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Parole de militant

Matsuko, japonaise, réfugiée en France : "Je voudrais que mon pays sorte du cauchemar nucléaire"

Article publié le 26 octobre 2011



Je m’appelle Matsuko, je suis rédactrice free-lance. J’habite dans la banlieue de Tokyo à Chiba, à 200 km de la centrale de Fukushima. Je suis venue en Europe pour passer des examens médicaux car je suis inquiète, et aussi pour faire une pause, loin de mon pays.

Est-ce que tu peux nous décrire le début de la catastrophe ?

A Tokyo tout le monde est descendu dans la rue, suite au tremblement de terre. Ma mère m’a avertie de rester à la maison car elle avait entendu parler d’une explosion dans une centrale nucléaire, mais peu de gens étaient informés. Les médias ne parlaient que du tremblement de terre et du tsunami. Plus tard, le discours officiel était « Ne vous inquiétez pas, tout est sous-contrôle ».

Début avril, le gouvernement a passé une loi et a créé une équipe en charge de « faire taire » les rumeurs sur internet. Les opérateurs de téléphonie et d’internet devaient prendre des mesures pour effacer les contenus portant atteinte « à l’ordre public et à la sécurité » [1].

Moins d’informations circulaient ; mais ce qui m’a vraiment surprise, c’est que beaucoup de Japonais ne veulent pas savoir : ils préfèrent se voiler la face car la vérité est trop effrayante.

Je fais partie de l’association « Radiations Defense Project », nous sommes 5 000 sur Facebook. Nous avons acheté des compteurs Geiger et demandé à un institut professionnel d’effectuer des mesures de radioactivité du sol dans plus de 130 endroits à Tokyo et en banlieue. Nous avons découvert des doses extrêmement préoccupantes, avec certaines mesures aussi importantes qu’à Tchernobyl.

Nous avons organisé une conférence de presse début août pour communiquer ces résultats ; ces informations ont été largement reprises par les médias japonais. Cela a incité le gouvernement a enfin entreprendre des mesures de décontamination, mais ces mesures ne concernent que la province de Fukushima. Nos résultats ont prouvé que la contamination touche aussi Tokyo et sa banlieue où résident 38 millions d’habitants, soit la métropole la plus peuplée au monde.

Comment vit-on au jour le jour dans ce quotidien nucléaire ?

Personnellement j’ai très peur et je porte constamment un masque. Je vis dans le centre mais j’achète des légumes venant de l’ouest du Japon. J’ai arrêté de manger de la viande, des œufs, de boire du lait. Je me posais des questions sur mon état de santé, alors j’ai décidé de partir, de passer quelque temps loin de la radioactivité. Grâce à des amis, j’ai effectué une anthropogammamétrie (Whole Body Counting, WBC) à Berlin. Les résultats ont montré une contamination au Cesium 137 trois fois supérieure à la norme [2]. Cela m’a vraiment effrayée car j’avais pris le maximum de mesures pour me protéger.

Je suis ensuite venue en France et j’étais à Avignon [à 30 km, NDRL] quand a eu lieu l’accident nucléaire de Marcoule. J’ai eu le sentiment d’être poursuivie par cet enfer nucléaire. Je ne comprends pas qu’on nous ait imposé cette industrie si dangereuse.

Demain je repars au Japon la peur au ventre. Je vais déménager à l’ouest, qui est moins contaminé. Malheureusement, mon fiancé travaille à Tokyo et ne pourra pas me suivre. Nous devions nous marier en mars, ensuite avoir un bébé. Tout est remis en cause. Cette catastrophe nucléaire a causé la séparation de nombreux couples de Japonais, car les femmes veulent partir pour protéger leurs enfants et souvent, leurs maris ne comprennent pas, ou ne peuvent pas les suivre.

Mon projet est de créer un réseau afin d’aider les familles de Fukushima à déménager vers l’ouest pour protéger leurs enfants.

Je veux que mon pays sorte du nucléaire le plus rapidement possible. Le 19 septembre, 60 000 personnes se sont réunies à Tokyo pour demander la fin du nucléaire [3]. Nous ne pouvons plus continuer à vivre dans la peur !

Propos recueillis par Karine. Merci à elle !

