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Sortir du nucléaire n°85



printemps 2020

Dossier : Et l’humain dans tout ça ?

Quand les peuples autochtones sont victimes du nucléaire

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°85 - printemps 2020

 Luttes et actions  Organisations antinucléaires françaises  Industrie nucléaire  Uranium et mines


Bien souvent les mines d’uranium sont implantées proches de sites habités par des peuples autochtones. L’industrie semble croire qu’il est plus facile de s’installer là où il y a peu de monde ou des populations déjà isolées au sein de leur pays respectif. Pourtant les luttes sur place s’organisent et sont parfois victorieuses. Petit aperçu de la situation au Niger avec Bruno Chareyron de la Criirad, aux États-Unis et au Canada suite à la victoire de certains peuples face à l’industrie nucléaire.



© Adobe Stock

Bonjour Bruno Chareyron. Vous connaissez bien la situation d’Arlit au Niger pour y avoir été en mission pour la CRIIRAD. Pouvez-vous revenir sur vos séjours sur place ?

Notre première mission a eu lieu en décembre 2003, à la demande de l’ONG Aghirin’Man basée à Arlit, qui s’inquiétait de la dégradation de l’environnement et de l’état de santé des travailleurs et de la population. Nous avons été choqués : des millions de tonnes de résidus radioactifs entreposés à l’air libre à proximité de cette agglomération qui compte probablement plus de 100 000 habitants, de la poussière partout d’autant que les voiries n’étaient pas goudronnées, des ferrailles radioactives en vente libre sur le marché, des eaux de boisson contaminées par l’uranium bien au-delà des normes de l’OMS (tandis qu’Areva prétendait le contraire). Et une population en attente de résultats de mesure indépendants et fiables.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Quelques jours avant cette première mission, les compagnies minières ont fait ouvertement pression sur Monsieur Alhacen, le président de l’ONG qui nous invitait, pour qu’il annule la mission. Mais nous avons tenu bon. À l’atterrissage à Niamey, nous avons été les seuls passagers contrôlés par la police qui nous a confisqué nos radiamètres professionnels. Nous avons perdu trois jours à essayer en vain de récupérer ce matériel. Les autorités rencontrées : ambassadeur de France, député, ministre n’ont rien pu faire et nous ont fait comprendre que des décisions avaient été prises à Paris. Nous n’avons pu passer au final que 2-3 jours à Arlit ce qui est dérisoire compte tenu de l’immensité des mines et de la ville, d’autant que nous n’avions plus que de petits radiamètres grand public. Nous étions suivis lors de nos déplacements et certaines mesures ont dû être faites très rapidement.

Arlit est une ville du Sahara située au nord du Niger, née en 1969 de la découverte de riches gisements d’uranium exploités depuis par la Société des mines de l’Aïr ainsi que la Compagnie minière d’Akouta, filiales d’Orano. La carrière à ciel ouvert d’Arlit et la mine souterraine d’Akouta ont fourni l’uranium utilisé comme combustible nucléaire dans les centrales nucléaires en France et pour la Force de dissuasion nucléaire française. Eldorado qui attirait de nombreux immigrés de la région, Arlit est devenu un lieu de transit pour les clandestins en partance pour l’Europe.

Pouvez-vous nous expliquer quelle est la situation actuelle pour les populations locales sur le plan économique, social et sanitaire ?

La situation est déplorable, les différentes vagues de licenciements de ces dernières années ont mis des centaines de salariés sur le côté. Les systèmes de soins ne sont pas à la hauteur. Malgré quelques modestes progrès liés aux campagnes d’information que nous avons lancées avec d’autres (fermeture des puits les plus contaminés, décapage d’une centaine de points de contamination radioactive sur les voiries), la population reste exposée en permanence à la radioactivité du fait de la réutilisation de matériaux radioactifs pour la construction, de ferrailles contaminées, de la dispersion de poussières radioactives à partir des verses à stériles, des tas de minerai, des entreposages de résidus, etc.

La société Orano a annoncé en octobre 2019 que sa filiale Cominak allait arrêter l’exploitation de la mine souterraine d’Akouta. Si nous pouvons en tant qu’antinucléaires nous réjouir de cette nouvelle, que peut-on craindre pour Arlit et sa population ?

