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Sortir du nucléaire n°79



Automne 2018

Actualités

Les dernières actualités de l’EPR : entre fuite en avant et délires hors-sol

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°79 - Automne 2018

 EPR


Alors que le chantier de l’EPR de Flamanville connaît de nouveaux déboires, EDF plaide pour la construction de nouveaux exemplaires. Un projet inquiétant… mais surtout irréaliste.



Six nouveaux EPR : EDF prend ses rêves pour des réalités

Le 30 août, Les Échos dévoilaient l’existence d’un rapport classé secret défense, commandé par Nicolas Hulot, alors ministre de l’Écologie et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie sur "le maintien des capacités industrielles de la filière nucléaire en vue de potentielles nouvelles constructions de réacteurs". Selon Les Échos, ce texte préconiserait la construction de six réacteurs EPR, avec un premier chantier à partir de 2025 pour une mise en service en 2035 !

Ce rapport est-il un parmi tant d’autres, ou une publication stratégique ? Impossible à déterminer. D’autant que les ministères commanditaires n’ont pas souhaité réagir. On relèvera surtout qu’il a été commandé à Laurent Collet-Billon, ex-délégué général à l’armement, et à Yannick d’Escatha, ingénieur du Corps des Mines (X-Mines), ancien administrateur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et actuel conseiller du PDG d’EDF, ce qui en dit long sur l’objectivité du propos et sur l’influence du lobby nucléaire sur le gouvernement.

Le chiffre cité ne sort pas de nulle part. Depuis plusieurs mois, la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), le lobby officiel de l’atome, pousse ses pions et martèle qu’il faudrait construire au moins une série de six EPR « nouvelle génération » pour que ce réacteur soit rentable. Une telle proposition ne tient pas debout. « Industriellement parlant, ce n’est pas réaliste », tranche Mycle Schneider, expert indépendant. Co-auteur et éditeur du World Nuclear Industry Status Report [1] met en évidence les délais et coûts de construction qui s’allongent, et surtout une perte de compétence avérée de l’industrie nucléaire française. Par ailleurs, comme le souligne une étude récente du WWF [Sauver EDF par la transition, étude publiée le 6 septembre par le WWF.]] sur l’état de santé économique d’EDF, l’entreprise est déjà plombée par 43 milliards d’euros de dette et par les lourds investissements prévus pour la prolongation de ses vieux réacteurs (sans parler des incertitudes sur les coûts de la gestion des déchets et du démantèlement). Si elle veut éviter la faillite, elle ne peut plus se permettre d’investir dans l’EPR.

EDF est-elle donc à ce point aveuglée sur ses capacités ? Ou cette proposition est-elle sciemment gonflée pour garantir au moins l’acceptation de quelques nouveaux projets, en laissant le gouvernement trancher sur une position « médiane » et valider, au final, « juste » une ou deux nouvelles constructions de réacteurs ?

Le chantier de l’EPR va de mal en pis

Mais pour qu’un nouveau projet soit accordé, encore faudrait-il qu’EDF finisse la construction de l’EPR de Flamanville ! Or le chantier, dont le coût atteint désormais 10,9 milliards d’euros (il était estimé à 2,5 milliards lorsque la décision politique de construction avait été prise), a plus de 7 années de retard, si bien que le chargement en combustible du réacteur [2] n’est pas prévu avant fin 2019 et le raccordement au réseau électrique avant 2020.

Dernier problème en date : des défauts sur les soudures du circuit secondaire, où circule la vapeur sous pression destinée à faire tourner les turbines. Sur cette affaire – à propos de laquelle nous avons déposé plainte en juillet 2018 – EDF a péché à tous les niveaux. Le niveau de qualité supérieure exigé pour ces pièces cruciales n’était pas au rendez-vous, les prescriptions n’ayant pas été transmises au fabricant. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n’a été avertie que deux ans après la détection du problème. Enfin, les contrôles effectués laissent franchement à désirer, des pièces ayant été déclarées conformes malgré leurs défauts. Dans une lettre salée, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) pointe « des défaillances humaines et organisationnelles », « un manque de rigueur des fournisseurs » et « une insuffisance du système de surveillance mis en place par EDF ». Sur 148 soudures, 53 devront être reprises, dont 20 intégralement refaites. Cela prendra du temps, les tuyauteries concernées mesurant 360 mètres de long…

À l’international, peu d’accords, mais pour des projets empoisonnés…

À l’étranger, le sort de l’EPR n’est guère meilleur, les projets mis en avant par EDF cachent de lourdes difficultés. Le chantier d’Olkiluoto, en Finlande, patauge toujours. La construction dure depuis treize ans et la connexion au réseau n’est pas attendue avant mai 2019. Et si l’un des deux réacteurs EPR sur le site chinois de Taishan a été connecté au réseau électrique fin juin, il n’est pas épargné par les malfaçons. Fin 2017, un journal de Hong Kong évoquait une pièce fissurée lors des derniers essais. « Même si cela n’a pas été beaucoup documenté, il y a effectivement eu de gros problèmes sur le chantier. Un composant de 40 mètres de long a même dû être remplacé », note Mycle Schneider. « Et on peut être à peu près certains qu’une des deux cuves comporte les mêmes défauts que celle de l’EPR de Flamanville  », relève-t-il.

