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Prolongation des réacteurs : risques et coûts




Le parc nucléaire français vieillit inéluctablement. Les réacteurs ont été conçus initialement pour fonctionner pendant approximativement 30 ans, et leur mise en service autorisée au départ pour cette même durée. 27 réacteurs ont dépassé cette limite et auraient déjà dû être arrêtés. Et d’ici fin 2020, outre la centrale de Fessenheim que le président Hollande s’est engagé à arrêter, pas moins de 11 réacteurs dépasseraient 40 ans !

L’avertissement de la Cour des Comptes

Déjà en 2010, Didier Migaud, le président de la Cour des Comptes, formulait cette alerte : « dans l’hypothèse d’une durée de fonctionnement [des réacteurs] de 40 ans et d’un maintien de la production électronucléaire à son niveau actuel, il faudrait un effort très considérable d’investissement permettant de construire 11 [réacteurs] EPR d’ici la fin de 2022. La mise en oeuvre d’un tel programme d’investissement à court terme paraît très peu probable, voire impossible, y compris pour des considérations industrielles. Cela signifie qu’à travers l’absence de décision d’investissement, une décision implicite a été prise qui nous engage déjà : soit à faire durer nos centrales au-delà de 40 ans, soit à faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers d’autres sources d’énergie ou vers un effort accru d’économies d’énergie. » [1]

De fait, EDF fait feu de tout bois pour obtenir une décision politique d’autorisation de fonctionnement des réacteurs jusqu’à 60 ans. La prolongation des réacteurs constitue la colonne vertébrale de la stratégie industrielle adoptée par EDF depuis 2008, unilatéralement et sans aucune consultation des citoyens ni de leurs représentants à l’Assemblée nationale, alors que l’État détient toujours 85 % du capital de l’ex-entreprise publique.

Les réacteurs vieillissent, le danger augmente

Initialement conçus et autorisés pour fonctionner 30 ans, les réacteurs nucléaires vieillissent. Certains éléments cruciaux impossibles à remplacer (cuve en acier, enceinte en béton) ou très diffus et donc très difficiles à surveiller (certains câbles, tuyauteries et circuits électroniques) se fragilisent avec le temps. Le risque d’accident augmente avec l’âge des réacteurs et l’usure des matériels.

Photo : un convoi exceptionnel transporte une cuve de réacteur nucléaire, qui pèse plusieurs dizaines de tonnes. Une fois en service, elle sera constamment soumise à des radiations massives et des températures de plusieurs centaines de degrés, entraînant progressivement sa fragilisation.

Ces problèmes potentiels liés au vieillissement sont multipliés par la standardisation assez poussée du parc nucléaire français et par l’homogénéité de l’âge des réacteurs. Pierre-Franck Chevet, le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, estime ainsi qu’ « on peut avoir une anomalie grave, de la corrosion ou une fuite, sur cinq à dix réacteurs en France » simultanément. L’ASN juge ce scénario « plausible, voire réaliste, et en tout cas pas impossible » et estime qu’ « un tel événement nécessite d’avoir des capacités de production de substitution pour absorber le choc d’un arrêt de cinq à dix réacteurs » ! [2] La réalité corrobore cette analyse : la presse a révélé en septembre 2013 que 18 réacteurs sont affectés par un problème qu’EDF ne parvient pas à résoudre malgré plusieurs mois d’efforts et qui selon l’IRSN induit « un accroissement non négligeable du risque de fusion du cœur » des réacteurs [3]. À cause de ce problème, le 8 février 2014, un simple orage a obligé EDF à arrêter brutalement les deux réacteurs de la centrale de Flamanville.

Photo : une fuite sur le circuit primaire de la centrale de Paluel en 2009 (Médiapart).

