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Sortir du nucléaire n°79



Automne 2018

Travailleurs

Témoignage - Patrice Giradier, un travailleur face au silence administratif

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°79 - Automne 2018

 Travailleurs du nucléaire


Patrice Girardier

C’est parce qu’il existe des associations comme Ma Zone Contrôlée, Réseau “Sortir du Nucléaire“, Greenpeace et encore bien d’autres qu’aujourd’hui le débat parlementaire avance sur la question de la réalité des conditions de travail des employés du nucléaire.

Force est de constater à l’issue de l’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires que les interrogations sur le sujet ont permis de soulever nombre de points qui s’imposent aujourd’hui comme un rappel à l’ordre de la nécessité de respecter certaines obligations techniques, structurelles, organisationnelles et institutionnelles pour que l’activité puisse se dérouler dans des conditions acceptables mais aussi et surtout, responsables.

Néanmoins, pour tous ceux qui, de par leur profession connaissent bien le sujet, une dure réalité voit le jour ; celle-ci est apparue lors des “débats“ par la nature des questions posées et traduit une grande innocence sur le sujet.

Entre parlementaires “en phase d’initiation“ et professionnels aguerris, le décalage est abyssal.

À l’évidence, la prise de connaissance de certaines informations, jusque-là occultées par la voie officielle, a permis d’élever le niveau au minimum requis, pour avoir une première approche de la gravité de la situation. (...)

Malheureusement la commission d’enquête n’aura guère eu le loisir de pouvoir digérer la somme d’informations colossales pour pouvoir véritablement entrer dans le cœur du sujet, d’où une certaine frustration des professionnels du secteur qui en attendaient beaucoup plus. On s’en contentera dans un premier temps, ce débat étant une première et ayant le mérite d’exister.

Mais maintenant que nos parlementaires sont un peu plus au courant des réalités, et que cette première porte est ouverte, il nous appartient de savoir ne pas la refermer et d’en ouvrir d’autres, surtout celles qui ont été soigneusement survolées lors de cette première prise de connaissance.

L’aspect santé ayant été brièvement abordé et ce, de manière très superficielle, il serait alors bon de prendre connaissance des subtilités techniques qui permettent d’en comprendre la finalité au travers de dispositions utilisées pour l’encadrer.

Ce que je vais dénoncer est tout particulièrement important car les dérives touchent aussi et malheureusement le secteur médical. (…)

J’ai développé un cancer de la thyroïde pendant que j’exerçais mon activité professionnelle  [1]. La médecine du travail et la sécurité sociale ont considéré que ce cancer était probablement d’origine génétique. Puisque 95% des cancers de la thyroïde sont d’origine accidentelle, industrielle et professionnelle, la lecture statistique qu’en fait le corps médical est pour le moins surprenante, pour ne pas dire abusive.

À l’issue de ce cancer, j’ai été déclaré invalide, et comme mon employeur n’avait pas d’autre poste à me proposer, j’ai été licencié. Fin de l’histoire pour l’employeur et la sécurité sociale, mais pas pour moi, car je conteste cette décision.

Grâce au site de l’association Ma zone contrôlée et au soutien du Réseau “Sortir du nucléaire“, je suis contacté par une personne qui est interpelée par mon cas. Il lui apparaît un certain nombre d’incohérences. Elle se demande comment l’entreprise peut se dédouaner de toute forme de responsabilité sur mon exposition et sur quelles bases médicales la médecine du travail et la sécurité sociale, peuvent exclure tous risques professionnels.

Afin de corréler ce premier constat, elle me demande de récupérer mon dossier médical auprès du Laboratoire de biologie médicale de Saint-Denis  [2]. Ce que je tente de faire en leur adressant un courrier avec accusé de réception, avec justificatif d’identité tout en demandant une liste détaillée des informations avec justification de traçabilité et rapports techniques de mesures.

La directrice bottera en touche, tout en m’invitant à prendre contact avec mon médecin du travail. Cette réponse est pour le moins étrange. En effet, tout patient a un droit d’accès à son dossier médical s’il en fait la demande explicite, celui-ci n’étant pas la propriété, ni du laboratoire, ni du médecin.

