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Sortir du nucléaire n°74



Été 2017

Médecine du travail : collusion entre employeurs et conseil de l’Ordre ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°74 - Été 2017

 Nucléaire et santé  Travailleurs du nucléaire


Le groupe local "Sortir du nucléaire Touraine" a participé récemment à l’organisation d’une soirée de soutien au Dr Huez, médecin du travail à la centrale de Chinon et condamné par l’Ordre des Médecins. Le Réseau "Sortir du nucléaire" soutient également le Dr Huez, nous l’avons rencontré :



Le Docteur Huez, condamné par l’Ordre des médecins.

Dominique Huez, depuis une trentaine d’années vous êtes médecin du travail à la centrale nucléaire EDF de Chinon quand une société privée saisit l’Ordre des Médecins d’une plainte à votre encontre. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ?

En 2011 dans le cadre d’un examen médical en urgence, j’ai été amené à attester, pour un travailleur en exercice sur le site nucléaire de Chinon, de liens entre sa santé et la maltraitance subie depuis plusieurs mois du fait d’avoir fait valoir son droit de retrait suite à son exposition aux risques de l’amiante sur un chantier de chaudronnerie sur le site de Pierrelatte.

Près de neuf mois plus tard, ce salarié a attaqué devant les prud’hommes son employeur (la société Orys) pour harcèlement moral. Pour l’audience devant les prud’hommes, il produit mon certificat médical, entre autres documents.

En mars 2013, la société Orys m’attaque devant l’Ordre des Médecins de l’Indre-et-Loire pour un soi-disant "certificat médical de complaisance", afin de tenter d’invalider cet écrit médical qui la gêne. Pourtant je n’ai fait qu’attester médicalement, dans l’intérêt de la santé d’un salarié en grande urgence médicale, de la plausibilité du lien entre sa santé et la façon dont le traitait son entreprise, ce qu’on appelle communément les risques psychosociaux d’une organisation du travail maltraitante.

Fin 2013, la chambre disciplinaire régionale de l’Ordre des Médecins me condamne à un "avertissement". Dans ce cadre, pour la première fois, on produit une défense, constituée de l’association Santé et Médecine du Travail [1] et de mes avocats, qui remet en cause la recevabilité même des plaintes d’employeurs devant l’Ordre des Médecins. En effet, d’une part un employeur est totalement étranger aux droits, aux intérêts de la santé des travailleurs, c’est un "tiers absolu" à la santé d’un patient, et d’autre part tout médecin est contraint au silence pour toute information médicale personnelle, du fait du respect du secret médical qui s’impose à lui. Pour la Cour européenne des droits de l’homme cette impossibilité de se défendre du fait d’une "inégalité des armes" rend illégale toute plainte d’employeurs.

Centrale nucléaire de Chinon

De cet "avertissement", j’ai fait appel devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins.

L’audience a eu lieu en juin 2016. Cent personnes y ont assisté (manifestations de soutien) et j’ai pu mettre en évidence devant témoins le fait que le Président de cette chambre ne respectait pas le secret médical, en me demandant en séance le dossier médical de mon patient ! De ce fait, j’ai été condamné à nouveau à un "avertissement" et en sus à 1000 € d’amende au titre de l’article L700 du code civil pour "rétablir l’équité au profit de la société Orys" ! En sortant de mon appel en juin 2016, j’ai appris que la société Orys avait renoncé à faire appel de sa condamnation pour harcèlement moral envers mon patient par les prud’hommes de Nîmes, qu’elle concédait à payer les 20 000 € de dommages-intérêts qu’elle lui devait et acceptait un licenciement conventionnel, sans clause de confidentialité pour 80 000 €.

Le prix du silence ?

Exactement !