De plus, tous ces réacteurs présentent un niveau de sûreté que l’Autorité de Sûreté Nucléaire refuserait pour tout nouveau réacteur. L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire explique lui-même que « dans le cas des centrales existantes, les accidents graves n’ont pas été considérés lors de leur conception. Les modifications envisageables de l’installation sont donc restreintes »  [4]. Dans leur grande majorité, les réacteurs actuellement en service ont été conçus avant la catastrophe de Tchernobyl. Ne parlons même pas de Fukushima : Philippe Jamet, commissaire de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, reconnaît que « jamais la situation de Fukushima, avec un tel cumul de défaillances, n’a été étudiée. » [5]

Un accident majeur est probable et coûterait des centaines de milliards

L’ASN et l’IRSN ré-affirment régulièrement, y compris dans les médias, qu’un accident nucléaire grave est possible en France. De la part d’institutions habituées à observer la plus grande réserve, une telle insistance est délibérée et lourde de sens : tout en flirtant parfois avec les limites du langage diplomatique admis, elles cherchent à secouer la conscience des décideurs politiques.

Dans le monde, la fréquence empiriquement constatée d’accidents nucléaires majeurs (entraînant des rejets massifs de radioactivité) est 286 fois supérieure à celle qui aurait dû être observée si l’on se fiait à la probabilité théorique standard des études de sûreté. L’ASN et l’IRSN exhortent d’ailleurs à ne pas se fier aux probabilités théoriques [6]. Pour M. Jamet, commissaire de l’ASN, leurs valeurs absolues « sont tellement entachées d’incertitude qu’elles n’ont pas de sens » [7]. En se fondant sur la fréquence constatée, le mathématicien Étienne Ghys calcule ainsi qu’il y a 72 (mal)chances sur 100 pour qu’un accident nucléaire majeur se produise d’ici 30 ans en Europe [8]. Affirmer qu’un accident majeur est très peu probable relève de la croyance, pas de l’analyse scientifique.

Or, selon une étude de l’IRSN, le coût probable d’un accident nucléaire majeur en France pourrait atteindre de 430 à 760 milliards d’euros ; des montants très supérieurs ont été avancés pour les cas les plus extrêmes [9]. Les économistes de l’IRSN ajoutent qu’ « un accident nucléaire majeur en France constituerait une catastrophe européenne aux conséquences ingérables »  [10]. Ces études minimisent largement des conséquences humaines dramatiques qui n’ont en réalité pas de prix, mais leurs résultats interdisent à tout le moins aux décideurs politiques d’agir comme s’ils les ignoraient.

Rafistoler à un prix colossal : 100 milliards ? 250 milliards ?

Un document interne de l’entreprise révélé dans la presse montre que EDF évalue à 100 milliards d’euros les investissements nécessaires pour censément améliorer la sûreté des réacteurs et prolonger leur fonctionnement au-delà de 40 ans [11]. C’est plus que leur coût de construction, évalué à 96 milliards par la Cour des Comptes !

Et cette estimation est sans doute sous-évaluée : dans une récente étude, le cabinet WISE-Paris estime que la mise en œuvre des exigences de sûreté renforcée définies par l’ASN après Fukushima implique des travaux qui coûteraient environ 250 milliards d’euros. [12]

Dilapider 100 milliards d’euros – ou plus - pour prolonger le fonctionnement des réacteurs ne ferait que reporter de 10 à 20 ans les investissements massifs qui sont de toute façon nécessaires pour construire le système énergétique des prochaines décennies. Dans l’intervalle, le risque que la France subisse un accident nucléaire majeur et ses conséquences sociales, économiques et écologiques dévastatrices ne cessera de s’accroître.

Avec quelles capacités industrielles et quel personnel ?

