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Sortir du nucléaire n°67



Novembre 2015

Nucléaire vs climat

Réchauffement climatique et guerre nucléaire : quels risques ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°67 - Novembre 2015

 Nucléaire et climat  Nucléaire militaire


De manière intuitive, nous nous doutons bien que les armes nucléaires ne font pas bon ménage avec le climat... Et le dérèglement climatique ne crée pas seulement des motifs supplémentaires de conflit violent, mais aussi de nouvelles formes de guerre. La politique de dissuasion nucléaire pourrait bien ainsi nous conduire à la catastrophe.




"...les fruits de la victoire n’auraient dans notre bouche qu’un goût de cendres" JF Kennedy, Président des États- Unis, discours du 22 octobre 1962

Les guerres "propres", ça n’existe pas. La guerre et sa préparation ont un fort impact sur l’environne- ment (confiscation de ressources énergétiques, gaspillage financier, terrains stérilisés, zones entièrement dévastées, etc.). Déjà, les plus de 2000 explosions nucléaires — réalisées dans l’atmosphère ou souterraines pour le développement de l’arsenal nucléaire mondial — ont dispersé des quantités importantes de radioactivité et impacté l’environnement et la santé des populations. Lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement qui s’est déroulée à Rio en juin 1992, la déclaration finale reconnais- sait que "la guerre exerce une action intrinsèque- ment destructrice sur le développement durable" [1]. Il y a fort à parier que la déclaration finale du sommet qui va se dérouler à Paris en décembre 2015, inclura une formule similaire, et qui restera sans conséquences pratiques.

"La violence étant toujours [souligné par l’auteur] une option de l’action humaine, il est inévitable que des solutions violentes soient trouvées aussi à des problèmes dus aux changement de l’environnement", analyse Harald Welzer, directeur de recherche en psychologie sociale dans Les guerres du climat [2]. D’autant que "les conséquences du changement climatique sont injustement réparties, parce que ceux qui en sont les principaux responsables en subissent, pour autant qu’on puisse pré- voir, le moins de dommages [...]"

Renforcement de la prolifération nucléaire

Le réchauffement climatique risque ainsi d’avoir une double conséquence vis-à-vis du nucléaire. D’une part, un certain nombre d’États risquent de vouloir construire des centrales nucléaires pour notamment réduire leur dépendance au pétrole, entraînant de fait une prolifération nucléaire compte tenu de la dualité civilo-militaire de l’atome... Cette augmentation du nombre de centrales renforce à la fois le nombre de cibles pour des attentats et la circulation de matières radioactives propices à la fabrication de "bombes sales"... D’autre part, "plus les tensions internationales sont fortes, plus l’arme nucléaire risque d’être employée" par un des neuf États dotés, y compris la France. Ce qui d’ailleurs "inverse l’argument des puissances nucléaires consistant à dire qu’ils élimineront leurs armes lorsque la paix sera généralisée", souligne le collectif Armes nucléaires Stop, invitant les participants à la conférence COP21 à "évoquer les liens entre ces deux menaces" du réchauffement climatique et des armes nucléaires.

Certes, au dire de ses promoteurs, la stratégie de dissuasion nucléaire est censée garantir la paix et la stabilité internationale. Reste que pour rendre cette menace crédible, il faut maintenir un système en état d’alerte permanent. Le risque d’erreur d’interprétation est loin d’être nul et peut conduire à un déclenchement par méprise ou par accident... Il faut également rappeler que la stratégie française n’exclut pas en cas d’échec de la dissuasion et donc d’atteinte aux intérêts vitaux — parmi lesquels figurent, par exemple, "nos approvisionnements stratégiques" comme l’avait indiqué Jacques Chirac alors président de la République — d’effectuer un tir "d’ultime avertissement"...

Mais pour les parlementaires, le risque se situe ailleurs. Dans un rapport publié en 2012 sur L’impact du changement climatique en matière de sécurité et de défense, deux députés de la commission des affaires européennes — M.Schneider (Les Républicains) et M. Tourtelier (Parti socialiste) —, manifestent au contraire leur inquiétude sur le fait que "le changement climatique et ses effets, pourraient peser, indirectement, dans les débats de fond qui se présenteront lors des choix futurs de renouvellement des composantes de la dissuasion" [3]. En clair, une trop forte contrainte pèserait sur le budget de la défense contraignant le gouvernement à renoncer à ses armes nucléaires !

