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Sortir du nucléaire n°56



Hiver 2012-2013

Alternatives

Récupérer la chaleur... des eaux usées !

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°56 - Hiver 2012-2013

 Energies renouvelables


Des millions de kilowattheures d’énergie thermique s’évadent chaque année dans la nature par les canalisations d’eaux usées et tièdes. Il est pourtant possible d’en récupérer une partie pour chauffer des bâtiments. Une pratique écologiquement très bénéfique, presque inconnue en France, mais pour laquelle les Suisses ont acquis une expérience de plus de trente ans.



Y avez-vous songé ? La plus calfeutrée des maisons passives laisse filer dans la nature des dizaines de kilowattheures par mois. Cette incontinence calorique mal connue a pour source les quelque 500 à 600 litres d’eaux usées quotidiennement consommés par une famille moyenne puis évacués par les canalisations à une température dépassant parfois 50°C - par le lavabo de la salle de bains, la cuvette des toilettes, l’évier de la cuisine, le bac de la douche, l’évacuation du lave-linge ou du lave-vaisselle.

Un énorme gisement inexploité

Mesurée au niveau de la conduite du collecteur des eaux grises (les égouts), la température de ce flot énergétique oscille entre 10 et 20°C selon les saisons. Les Suisses, qui furent parmi les premiers à s’en émouvoir, en ont mesuré le potentiel : habitations, bureaux, artisanat et industries rejettent plus de deux milliards de litres d’eau tiède dans le réseau d’assainissement fédéral, dont il serait possible, théoriquement, de récupérer plus de deux millions de mégawattheures d’énergie thermique par an. De quoi couvrir les besoins en eau chaude de près de un million de personnes !

Cet énorme gisement, généralement insoupçonné, est presque inexploité dans la plupart des pays. À Bâle et dans sa région, pourtant, les premières expériences de récupération de la chaleur des eaux usées datent de 1982. Les vestiaires et les douches d’un complexe sportif, un lotissement à Zwingen ou un réseau de chaleur à Binningen sont ainsi chauffés depuis trente ans. Des dizaines de communes, particulièrement au nord de ce pays pionnier, ont fait évaluer le potentiel de cette ressource locale insolite - qu’il s’agisse des eaux de canalisations d’évacuation ou bien de stations d’épuration -, avant de s’équiper de systèmes de récupération.

Comment ça marche ?

Le principe est assez banal : le long du trajet des eaux usées est disposé un échangeur de chaleur, dans lequel circule un fluide caloporteur (de l’eau glycolée, par exemple). Les calories qui lui sont communiquées sont rapatriées vers une pompe à chaleur qui peut porter jusqu’à 65°C la température du fluide d’un système de distribution de chaleur : réseau urbain, émetteurs d’un immeuble, etc. On peut lui adjoindre une chaudière d’appoint par souci de sécurité ou s’il est nécessaire d’obtenir de l’eau à des températures plus élevées, comme c’est le cas pour un processus industriel. L’échangeur, qui ne doit pas perturber le flux de la conduite d’évacuation, est souvent un simple demi-cylindre qui peut faire plusieurs dizaines de mètres de longueur, dont on n’exige pas de grandes performances. Il n’élève parfois la température du fluide caloporteur que de 1 à 2 degrés, mais c’est suffisant pour conférer un réel intérêt énergétique et économique à ce type d’équipement.

Combien ça coûte ?