On peut également douter de la simple capacité industrielle d’EDF à mener à bien de tels travaux : 50 % de son personnel partira en retraite d’ici 2017, aggravant les pertes de savoir-faire et l’affaiblissement de la transmission de l’expérience d’exploitation, déjà très préoccupantes du fait de la politique de réduction des coûts de maintenance par la sous-traitance généralisée à des intervenants mal formés et mis sous pression. L’Inspecteur Général pour la Sûreté Nucléaire d’EDF (IGSN) note lui-même « un personnel inquiet devant les échéances prochaines et préoccupé par sa capacité à intégrer les nouvelles générations. » [13] En 2013, ce sont pas moins de 3,4 % des effectifs qui sont partis en retraite, « dont une part importante dans les métiers de maintenance et d’exploitation dans les activités de production, d’ingénierie et de distribution ». [14]

Le président de l’ASN Pierre-Franck Chevet estime qu’ "EDF a déjà des difficultés pour maîtriser ses arrêts de tranches et les opérations de maintenance des réacteurs. Ce défaut de maîtrise sera encore plus préoccupant dans 3 ou 4 ans, quand EDF envisage de faire ce qu’elle appelle le "grand carénage", des opérations encore plus lourdes. EDF semble débordée par les travaux qu’elle a elle-même décidés."  [15] Au sein d’EDF elle-même, l’IGSN relève « de grandes difficultés dans la préparation des activités de maintenance » et se dit « convaincu de la fragilité des analyses de risques », tout en estimant que la vérification de la qualité des opérations de maintenance « n’est pas aujourd’hui correctement assurée » [16] .

EDF n’a pourtant pas encore engagé ce fameux « grand carénage », un programme massif de modifications lourdes sur l’ensemble du parc nucléaire, qui exigera 3 fois plus de personnel que la maintenance habituelle !

Faire fonctionner les réacteurs jusqu’à 40 ans, voire au-delà, augmenterait drastiquement le risque d’un accident nucléaire majeur en France, dont les conséquences sanitaires et économiques seraient dévastatrices.

Les énergies renouvelables sont déjà compétitives

Quant à l’hypothétique remplacement des réacteurs actuels par une quarantaine d’EPR, il coûterait environ 250 milliards d’euros selon EDF, et probablement bien plus si l’on considère l’énorme dérive des coûts sur le chantier des EPR normand et finlandais, ainsi que la constante augmentation du coût du « kW nucléaire installé » en France. A contrario, le coût des énergies renouvelables ne cesse de baisser ; le kWh éolien terrestre est déjà près de 2 fois moins cher que le kWh que produirait le futur EPR, et ce sera le cas avant 2020 pour le kWh photovoltaïque. [17] Enfin, l’EPR pose ses propres problèmes de sûreté, et n’est pas plus efficacement protégé contre les risques de sabotage ou d’attentat que les réacteurs plus anciens.

D’importants gisements d’économies d’énergie sont bien connus et identifiés dans différents secteurs de l’économie. Leur exploitation permettrait de diviser par 2 la consommation finale d’énergie d’ici 2050, une réduction absolument nécessaire pour limiter les impacts du changement climatique, et permettant d’éviter toute prolongation des réacteurs.

Économies d’énergie et renouvelables : 630 000 emplois à la clé

Une politique de sortie du nucléaire et de transition énergétique serait une formidable opportunité pour l’emploi. En Allemagne, près de 380 000 personnes travaillent dans le seul secteur des énergies renouvelables, sans compter les activités liées aux économies d’énergie [18]. Une analyse économique poussée estime qu’une transition énergétique avec sortie du nucléaire aboutirait d’ici 2030 à la création nette de plus de 630 000 emplois en France [19]. Par exemple, la rénovation thermique des bâtiments est un chantier national de grande ampleur, indispensable et qui sera fortement pourvoyeur d’emplois qualifiés et non délocalisables.

czczc

En comparaison, la filière nucléaire représente environ 120 000 emplois directs et indirects selon un rapport rédigé par deux sénateurs notoirement pro-nucléaire [20]. Une proportion non négligeable de ces emplois devrait obligatoirement être maintenue pendant de longues années après l’arrêt des réacteurs. Des parcours de reconversion sont tout à fait concevables pour les personnes occupant des emplois dont la nécessité disparaîtrait, nombre de compétences étant transférables ou adaptables notamment dans le secteur des énergies renouvelables. Et c’est encore une fois sans compter l’inévitable départ à la retraite de 50 % des personnels d’EDF d’ici 2017 !