C’est un vrai sujet d’inquiétude car les défis sont innombrables. Comment limiter sur le long terme l’impact radiologique et chimique des deux collines de résidus radioactifs ? Il s’agit de plusieurs dizaines de millions de tonnes de boues radioactives à l’air libre. Comment limiter la contamination des eaux souterraines et garantir un accès à des eaux potables ? Comment garantir un suivi sanitaire et des soins gratuits aux anciens travailleurs et aux habitants dont certains sont exposés depuis l’enfance aux éléments radioactifs et substances chimiques liés aux mines et usines d’extraction de l’uranium ? Quand on voit dans quel état la COMUF (filiale d’Areva) a laissé ses anciennes mines de Mounana au Gabon, déchets radioactifs dans la forêt, maisons contaminées, malades sans soins, il y a de quoi être inquiet ! Il est important que la mobilisation s’organise pour faire pression sur les autorités françaises et sur Orano afin que les investissements soient à la hauteur pour préparer l’après mine à Arlit.

Anne-Lise Devaux


Victoires des peuples autochtones

Aux États-Unis, la communauté amérindienne (Navajo principalement) du Nouveau-Mexique a obtenu la fermeture de la mine d’uranium de Mont Taylor, site sacré, après 10 ans de suspension de son activité. C’est une réelle victoire des associations locales. La bataille a été difficile. La Commission chargée de valider l’exploitation de la mine n’avait pas laissé les associations présenter des éléments économiques, après avoir été bernée par l’exploitant sur ses intentions de rouvrir la mine. Pourtant la remise en exploitation de la mine aurait été un gouffre financier. Et c’est après de nombreux rebondissements judiciaires, que l’exploitant a finalement décidé de ne pas ré-exploiter. Il s’agit maintenant pour les communautés de s’assurer que le site est bien nettoyé, les bassins aquifères dépollués et les infrastructures et déchets contaminés emmenés sur leur lieu de stockage définitif. Pourtant des dommages irréparables ont déjà été causés à cette terre sacrée par l’exploitation de la mine.

© Makita

Au Canada et plus spécifiquement dans le vaste territoire du Nunavut, habité par le peuple Inuit, c’est Areva (Orano), qui souhaitait ouvrir une mine d’uranium sur le site de Kiggavik. L’entreprise s’est heurtée à plusieurs décisions émanant des pouvoirs publics locaux rejetant le projet, aux motifs de risques majeurs. En premier lieu, pour les populations de caribou, essentielles au mode de vie traditionnel Inuit, à un moment où elles sont déjà fragilisées par le changement climatique et d’une sous-estimation par le futur exploitant des risques de diffusion des poussières issues de la mine. Et enfin et peut- être surtout, la crainte que l’ouverture d’une première mine, n’encourage l’arrivée d’autres opérateurs miniers sur leur territoire, bouleversant en profondeur les équilibres écologiques de la région et le mode de vie Inuit.

Gardons espoir donc que ce type de décisions se multiplient dans les années à venir.

© Adobe Stock

Bonjour Bruno Chareyron. Vous connaissez bien la situation d’Arlit au Niger pour y avoir été en mission pour la CRIIRAD. Pouvez-vous revenir sur vos séjours sur place ?

Notre première mission a eu lieu en décembre 2003, à la demande de l’ONG Aghirin’Man basée à Arlit, qui s’inquiétait de la dégradation de l’environnement et de l’état de santé des travailleurs et de la population. Nous avons été choqués : des millions de tonnes de résidus radioactifs entreposés à l’air libre à proximité de cette agglomération qui compte probablement plus de 100 000 habitants, de la poussière partout d’autant que les voiries n’étaient pas goudronnées, des ferrailles radioactives en vente libre sur le marché, des eaux de boisson contaminées par l’uranium bien au-delà des normes de l’OMS (tandis qu’Areva prétendait le contraire). Et une population en attente de résultats de mesure indépendants et fiables.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Quelques jours avant cette première mission, les compagnies minières ont fait ouvertement pression sur Monsieur Alhacen, le président de l’ONG qui nous invitait, pour qu’il annule la mission. Mais nous avons tenu bon. À l’atterrissage à Niamey, nous avons été les seuls passagers contrôlés par la police qui nous a confisqué nos radiamètres professionnels. Nous avons perdu trois jours à essayer en vain de récupérer ce matériel. Les autorités rencontrées : ambassadeur de France, député, ministre n’ont rien pu faire et nous ont fait comprendre que des décisions avaient été prises à Paris. Nous n’avons pu passer au final que 2-3 jours à Arlit ce qui est dérisoire compte tenu de l’immensité des mines et de la ville, d’autant que nous n’avions plus que de petits radiamètres grand public. Nous étions suivis lors de nos déplacements et certaines mesures ont dû être faites très rapidement.