J’ai ensuite fait un "recours cassation" devant le Conseil d’État en décembre 2016. Parallèlement à cela, six organisations qui n’avaient pas obtenu gain de cause du gouvernement pour modifier le code de la santé publique empêchant les employeurs dans ce contexte de porter plainte contre les médecins, ont aussi déposé une requête devant le conseil d’État pour l’obtenir. Notre évaluation est que, depuis 2012, il y a au moins 100 plaintes annuelles d’employeurs contre des médecins (du travail, généralistes, psychiatres…) devant l’Ordre des Médecins pour avoir attesté d’un lien entre la santé et le travail de leur patient.

Sous la pression de l’obligation de se "concilier" avec un employeur du fait de la procédure des plaintes devant l’Ordre des Médecins qui n’est évidemment pas faite pour cela, la majorité des médecins "renoncent" à leur diagnostic. 90 % des autres sont condamnés devant une chambre disciplinaire. Il y a actuellement cinq "recours cassation", dont le mien en attente, devant le Conseil d’État. Il faut souligner que les patients ne sont jamais au courant de ces plaintes, jamais entendus, alors que la déontologie médicale est à leur profit, et les faits ne sont jamais vérifiés par l’Ordre des médecins. Les chambres disciplinaires de l’Ordre des Médecins sont des "juridictions d’exception". Elles sont utilisées par les employeurs comme des "juridictions" de droit commun, ce qu’elles ne sont pas, pour masquer les effets délétères des organisations du travail qui engageraient leur responsabilité.

Aujourd’hui quelle est votre situation ?

Début janvier 2017, la société Orys m’a signifié par voie d’huissier l’obligation immédiate de payer les 1 000 € au titre des frais invoqués par la société. Ces frais sont généralement réclamés entre 1 à 2 ans. J’ai répondu que j’attendrais l’avis du conseil d’État sur mon recours.

En février 2017, pour me contraindre à payer, la société Orys a fait une "saisie immatriculation" sur mes deux véhicules (pour une valeur d’environ 20 000 €) ; j’ai répondu que je ne paierais pas immédiatement.

En mars 2017, la société a fait une "saisie-attribution" sur mon compte épargne (d’une valeur de 10 000 €). Il y a une disproportion dans ces saisies dont le seul objet est de me nuire !

De cela j’ai saisi le juge de l’exécution au Tribunal de Grande Instance de Tours ; mon affaire devait être arbitrée le 25 avril. L’avocate de la société Orys d’Aix-en-Provence a fait repousser l’avis du juge de l’exécution pour pouvoir se présenter elle-même le 23 mai. À ce jour [18 mai 2017, NDLR], elle n’a toujours pas produit de mémoire ; son projet est manifestement de faire durer les contraintes des saisies.

Actuellement, en plus des 1 000 € d’amende, je dois 700 € de frais d’huissier et j’ai engagé près de 16 000 € pour les procédures.

Comment expliquez-vous l’attitude de la société Orys qui s’apparente à un acharnement à votre égard ?

L’objet de la société Orys est à l’évidence d’effrayer les médecins qui penseraient devoir attester du lien entre la santé et le travail. Et de fait, de moins en moins de médecins passent aujourd’hui à l’écrit médical malgré la nécessité des soins. Il est donc important d’une part qu’un arbitrage en droit de la recevabilité des plaintes soit énoncé, et d’autre part qu’une prise de conscience politique des enjeux très lourds de ces affaires émerge. En effet, si le Conseil d’État n’interdit pas aux employeurs de porter plainte devant l’Ordre des Médecins, demain, tout employeur pourrait porter plainte contre tout médecin s’il est en désaccord avec ses décisions. Si le secret médical n’est plus respecté, c’est le soubassement d’une médecine indépendante qui est effondré !