La France ne doit plus attendre pour amorcer le grand virage énergétique qui doit la conduire vers une forte réduction de sa consommation d’électricité et d’énergie, de ses émissions de gaz à effet de serre et vers une production énergétique entièrement assurée par un mix d’énergies renouvelables. Une telle politique n’est pas uniquement la seule raisonnable ; elle est aussi la seule à être porteuse d’avenir pour notre pays, pour ses jeunes générations et pour son économie.

À lire aussi pour aller plus loin

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Notes

[4R&D relative aux accidents graves dans les réacteurs à eau pressurisée : bilan et perspectives, Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, La Documentation française, janvier 2007, p 6

[5Fukushima a montré que l’improbable est possible, La Recherche, n°453, juin 2011, p 50

[6Synthèse du rapport de l’IRSN sur les Études probabilistes de sûreté de niveau 1 développées par EDF dans le cadre du réexamen de sûreté associé à la troisième visite décennale des réacteurs de 1300 MWe, Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, 10 mai 2012, p 1 ; Kalalo E, Brenot D, Rôles et limites des EPS, in Les études probabilistes de sûreté, Contrôle n°155, décembre 2003, p 42

[7Compte-rendu de l’audition de Philippe Jamet, commissaire de l’ASN, et de Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN, Commission parlementaire d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, 27 février 2014

[8Étienne Ghys, Accident nucléaire : une certitude statistique, Images des Mathématiques, CNRS, 2011

[10Massive radiological releases profoundly differ from controlled releases, Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, 2012, p 5

[11La facture astronomique du nucléaire, Le JDD, 2 mars 2014

[15Auditions du 13 et du 20 février 2014 par la Commission parlementaire d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire

[17Alors que le coût prévisionnel de l’EPR était à l’époque encore estimé à 6 milliards, la Cour des Comptes estimait en 2010 que l’EPR produirait de l’électricité à un coût compris entre 70 et 90 € / MWh. Avec un coût de 8,5 milliards, le coût du MWh de l’EPR peut être estimé à environ 110 € / MWh. Cette estimation est accréditée par le contrat passé par EDF avec la Grande-Bretagne pour la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point. Tout en bénéficiant d’une garantie financière de 10 milliards de £ accordée par l’État britannique, EDF a exigé un prix de vente garanti et indexé sur l’inflation pendant 35 ans. Fixé à 92,5 £ par MWh (environ 111 € / MWh) à signature du contrat, soit presque deux fois plus que le prix de marché actuel du MWh, avec l’inflation le prix garanti atteindra environ 120 £ / MWh (environ 144 € / MWh) en 2023, à la date – très hypothétique ! - de démarrage des réacteurs prévue par EDF. En comparaison, en novembre 2013, l’ADEME estimait que "le prix d’achat moyen de l’électricité sur la durée de vie d’une éolienne est de l’ordre de 70 €/MWh".

[18Bruttobeschäftigung durch erneuerbare Energien in Deutschland im Jahr 2012 - eine erste Abschätzung, Bundesministeriums für Umwelt, Naturschutz und Reaktorsicherheit, 20 mars 2013, p 7

Le parc nucléaire français vieillit inéluctablement. Les réacteurs ont été conçus initialement pour fonctionner pendant approximativement 30 ans, et leur mise en service autorisée au départ pour cette même durée. 27 réacteurs ont dépassé cette limite et auraient déjà dû être arrêtés. Et d’ici fin 2020, outre la centrale de Fessenheim que le président Hollande s’est engagé à arrêter, pas moins de 11 réacteurs dépasseraient 40 ans !

