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Contamination au Niger (et au Gabon) par les mines d’Uranium de la Cogéma-Areva

Niger - La loi de l’uranium (Libération 09/03/2005)

Article publié le 2 janvier 2012



https://www.liberation.fr/grand-angle/0101521538-niger-la-loi-de-l-uranium
Par Grégoire Biseau - Arlit envoyé spécial



Après trois décennies de règne sans partage au Niger, la multinationale française Areva qui exploite deux mines d’uranium est sommée de rendre des comptes. Des écologistes l’accusent de négliger la radioactivité ambiante et les effets sur la population.

En empruntant la piste de sable qui sert d’avenue principale, rien ne vient accrocher le regard. Ici, en plein désert, à 850 kilomètres au nord de Niamey, la capitale du Niger, Arlit est une grosse commune paisible et pauvre, sans relief ni attractions. Une station-service (la deuxième est en construction), un cyber-café et une immense antenne télécom sont les seuls témoins apparents d’une modernité greffée à de pauvres maisons de terre rouge. Arlit et sa petite voisine Akokan ne sont pourtant pas des villes nigériennes comme les autres. Elles respirent sous dépendance. Avec ses 1 600 employés, les deux mines d’uranium exploitées par le français Areva à quelques kilomètres de là, font vivre directement 20 000 personnes sur leurs 70 000 habitants. A la maison d’hôte d’Arlit, sur la table de nuit de chaque chambre, une note explique comment joindre par téléphone le siège de la Cogema, filiale d’Areva, à Vélizy. Sur la commode de la salle à manger, traîne un numéro de Fortune, avec Anne Lauvergeon, la présidente d’Areva en couverture. A quelques pas de là, dans la salle informatique d’une école, un poster détaille comment se fabrique l’énergie nucléaire. A l’hôpital privé, sur les murs du cabinet du pédiatre, est épinglé le bateau Areva qui portait les couleurs françaises lors de la dernière Coupe de l’America. « On est ici un peu chez nous », reconnaît un cadre dirigeant du groupe. Pourtant, aujourd’hui, seuls 10 expatriés français travaillent dans les deux mines.

Troisième producteur mondial. Arlit est sorti du sable à la fin des années 60. A l’époque le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) cherchait de l’uranium pour alimenter le futur programme nucléaire français. En 1968, la mine à ciel ouvert de la Somair (dont Areva détient 63,4 % du capital au côté de l’Etat nigérien) sort sa première tonne d’uranium. Dix ans plus tard, c’est au tour du gisement souterrain de la Cominak (dont Areva possède 34 % au côté du Niger, des Japonais et des Espagnols). Avec ses 250 kilomètres de galerie, elle est aujourd’hui la plus grande mine d’uranium souterraine du monde. Et le Niger, l’un des pays les plus pauvres de la planète, est devenu le troisième producteur d’uranium de la planète (1). Pendant trente ans, Arlit et Akokan ont vécu coupé du monde, en anonymes soutiers du nucléaire français. C’est une ONG nigérienne qui va les sortir de l’ombre. Almoustapha Alhacen, un salarié de la Somair, crée en 2001 Aghir In’Man (qui signifie bouclier humain). Deux ans plus tard, l’ONG lance sa bouteille à la mer : « On aimerait savoir si les 70 000 habitants d’Arlit vivent depuis trente ans, avec la complicité de l’Etat nigérien et d’Areva, dans des conditions de radioactivité qui mettent en péril leur santé. » Grâce à l’arrivée d’Internet à Arlit, l’ONG entre en contact avec la Criirad (la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité), un vieil adversaire d’Areva, qui se propose de débarquer avec ses appareils de mesure. Mais le jour de l’arrivée de la mission à Niamey en décembre 2003, la douane nigérienne bloque le matériel. La Criirad accuse Areva d’avoir manoeuvré pour faire capoter la mission. Le groupe dément. Areva pense alors en rester là.