L’hiver nucléaire ?

Bien évidemment, si des armes nucléaires étaient utilisées, même en nombre très limité, cela aurait de graves conséquences climatiques. Impliquant l’équivalent de 100 bombes de Hiroshima, un conflit nucléaire "limité" entre Inde et Pakistan mobiliserait moins de 0,03 % des arsenaux nucléaires mondiaux. Mais ses conséquences seraient cataclysmiques. Le climatologue Alan Robock en a simulé en détail les conséquences. Ce choix n’est pas dû au hasard : depuis la partition du Pakistan les tensions ont toujours été vives entre les deux pays ; de plus leur approvisionnement en eau potable dépend en partie des glaciers himalayens menacés par le réchauffement climatique, et le Pakistan se trouve déjà au bord de la pénurie d’eau. Les ingrédients d’un cocktail explosif sont réunis.

Relâchées jusque dans la haute atmosphère par les incendies déclenchés par les bombes, d’énormes quantités de poussières provoqueraient pendant plusieurs années un refroidissement moyen de - 1,25°C à l’échelle globale, pouvant atteindre -3 à - 5°C au-dessus des principales zones céréalières (États-Unis, Eurasie, Chine). L’impact négatif sur les récoltes pourrait exposer 2 milliards de personnes à la famine, d’après les estimations des médecins de l’association IPPNW. "Le souffle, les incendies et la radioactivité tueraient des millions de personnes [...] mais c’est la fumée des incendies qui auraient l’impact le plus important", constate Alan Robock. [4]

Des crises qui dégénèrent en conflit nucléaire ?

Le dérèglement climatique va agir comme un "multiplicateur de menaces" [5] entraînant des conflits soit directs pour des causes liées à la dégradation de l’environnement, soit indirects car le réchauffement climatique aggrave les inégalités globales et provoque migrations, troubles, conflits frontaliers... Déjà l’analyse de certains conflits permet d’en comprendre le mécanisme. L’hiver 2010-2011 a vu une sécheresse en Chine qui a entraîné un doublement du prix du blé avec comme conséquence un triplement du prix du pain en Égypte et un tel mécontentement contre le président Moubarak qu’un "printemps arabe" s’est enclenché. Bien évidemment le climat n’est pas le seul paramètre en cause, mais il est "la goutte qui fait déborder le vase". Un exemple typique.

Nous vivons actuellement des vagues de réfugiés "politiques" qui ne sont pas complètement indépendantes du dérèglement climatique. La sécheresse en Syrie de 2006 à 2011 a obligé de nombreux paysans à abandonner leur terres et aller en ville, participant à créer le terreau de l’État islamique et contribuant à la déstabilisation de la région.

Les réfugiés climatiques actuels restent pour la plupart dans leur pays, fuyant les régions inondées ou désertiques, mais viendra un temps où ils deviendront des réfugiés politiques du fait des crises locales ou régionales engendrées. Ce qui commence à se produire. Des crises sociales majeures, des États dotés d’armes nucléaires sont des ingrédients d’un conflit pouvant notamment dégénérer en conflit mondial. Les responsables politiques et militaires français voient le réchauffe- ment climatique uniquement comme une contrainte supplémentaire venant impacter les capacités opérationnelles des forces militaires face à laquelle il faut se préparer. Or le nucléaire met le monde dans un état de dangerosité extrême avec le réchauffement climatique déjà inévitable. Éliminer le nucléaire — civil et militaire — est une urgence que devrait prendre en compte la COP21.

Patrice Bouveret
Observatoire des armements
Dominique Lalanne
Armes nucléaires STOP

À voir : Animation de la dispersion de la fumée due à une guerre nucléaire entre Inde et Pakistan : www.nucleardarkness.org/warconsequences/fivemilliontonsofsmoke/


Notes

[1Texte complet de la déclaration disponible sur : www.un.org/ french/events/rio92/rio-fp.htm

[2Un magistral essai publié en 2008 en Allemagne et traduit en 2009 dans la collection Folio actuel, p. 18.