L’avertissement de la Cour des Comptes

Déjà en 2010, Didier Migaud, le président de la Cour des Comptes, formulait cette alerte : « dans l’hypothèse d’une durée de fonctionnement [des réacteurs] de 40 ans et d’un maintien de la production électronucléaire à son niveau actuel, il faudrait un effort très considérable d’investissement permettant de construire 11 [réacteurs] EPR d’ici la fin de 2022. La mise en oeuvre d’un tel programme d’investissement à court terme paraît très peu probable, voire impossible, y compris pour des considérations industrielles. Cela signifie qu’à travers l’absence de décision d’investissement, une décision implicite a été prise qui nous engage déjà : soit à faire durer nos centrales au-delà de 40 ans, soit à faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers d’autres sources d’énergie ou vers un effort accru d’économies d’énergie. » [1]

De fait, EDF fait feu de tout bois pour obtenir une décision politique d’autorisation de fonctionnement des réacteurs jusqu’à 60 ans. La prolongation des réacteurs constitue la colonne vertébrale de la stratégie industrielle adoptée par EDF depuis 2008, unilatéralement et sans aucune consultation des citoyens ni de leurs représentants à l’Assemblée nationale, alors que l’État détient toujours 85 % du capital de l’ex-entreprise publique.

Les réacteurs vieillissent, le danger augmente

Initialement conçus et autorisés pour fonctionner 30 ans, les réacteurs nucléaires vieillissent. Certains éléments cruciaux impossibles à remplacer (cuve en acier, enceinte en béton) ou très diffus et donc très difficiles à surveiller (certains câbles, tuyauteries et circuits électroniques) se fragilisent avec le temps. Le risque d’accident augmente avec l’âge des réacteurs et l’usure des matériels.

Photo : un convoi exceptionnel transporte une cuve de réacteur nucléaire, qui pèse plusieurs dizaines de tonnes. Une fois en service, elle sera constamment soumise à des radiations massives et des températures de plusieurs centaines de degrés, entraînant progressivement sa fragilisation.

Ces problèmes potentiels liés au vieillissement sont multipliés par la standardisation assez poussée du parc nucléaire français et par l’homogénéité de l’âge des réacteurs. Pierre-Franck Chevet, le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, estime ainsi qu’ « on peut avoir une anomalie grave, de la corrosion ou une fuite, sur cinq à dix réacteurs en France » simultanément. L’ASN juge ce scénario « plausible, voire réaliste, et en tout cas pas impossible » et estime qu’ « un tel événement nécessite d’avoir des capacités de production de substitution pour absorber le choc d’un arrêt de cinq à dix réacteurs » ! [2] La réalité corrobore cette analyse : la presse a révélé en septembre 2013 que 18 réacteurs sont affectés par un problème qu’EDF ne parvient pas à résoudre malgré plusieurs mois d’efforts et qui selon l’IRSN induit « un accroissement non négligeable du risque de fusion du cœur » des réacteurs [3]. À cause de ce problème, le 8 février 2014, un simple orage a obligé EDF à arrêter brutalement les deux réacteurs de la centrale de Flamanville.

Photo : une fuite sur le circuit primaire de la centrale de Paluel en 2009 (Médiapart).

De plus, tous ces réacteurs présentent un niveau de sûreté que l’Autorité de Sûreté Nucléaire refuserait pour tout nouveau réacteur. L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire explique lui-même que « dans le cas des centrales existantes, les accidents graves n’ont pas été considérés lors de leur conception. Les modifications envisageables de l’installation sont donc restreintes »  [4]. Dans leur grande majorité, les réacteurs actuellement en service ont été conçus avant la catastrophe de Tchernobyl. Ne parlons même pas de Fukushima : Philippe Jamet, commissaire de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, reconnaît que « jamais la situation de Fukushima, avec un tel cumul de défaillances, n’a été étudiée. » [5]

Un accident majeur est probable et coûterait des centaines de milliards

L’ASN et l’IRSN ré-affirment régulièrement, y compris dans les médias, qu’un accident nucléaire grave est possible en France. De la part d’institutions habituées à observer la plus grande réserve, une telle insistance est délibérée et lourde de sens : tout en flirtant parfois avec les limites du langage diplomatique admis, elles cherchent à secouer la conscience des décideurs politiques.