Pour séduisante qu’elle soit, la pêche aux calories d’égout n’est cependant pas une solution universelle. Certes, une part de l’énergie est gratuite et le coefficient de rendement (COP)1 de la pompe à chaleur dépasse classiquement une valeur de 4. De plus, il n’y a pas besoin de forer (jusqu’à 80 mètres) comme avec les pompes à chaleur "géothermiques" la source de calories, stable, circule sous le bitume voire à l’air libre dans le cas des stations d’épuration. Les investissements sont plus lourds qu’avec un chauffage à énergies fossiles, mais les coûts d’exploitation nettement plus faibles : la consommation d’une pompe à chaleur performante pendant une saison de chauffe ! Les Suisses, qui ont fait le tour de la question, ont établi les principaux critères de rentabilité de la récupération de chaleur des eaux usées : la puissance du système de chauffage doit atteindre au moins 150 kilowatts. Un chiffre qui le rend pertinent pour les unités d’habitation (lotissements, immeubles...), les bâtiments publics, les édifices de bureaux, les équipements collectifs (écoles, centres sportifs...), etc. Il est également nécessaire que la canalisation d’égout ou la station d’épuration ne soit pas distante de plus de 300 mètres du lieu de consommation de la chaleur, et que le débit de l’eau y atteigne au moins 15 litres à la seconde. La solution est d’autant plus intéressante que l’urbanisation est dense et que les eaux usées sont chaudes (au moins 10°C en hiver)2. Ces conditions peu draconiennes sont remplies dans de nombreux sites en agglomération.

Bilan positif sur toute la ligne

Le bilan climatique est sans appel : une étude des services des bâtiments du canton de Zurich montre que, dans une configuration relativement favorable, les émissions de CO2 peuvent être divisées par cinq dans le cas du remplacement d’une chaudière à mazout. C’est notamment le cas si le système prévoit une utilisation réversible en mode rafraîchissement : les eaux usées, dont la température reste inférieure à celle de l’air ambiant en été, servent alors de source froide à la pompe à chaleur. Un hôtel et un bâtiment de bureaux du centre-ville de Lucerne s’enorgueillissent ainsi d’économiser 40000 litres de mazout par an, alors que l’échangeur se contente d’extraire un petit degré de température des eaux grises de la canalisation qui circule à proximité3.

Et chez nous ?

La France commence aussi à s’intéresser à cette mine de chaleur. Le bureau d’études Enertech4 et le Centre d’énergétique de l’école des Mines de Paris dimensionnent pour un hôtel lyonnais un récupérateur placé sur les évacuations des lavabos, douches et baignoires. Une visite en Suisse a convaincu les édiles de Nanterre (92) de se lancer dans la première installation d’envergure du pays, au bénéfice de l’éco-quartier de Boule-Sainte-Geneviève, né de la réhabilitation de 5 hectares d’un ancien site industriel très pollué. Les 650 logements de l’opération sont chauffés et approvisionnés en eau chaude sanitaire à 39 % grâce à une pompe à chaleur de 800 kilowatts de puissance, qui puise ses calories dans le réseau d’assainissement. Ce procédé "Degrés bleus" de la Lyonnaise des eaux est déjà opérationnel dans une demi-douzaine de bâtiments en France.

Et la maison passive, si performante pour l’extraction de la chaleur de l’air vicié intérieur grâce à son système de ventilation double flux ? Il n’est hélas pas économiquement rentable d’installer un récupérateur complet sur l’évacuation de ses eaux usées. Les propriétaires pourront en revanche s’équiper d’un petit échangeur de chaleur domestique inséré sur la canalisation, dont il existe quelques modèles sur le marché (ThermoCycle WRG, Thermo drain, Power Pipe, etc.). Il s’agit d’un tube en cuivre dans lequel coule l’eau tiède usée, entouré d’un serpentin où de l’eau à température ambiante circule pour s’y réchauffer avant d’alimenter un ballon de stockage. Les promoteurs de l’objet assurent que l’économie peut s’élever à 40 % de la facture...

Patrick Piro

Source : article publié sous le titre "Pompes à chaleur sur les eaux usées", dans la revue ÉcologiK n°22 www.avivre.net

Notes :
1 : Rapport entre l’énergie thermique fournie et l’énergie électrique consommée par la pompe pour l’extraire du fluide (4 pour 1 avec un COP de 4).