Quant aux rares projets de construction à l’ordre du jour, ils risquent de se transformer en problèmes insolubles pour EDF. Celle-ci n’a pas la capacité de faire face aux investissements et devra envisager de lourdes concessions. Annoncé depuis près de dix ans et fortement contesté localement, le projet de six réacteurs EPR à Jaitapur, en Inde, tarde à se concrétiser. En effet, EDF et le gouvernement indien multiplient les accords « en vue de la signature d’un accord », mais butent toujours sur le partage des risques financiers.

En outre, pour financer la paire de réacteurs EPR prévue à Hinkley Point, en Angleterre, EDF a dû solliciter des partenaires chinois en échange de contreparties (si bien qu’elle se retrouve en réalité en situation de promouvoir un futur concurrent). Surtout, elle a dû imposer le recours à un mécanisme de « prix garantis » contesté aussi bien outre-Manche qu’au sein d’EDF. Dans un rapport de juin 2017 [3], le National Audit Office, chargé de contrôler les dépenses gouvernementales, a estimé que l’accord en vue de la construction d’Hinkley Point avait « enfermé les consommateurs dans un projet risqué et coûteux, aux bénéfices stratégiques et économiques incertains ». Quant au personnel d’EDF, il n’est pas en reste. En mars 2016, le directeur financier avait déjà démissionné pour protester contre une catastrophe financière annoncée. Les syndicats, vent debout contre un projet pharaonique dont ils pressentent qu’il pourrait mener le groupe à la ruine, viennent d’ailleurs d’obtenir une décision de justice forçant EDF à publier le rapport sur les risques liés à Hinkley Point, rapport qui ne leur avait pas été présenté dans son intégralité.

Persistant dans son aveuglement, malgré les signaux d’alerte, EDF n’entrevoit comme stratégie que la fuite en avant. "EDF a besoin de construire de nouveaux réacteurs comme le cycliste doit pédaler pour tenir debout", prétend Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF. À force de pédaler sans s’arrêter, elle va finir par rentrer dans le mur…

Charlotte Mijeon


Notes

[2L’étape du chargement en combustible de l’EPR est par ailleurs l’échéance retenue par le gouvernement pour la fermeture de Fessenheim. Par un renversement absurde de la logique de la loi de transition énergétique, le sort d’une centrale à bout de souffle est rendu tributaire des aléas d’un chantier chaotique.

Six nouveaux EPR : EDF prend ses rêves pour des réalités

Le 30 août, Les Échos dévoilaient l’existence d’un rapport classé secret défense, commandé par Nicolas Hulot, alors ministre de l’Écologie et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie sur "le maintien des capacités industrielles de la filière nucléaire en vue de potentielles nouvelles constructions de réacteurs". Selon Les Échos, ce texte préconiserait la construction de six réacteurs EPR, avec un premier chantier à partir de 2025 pour une mise en service en 2035 !

Ce rapport est-il un parmi tant d’autres, ou une publication stratégique ? Impossible à déterminer. D’autant que les ministères commanditaires n’ont pas souhaité réagir. On relèvera surtout qu’il a été commandé à Laurent Collet-Billon, ex-délégué général à l’armement, et à Yannick d’Escatha, ingénieur du Corps des Mines (X-Mines), ancien administrateur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et actuel conseiller du PDG d’EDF, ce qui en dit long sur l’objectivité du propos et sur l’influence du lobby nucléaire sur le gouvernement.

Le chiffre cité ne sort pas de nulle part. Depuis plusieurs mois, la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), le lobby officiel de l’atome, pousse ses pions et martèle qu’il faudrait construire au moins une série de six EPR « nouvelle génération » pour que ce réacteur soit rentable. Une telle proposition ne tient pas debout. « Industriellement parlant, ce n’est pas réaliste », tranche Mycle Schneider, expert indépendant. Co-auteur et éditeur du World Nuclear Industry Status Report [1] met en évidence les délais et coûts de construction qui s’allongent, et surtout une perte de compétence avérée de l’industrie nucléaire française. Par ailleurs, comme le souligne une étude récente du WWF [Sauver EDF par la transition, étude publiée le 6 septembre par le WWF.]] sur l’état de santé économique d’EDF, l’entreprise est déjà plombée par 43 milliards d’euros de dette et par les lourds investissements prévus pour la prolongation de ses vieux réacteurs (sans parler des incertitudes sur les coûts de la gestion des déchets et du démantèlement). Si elle veut éviter la faillite, elle ne peut plus se permettre d’investir dans l’EPR.