Dans le monde, la fréquence empiriquement constatée d’accidents nucléaires majeurs (entraînant des rejets massifs de radioactivité) est 286 fois supérieure à celle qui aurait dû être observée si l’on se fiait à la probabilité théorique standard des études de sûreté. L’ASN et l’IRSN exhortent d’ailleurs à ne pas se fier aux probabilités théoriques [6]. Pour M. Jamet, commissaire de l’ASN, leurs valeurs absolues « sont tellement entachées d’incertitude qu’elles n’ont pas de sens » [7]. En se fondant sur la fréquence constatée, le mathématicien Étienne Ghys calcule ainsi qu’il y a 72 (mal)chances sur 100 pour qu’un accident nucléaire majeur se produise d’ici 30 ans en Europe [8]. Affirmer qu’un accident majeur est très peu probable relève de la croyance, pas de l’analyse scientifique.

Or, selon une étude de l’IRSN, le coût probable d’un accident nucléaire majeur en France pourrait atteindre de 430 à 760 milliards d’euros ; des montants très supérieurs ont été avancés pour les cas les plus extrêmes [9]. Les économistes de l’IRSN ajoutent qu’ « un accident nucléaire majeur en France constituerait une catastrophe européenne aux conséquences ingérables »  [10]. Ces études minimisent largement des conséquences humaines dramatiques qui n’ont en réalité pas de prix, mais leurs résultats interdisent à tout le moins aux décideurs politiques d’agir comme s’ils les ignoraient.

Rafistoler à un prix colossal : 100 milliards ? 250 milliards ?

Un document interne de l’entreprise révélé dans la presse montre que EDF évalue à 100 milliards d’euros les investissements nécessaires pour censément améliorer la sûreté des réacteurs et prolonger leur fonctionnement au-delà de 40 ans [11]. C’est plus que leur coût de construction, évalué à 96 milliards par la Cour des Comptes !

Et cette estimation est sans doute sous-évaluée : dans une récente étude, le cabinet WISE-Paris estime que la mise en œuvre des exigences de sûreté renforcée définies par l’ASN après Fukushima implique des travaux qui coûteraient environ 250 milliards d’euros. [12]

Dilapider 100 milliards d’euros – ou plus - pour prolonger le fonctionnement des réacteurs ne ferait que reporter de 10 à 20 ans les investissements massifs qui sont de toute façon nécessaires pour construire le système énergétique des prochaines décennies. Dans l’intervalle, le risque que la France subisse un accident nucléaire majeur et ses conséquences sociales, économiques et écologiques dévastatrices ne cessera de s’accroître.

Avec quelles capacités industrielles et quel personnel ?

On peut également douter de la simple capacité industrielle d’EDF à mener à bien de tels travaux : 50 % de son personnel partira en retraite d’ici 2017, aggravant les pertes de savoir-faire et l’affaiblissement de la transmission de l’expérience d’exploitation, déjà très préoccupantes du fait de la politique de réduction des coûts de maintenance par la sous-traitance généralisée à des intervenants mal formés et mis sous pression. L’Inspecteur Général pour la Sûreté Nucléaire d’EDF (IGSN) note lui-même « un personnel inquiet devant les échéances prochaines et préoccupé par sa capacité à intégrer les nouvelles générations. » [13] En 2013, ce sont pas moins de 3,4 % des effectifs qui sont partis en retraite, « dont une part importante dans les métiers de maintenance et d’exploitation dans les activités de production, d’ingénierie et de distribution ». [14]

Le président de l’ASN Pierre-Franck Chevet estime qu’ "EDF a déjà des difficultés pour maîtriser ses arrêts de tranches et les opérations de maintenance des réacteurs. Ce défaut de maîtrise sera encore plus préoccupant dans 3 ou 4 ans, quand EDF envisage de faire ce qu’elle appelle le "grand carénage", des opérations encore plus lourdes. EDF semble débordée par les travaux qu’elle a elle-même décidés."  [15] Au sein d’EDF elle-même, l’IGSN relève « de grandes difficultés dans la préparation des activités de maintenance » et se dit « convaincu de la fragilité des analyses de risques », tout en estimant que la vérification de la qualité des opérations de maintenance « n’est pas aujourd’hui correctement assurée » [16] .