Arlit est une ville du Sahara située au nord du Niger, née en 1969 de la découverte de riches gisements d’uranium exploités depuis par la Société des mines de l’Aïr ainsi que la Compagnie minière d’Akouta, filiales d’Orano. La carrière à ciel ouvert d’Arlit et la mine souterraine d’Akouta ont fourni l’uranium utilisé comme combustible nucléaire dans les centrales nucléaires en France et pour la Force de dissuasion nucléaire française. Eldorado qui attirait de nombreux immigrés de la région, Arlit est devenu un lieu de transit pour les clandestins en partance pour l’Europe.

Pouvez-vous nous expliquer quelle est la situation actuelle pour les populations locales sur le plan économique, social et sanitaire ?

La situation est déplorable, les différentes vagues de licenciements de ces dernières années ont mis des centaines de salariés sur le côté. Les systèmes de soins ne sont pas à la hauteur. Malgré quelques modestes progrès liés aux campagnes d’information que nous avons lancées avec d’autres (fermeture des puits les plus contaminés, décapage d’une centaine de points de contamination radioactive sur les voiries), la population reste exposée en permanence à la radioactivité du fait de la réutilisation de matériaux radioactifs pour la construction, de ferrailles contaminées, de la dispersion de poussières radioactives à partir des verses à stériles, des tas de minerai, des entreposages de résidus, etc.

La société Orano a annoncé en octobre 2019 que sa filiale Cominak allait arrêter l’exploitation de la mine souterraine d’Akouta. Si nous pouvons en tant qu’antinucléaires nous réjouir de cette nouvelle, que peut-on craindre pour Arlit et sa population ?

C’est un vrai sujet d’inquiétude car les défis sont innombrables. Comment limiter sur le long terme l’impact radiologique et chimique des deux collines de résidus radioactifs ? Il s’agit de plusieurs dizaines de millions de tonnes de boues radioactives à l’air libre. Comment limiter la contamination des eaux souterraines et garantir un accès à des eaux potables ? Comment garantir un suivi sanitaire et des soins gratuits aux anciens travailleurs et aux habitants dont certains sont exposés depuis l’enfance aux éléments radioactifs et substances chimiques liés aux mines et usines d’extraction de l’uranium ? Quand on voit dans quel état la COMUF (filiale d’Areva) a laissé ses anciennes mines de Mounana au Gabon, déchets radioactifs dans la forêt, maisons contaminées, malades sans soins, il y a de quoi être inquiet ! Il est important que la mobilisation s’organise pour faire pression sur les autorités françaises et sur Orano afin que les investissements soient à la hauteur pour préparer l’après mine à Arlit.

Anne-Lise Devaux


Victoires des peuples autochtones

Aux États-Unis, la communauté amérindienne (Navajo principalement) du Nouveau-Mexique a obtenu la fermeture de la mine d’uranium de Mont Taylor, site sacré, après 10 ans de suspension de son activité. C’est une réelle victoire des associations locales. La bataille a été difficile. La Commission chargée de valider l’exploitation de la mine n’avait pas laissé les associations présenter des éléments économiques, après avoir été bernée par l’exploitant sur ses intentions de rouvrir la mine. Pourtant la remise en exploitation de la mine aurait été un gouffre financier. Et c’est après de nombreux rebondissements judiciaires, que l’exploitant a finalement décidé de ne pas ré-exploiter. Il s’agit maintenant pour les communautés de s’assurer que le site est bien nettoyé, les bassins aquifères dépollués et les infrastructures et déchets contaminés emmenés sur leur lieu de stockage définitif. Pourtant des dommages irréparables ont déjà été causés à cette terre sacrée par l’exploitation de la mine.

© Makita

Au Canada et plus spécifiquement dans le vaste territoire du Nunavut, habité par le peuple Inuit, c’est Areva (Orano), qui souhaitait ouvrir une mine d’uranium sur le site de Kiggavik. L’entreprise s’est heurtée à plusieurs décisions émanant des pouvoirs publics locaux rejetant le projet, aux motifs de risques majeurs. En premier lieu, pour les populations de caribou, essentielles au mode de vie traditionnel Inuit, à un moment où elles sont déjà fragilisées par le changement climatique et d’une sous-estimation par le futur exploitant des risques de diffusion des poussières issues de la mine. Et enfin et peut- être surtout, la crainte que l’ouverture d’une première mine, n’encourage l’arrivée d’autres opérateurs miniers sur leur territoire, bouleversant en profondeur les équilibres écologiques de la région et le mode de vie Inuit.

Gardons espoir donc que ce type de décisions se multiplient dans les années à venir.



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