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Sortir du nucléaire n°39



Eté 2008

Alternatives

Solar Grand Plan : un ambitieux projet pour les Etats-Unis

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°39 - Eté 2008

 Energies renouvelables
Article publié le : 1er août 2008


Des scientifiques américains estiment que le solaire pourrait satisfaire 70 % des besoins en électricité de leur pays d’ici à 2050....



L’Amérique a-t-elle d’ores et déjà les moyens technologiques de se passer du pétrole ? Oui, répondent sans détour trois scientifiques très respectés dans l’énergie solaire aux Etats-Unis (voir ci-dessous). Et ils veulent le prouver. Dans un long article paru en début d’année dans “Scientific American”, ils détaillent les contours d’un ambitieux projet baptisé “Solar Grand Plan”. Celui-ci consiste tout bonnement à couvrir de panneaux solaires plusieurs dizaines de kilomètres carrés de terres désertiques - et très ensoleillées - qui abondent dans les Etats du sud-ouest des Etats-Unis. Les auteurs assurent que, loin d’être une utopie, ce “grand plan” est réaliste technologiquement et supportable financièrement.

Baisser le coût de production
Techniquement, les fermes solaires sont déjà une réalité, partout dans le monde. Mais pour qu’elles deviennent la base de la production électrique, un progrès reste à faire : baisser le coût de production. Pour avoir une chance d’être adoptée, l’électricité d’origine solaire ne doit pas en effet coûter plus cher au consommateur que celle produite par les filières actuelles (centrales nucléaires, thermiques, etc.). Or, ce n’est pas le cas. Alors que le coût de revient moyen actuellement aux Etats-Unis est d’environ 6 cents par kilowattheure (kWh), celui de la technologie solaire est plus proche de 14 cents. Pour s’aligner sur ce coût, il est nécessaire d’améliorer la performance des panneaux solaires. Aujourd’hui, ceux-ci convertissent en énergie environ 10 % du rayonnement reçu. Il faudrait qu’ils atteignent un rendement de 14 %, soit, calculent nos auteurs, une amélioration des performances de seulement 10 % par an pendant une décennie.

Stockage sous forme de gaz comprimé
Produire aussi la nuit. Ce premier obstacle technologique levé en théorie, il en reste un autre à surmonter. Si l’énergie solaire est gratuite et abondante (40 minutes d’ensoleillement sur la Terre correspondent à l’ensemble de l’énergie consommée annuellement par la planète), elle n’est pas permanente. En cas de mauvais temps - rare dans le Sud-Ouest américain -, mais surtout la nuit. Il faut donc produire plus d’électricité que nécessaire le jour et la stocker afin d’en disposer pour la consommation nocturne. D’emblée, le grand plan rejette la solution des piles - trop chère et inefficace - au bénéfice du stockage sous forme de... gaz comprimé.

Le principe consiste à utiliser l’énergie solaire transformée en électricité pour comprimer du gaz qui sera conservé dans des abris naturels (mines abandonnées, gisements de gaz ou de pétrole épuisés), abondants dans le pays. Ce gaz est ensuite disponible à la demande, utilisé par des turbines qui génèrent de l’électricité à proximité des centres urbains, où cette demande est concentrée. Les auteurs assurent que la technologie de ce stockage est maîtrisée et que son coût n’est que de 3 à 4 cents du kilowattheure, qui s’ajoute bien sûr à celui de la production proprement dite. L’amélioration régulière des performances des cellules photovoltaïques devrait rendre le coût de ce système de production-stockage solaire identique à celui du système actuel aux alentours de 2020.
Le plan prévoit de couvrir progressivement jusqu’à 80 000 kilomètres carrés de fermes solaires, soit moins d’un quart des surfaces disponibles répondant aux critères de base (fort ensoleillement, terrains inhabités et appartenant à l’Etat). La production d’électricité générée par ces millions de panneaux serait envoyée via un réseau de distribution - à construire également - acheminant le courant vers des milliers de sites répartis sur tout le territoire des Etats-Unis. Ce sont ces sites qui distribueraient effectivement le courant au consommateur. La plupart abriteraient également les réserves de gaz comprimé et les turbines chargées de produire l’électricité pour les heures creuses.

Une volonté politique sans faille
S’il était lancé dès maintenant, ce plan monterait en puissance jusqu’en 2050. A cette date, il produirait 3 000 gigawatts, ce qui représenterait 70 % du besoin total en électricité des Etats-Unis. Les scientifiques précisent que si, d’ici là, on parvenait à rentabiliser les autres formes d’énergie renouvelable (biomasse, géothermie, etc.), on parviendrait à 100% des besoins électriques couverts avant la fin du siècle. Son coût serait de 420 milliards de dollars (inférieur au coût global de la guerre en Irak) sur quarante ans. Pour le financer, les auteurs imaginent un double mécanisme d’incitations fiscales - afin de stimuler les recherches et la production en série des technologies nécessaires - et de subventions aux industries concernées.