EDF n’a pourtant pas encore engagé ce fameux « grand carénage », un programme massif de modifications lourdes sur l’ensemble du parc nucléaire, qui exigera 3 fois plus de personnel que la maintenance habituelle !

Faire fonctionner les réacteurs jusqu’à 40 ans, voire au-delà, augmenterait drastiquement le risque d’un accident nucléaire majeur en France, dont les conséquences sanitaires et économiques seraient dévastatrices.

Les énergies renouvelables sont déjà compétitives

Quant à l’hypothétique remplacement des réacteurs actuels par une quarantaine d’EPR, il coûterait environ 250 milliards d’euros selon EDF, et probablement bien plus si l’on considère l’énorme dérive des coûts sur le chantier des EPR normand et finlandais, ainsi que la constante augmentation du coût du « kW nucléaire installé » en France. A contrario, le coût des énergies renouvelables ne cesse de baisser ; le kWh éolien terrestre est déjà près de 2 fois moins cher que le kWh que produirait le futur EPR, et ce sera le cas avant 2020 pour le kWh photovoltaïque. [17] Enfin, l’EPR pose ses propres problèmes de sûreté, et n’est pas plus efficacement protégé contre les risques de sabotage ou d’attentat que les réacteurs plus anciens.

D’importants gisements d’économies d’énergie sont bien connus et identifiés dans différents secteurs de l’économie. Leur exploitation permettrait de diviser par 2 la consommation finale d’énergie d’ici 2050, une réduction absolument nécessaire pour limiter les impacts du changement climatique, et permettant d’éviter toute prolongation des réacteurs.

Économies d’énergie et renouvelables : 630 000 emplois à la clé

Une politique de sortie du nucléaire et de transition énergétique serait une formidable opportunité pour l’emploi. En Allemagne, près de 380 000 personnes travaillent dans le seul secteur des énergies renouvelables, sans compter les activités liées aux économies d’énergie [18]. Une analyse économique poussée estime qu’une transition énergétique avec sortie du nucléaire aboutirait d’ici 2030 à la création nette de plus de 630 000 emplois en France [19]. Par exemple, la rénovation thermique des bâtiments est un chantier national de grande ampleur, indispensable et qui sera fortement pourvoyeur d’emplois qualifiés et non délocalisables.

czczc

En comparaison, la filière nucléaire représente environ 120 000 emplois directs et indirects selon un rapport rédigé par deux sénateurs notoirement pro-nucléaire [20]. Une proportion non négligeable de ces emplois devrait obligatoirement être maintenue pendant de longues années après l’arrêt des réacteurs. Des parcours de reconversion sont tout à fait concevables pour les personnes occupant des emplois dont la nécessité disparaîtrait, nombre de compétences étant transférables ou adaptables notamment dans le secteur des énergies renouvelables. Et c’est encore une fois sans compter l’inévitable départ à la retraite de 50 % des personnels d’EDF d’ici 2017 !

La France ne doit plus attendre pour amorcer le grand virage énergétique qui doit la conduire vers une forte réduction de sa consommation d’électricité et d’énergie, de ses émissions de gaz à effet de serre et vers une production énergétique entièrement assurée par un mix d’énergies renouvelables. Une telle politique n’est pas uniquement la seule raisonnable ; elle est aussi la seule à être porteuse d’avenir pour notre pays, pour ses jeunes générations et pour son économie.

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