« Ils veulent notre peau ». C’est Stéphane Lhomme, le porte-parole de l’association Sortir du nucléaire, en guerre contre tout ce qui touche à l’exploitation de l’atome, qui allume la mèche. Sur la chaîne Public Sénat, l’antinucléaire accuse Areva « de crime contre l’humanité » au Niger. En novembre 2004, il interpelle Anne Lauvergeon sur le plateau de France Europe Express, l’émission de Christine Ockrent, sur la situation sanitaire des deux mines. La patronne d’Areva invite l’écologiste à venir au Niger vérifier ses accusations. Lhomme décline au nom de l’indépendance. Mais la charge la plus dangereuse reste à venir : en association avec la Criirad, l’ONG Sherpa, un réseau international de juristes, présidé par l’avocat William Bourdon, connu pour avoir traîné Total en justice dans l’affaire de son gazoduc en Birmanie, prépare un rapport sur les deux mines nigériennes d’Areva. « Après Total, ils veulent notre peau », dit, paranoïaque, un cadre d’Areva. Le groupe, qui se pique de développement durable, veut surtout éviter une polémique, qui ferait désordre au moment de son projet d’introduction en Bourse. Depuis décembre 2003, Sherpa est venu à trois reprises à Arlit visiter les mines, recueillir des témoignages et chercher des preuves d’une possible contamination. « C’est la veillée d’armes. Sherpa nous avait promis que s’ils ne trouvaient rien ils ne s’obstineraient pas. Là ils s’accrochent », s’inquiète un cadre dirigeant du groupe.

La machine médiatique n’a pas attendu les conclusions du rapport pour se mettre en marche. Lors de sa dernière visite à Arlit mi-février, la mission de Sherpa a débarqué avec une équipe de télévision de Canal + et le Monde diplomatique. Pour contrer l’offensive, Areva choisit d’organiser un voyage de presse avec une vingtaine de journalistes (2). Jurant qu’Areva n’a rien à se reprocher. L’exposition des salariés à la radioactivité ? Elle a été réduite, dit le groupe, en dessous du niveau imposé par les réglementations européennes, sous la barre des 20 millisieverts (mSv) par an. La situation sanitaire ? Les deux hôpitaux privés d’Akokan et d’Arlit entièrement financés par Areva, permettraient à la région d’afficher un taux d’espérance de vie supérieur à la triste moyenne de 45 ans du Niger. Voilà pour le tableau officiel. Trafic de ferraille. A 250 mètres sous terre, après cinq kilomètres parcourus en pick-up dans un dédale de galeries, on débouche sur « l’atelier ». Là, à la lumière artificielle, travaillent une quinzaine de mécaniciens qui réparent et entretiennent d’impressionnants engins de chantier. Chaque salarié qui descend au fond a normalement l’obligation de fixer à sa ceinture un dosimètre qui enregistre l’exposition à la radioactivité. Pourtant ce jour-là, au moins trois ouvriers travaillent sans leur dosimètre. « Il est cassé », dit l’un d’eux. « Je l’ai oublié en haut », dit un autre. Quand on le fait remarquer à un responsable de la mine, celui-ci dit : « C’est la preuve que l’on doit encore s’améliorer. » Un ouvrier affirme : « Avant dans les années 80, c’était bien pire. il y avait un règlement mais personne ne le respectait. »

Rencontré au marché d’Arlit, Seydou Ousman travaille, depuis six ans, dans une entreprise sous-traitante des deux mines. Il raconte : « Depuis que je descends au fond, je n’ai jamais rencontré une seule fois un médecin pour me tenir informé d’un impact de la radioactivité. Alors le dosimètre, ça ne sert pas à grand-chose. » L’hôpital d’Akokan, un établissement parmi les plus modernes du Niger, financé en totalité par Areva, n’a déclaré que trois maladies professionnelles depuis quinze ans. Mamoudou Soumaïla, son directeur, fait aussi office de médecin du travail de la mine de la Cominak... Et jure n’avoir mesuré aucun impact de la radioactivité sur les salariés. Pour Sherpa, ce bilan est trop beau pour être vrai. « Si la direction d’Areva est si sûre d’elle, pourquoi refuse-t-elle de lancer une étude épidémiologique indépendante ? », demande Samira Daoud de l’ONG. A l’hôpital public d’Agadez, la principale ville à 300 kilomètres au sud d’Arlit, la directrice acquiesce : « Cette étude serait une bonne chose. » Areva répond que ce n’est pas à elle, mais à l’Etat nigérien de prendre une telle initiative. Lequel botte en touche. « L’important, c’est pas d’atteindre l’idéal, mais de s’en rapprocher », répond Habibou Allele, président du conseil d’administration de la Cominak, ancien ministre des Mines, et actuel conseiller du président nigérien. A la périphérie d’Arlit, une dizaine d’échoppes font commerce de ferraille. Il y a là de tout. Et surtout des restes des deux mines : tuyaux, barres métalliques, ustensiles en tout genre... Des morceaux entiers d’engins de chantier attendent même preneur. « Ils partent pour l’Angola, où ils sont retravaillés », explique ce ferrailleur. Tout le monde semble se moquer de savoir si cette ferraille pourrait ou non être radioactive. « Ce sont les enfants qui viennent nous la vendre. Généralement, ils vont la déterrer dans le désert », explique un vendeur.