EDF est-elle donc à ce point aveuglée sur ses capacités ? Ou cette proposition est-elle sciemment gonflée pour garantir au moins l’acceptation de quelques nouveaux projets, en laissant le gouvernement trancher sur une position « médiane » et valider, au final, « juste » une ou deux nouvelles constructions de réacteurs ?

Le chantier de l’EPR va de mal en pis

Mais pour qu’un nouveau projet soit accordé, encore faudrait-il qu’EDF finisse la construction de l’EPR de Flamanville ! Or le chantier, dont le coût atteint désormais 10,9 milliards d’euros (il était estimé à 2,5 milliards lorsque la décision politique de construction avait été prise), a plus de 7 années de retard, si bien que le chargement en combustible du réacteur [2] n’est pas prévu avant fin 2019 et le raccordement au réseau électrique avant 2020.

Dernier problème en date : des défauts sur les soudures du circuit secondaire, où circule la vapeur sous pression destinée à faire tourner les turbines. Sur cette affaire – à propos de laquelle nous avons déposé plainte en juillet 2018 – EDF a péché à tous les niveaux. Le niveau de qualité supérieure exigé pour ces pièces cruciales n’était pas au rendez-vous, les prescriptions n’ayant pas été transmises au fabricant. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n’a été avertie que deux ans après la détection du problème. Enfin, les contrôles effectués laissent franchement à désirer, des pièces ayant été déclarées conformes malgré leurs défauts. Dans une lettre salée, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) pointe « des défaillances humaines et organisationnelles », « un manque de rigueur des fournisseurs » et « une insuffisance du système de surveillance mis en place par EDF ». Sur 148 soudures, 53 devront être reprises, dont 20 intégralement refaites. Cela prendra du temps, les tuyauteries concernées mesurant 360 mètres de long…

À l’international, peu d’accords, mais pour des projets empoisonnés…

À l’étranger, le sort de l’EPR n’est guère meilleur, les projets mis en avant par EDF cachent de lourdes difficultés. Le chantier d’Olkiluoto, en Finlande, patauge toujours. La construction dure depuis treize ans et la connexion au réseau n’est pas attendue avant mai 2019. Et si l’un des deux réacteurs EPR sur le site chinois de Taishan a été connecté au réseau électrique fin juin, il n’est pas épargné par les malfaçons. Fin 2017, un journal de Hong Kong évoquait une pièce fissurée lors des derniers essais. « Même si cela n’a pas été beaucoup documenté, il y a effectivement eu de gros problèmes sur le chantier. Un composant de 40 mètres de long a même dû être remplacé », note Mycle Schneider. « Et on peut être à peu près certains qu’une des deux cuves comporte les mêmes défauts que celle de l’EPR de Flamanville  », relève-t-il.

Quant aux rares projets de construction à l’ordre du jour, ils risquent de se transformer en problèmes insolubles pour EDF. Celle-ci n’a pas la capacité de faire face aux investissements et devra envisager de lourdes concessions. Annoncé depuis près de dix ans et fortement contesté localement, le projet de six réacteurs EPR à Jaitapur, en Inde, tarde à se concrétiser. En effet, EDF et le gouvernement indien multiplient les accords « en vue de la signature d’un accord », mais butent toujours sur le partage des risques financiers.

En outre, pour financer la paire de réacteurs EPR prévue à Hinkley Point, en Angleterre, EDF a dû solliciter des partenaires chinois en échange de contreparties (si bien qu’elle se retrouve en réalité en situation de promouvoir un futur concurrent). Surtout, elle a dû imposer le recours à un mécanisme de « prix garantis » contesté aussi bien outre-Manche qu’au sein d’EDF. Dans un rapport de juin 2017 [3], le National Audit Office, chargé de contrôler les dépenses gouvernementales, a estimé que l’accord en vue de la construction d’Hinkley Point avait « enfermé les consommateurs dans un projet risqué et coûteux, aux bénéfices stratégiques et économiques incertains ». Quant au personnel d’EDF, il n’est pas en reste. En mars 2016, le directeur financier avait déjà démissionné pour protester contre une catastrophe financière annoncée. Les syndicats, vent debout contre un projet pharaonique dont ils pressentent qu’il pourrait mener le groupe à la ruine, viennent d’ailleurs d’obtenir une décision de justice forçant EDF à publier le rapport sur les risques liés à Hinkley Point, rapport qui ne leur avait pas été présenté dans son intégralité.

Persistant dans son aveuglement, malgré les signaux d’alerte, EDF n’entrevoit comme stratégie que la fuite en avant. "EDF a besoin de construire de nouveaux réacteurs comme le cycliste doit pédaler pour tenir debout", prétend Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF. À force de pédaler sans s’arrêter, elle va finir par rentrer dans le mur…

Charlotte Mijeon



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