C’est là, peut-être, que réside la plus forte utopie du programme. Sa réalisation implique une volonté politique sans faille pour pouvoir imposer ces nouvelles taxes aux contribuables sur le long terme. La véritable difficulté sera donc de trouver des dirigeants politiques qui expliqueront que le coût de ce programme, malgré son ampleur, est inférieur à celui qui finance annuellement les subventions agricoles américaines depuis trente ans, ou même à celui du gouvernement américain en faveur des infrastructures de télécommunications, en place depuis deux décennies.
Au total, c’est bien la population américaine elle-même qu’il faudra convaincre que ces technologies sont viables et industrialisables. Mais, surtout, il faudra que l’opinion se rallie à l’idée de dépendre désormais des énergies renouvelables, y compris dans les moyens de transport routiers, individuels et collectifs, qui devront progressivement fonctionner aussi à l’électricité.

C’est donc bien le ralliement d’une société tout entière à la cause du développement durable qui constitue un préalable à la réussite d’un tel plan. De ce point de vue, l’espoir est permis. Et il viendra peut-être de Californie. Depuis peu, le “Golden State” dans son ensemble a pris fait et cause pour les énergies renouvelables. D’abord, à travers le financement de l’innovation technologique. Ensuite, à travers le tissu économique qui se convertit à des modèles de production compatibles avec le développement durable. Au niveau politique, le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, a construit depuis longtemps son action sur ces thèmes.

Localement, la Silicon Valley s’apprête à être la première région administrative aux Etats-Unis à instaurer une taxe sur le droit à polluer. Une initiative qui pourrait rapidement faire tache d’huile ensuite partout aux Etats-Unis. Si la Californie - et son opinion publique - se rallie sincèrement à cette nouvelle vision et parvient à “l’exporter” dans le reste des Etats-Unis, sous forme de nouveau modèle de société, comme elle s’y emploie déjà, tout est possible. Un soutien du prochain locataire de la Maison-Blanche à cette vision serait également le bienvenu.
Les promoteurs de Solar Grand Plan
- Ken Zweibel est un spécialiste des panneaux solaires au ministère américain de l’Energie (DOE). Il vient d’être nommé président d’une start-up du Colorado, PrimeStar Solar, qui conçoit des films minces pour panneaux solaires.
- James Mason, docteur de l’université Cornell, est directeur de la Solar Energy Campaign, une organisation à but non lucratif qui fait la promotion de l’utilisation d’énergies renouvelables dans l’Etat de New York.
- Vasilis Fthenakis est le directeur du Photovoltaic Environmental, Health and Safety Assistance Center au Brookhaven National Laboratory, qui dépend du DOE (Department of Energy). La mission de ce centre est de mener des recherches scientifiques pour mesurer l’impact environnemental lié au développement de l’énergie solaire.
Michel Ktitareff
Les Echos - 17 mars 2008 -

L’Amérique a-t-elle d’ores et déjà les moyens technologiques de se passer du pétrole ? Oui, répondent sans détour trois scientifiques très respectés dans l’énergie solaire aux Etats-Unis (voir ci-dessous). Et ils veulent le prouver. Dans un long article paru en début d’année dans “Scientific American”, ils détaillent les contours d’un ambitieux projet baptisé “Solar Grand Plan”. Celui-ci consiste tout bonnement à couvrir de panneaux solaires plusieurs dizaines de kilomètres carrés de terres désertiques - et très ensoleillées - qui abondent dans les Etats du sud-ouest des Etats-Unis. Les auteurs assurent que, loin d’être une utopie, ce “grand plan” est réaliste technologiquement et supportable financièrement.

Baisser le coût de production
Techniquement, les fermes solaires sont déjà une réalité, partout dans le monde. Mais pour qu’elles deviennent la base de la production électrique, un progrès reste à faire : baisser le coût de production. Pour avoir une chance d’être adoptée, l’électricité d’origine solaire ne doit pas en effet coûter plus cher au consommateur que celle produite par les filières actuelles (centrales nucléaires, thermiques, etc.). Or, ce n’est pas le cas. Alors que le coût de revient moyen actuellement aux Etats-Unis est d’environ 6 cents par kilowattheure (kWh), celui de la technologie solaire est plus proche de 14 cents. Pour s’aligner sur ce coût, il est nécessaire d’améliorer la performance des panneaux solaires. Aujourd’hui, ceux-ci convertissent en énergie environ 10 % du rayonnement reçu. Il faudrait qu’ils atteignent un rendement de 14 %, soit, calculent nos auteurs, une amélioration des performances de seulement 10 % par an pendant une décennie.

Stockage sous forme de gaz comprimé
Produire aussi la nuit. Ce premier obstacle technologique levé en théorie, il en reste un autre à surmonter. Si l’énergie solaire est gratuite et abondante (40 minutes d’ensoleillement sur la Terre correspondent à l’ensemble de l’énergie consommée annuellement par la planète), elle n’est pas permanente. En cas de mauvais temps - rare dans le Sud-Ouest américain -, mais surtout la nuit. Il faut donc produire plus d’électricité que nécessaire le jour et la stocker afin d’en disposer pour la consommation nocturne. D’emblée, le grand plan rejette la solution des piles - trop chère et inefficace - au bénéfice du stockage sous forme de... gaz comprimé.