Lors d’une mission d’évaluation de quatre jours en 2004, l’IRSN (l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), un organisme public qui dépend de cinq ministères français, avait notamment relevé des traces de radioactivité (supérieur à 1 mSv par an) sur un tuyau trouvé sur ce marché. « Ce n’est pas un niveau suffisamment élevé pour justifier des mesures d’urgence de retrait. Mais ce n’est pas à négliger pour autant », assure Didier Gay de l’IRSN. Sous la pression de la Criirad et de Sherpa, Areva vient finalement de décider d’organiser la récupération des ferrailles contaminées dans les deux villes. La multinationale française ne semble avancer que sous la contrainte. Comme si elle avait, après trente ans de règne sans partage sur Arlit, du mal à accepter l’idée d’avoir à composer avec un contre-pouvoir aussi petit soit-il. Or l’ONG Aghir In’Man ne veut pas en rester là. Elle milite depuis trois ans pour une étude indépendante d’impact des deux mines sur l’environnement. « L’Etat nigérien n’a ni les moyens, ni l’expertise pour faire cette étude », assure Almoustapha Alhacen. Lors de la rapide mission de 2004, l’IRSN a pu mesurer, autour de la gendarmerie d’Akokan, un taux de radioactivité légèrement au-dessus du seuil normalement autorisé de 1mSv par an. « La faute à une cheminée de ventilation de la mine qui sort juste à côté de la gendarmerie », explique Didier Gay.

Pour l’instant Areva reste sourde aux demandes d’Aghir In’Man. « Nous avons confiance en nos mesures », répète Pascal Bourrelier, directeur général adjoint de l’activité mine du groupe. Si Areva ne cache pas de « crime contre l’humanité » au Niger, le tableau idyllique d’une entreprise responsable et généreuse ne s’avère pas non plus très crédible. Beaucoup des efforts d’Areva sont très récents. Les habitants d’Arlit continuent, eux, de vivre dans un mélange de crainte et de dépendance. Comme cette femme d’un ancien mineur, décédé d’une maladie dont elle ne sait quasiment rien. « L’hôpital de la mine a toujours refusé de me donner la moindre information », dénonce-t-elle. Puis au moment de conclure la conversation, elle lâche sa requête : « Demandez bien à la Cogema d’embaucher mes enfants. »

  1. 9 % de la production mondiale.
  2. Conformément à sa charte d’indépendance, Libération a financé son voyage.

Après trois décennies de règne sans partage au Niger, la multinationale française Areva qui exploite deux mines d’uranium est sommée de rendre des comptes. Des écologistes l’accusent de négliger la radioactivité ambiante et les effets sur la population.

En empruntant la piste de sable qui sert d’avenue principale, rien ne vient accrocher le regard. Ici, en plein désert, à 850 kilomètres au nord de Niamey, la capitale du Niger, Arlit est une grosse commune paisible et pauvre, sans relief ni attractions. Une station-service (la deuxième est en construction), un cyber-café et une immense antenne télécom sont les seuls témoins apparents d’une modernité greffée à de pauvres maisons de terre rouge. Arlit et sa petite voisine Akokan ne sont pourtant pas des villes nigériennes comme les autres. Elles respirent sous dépendance. Avec ses 1 600 employés, les deux mines d’uranium exploitées par le français Areva à quelques kilomètres de là, font vivre directement 20 000 personnes sur leurs 70 000 habitants. A la maison d’hôte d’Arlit, sur la table de nuit de chaque chambre, une note explique comment joindre par téléphone le siège de la Cogema, filiale d’Areva, à Vélizy. Sur la commode de la salle à manger, traîne un numéro de Fortune, avec Anne Lauvergeon, la présidente d’Areva en couverture. A quelques pas de là, dans la salle informatique d’une école, un poster détaille comment se fabrique l’énergie nucléaire. A l’hôpital privé, sur les murs du cabinet du pédiatre, est épinglé le bateau Areva qui portait les couleurs françaises lors de la dernière Coupe de l’America. « On est ici un peu chez nous », reconnaît un cadre dirigeant du groupe. Pourtant, aujourd’hui, seuls 10 expatriés français travaillent dans les deux mines.