Dans l’exercice de votre profession, vous attestez du lien santé/travail. Quelles sont les particularités pour les travailleurs du nucléaire que vous avez rencontrés ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait de particularité pour les travailleurs du nucléaire ; les rayonnements ionisants constituent un facteur de risques très importants mais les activités de maintenance (chaudronnerie, sidérurgie) et les activités de génie civil lourdes sont également porteuses de risques. Tout ce qui concerne la gestion des effluents radioactifs (notamment les résines époxydiques qui condensent les produits radioactifs) doit être particulièrement encadré. EDF a considérablement développé le recours à la sous-traitance, où l’on constate que les risques psychosociaux des organisations du travail sont particulièrement exacerbés. C’est plutôt cette forme de travail qui aggrave les conditions de travail, jusqu’à porter atteinte à la sûreté.

Cette condamnation intervient dans le contexte de la loi travail. Les mesures de cette loi concernant la médecine du travail prétendent mieux protéger les "salariés à risques". Cela pourrait être favorable aux travailleurs du nucléaire ? Qu’en pensez-vous ?

Non, ce n’est pas vers davantage de protection des salariés à risques que s’orientent les nouvelles dispositions législatives. Pour ceux qui seraient en "surveillance médicale renforcée", il est demandé aux médecins du travail de juger, via une "visite d’aptitude", si ces salariés sont susceptibles de présenter des comportements dangereux pour les tiers qui les côtoient dans leur environnement de travail immédiat. Ces dispositions font suite au crash de l’avion allemand par le suicide du pilote en mars 2015 [2] et de cela, le législateur en déduit que le médecin du travail serait en capacité d’interdire de travail toute personne sur ses potentialités de péter un câble, mais pas sur des éléments médicaux. La médecine prédictive n’existe pas, la médecine du travail doit s’exercer dans un rapport de confiance avec un salarié ; sinon elle n’est d’aucune aide pour sa santé et peut ici être privative de liberté !

Pour les autres salariés, une rencontre, tous les deux ans avec un infirmier du travail qui n’a aucun statut d’indépendance et aucune possibilité d’attester d’un diagnostic médical, est très insuffisante. Il est donc désormais possible qu’un salarié ne rencontre jamais un médecin du travail s’il n’en fait pas lui-même la demande. Or, dans les suicides professionnels, qui dans la très grande majorité des cas concernent des gens sur-engagés et qui ont perdu la capacité de prendre soin de leur santé, ces personnes de ce fait n’appellent jamais au secours médicalement !

Que pensez-vous des répercussions de ces nouvelles dispositions législatives sur l’ensemble des salariés ?

Elles sont clairement contraires à la préservation de la santé au travail, annihilent une prévention médicale primaire, et instrumentalisent la médecine du travail vers une "gestion des risques" au profit des seuls employeurs !

Propos recueillis par Jean-Claude Bragoulet

Une pétition sur ce sujet est en ligne, à l’attention de l’État et de l’Ordre des Médecins

Pour le Docteur Huez,

Pour les médecins du travail, ainsi que les généralistes face aux souffrances professionnelles,

Pour les salariés, qui pourraient ne pas avoir reconnaissance et droit à réparation suite à des accidents du travail et maladies professionnelles,

Également pour les citoyens que nous sommes, attachés à une médecine préventive, garante du bien social et de la sûreté générale de l’activité industrielle,

Nous demandons :

 Que cessent les poursuites et les pressions envers le Docteur Huez, les médecins du travail, et tous les médecins qui exercent en pleine conscience leurs activités de prévention et de soin.
 À l’Ordre des Médecins, de ne pas recevoir les plaintes des employeurs et de respecter la conscience professionnelle de ses pairs.
 À l’État, garant de la protection de la santé et de la sécurité au travail, de veiller au respect des droits des travailleurs.

Premiers signataires : Convergence des services publics 37, Collectif 37 "Notre santé en danger", Ligue des Droits de l’Homme 37, Réseau "Sortir du nucléaire", CGT 37, Solidaires, FSU, association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, PCF, MRC, EELV37, PCOF37, Sciences citoyennes, association Santé et Médecine du Travail, association d’aide aux victimes et aux organisations, confrontées aux Suicides et Dépressions Professionnelles (ASDPro)

Soyons nombreux à signer cette pétition ! https://www.mesopinions.com/petition/sante/contre-collusion-entre-employeurs-ordre-medecins/29205


Notes

[2Crash de l’A320 de la compagnie Germanwings, qui a fait 150 morts, à la suite d’un acte volontaire du copilote.