Le principe consiste à utiliser l’énergie solaire transformée en électricité pour comprimer du gaz qui sera conservé dans des abris naturels (mines abandonnées, gisements de gaz ou de pétrole épuisés), abondants dans le pays. Ce gaz est ensuite disponible à la demande, utilisé par des turbines qui génèrent de l’électricité à proximité des centres urbains, où cette demande est concentrée. Les auteurs assurent que la technologie de ce stockage est maîtrisée et que son coût n’est que de 3 à 4 cents du kilowattheure, qui s’ajoute bien sûr à celui de la production proprement dite. L’amélioration régulière des performances des cellules photovoltaïques devrait rendre le coût de ce système de production-stockage solaire identique à celui du système actuel aux alentours de 2020.
Le plan prévoit de couvrir progressivement jusqu’à 80 000 kilomètres carrés de fermes solaires, soit moins d’un quart des surfaces disponibles répondant aux critères de base (fort ensoleillement, terrains inhabités et appartenant à l’Etat). La production d’électricité générée par ces millions de panneaux serait envoyée via un réseau de distribution - à construire également - acheminant le courant vers des milliers de sites répartis sur tout le territoire des Etats-Unis. Ce sont ces sites qui distribueraient effectivement le courant au consommateur. La plupart abriteraient également les réserves de gaz comprimé et les turbines chargées de produire l’électricité pour les heures creuses.

Une volonté politique sans faille
S’il était lancé dès maintenant, ce plan monterait en puissance jusqu’en 2050. A cette date, il produirait 3 000 gigawatts, ce qui représenterait 70 % du besoin total en électricité des Etats-Unis. Les scientifiques précisent que si, d’ici là, on parvenait à rentabiliser les autres formes d’énergie renouvelable (biomasse, géothermie, etc.), on parviendrait à 100% des besoins électriques couverts avant la fin du siècle. Son coût serait de 420 milliards de dollars (inférieur au coût global de la guerre en Irak) sur quarante ans. Pour le financer, les auteurs imaginent un double mécanisme d’incitations fiscales - afin de stimuler les recherches et la production en série des technologies nécessaires - et de subventions aux industries concernées.

C’est là, peut-être, que réside la plus forte utopie du programme. Sa réalisation implique une volonté politique sans faille pour pouvoir imposer ces nouvelles taxes aux contribuables sur le long terme. La véritable difficulté sera donc de trouver des dirigeants politiques qui expliqueront que le coût de ce programme, malgré son ampleur, est inférieur à celui qui finance annuellement les subventions agricoles américaines depuis trente ans, ou même à celui du gouvernement américain en faveur des infrastructures de télécommunications, en place depuis deux décennies.
Au total, c’est bien la population américaine elle-même qu’il faudra convaincre que ces technologies sont viables et industrialisables. Mais, surtout, il faudra que l’opinion se rallie à l’idée de dépendre désormais des énergies renouvelables, y compris dans les moyens de transport routiers, individuels et collectifs, qui devront progressivement fonctionner aussi à l’électricité.

C’est donc bien le ralliement d’une société tout entière à la cause du développement durable qui constitue un préalable à la réussite d’un tel plan. De ce point de vue, l’espoir est permis. Et il viendra peut-être de Californie. Depuis peu, le “Golden State” dans son ensemble a pris fait et cause pour les énergies renouvelables. D’abord, à travers le financement de l’innovation technologique. Ensuite, à travers le tissu économique qui se convertit à des modèles de production compatibles avec le développement durable. Au niveau politique, le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, a construit depuis longtemps son action sur ces thèmes.

Localement, la Silicon Valley s’apprête à être la première région administrative aux Etats-Unis à instaurer une taxe sur le droit à polluer. Une initiative qui pourrait rapidement faire tache d’huile ensuite partout aux Etats-Unis. Si la Californie - et son opinion publique - se rallie sincèrement à cette nouvelle vision et parvient à “l’exporter” dans le reste des Etats-Unis, sous forme de nouveau modèle de société, comme elle s’y emploie déjà, tout est possible. Un soutien du prochain locataire de la Maison-Blanche à cette vision serait également le bienvenu.
Les promoteurs de Solar Grand Plan
- Ken Zweibel est un spécialiste des panneaux solaires au ministère américain de l’Energie (DOE). Il vient d’être nommé président d’une start-up du Colorado, PrimeStar Solar, qui conçoit des films minces pour panneaux solaires.
- James Mason, docteur de l’université Cornell, est directeur de la Solar Energy Campaign, une organisation à but non lucratif qui fait la promotion de l’utilisation d’énergies renouvelables dans l’Etat de New York.
- Vasilis Fthenakis est le directeur du Photovoltaic Environmental, Health and Safety Assistance Center au Brookhaven National Laboratory, qui dépend du DOE (Department of Energy). La mission de ce centre est de mener des recherches scientifiques pour mesurer l’impact environnemental lié au développement de l’énergie solaire.
Michel Ktitareff
Les Echos - 17 mars 2008 -



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