Troisième producteur mondial. Arlit est sorti du sable à la fin des années 60. A l’époque le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) cherchait de l’uranium pour alimenter le futur programme nucléaire français. En 1968, la mine à ciel ouvert de la Somair (dont Areva détient 63,4 % du capital au côté de l’Etat nigérien) sort sa première tonne d’uranium. Dix ans plus tard, c’est au tour du gisement souterrain de la Cominak (dont Areva possède 34 % au côté du Niger, des Japonais et des Espagnols). Avec ses 250 kilomètres de galerie, elle est aujourd’hui la plus grande mine d’uranium souterraine du monde. Et le Niger, l’un des pays les plus pauvres de la planète, est devenu le troisième producteur d’uranium de la planète (1). Pendant trente ans, Arlit et Akokan ont vécu coupé du monde, en anonymes soutiers du nucléaire français. C’est une ONG nigérienne qui va les sortir de l’ombre. Almoustapha Alhacen, un salarié de la Somair, crée en 2001 Aghir In’Man (qui signifie bouclier humain). Deux ans plus tard, l’ONG lance sa bouteille à la mer : « On aimerait savoir si les 70 000 habitants d’Arlit vivent depuis trente ans, avec la complicité de l’Etat nigérien et d’Areva, dans des conditions de radioactivité qui mettent en péril leur santé. » Grâce à l’arrivée d’Internet à Arlit, l’ONG entre en contact avec la Criirad (la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité), un vieil adversaire d’Areva, qui se propose de débarquer avec ses appareils de mesure. Mais le jour de l’arrivée de la mission à Niamey en décembre 2003, la douane nigérienne bloque le matériel. La Criirad accuse Areva d’avoir manoeuvré pour faire capoter la mission. Le groupe dément. Areva pense alors en rester là.

« Ils veulent notre peau ». C’est Stéphane Lhomme, le porte-parole de l’association Sortir du nucléaire, en guerre contre tout ce qui touche à l’exploitation de l’atome, qui allume la mèche. Sur la chaîne Public Sénat, l’antinucléaire accuse Areva « de crime contre l’humanité » au Niger. En novembre 2004, il interpelle Anne Lauvergeon sur le plateau de France Europe Express, l’émission de Christine Ockrent, sur la situation sanitaire des deux mines. La patronne d’Areva invite l’écologiste à venir au Niger vérifier ses accusations. Lhomme décline au nom de l’indépendance. Mais la charge la plus dangereuse reste à venir : en association avec la Criirad, l’ONG Sherpa, un réseau international de juristes, présidé par l’avocat William Bourdon, connu pour avoir traîné Total en justice dans l’affaire de son gazoduc en Birmanie, prépare un rapport sur les deux mines nigériennes d’Areva. « Après Total, ils veulent notre peau », dit, paranoïaque, un cadre d’Areva. Le groupe, qui se pique de développement durable, veut surtout éviter une polémique, qui ferait désordre au moment de son projet d’introduction en Bourse. Depuis décembre 2003, Sherpa est venu à trois reprises à Arlit visiter les mines, recueillir des témoignages et chercher des preuves d’une possible contamination. « C’est la veillée d’armes. Sherpa nous avait promis que s’ils ne trouvaient rien ils ne s’obstineraient pas. Là ils s’accrochent », s’inquiète un cadre dirigeant du groupe.

La machine médiatique n’a pas attendu les conclusions du rapport pour se mettre en marche. Lors de sa dernière visite à Arlit mi-février, la mission de Sherpa a débarqué avec une équipe de télévision de Canal + et le Monde diplomatique. Pour contrer l’offensive, Areva choisit d’organiser un voyage de presse avec une vingtaine de journalistes (2). Jurant qu’Areva n’a rien à se reprocher. L’exposition des salariés à la radioactivité ? Elle a été réduite, dit le groupe, en dessous du niveau imposé par les réglementations européennes, sous la barre des 20 millisieverts (mSv) par an. La situation sanitaire ? Les deux hôpitaux privés d’Akokan et d’Arlit entièrement financés par Areva, permettraient à la région d’afficher un taux d’espérance de vie supérieur à la triste moyenne de 45 ans du Niger. Voilà pour le tableau officiel. Trafic de ferraille. A 250 mètres sous terre, après cinq kilomètres parcourus en pick-up dans un dédale de galeries, on débouche sur « l’atelier ». Là, à la lumière artificielle, travaillent une quinzaine de mécaniciens qui réparent et entretiennent d’impressionnants engins de chantier. Chaque salarié qui descend au fond a normalement l’obligation de fixer à sa ceinture un dosimètre qui enregistre l’exposition à la radioactivité. Pourtant ce jour-là, au moins trois ouvriers travaillent sans leur dosimètre. « Il est cassé », dit l’un d’eux. « Je l’ai oublié en haut », dit un autre. Quand on le fait remarquer à un responsable de la mine, celui-ci dit : « C’est la preuve que l’on doit encore s’améliorer. » Un ouvrier affirme : « Avant dans les années 80, c’était bien pire. il y avait un règlement mais personne ne le respectait. »