Je contacte donc mon médecin du travail. Seulement voilà, comme j’ai été licencié et que je ne travaille plus pour l’entreprise, il ne peut (ou ne veut) me recevoir et de fait il n’appuie pas ma demande.

La directrice, en conditionnant un passage obligé par la médecine du travail, qui elle-même refuse de me recevoir, me prive des données qui sont la base de ma contestation. À en croire l’étrange attitude de la médecine du travail, il semble apparaître que “le téléphone ait bien fonctionné“. Comment fait-on alors pour accéder aux éléments médicaux en pareille situation ?

J’adresse un second courrier : aucune réponse. Puis un troisième courrier avec copie auprès des autorités de contrôles, dont l’Autorité de sûreté nucléaire. À ce jour, je n’ai toujours reçu aucune réponse.

Vous comprendrez pourquoi je vous alerte. Si un jour, et je ne vous le souhaite pas, vous vous retrouvez dans une situation similaire à la mienne, vous vous rendrez vite compte que vous êtes bien seul et démuni devant un monstre qui use et abuse de moyens totalement illégaux pour faire barrage, au plus basique des principes, celui de pouvoir se défendre sur la base de documents officiels qui vous sont normalement accessibles. (...)

Traitement du MOX

Quand les autorités de contrôle et le Laboratoire font barrage en se distinguant par leur silence, cela soulève des questions qui rendent légitimes les suspicions.

Le secret médical n’a de valeur que par la discrétion du caractère nominatif des résultats. Dans ce cas précis, ce sont mes analyses, et il m’appartient de pouvoir rendre public les éléments de mon dossier si cela s’avère utile pour d’autres.

En aucun cas, le corps médical ne peut m’imposer ce silence, celui-ci s’appliquant à son exercice mais pas à moi et si je décide de partager ces informations, personne n’a le droit de me l’interdire.

Toute personne susceptible d’avoir été exposée est en droit de contester un refus de reconnaissance en maladie professionnelle et doit pouvoir accéder à son dossier médical pour faire valoir ses droits.

Quand les moyens légaux sont verrouillés, il existe d’autres moyens, notamment celui de la mobilisation pour faire pression.

C’est pourquoi je vous demande de relayer ce message massivement, pour que ce genre d’entrave ne soit plus la règle et qu’un maximum de personnes soient au courant de ce genre de pratique totalement illégale mais cautionnée par les autorités.

Patrice Girardier

Des travailleurs “persécutés“

Durant l’été plusieurs travailleurs du nucléaire ont subi des pressions de la part de leurs employeurs. Dans la Revue n°78, nous avions interviewé Gilles Reynaud, président de l’association Ma zone contrôlée et salarié d’Orano DS sur le site du Tricastin, pour comprendre l’impact de la sous-traitance dans l’industrie nucléaire. Quelques jours après notre entretien, Gilles a été sanctionné de cinq jours de mise à pied. Il avait témoigné en mai dernier sous serment devant la commission d’enquête parlementaire pour l’amélioration du niveau de sécurité et de sûreté des installations nucléaires, sur les conditions de travail des salariés de la sous-traitance  [3]. Il dénonce, depuis longtemps, le dumping social et l’industrie low-cost nuisible pour les salariés et pour la sécurité des installations. Aucune faute professionnelle ne lui est reprochée !

Quant à Yann Montiel, représentant de la section syndicale Sud énergie à la centrale de Cruas, il s’est vu convoqué à un conseil de discipline suite à un entretien avec un médecin du travail pendant lequel il a fait part de la souffrance provoquée par un management défaillant… Résultat du conseil de discipline : un mois de mise à pied. Les risques psycho-sociaux liés au management avaient déjà été soulevés par le CHSCT  [4] qui avait commandé une expertise. La direction ayant assigné le CHSCT en justice, cette étude n’a jamais été réalisée. On ne dérange pas une entreprise comme EDF sans en payer parfois le prix parfois fort !


Notes

[1Patrice Girardier était technicien de maintenance nucléaire pour une filiale d’Orano (ex-Aréva).