Le Docteur Huez, condamné par l’Ordre des médecins.

Dominique Huez, depuis une trentaine d’années vous êtes médecin du travail à la centrale nucléaire EDF de Chinon quand une société privée saisit l’Ordre des Médecins d’une plainte à votre encontre. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ?

En 2011 dans le cadre d’un examen médical en urgence, j’ai été amené à attester, pour un travailleur en exercice sur le site nucléaire de Chinon, de liens entre sa santé et la maltraitance subie depuis plusieurs mois du fait d’avoir fait valoir son droit de retrait suite à son exposition aux risques de l’amiante sur un chantier de chaudronnerie sur le site de Pierrelatte.

Près de neuf mois plus tard, ce salarié a attaqué devant les prud’hommes son employeur (la société Orys) pour harcèlement moral. Pour l’audience devant les prud’hommes, il produit mon certificat médical, entre autres documents.

En mars 2013, la société Orys m’attaque devant l’Ordre des Médecins de l’Indre-et-Loire pour un soi-disant "certificat médical de complaisance", afin de tenter d’invalider cet écrit médical qui la gêne. Pourtant je n’ai fait qu’attester médicalement, dans l’intérêt de la santé d’un salarié en grande urgence médicale, de la plausibilité du lien entre sa santé et la façon dont le traitait son entreprise, ce qu’on appelle communément les risques psychosociaux d’une organisation du travail maltraitante.

Fin 2013, la chambre disciplinaire régionale de l’Ordre des Médecins me condamne à un "avertissement". Dans ce cadre, pour la première fois, on produit une défense, constituée de l’association Santé et Médecine du Travail [1] et de mes avocats, qui remet en cause la recevabilité même des plaintes d’employeurs devant l’Ordre des Médecins. En effet, d’une part un employeur est totalement étranger aux droits, aux intérêts de la santé des travailleurs, c’est un "tiers absolu" à la santé d’un patient, et d’autre part tout médecin est contraint au silence pour toute information médicale personnelle, du fait du respect du secret médical qui s’impose à lui. Pour la Cour européenne des droits de l’homme cette impossibilité de se défendre du fait d’une "inégalité des armes" rend illégale toute plainte d’employeurs.

Centrale nucléaire de Chinon

De cet "avertissement", j’ai fait appel devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins.

L’audience a eu lieu en juin 2016. Cent personnes y ont assisté (manifestations de soutien) et j’ai pu mettre en évidence devant témoins le fait que le Président de cette chambre ne respectait pas le secret médical, en me demandant en séance le dossier médical de mon patient ! De ce fait, j’ai été condamné à nouveau à un "avertissement" et en sus à 1000 € d’amende au titre de l’article L700 du code civil pour "rétablir l’équité au profit de la société Orys" ! En sortant de mon appel en juin 2016, j’ai appris que la société Orys avait renoncé à faire appel de sa condamnation pour harcèlement moral envers mon patient par les prud’hommes de Nîmes, qu’elle concédait à payer les 20 000 € de dommages-intérêts qu’elle lui devait et acceptait un licenciement conventionnel, sans clause de confidentialité pour 80 000 €.

Le prix du silence ?

Exactement !

J’ai ensuite fait un "recours cassation" devant le Conseil d’État en décembre 2016. Parallèlement à cela, six organisations qui n’avaient pas obtenu gain de cause du gouvernement pour modifier le code de la santé publique empêchant les employeurs dans ce contexte de porter plainte contre les médecins, ont aussi déposé une requête devant le conseil d’État pour l’obtenir. Notre évaluation est que, depuis 2012, il y a au moins 100 plaintes annuelles d’employeurs contre des médecins (du travail, généralistes, psychiatres…) devant l’Ordre des Médecins pour avoir attesté d’un lien entre la santé et le travail de leur patient.