Résultats de l’anthropogammamétrie

Notes

[1https://www.soumu.go.jp/menu_news/s-news/01kiban08_01000023.html (lien vers la page du Ministère Japonais annonçant les mesures de censure en date du 6 avril 2011)

[2Résultats de l’anthropogammamétrie : voir le document ci-dessus

Je m’appelle Matsuko, je suis rédactrice free-lance. J’habite dans la banlieue de Tokyo à Chiba, à 200 km de la centrale de Fukushima. Je suis venue en Europe pour passer des examens médicaux car je suis inquiète, et aussi pour faire une pause, loin de mon pays.

Est-ce que tu peux nous décrire le début de la catastrophe ?

A Tokyo tout le monde est descendu dans la rue, suite au tremblement de terre. Ma mère m’a avertie de rester à la maison car elle avait entendu parler d’une explosion dans une centrale nucléaire, mais peu de gens étaient informés. Les médias ne parlaient que du tremblement de terre et du tsunami. Plus tard, le discours officiel était « Ne vous inquiétez pas, tout est sous-contrôle ».

Début avril, le gouvernement a passé une loi et a créé une équipe en charge de « faire taire » les rumeurs sur internet. Les opérateurs de téléphonie et d’internet devaient prendre des mesures pour effacer les contenus portant atteinte « à l’ordre public et à la sécurité » [1].

Moins d’informations circulaient ; mais ce qui m’a vraiment surprise, c’est que beaucoup de Japonais ne veulent pas savoir : ils préfèrent se voiler la face car la vérité est trop effrayante.

Je fais partie de l’association « Radiations Defense Project », nous sommes 5 000 sur Facebook. Nous avons acheté des compteurs Geiger et demandé à un institut professionnel d’effectuer des mesures de radioactivité du sol dans plus de 130 endroits à Tokyo et en banlieue. Nous avons découvert des doses extrêmement préoccupantes, avec certaines mesures aussi importantes qu’à Tchernobyl.

Nous avons organisé une conférence de presse début août pour communiquer ces résultats ; ces informations ont été largement reprises par les médias japonais. Cela a incité le gouvernement a enfin entreprendre des mesures de décontamination, mais ces mesures ne concernent que la province de Fukushima. Nos résultats ont prouvé que la contamination touche aussi Tokyo et sa banlieue où résident 38 millions d’habitants, soit la métropole la plus peuplée au monde.

Comment vit-on au jour le jour dans ce quotidien nucléaire ?

Personnellement j’ai très peur et je porte constamment un masque. Je vis dans le centre mais j’achète des légumes venant de l’ouest du Japon. J’ai arrêté de manger de la viande, des œufs, de boire du lait. Je me posais des questions sur mon état de santé, alors j’ai décidé de partir, de passer quelque temps loin de la radioactivité. Grâce à des amis, j’ai effectué une anthropogammamétrie (Whole Body Counting, WBC) à Berlin. Les résultats ont montré une contamination au Cesium 137 trois fois supérieure à la norme [2]. Cela m’a vraiment effrayée car j’avais pris le maximum de mesures pour me protéger.

Je suis ensuite venue en France et j’étais à Avignon [à 30 km, NDRL] quand a eu lieu l’accident nucléaire de Marcoule. J’ai eu le sentiment d’être poursuivie par cet enfer nucléaire. Je ne comprends pas qu’on nous ait imposé cette industrie si dangereuse.

Demain je repars au Japon la peur au ventre. Je vais déménager à l’ouest, qui est moins contaminé. Malheureusement, mon fiancé travaille à Tokyo et ne pourra pas me suivre. Nous devions nous marier en mars, ensuite avoir un bébé. Tout est remis en cause. Cette catastrophe nucléaire a causé la séparation de nombreux couples de Japonais, car les femmes veulent partir pour protéger leurs enfants et souvent, leurs maris ne comprennent pas, ou ne peuvent pas les suivre.

Mon projet est de créer un réseau afin d’aider les familles de Fukushima à déménager vers l’ouest pour protéger leurs enfants.

Je veux que mon pays sorte du nucléaire le plus rapidement possible. Le 19 septembre, 60 000 personnes se sont réunies à Tokyo pour demander la fin du nucléaire [3]. Nous ne pouvons plus continuer à vivre dans la peur !

Propos recueillis par Karine. Merci à elle !

Résultats de l’anthropogammamétrie


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