoquait la presse dans un bâtiment voisin pour affirmer qu’il n’en était rien et que la crise ne serait pas surmontée “tant que le réacteur n’aura pas été refroidi”.
De même, la compagnie a caché aux responsables de la commission nucléaire une explosion d’hydrogène qui a eu lieu à l’intérieur du réacteur à une date indéterminée (jeudi selon la compagnie, mercredi selon M. Denton). (...)
Déjà, les centres d’hébergement dressés pour les femmes enceintes et les enfants d’âge préscolaire, évacués vendredi, admettent avoir quelques difficultés à maintenir le calme parmi leurs pensionnaires forcés, parqués dans des conditions sommaires.”


Mercredi 4 avril 1979
Le journaliste Pierre Viansson-Ponté conclut son article “Mais de grâce, qu’on cesse de nous mentir, de nous traiter comme des enfants indiscrets. Qu’on cesse surtout d’oublier (...) cette donnée oubliée, l’erreur humaine.”

Jeudi 5 avril 1979
“La situation d’alerte est pratiquement terminée dans la région de Harrisburg.”

Vendredi 6 avril 1979
“Pas de panique.
A l’heure où le gouvernement décide de l’accélération du programme nucléaire français, (...) M. André Giraud, ministre de l’Industrie, a estimé que, en cette matière, c’est le manque d’information qui a déclenché la panique du public.”


Samedi 7 avril 1979
Assemblée nationale
M. Giraud : “ personne ne conteste la nécessité inéluctable du recours au nucléaire.”
Et “La commission de la production va envoyer une mission d’information aux Etats-Unis.”



Le sujet ne sera plus abordé dans les pages du Monde après le 7 avril. Alors que le Time, en Grande-Bretagne, titrera en Une le 9 avril : “Nuclear nightmare” (cauchemar nucléaire) sur fond de cheminées réfrigérantes.

L’accident de Three Mile Island porta un coup d’arrêt à l’industrie nucléaire américaine : aucune nouvelle construction de réacteur nucléaire n’a été décidée depuis aux Etats-Unis.

Alain Corréa

Sortir du nucléaire 76
sdn76@nanodata.com



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