2 : "Chauffer et rafraîchir grâce aux eaux usées", Suisse énergie, www.infrastructures.ch

3 : Energeia, n°4 (7/2010), bulletin de l’Office fédéral de l’énergie suisse.

4 : Ce BET d’ingénierie énergétique met à disposition de nombreux documents et outils, www.enertech.fr

Y avez-vous songé ? La plus calfeutrée des maisons passives laisse filer dans la nature des dizaines de kilowattheures par mois. Cette incontinence calorique mal connue a pour source les quelque 500 à 600 litres d’eaux usées quotidiennement consommés par une famille moyenne puis évacués par les canalisations à une température dépassant parfois 50°C - par le lavabo de la salle de bains, la cuvette des toilettes, l’évier de la cuisine, le bac de la douche, l’évacuation du lave-linge ou du lave-vaisselle.

Un énorme gisement inexploité

Mesurée au niveau de la conduite du collecteur des eaux grises (les égouts), la température de ce flot énergétique oscille entre 10 et 20°C selon les saisons. Les Suisses, qui furent parmi les premiers à s’en émouvoir, en ont mesuré le potentiel : habitations, bureaux, artisanat et industries rejettent plus de deux milliards de litres d’eau tiède dans le réseau d’assainissement fédéral, dont il serait possible, théoriquement, de récupérer plus de deux millions de mégawattheures d’énergie thermique par an. De quoi couvrir les besoins en eau chaude de près de un million de personnes !

Cet énorme gisement, généralement insoupçonné, est presque inexploité dans la plupart des pays. À Bâle et dans sa région, pourtant, les premières expériences de récupération de la chaleur des eaux usées datent de 1982. Les vestiaires et les douches d’un complexe sportif, un lotissement à Zwingen ou un réseau de chaleur à Binningen sont ainsi chauffés depuis trente ans. Des dizaines de communes, particulièrement au nord de ce pays pionnier, ont fait évaluer le potentiel de cette ressource locale insolite - qu’il s’agisse des eaux de canalisations d’évacuation ou bien de stations d’épuration -, avant de s’équiper de systèmes de récupération.

Comment ça marche ?

Le principe est assez banal : le long du trajet des eaux usées est disposé un échangeur de chaleur, dans lequel circule un fluide caloporteur (de l’eau glycolée, par exemple). Les calories qui lui sont communiquées sont rapatriées vers une pompe à chaleur qui peut porter jusqu’à 65°C la température du fluide d’un système de distribution de chaleur : réseau urbain, émetteurs d’un immeuble, etc. On peut lui adjoindre une chaudière d’appoint par souci de sécurité ou s’il est nécessaire d’obtenir de l’eau à des températures plus élevées, comme c’est le cas pour un processus industriel. L’échangeur, qui ne doit pas perturber le flux de la conduite d’évacuation, est souvent un simple demi-cylindre qui peut faire plusieurs dizaines de mètres de longueur, dont on n’exige pas de grandes performances. Il n’élève parfois la température du fluide caloporteur que de 1 à 2 degrés, mais c’est suffisant pour conférer un réel intérêt énergétique et économique à ce type d’équipement.

Combien ça coûte ?

Pour séduisante qu’elle soit, la pêche aux calories d’égout n’est cependant pas une solution universelle. Certes, une part de l’énergie est gratuite et le coefficient de rendement (COP)1 de la pompe à chaleur dépasse classiquement une valeur de 4. De plus, il n’y a pas besoin de forer (jusqu’à 80 mètres) comme avec les pompes à chaleur "géothermiques" la source de calories, stable, circule sous le bitume voire à l’air libre dans le cas des stations d’épuration. Les investissements sont plus lourds qu’avec un chauffage à énergies fossiles, mais les coûts d’exploitation nettement plus faibles : la consommation d’une pompe à chaleur performante pendant une saison de chauffe ! Les Suisses, qui ont fait le tour de la question, ont établi les principaux critères de rentabilité de la récupération de chaleur des eaux usées : la puissance du système de chauffage doit atteindre au moins 150 kilowatts. Un chiffre qui le rend pertinent pour les unités d’habitation (lotissements, immeubles...), les bâtiments publics, les édifices de bureaux, les équipements collectifs (écoles, centres sportifs...), etc. Il est également nécessaire que la canalisation d’égout ou la station d’épuration ne soit pas distante de plus de 300 mètres du lieu de consommation de la chaleur, et que le débit de l’eau y atteigne au moins 15 litres à la seconde. La solution est d’autant plus intéressante que l’urbanisation est dense et que les eaux usées sont chaudes (au moins 10°C en hiver)2. Ces conditions peu draconiennes sont remplies dans de nombreux sites en agglomération.

