Parler des problèmes environnementaux globaux qui touchent la planète, cest parler des modes de vie qui engendrent ces problèmes. Cest le cas du changement climatique et du mode de production et de consommation de lénergie (transports compris), principal responsable de ce problème. La production délectricité par lénergie nucléaire est parfois mise en avant comme la solution (ou lune des solutions) au problème du changement climatique. Quen est-il exactement ?
État des lieux
Il existe différents gaz dits gaz à effet de serre (GES), mais le dioxyde de carbone (CO2) est le plus répandu et sert de mesure déquivalence pour les autres gaz (1). Le nucléaire produit en moyenne 35 g déquivalent CO2/kWh, contre 400 à 500 g de CO2/kWh pour les centrales à pétrole et 1 200 g de CO2/kWh pour les centrales à charbon. Les énergies renouvelables produisent moins de 20 g de CO2/kWh (2), excepté lénergie photovoltaïque qui varie entre 100 et 200 g de CO2/kWh. La faible teneur en gaz à effet de serre des émissions des centrales nucléaires est largument mis en avant pour proposer le nucléaire comme solution à leffet de serre.
La place de lélectricité nucléaire : 7% de la consommation mondiale dénergie
Le nucléaire est utilisé aujourdhui dans le domaine de lénergie pour produire de lélectricité. La production mondiale délectricité en 2000 (11 000 TWh) était assurée à 16% par la filière nucléaire (7% de la production dénergie), 64% par les combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz), le reste étant produit par les énergies renouvelables et le grand hydraulique.
Par ailleurs, le secteur de lélectricité, à léchelle de la planète, représente aujourdhui un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
De ces chiffres, il ressort que le nucléaire peut prétendre aujourdhui, à réduire de 6% au maximum les émissions de gaz à effet de serre.
Questions posées :
- Toutes filières confondues, la production délectricité prévue en 2010 est de 21 000 TWh (près du double par rapport à 2000). A cette échelle, quen serait-il si le nucléaire se développait sur une échelle 10 fois supérieure à celle daujourdhui ?
- Le nucléaire permet-il et permettrait-il de réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre ?
Analyse critique
Substitution techniquement possible ou non ?
- Si on voulait remplacer une grande partie des énergies fossiles pour assurer laugmentation de la demande délectricité dici à 2010, il faudrait construire des centaines de réacteurs en huit ans (le record de 1984 a été de 38 réacteurs raccordés en un an).
- Les réserves en combustible nucléaire ne sont pas suffisantes pour des perspectives à long terme et à grande échelle (réserves connues à lheure actuelle : 4 milliards de tonnes, soit environ 65 ans avec la consommation actuelle, source AIEA 2001). (3)
- Les déchets nucléaires poseront des problèmes de stockage et de retraitement prononcés car pour le moment aucune solution de confinement adaptée nest disponible pour le court terme, et encore moins pour le long terme.
- Seuls les réseaux électriques des pays développés peuvent supporter les puissances considérables délivrées par les réacteurs actuels. De plus, le nucléaire sappuie sur une forme centralisée de la production dénergie, ce qui nest pas sans implications et contraintes de différentes natures (politiques, pratiques, sociales et économiques) et des pertes au niveau de lefficacité énergétique dues au transport de lélectricité.
Substitution économiquement rentable ?
La raison principale qui explique labandon progressif du nucléaire dans le monde est de nature économique. Les nouvelles usines nucléaires ont un coût nettement plus élevé par kWh que les nouvelles usines fonctionnant au gaz à cycle combiné, qui sont également peu émettrices (représentant environ un quart des émissions dune usine de charbon). Mais ces mêmes usines de gaz sont quasiment battues au niveau du prix par les éoliennes modernes à très faibles émissions carbonées (inférieures à celles du nucléaire). Si un impôt de carbone parvenait à aider les usines nucléaires à être plus concurrentes sur le marché, il aiderait davantage leurs concurrents meilleur marché et déjà développés (entre autres ,certaines énergies renouvelables, le gaz en cogénération, etc.)
Largent dépensé en France et dans le monde monopolise des sommes qui, si elles étaient dépensées en des alternatives moins chères, serait plus favorable au climat (4). La consommation capitalistique du nucléaire est telle quelle limite considérablement les possibilités dévolution du reste du secteur énergétique (5).
Et même si cétait possible, ce ne serait pas la solution à leffet de serre
Et même si on y arrivait, resteraient les émissions des autres secteurs dactivité (habitat, transport, agriculture), à lorigine de plus 60% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
En France, par exemple, le secteur de lénergie ne représente que 11% des émissions de gaz à effet de serre. Le nucléaire représente, en 2002, 76% de la production délectricité et lélectricité nucléaire représente 16% de la consommation dénergie en France, transports compris .
Le nucléaire ne peut pas remédier aux émissions liées à lagriculture, à lindustrie et aux déchets. Il pourrait éventuellement intervenir au niveau des transports si lon choisissait loption généralisée des voitures électriques. Mais cette option, en plus de ses problèmes intrinsèques, obligerait à répandre sur le territoire français des centaines de réacteurs nucléaires. Ce qui nous renvoie aux points abordés ci-dessous sur les risques et autres nuisances dun développement accentué de lélectricité nucléaire.