[2Le laboratoire de biologie médicale de Saint-Denis traite tous les échantillons du personnel évoluant en centrale nucléaire.

[3Compte rendu de l’audition disponible : www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cenucl/17-18/c1718032.asp

[4CHSCT : Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Patrice Girardier

C’est parce qu’il existe des associations comme Ma Zone Contrôlée, Réseau “Sortir du Nucléaire“, Greenpeace et encore bien d’autres qu’aujourd’hui le débat parlementaire avance sur la question de la réalité des conditions de travail des employés du nucléaire.

Force est de constater à l’issue de l’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires que les interrogations sur le sujet ont permis de soulever nombre de points qui s’imposent aujourd’hui comme un rappel à l’ordre de la nécessité de respecter certaines obligations techniques, structurelles, organisationnelles et institutionnelles pour que l’activité puisse se dérouler dans des conditions acceptables mais aussi et surtout, responsables.

Néanmoins, pour tous ceux qui, de par leur profession connaissent bien le sujet, une dure réalité voit le jour ; celle-ci est apparue lors des “débats“ par la nature des questions posées et traduit une grande innocence sur le sujet.

Entre parlementaires “en phase d’initiation“ et professionnels aguerris, le décalage est abyssal.

À l’évidence, la prise de connaissance de certaines informations, jusque-là occultées par la voie officielle, a permis d’élever le niveau au minimum requis, pour avoir une première approche de la gravité de la situation. (...)

Malheureusement la commission d’enquête n’aura guère eu le loisir de pouvoir digérer la somme d’informations colossales pour pouvoir véritablement entrer dans le cœur du sujet, d’où une certaine frustration des professionnels du secteur qui en attendaient beaucoup plus. On s’en contentera dans un premier temps, ce débat étant une première et ayant le mérite d’exister.

Mais maintenant que nos parlementaires sont un peu plus au courant des réalités, et que cette première porte est ouverte, il nous appartient de savoir ne pas la refermer et d’en ouvrir d’autres, surtout celles qui ont été soigneusement survolées lors de cette première prise de connaissance.

L’aspect santé ayant été brièvement abordé et ce, de manière très superficielle, il serait alors bon de prendre connaissance des subtilités techniques qui permettent d’en comprendre la finalité au travers de dispositions utilisées pour l’encadrer.

Ce que je vais dénoncer est tout particulièrement important car les dérives touchent aussi et malheureusement le secteur médical. (…)

J’ai développé un cancer de la thyroïde pendant que j’exerçais mon activité professionnelle  [1]. La médecine du travail et la sécurité sociale ont considéré que ce cancer était probablement d’origine génétique. Puisque 95% des cancers de la thyroïde sont d’origine accidentelle, industrielle et professionnelle, la lecture statistique qu’en fait le corps médical est pour le moins surprenante, pour ne pas dire abusive.

À l’issue de ce cancer, j’ai été déclaré invalide, et comme mon employeur n’avait pas d’autre poste à me proposer, j’ai été licencié. Fin de l’histoire pour l’employeur et la sécurité sociale, mais pas pour moi, car je conteste cette décision.

Grâce au site de l’association Ma zone contrôlée et au soutien du Réseau “Sortir du nucléaire“, je suis contacté par une personne qui est interpelée par mon cas. Il lui apparaît un certain nombre d’incohérences. Elle se demande comment l’entreprise peut se dédouaner de toute forme de responsabilité sur mon exposition et sur quelles bases médicales la médecine du travail et la sécurité sociale, peuvent exclure tous risques professionnels.

Afin de corréler ce premier constat, elle me demande de récupérer mon dossier médical auprès du Laboratoire de biologie médicale de Saint-Denis  [2]. Ce que je tente de faire en leur adressant un courrier avec accusé de réception, avec justificatif d’identité tout en demandant une liste détaillée des informations avec justification de traçabilité et rapports techniques de mesures.