[3"L’arme nucléaire et le climat", Armes nucléaires STOP n° 250, juillet 2015. Cf. www.armesnucleairesstop.org

[4Une présentation du scénario d’Alan Robock a été publiée dans "Science et guerre", hors-série de Sciences et Avenir, n° 182, juillet/août 2015, pp. 62-63. L’étude est disponible sur son site : https://www.envsci.rutgers.edu/robock

[5Cf. "Aux origines climatiques des conflits", Agnès Sinaï, Le Monde diplomatique, août 2015, p. 2.


"...les fruits de la victoire n’auraient dans notre bouche qu’un goût de cendres" JF Kennedy, Président des États- Unis, discours du 22 octobre 1962

Les guerres "propres", ça n’existe pas. La guerre et sa préparation ont un fort impact sur l’environne- ment (confiscation de ressources énergétiques, gaspillage financier, terrains stérilisés, zones entièrement dévastées, etc.). Déjà, les plus de 2000 explosions nucléaires — réalisées dans l’atmosphère ou souterraines pour le développement de l’arsenal nucléaire mondial — ont dispersé des quantités importantes de radioactivité et impacté l’environnement et la santé des populations. Lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement qui s’est déroulée à Rio en juin 1992, la déclaration finale reconnais- sait que "la guerre exerce une action intrinsèque- ment destructrice sur le développement durable" [1]. Il y a fort à parier que la déclaration finale du sommet qui va se dérouler à Paris en décembre 2015, inclura une formule similaire, et qui restera sans conséquences pratiques.

"La violence étant toujours [souligné par l’auteur] une option de l’action humaine, il est inévitable que des solutions violentes soient trouvées aussi à des problèmes dus aux changement de l’environnement", analyse Harald Welzer, directeur de recherche en psychologie sociale dans Les guerres du climat [2]. D’autant que "les conséquences du changement climatique sont injustement réparties, parce que ceux qui en sont les principaux responsables en subissent, pour autant qu’on puisse pré- voir, le moins de dommages [...]"

Renforcement de la prolifération nucléaire

Le réchauffement climatique risque ainsi d’avoir une double conséquence vis-à-vis du nucléaire. D’une part, un certain nombre d’États risquent de vouloir construire des centrales nucléaires pour notamment réduire leur dépendance au pétrole, entraînant de fait une prolifération nucléaire compte tenu de la dualité civilo-militaire de l’atome... Cette augmentation du nombre de centrales renforce à la fois le nombre de cibles pour des attentats et la circulation de matières radioactives propices à la fabrication de "bombes sales"... D’autre part, "plus les tensions internationales sont fortes, plus l’arme nucléaire risque d’être employée" par un des neuf États dotés, y compris la France. Ce qui d’ailleurs "inverse l’argument des puissances nucléaires consistant à dire qu’ils élimineront leurs armes lorsque la paix sera généralisée", souligne le collectif Armes nucléaires Stop, invitant les participants à la conférence COP21 à "évoquer les liens entre ces deux menaces" du réchauffement climatique et des armes nucléaires.

Certes, au dire de ses promoteurs, la stratégie de dissuasion nucléaire est censée garantir la paix et la stabilité internationale. Reste que pour rendre cette menace crédible, il faut maintenir un système en état d’alerte permanent. Le risque d’erreur d’interprétation est loin d’être nul et peut conduire à un déclenchement par méprise ou par accident... Il faut également rappeler que la stratégie française n’exclut pas en cas d’échec de la dissuasion et donc d’atteinte aux intérêts vitaux — parmi lesquels figurent, par exemple, "nos approvisionnements stratégiques" comme l’avait indiqué Jacques Chirac alors président de la République — d’effectuer un tir "d’ultime avertissement"...