Bilan positif sur toute la ligne

Le bilan climatique est sans appel : une étude des services des bâtiments du canton de Zurich montre que, dans une configuration relativement favorable, les émissions de CO2 peuvent être divisées par cinq dans le cas du remplacement d’une chaudière à mazout. C’est notamment le cas si le système prévoit une utilisation réversible en mode rafraîchissement : les eaux usées, dont la température reste inférieure à celle de l’air ambiant en été, servent alors de source froide à la pompe à chaleur. Un hôtel et un bâtiment de bureaux du centre-ville de Lucerne s’enorgueillissent ainsi d’économiser 40000 litres de mazout par an, alors que l’échangeur se contente d’extraire un petit degré de température des eaux grises de la canalisation qui circule à proximité3.

Et chez nous ?

La France commence aussi à s’intéresser à cette mine de chaleur. Le bureau d’études Enertech4 et le Centre d’énergétique de l’école des Mines de Paris dimensionnent pour un hôtel lyonnais un récupérateur placé sur les évacuations des lavabos, douches et baignoires. Une visite en Suisse a convaincu les édiles de Nanterre (92) de se lancer dans la première installation d’envergure du pays, au bénéfice de l’éco-quartier de Boule-Sainte-Geneviève, né de la réhabilitation de 5 hectares d’un ancien site industriel très pollué. Les 650 logements de l’opération sont chauffés et approvisionnés en eau chaude sanitaire à 39 % grâce à une pompe à chaleur de 800 kilowatts de puissance, qui puise ses calories dans le réseau d’assainissement. Ce procédé "Degrés bleus" de la Lyonnaise des eaux est déjà opérationnel dans une demi-douzaine de bâtiments en France.

Et la maison passive, si performante pour l’extraction de la chaleur de l’air vicié intérieur grâce à son système de ventilation double flux ? Il n’est hélas pas économiquement rentable d’installer un récupérateur complet sur l’évacuation de ses eaux usées. Les propriétaires pourront en revanche s’équiper d’un petit échangeur de chaleur domestique inséré sur la canalisation, dont il existe quelques modèles sur le marché (ThermoCycle WRG, Thermo drain, Power Pipe, etc.). Il s’agit d’un tube en cuivre dans lequel coule l’eau tiède usée, entouré d’un serpentin où de l’eau à température ambiante circule pour s’y réchauffer avant d’alimenter un ballon de stockage. Les promoteurs de l’objet assurent que l’économie peut s’élever à 40 % de la facture...

Patrick Piro

Source : article publié sous le titre "Pompes à chaleur sur les eaux usées", dans la revue ÉcologiK n°22 www.avivre.net

Notes :
1 : Rapport entre l’énergie thermique fournie et l’énergie électrique consommée par la pompe pour l’extraire du fluide (4 pour 1 avec un COP de 4).

2 : "Chauffer et rafraîchir grâce aux eaux usées", Suisse énergie, www.infrastructures.ch

3 : Energeia, n°4 (7/2010), bulletin de l’Office fédéral de l’énergie suisse.

4 : Ce BET d’ingénierie énergétique met à disposition de nombreux documents et outils, www.enertech.fr



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