La directrice bottera en touche, tout en m’invitant à prendre contact avec mon médecin du travail. Cette réponse est pour le moins étrange. En effet, tout patient a un droit d’accès à son dossier médical s’il en fait la demande explicite, celui-ci n’étant pas la propriété, ni du laboratoire, ni du médecin.

Je contacte donc mon médecin du travail. Seulement voilà, comme j’ai été licencié et que je ne travaille plus pour l’entreprise, il ne peut (ou ne veut) me recevoir et de fait il n’appuie pas ma demande.

La directrice, en conditionnant un passage obligé par la médecine du travail, qui elle-même refuse de me recevoir, me prive des données qui sont la base de ma contestation. À en croire l’étrange attitude de la médecine du travail, il semble apparaître que “le téléphone ait bien fonctionné“. Comment fait-on alors pour accéder aux éléments médicaux en pareille situation ?

J’adresse un second courrier : aucune réponse. Puis un troisième courrier avec copie auprès des autorités de contrôles, dont l’Autorité de sûreté nucléaire. À ce jour, je n’ai toujours reçu aucune réponse.

Vous comprendrez pourquoi je vous alerte. Si un jour, et je ne vous le souhaite pas, vous vous retrouvez dans une situation similaire à la mienne, vous vous rendrez vite compte que vous êtes bien seul et démuni devant un monstre qui use et abuse de moyens totalement illégaux pour faire barrage, au plus basique des principes, celui de pouvoir se défendre sur la base de documents officiels qui vous sont normalement accessibles. (...)

Traitement du MOX

Quand les autorités de contrôle et le Laboratoire font barrage en se distinguant par leur silence, cela soulève des questions qui rendent légitimes les suspicions.

Le secret médical n’a de valeur que par la discrétion du caractère nominatif des résultats. Dans ce cas précis, ce sont mes analyses, et il m’appartient de pouvoir rendre public les éléments de mon dossier si cela s’avère utile pour d’autres.

En aucun cas, le corps médical ne peut m’imposer ce silence, celui-ci s’appliquant à son exercice mais pas à moi et si je décide de partager ces informations, personne n’a le droit de me l’interdire.

Toute personne susceptible d’avoir été exposée est en droit de contester un refus de reconnaissance en maladie professionnelle et doit pouvoir accéder à son dossier médical pour faire valoir ses droits.

Quand les moyens légaux sont verrouillés, il existe d’autres moyens, notamment celui de la mobilisation pour faire pression.

C’est pourquoi je vous demande de relayer ce message massivement, pour que ce genre d’entrave ne soit plus la règle et qu’un maximum de personnes soient au courant de ce genre de pratique totalement illégale mais cautionnée par les autorités.

Patrice Girardier

Des travailleurs “persécutés“

Durant l’été plusieurs travailleurs du nucléaire ont subi des pressions de la part de leurs employeurs. Dans la Revue n°78, nous avions interviewé Gilles Reynaud, président de l’association Ma zone contrôlée et salarié d’Orano DS sur le site du Tricastin, pour comprendre l’impact de la sous-traitance dans l’industrie nucléaire. Quelques jours après notre entretien, Gilles a été sanctionné de cinq jours de mise à pied. Il avait témoigné en mai dernier sous serment devant la commission d’enquête parlementaire pour l’amélioration du niveau de sécurité et de sûreté des installations nucléaires, sur les conditions de travail des salariés de la sous-traitance  [3]. Il dénonce, depuis longtemps, le dumping social et l’industrie low-cost nuisible pour les salariés et pour la sécurité des installations. Aucune faute professionnelle ne lui est reprochée !

Quant à Yann Montiel, représentant de la section syndicale Sud énergie à la centrale de Cruas, il s’est vu convoqué à un conseil de discipline suite à un entretien avec un médecin du travail pendant lequel il a fait part de la souffrance provoquée par un management défaillant… Résultat du conseil de discipline : un mois de mise à pied. Les risques psycho-sociaux liés au management avaient déjà été soulevés par le CHSCT  [4] qui avait commandé une expertise. La direction ayant assigné le CHSCT en justice, cette étude n’a jamais été réalisée. On ne dérange pas une entreprise comme EDF sans en payer parfois le prix parfois fort !



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