Mais pour les parlementaires, le risque se situe ailleurs. Dans un rapport publié en 2012 sur L’impact du changement climatique en matière de sécurité et de défense, deux députés de la commission des affaires européennes — M.Schneider (Les Républicains) et M. Tourtelier (Parti socialiste) —, manifestent au contraire leur inquiétude sur le fait que "le changement climatique et ses effets, pourraient peser, indirectement, dans les débats de fond qui se présenteront lors des choix futurs de renouvellement des composantes de la dissuasion" [3]. En clair, une trop forte contrainte pèserait sur le budget de la défense contraignant le gouvernement à renoncer à ses armes nucléaires !

L’hiver nucléaire ?

Bien évidemment, si des armes nucléaires étaient utilisées, même en nombre très limité, cela aurait de graves conséquences climatiques. Impliquant l’équivalent de 100 bombes de Hiroshima, un conflit nucléaire "limité" entre Inde et Pakistan mobiliserait moins de 0,03 % des arsenaux nucléaires mondiaux. Mais ses conséquences seraient cataclysmiques. Le climatologue Alan Robock en a simulé en détail les conséquences. Ce choix n’est pas dû au hasard : depuis la partition du Pakistan les tensions ont toujours été vives entre les deux pays ; de plus leur approvisionnement en eau potable dépend en partie des glaciers himalayens menacés par le réchauffement climatique, et le Pakistan se trouve déjà au bord de la pénurie d’eau. Les ingrédients d’un cocktail explosif sont réunis.

Relâchées jusque dans la haute atmosphère par les incendies déclenchés par les bombes, d’énormes quantités de poussières provoqueraient pendant plusieurs années un refroidissement moyen de - 1,25°C à l’échelle globale, pouvant atteindre -3 à - 5°C au-dessus des principales zones céréalières (États-Unis, Eurasie, Chine). L’impact négatif sur les récoltes pourrait exposer 2 milliards de personnes à la famine, d’après les estimations des médecins de l’association IPPNW. "Le souffle, les incendies et la radioactivité tueraient des millions de personnes [...] mais c’est la fumée des incendies qui auraient l’impact le plus important", constate Alan Robock. [4]

Des crises qui dégénèrent en conflit nucléaire ?

Le dérèglement climatique va agir comme un "multiplicateur de menaces" [5] entraînant des conflits soit directs pour des causes liées à la dégradation de l’environnement, soit indirects car le réchauffement climatique aggrave les inégalités globales et provoque migrations, troubles, conflits frontaliers... Déjà l’analyse de certains conflits permet d’en comprendre le mécanisme. L’hiver 2010-2011 a vu une sécheresse en Chine qui a entraîné un doublement du prix du blé avec comme conséquence un triplement du prix du pain en Égypte et un tel mécontentement contre le président Moubarak qu’un "printemps arabe" s’est enclenché. Bien évidemment le climat n’est pas le seul paramètre en cause, mais il est "la goutte qui fait déborder le vase". Un exemple typique.

Nous vivons actuellement des vagues de réfugiés "politiques" qui ne sont pas complètement indépendantes du dérèglement climatique. La sécheresse en Syrie de 2006 à 2011 a obligé de nombreux paysans à abandonner leur terres et aller en ville, participant à créer le terreau de l’État islamique et contribuant à la déstabilisation de la région.

Les réfugiés climatiques actuels restent pour la plupart dans leur pays, fuyant les régions inondées ou désertiques, mais viendra un temps où ils deviendront des réfugiés politiques du fait des crises locales ou régionales engendrées. Ce qui commence à se produire. Des crises sociales majeures, des États dotés d’armes nucléaires sont des ingrédients d’un conflit pouvant notamment dégénérer en conflit mondial. Les responsables politiques et militaires français voient le réchauffe- ment climatique uniquement comme une contrainte supplémentaire venant impacter les capacités opérationnelles des forces militaires face à laquelle il faut se préparer. Or le nucléaire met le monde dans un état de dangerosité extrême avec le réchauffement climatique déjà inévitable. Éliminer le nucléaire — civil et militaire — est une urgence que devrait prendre en compte la COP21.

Patrice Bouveret
Observatoire des armements
Dominique Lalanne
Armes nucléaires STOP

À voir : Animation de la dispersion de la fumée due à une guerre nucléaire entre Inde et Pakistan : www.nucleardarkness.org/warconsequences/fivemilliontonsofsmoke/



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