Rencontré au marché d’Arlit, Seydou Ousman travaille, depuis six ans, dans une entreprise sous-traitante des deux mines. Il raconte : « Depuis que je descends au fond, je n’ai jamais rencontré une seule fois un médecin pour me tenir informé d’un impact de la radioactivité. Alors le dosimètre, ça ne sert pas à grand-chose. » L’hôpital d’Akokan, un établissement parmi les plus modernes du Niger, financé en totalité par Areva, n’a déclaré que trois maladies professionnelles depuis quinze ans. Mamoudou Soumaïla, son directeur, fait aussi office de médecin du travail de la mine de la Cominak... Et jure n’avoir mesuré aucun impact de la radioactivité sur les salariés. Pour Sherpa, ce bilan est trop beau pour être vrai. « Si la direction d’Areva est si sûre d’elle, pourquoi refuse-t-elle de lancer une étude épidémiologique indépendante ? », demande Samira Daoud de l’ONG. A l’hôpital public d’Agadez, la principale ville à 300 kilomètres au sud d’Arlit, la directrice acquiesce : « Cette étude serait une bonne chose. » Areva répond que ce n’est pas à elle, mais à l’Etat nigérien de prendre une telle initiative. Lequel botte en touche. « L’important, c’est pas d’atteindre l’idéal, mais de s’en rapprocher », répond Habibou Allele, président du conseil d’administration de la Cominak, ancien ministre des Mines, et actuel conseiller du président nigérien. A la périphérie d’Arlit, une dizaine d’échoppes font commerce de ferraille. Il y a là de tout. Et surtout des restes des deux mines : tuyaux, barres métalliques, ustensiles en tout genre... Des morceaux entiers d’engins de chantier attendent même preneur. « Ils partent pour l’Angola, où ils sont retravaillés », explique ce ferrailleur. Tout le monde semble se moquer de savoir si cette ferraille pourrait ou non être radioactive. « Ce sont les enfants qui viennent nous la vendre. Généralement, ils vont la déterrer dans le désert », explique un vendeur.

Lors d’une mission d’évaluation de quatre jours en 2004, l’IRSN (l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), un organisme public qui dépend de cinq ministères français, avait notamment relevé des traces de radioactivité (supérieur à 1 mSv par an) sur un tuyau trouvé sur ce marché. « Ce n’est pas un niveau suffisamment élevé pour justifier des mesures d’urgence de retrait. Mais ce n’est pas à négliger pour autant », assure Didier Gay de l’IRSN. Sous la pression de la Criirad et de Sherpa, Areva vient finalement de décider d’organiser la récupération des ferrailles contaminées dans les deux villes. La multinationale française ne semble avancer que sous la contrainte. Comme si elle avait, après trente ans de règne sans partage sur Arlit, du mal à accepter l’idée d’avoir à composer avec un contre-pouvoir aussi petit soit-il. Or l’ONG Aghir In’Man ne veut pas en rester là. Elle milite depuis trois ans pour une étude indépendante d’impact des deux mines sur l’environnement. « L’Etat nigérien n’a ni les moyens, ni l’expertise pour faire cette étude », assure Almoustapha Alhacen. Lors de la rapide mission de 2004, l’IRSN a pu mesurer, autour de la gendarmerie d’Akokan, un taux de radioactivité légèrement au-dessus du seuil normalement autorisé de 1mSv par an. « La faute à une cheminée de ventilation de la mine qui sort juste à côté de la gendarmerie », explique Didier Gay.

Pour l’instant Areva reste sourde aux demandes d’Aghir In’Man. « Nous avons confiance en nos mesures », répète Pascal Bourrelier, directeur général adjoint de l’activité mine du groupe. Si Areva ne cache pas de « crime contre l’humanité » au Niger, le tableau idyllique d’une entreprise responsable et généreuse ne s’avère pas non plus très crédible. Beaucoup des efforts d’Areva sont très récents. Les habitants d’Arlit continuent, eux, de vivre dans un mélange de crainte et de dépendance. Comme cette femme d’un ancien mineur, décédé d’une maladie dont elle ne sait quasiment rien. « L’hôpital de la mine a toujours refusé de me donner la moindre information », dénonce-t-elle. Puis au moment de conclure la conversation, elle lâche sa requête : « Demandez bien à la Cogema d’embaucher mes enfants. »

  1. 9 % de la production mondiale.
  2. Conformément à sa charte d’indépendance, Libération a financé son voyage.


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