Sous la pression de l’obligation de se "concilier" avec un employeur du fait de la procédure des plaintes devant l’Ordre des Médecins qui n’est évidemment pas faite pour cela, la majorité des médecins "renoncent" à leur diagnostic. 90 % des autres sont condamnés devant une chambre disciplinaire. Il y a actuellement cinq "recours cassation", dont le mien en attente, devant le Conseil d’État. Il faut souligner que les patients ne sont jamais au courant de ces plaintes, jamais entendus, alors que la déontologie médicale est à leur profit, et les faits ne sont jamais vérifiés par l’Ordre des médecins. Les chambres disciplinaires de l’Ordre des Médecins sont des "juridictions d’exception". Elles sont utilisées par les employeurs comme des "juridictions" de droit commun, ce qu’elles ne sont pas, pour masquer les effets délétères des organisations du travail qui engageraient leur responsabilité.

Aujourd’hui quelle est votre situation ?

Début janvier 2017, la société Orys m’a signifié par voie d’huissier l’obligation immédiate de payer les 1 000 € au titre des frais invoqués par la société. Ces frais sont généralement réclamés entre 1 à 2 ans. J’ai répondu que j’attendrais l’avis du conseil d’État sur mon recours.

En février 2017, pour me contraindre à payer, la société Orys a fait une "saisie immatriculation" sur mes deux véhicules (pour une valeur d’environ 20 000 €) ; j’ai répondu que je ne paierais pas immédiatement.

En mars 2017, la société a fait une "saisie-attribution" sur mon compte épargne (d’une valeur de 10 000 €). Il y a une disproportion dans ces saisies dont le seul objet est de me nuire !

De cela j’ai saisi le juge de l’exécution au Tribunal de Grande Instance de Tours ; mon affaire devait être arbitrée le 25 avril. L’avocate de la société Orys d’Aix-en-Provence a fait repousser l’avis du juge de l’exécution pour pouvoir se présenter elle-même le 23 mai. À ce jour [18 mai 2017, NDLR], elle n’a toujours pas produit de mémoire ; son projet est manifestement de faire durer les contraintes des saisies.

Actuellement, en plus des 1 000 € d’amende, je dois 700 € de frais d’huissier et j’ai engagé près de 16 000 € pour les procédures.

Comment expliquez-vous l’attitude de la société Orys qui s’apparente à un acharnement à votre égard ?

L’objet de la société Orys est à l’évidence d’effrayer les médecins qui penseraient devoir attester du lien entre la santé et le travail. Et de fait, de moins en moins de médecins passent aujourd’hui à l’écrit médical malgré la nécessité des soins. Il est donc important d’une part qu’un arbitrage en droit de la recevabilité des plaintes soit énoncé, et d’autre part qu’une prise de conscience politique des enjeux très lourds de ces affaires émerge. En effet, si le Conseil d’État n’interdit pas aux employeurs de porter plainte devant l’Ordre des Médecins, demain, tout employeur pourrait porter plainte contre tout médecin s’il est en désaccord avec ses décisions. Si le secret médical n’est plus respecté, c’est le soubassement d’une médecine indépendante qui est effondré !

Dans l’exercice de votre profession, vous attestez du lien santé/travail. Quelles sont les particularités pour les travailleurs du nucléaire que vous avez rencontrés ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait de particularité pour les travailleurs du nucléaire ; les rayonnements ionisants constituent un facteur de risques très importants mais les activités de maintenance (chaudronnerie, sidérurgie) et les activités de génie civil lourdes sont également porteuses de risques. Tout ce qui concerne la gestion des effluents radioactifs (notamment les résines époxydiques qui condensent les produits radioactifs) doit être particulièrement encadré. EDF a considérablement développé le recours à la sous-traitance, où l’on constate que les risques psychosociaux des organisations du travail sont particulièrement exacerbés. C’est plutôt cette forme de travail qui aggrave les conditions de travail, jusqu’à porter atteinte à la sûreté.