Répartition des émissions par secteur dactivité en France pour lannée 2001
Le nucléaire nécessite (pour subvenir aux fortes demandes hivernales du chauffage électrique) un secteur dappoint qui, pour le moment, est produit par les centrales thermiques, grandes émettrices de gaz à effet de serre. De plus, le chauffage électrique est un chauffage très faiblement efficace (entre 1/4 et 1/3 de lénergie produite - et payée - est réellement utilisée pour chauffer lair de la pièce) (6). Le nucléaire nécessite donc un complément fioul, gaz ou autre pour répondre aux besoins de chauffage des bâtiments. Or, combiné avec un carburant classique , le nucléaire se fait aisément concurrencer en terme démissions, en comparaison des énergies utilisant la cogénération, de type biogaz, etc.
Et il faut aussi prendre en compte les risques inhérents au nucléaire :
- Le risque de criticité et daccidents deviendrait considérablement plus élevé, exposant la planète à un risque tout aussi peu souhaitable que le changement climatique.
- Si le parc électronucléaire, ainsi disséminé dans le monde entier, était multiplié par trois en 2010, quadviendrait-il des déchets nucléaires dont on ne sait déjà que faire ?
- Par chance, les derniers conflits et attentats ont épargné les réacteurs en fonctionnement et les centres de stockage des déchets
Nos propositions :
La maîtrise de lénergie dune part et les énergies renouvelables dautre part fournissent ensemble une solution
- Efficace
Léolien ou lhydraulique produisent moins de gaz à effet de serre que le nucléaire (respectivement 20 g et 33 g déquivalent CO2/kWh). Les filières bois-gaz ou biogaz (ou méthane) en cogénération sont encore moins émettrices . Ces énergies peuvent remplacer le nucléaire .
Le nucléaire, cest aussi une culture de loffre aboutissant à un gaspillage. La maîtrise de lénergie est lautre clé de la réponse. Lénergie qui pollue le moins est celle quon ne produit pas.
- Source dindépendance énergétique et de décentralisation
Le nucléaire ne procure pas à la France lindépendance énergétique puisquelle est dépendante des importations duranium. Au contraire, les énergies renouvelables et lefficacité énergétique procurent cette indépendance et, par ailleurs, permettent davoir une production décentralisée répondant plus efficacement à la demande (et avec moins de nuisances dues aux transports de lénergie sur le territoire).
- Propre
Moins de gaz à effet de serre et pas de déchets nucléaires : qui dit mieux ?
- Moins chère
Le coût de la diminution des émissions de CO2 se calcule en divisant le coût du remplacement dune centrale au charbon par le tonnage de CO2 évité avec le nouvel équipement. Le résultat est sans appel : même en prenant les coûts les plus faibles pour le nucléaire (7), il reste trois à quatre fois plus cher quune combinaison écologique des moyens de production (turbine à gaz, cogénération, énergies renouvelables). Quant aux économies dénergie, faut-il encore souligner leur rentabilité ?
Conclusion
Si nous devons lutter contre le changement climatique, cest pour laisser aux générations futures (et présentes) une Terre habitable dans les meilleures conditions possibles. Il est donc absurde de poursuivre cet objectif avec lusage du nucléaire. Dans le contexte du développement durable, le nucléaire nest nulle part reconnu comme durable dans les textes.
Aujourdhui, il est nécessaire et urgent daller vers des sociétés basées sur des ressources renouvelables et économisant les stocks non renouvelables.
Pour en savoir plus :
- Brochure Effet de serre et dérèglements climatiques, éditée par le Réseau Action Climat.
Un excellent outil pour comprendre et pour agir individuellement dans les transports , la maison, les achats quotidiens, le travail ou les loisirs. Pour la recevoir, envoyer 4 timbres à 0,50 euros au Réseau « Sortir du nucléaire », 9, rue Dumenge 69317 Lyon Cedex 04.
- Changement climatique et nucléaire, de Wise-Paris pour le WWF, avril 2000. Brochure de 20 pages : 4 euros (port compris) à commander au Réseau « Sortir du nucléaire ».
Sabine Rabourdin
Réseau Action Climat France
Tel. 01 48 58 83 92
www.rac.f.org
(1) Les équivalences sont déterminées à laide du potentiel de réchauffement global (voir le rapport 1 du Groupe Intergouvernemental sur lEvolution du Climat, www.ipcc.ch)
(2) Les filières bois et biogaz substituent une émission de CH4 par une émission de CO2 à plus faible potentiel de réchauffement, ce qui a donc un impact positif sur le changement climatique.
(3) Pour info, 1025 réacteurs de 1000 MW en plus (nombre de réacteurs qui permettraient de remplacer les énergies fossiles) épuiseraient les réserves duranium en trois ans (calculs effectués à partir des données AIEA, avec une consommation dénergie prévue en 2010 de 12 400 Mtep).
(4) Amory B. Lovins, Rocky Mountain Institute (USA).
(5) Cf. les modèles KIO1 et KIO2 adoptés par les Finlandais en 2001 : cétait loption utilisant le gaz et non loption nucléaire qui était la moins émettrice de GES !
(6) AERES pour Greenpeace France, Etude sur le chauffage électrique en France, novembre 2002.
(7) Le prix de lélectricité dorigine nucléaire ne peut être déterminé quarbitrairement par les gouvernements en accord avec lAIEA, (dont les statuts imposent la promotion de lénergie nucléaire avec droit de regard sur les autres agences de lONU, dont lOMS). Ce type dénergie a besoin pendant des milliers dannées de la participation financière des contribuables, car son prix de vente ne tient pas compte des éléments suivants :
- coût absent dune assurance responsabilité civile en cas daccident,
- coût non suffisamment provisionné (en France) du démantèlement des centrales en fin de vie,
- coût non imputé de la recherche publique,
- coût du recyclage des déchets dans la biosphère (absolument incalculable pour incompatibilité entre les échelles de temps),
- coût sanitaire dû aux rejets radioactifs autorisés ou légaux.
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