Cette condamnation intervient dans le contexte de la loi travail. Les mesures de cette loi concernant la médecine du travail prétendent mieux protéger les "salariés à risques". Cela pourrait être favorable aux travailleurs du nucléaire ? Qu’en pensez-vous ?

Non, ce n’est pas vers davantage de protection des salariés à risques que s’orientent les nouvelles dispositions législatives. Pour ceux qui seraient en "surveillance médicale renforcée", il est demandé aux médecins du travail de juger, via une "visite d’aptitude", si ces salariés sont susceptibles de présenter des comportements dangereux pour les tiers qui les côtoient dans leur environnement de travail immédiat. Ces dispositions font suite au crash de l’avion allemand par le suicide du pilote en mars 2015 [2] et de cela, le législateur en déduit que le médecin du travail serait en capacité d’interdire de travail toute personne sur ses potentialités de péter un câble, mais pas sur des éléments médicaux. La médecine prédictive n’existe pas, la médecine du travail doit s’exercer dans un rapport de confiance avec un salarié ; sinon elle n’est d’aucune aide pour sa santé et peut ici être privative de liberté !

Pour les autres salariés, une rencontre, tous les deux ans avec un infirmier du travail qui n’a aucun statut d’indépendance et aucune possibilité d’attester d’un diagnostic médical, est très insuffisante. Il est donc désormais possible qu’un salarié ne rencontre jamais un médecin du travail s’il n’en fait pas lui-même la demande. Or, dans les suicides professionnels, qui dans la très grande majorité des cas concernent des gens sur-engagés et qui ont perdu la capacité de prendre soin de leur santé, ces personnes de ce fait n’appellent jamais au secours médicalement !

Que pensez-vous des répercussions de ces nouvelles dispositions législatives sur l’ensemble des salariés ?

Elles sont clairement contraires à la préservation de la santé au travail, annihilent une prévention médicale primaire, et instrumentalisent la médecine du travail vers une "gestion des risques" au profit des seuls employeurs !

Propos recueillis par Jean-Claude Bragoulet

Une pétition sur ce sujet est en ligne, à l’attention de l’État et de l’Ordre des Médecins

Pour le Docteur Huez,

Pour les médecins du travail, ainsi que les généralistes face aux souffrances professionnelles,

Pour les salariés, qui pourraient ne pas avoir reconnaissance et droit à réparation suite à des accidents du travail et maladies professionnelles,

Également pour les citoyens que nous sommes, attachés à une médecine préventive, garante du bien social et de la sûreté générale de l’activité industrielle,

Nous demandons :

 Que cessent les poursuites et les pressions envers le Docteur Huez, les médecins du travail, et tous les médecins qui exercent en pleine conscience leurs activités de prévention et de soin.
 À l’Ordre des Médecins, de ne pas recevoir les plaintes des employeurs et de respecter la conscience professionnelle de ses pairs.
 À l’État, garant de la protection de la santé et de la sécurité au travail, de veiller au respect des droits des travailleurs.

Premiers signataires : Convergence des services publics 37, Collectif 37 "Notre santé en danger", Ligue des Droits de l’Homme 37, Réseau "Sortir du nucléaire", CGT 37, Solidaires, FSU, association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, PCF, MRC, EELV37, PCOF37, Sciences citoyennes, association Santé et Médecine du Travail, association d’aide aux victimes et aux organisations, confrontées aux Suicides et Dépressions Professionnelles (ASDPro)

Soyons nombreux à signer cette pétition ! https://www.mesopinions.com/petition/sante/contre-collusion-entre-employeurs-ordre-medecins/29205



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