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Sortir du nucléaire n°63



Novembre 2014

Focus

La voiture électrique en débat

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°63 - Novembre 2014



Du point de vue de la lutte antinucléaire, quels sont pour vous les principaux enjeux qui justifient d’être pour ou contre la généralisation de la voiture électrique en France, dont la production d’électricité repose pour l’instant à 75 % sur le nucléaire ?

Jean-Louis Gaby : En France, 1,8 million de voitures neuves sont immatriculées chaque année. Réduire de façon drastique leur production et utiliser des transports en commun, ou autres solutions, est totalement inenvisageable à court terme dans notre société.

Aussi, pour réduire rapidement leurs pollutions et supprimer les émissions de gaz carbonique, la progression inéluctable des ventes des voitures électriques semble être une bonne nouvelle [1].

Hélas, en France, on risque d’aller vers un parc important de voitures électro-nucléaires, car alimenté à 75 % par nos 58 réacteurs, justifiant de conserver un important parc de centrales.

Pour éviter ce problème, nous devons faire savoir largement que la solution réside dans des voitures électriques alimentées en électricité renouvelable produite par de nouvelles installations dédiées, relançant ainsi le marché, et que c’est souvent possible facilement à très bon marché. Il y a aussi la possibilité de recharge en électricité verte chez soi, en étant abonné à Enercoop.

Jacky Berthomé : À ce jour, l’enjeu énergétique majeur est la réduction des consommations d’énergie. L’utilisation de l’électricité devrait donc être limitée à ses usages réellement pertinents, au lieu d’en multiplier tous azimuts les usages.

Il faudrait commencer par éliminer les utilisations thermiques de l’électricité (chauffe-eau, radiateurs et gazinières électriques) pour les remplacer par les solutions équivalentes qui utilisent une énergie renouvelable, tout en utilisant les appareils électroménagers les plus performants là où l’électricité n’est pas substituable.

Il est bien évident que si, de l’autre côté, on vient rajouter dans chaque foyer un voire deux véhicules consommateurs d’électricité, le bilan de consommation électrique sera malgré tout défavorable, étant donné qu’une voiture électrique consomme environ 3 MWh par an pour 15 000 km parcourus [2].

Est-il juste de considérer que la voiture électrique est moins polluante que la voiture à moteur thermique (pétrole ou agrocarburant) ?

Jean-Louis Gaby : Avec des voitures possédant une autonomie minimum de 100 km, nous avons la possibilité de remplacer nos 10 millions de secondes voitures, celles qui font en moyenne 45 km/jour, par des voitures électriques alimentées en électricité renouvelable.

En terme de rendement surfacique et d’impact visuel (voir revue n° 62 page 28), le choix du solaire pour alimenter les voitures électriques est de loin le meilleur et, avec l’éolien et l’hydraulique, ces électricités sont les moins chères, souvent même par rapport à l’électricité du nucléaire, et sont sans aucune pollution lors de la production d’électricité.

Lors de leur utilisation, les voitures électriques n’émettent aucun gaz et ont un impact environnemental minimum car, grâce à la récupération d’énergie au freinage, l’usure des plaquettes de frein est très fortement réduite. Nous n’avons plus la pollution sonore des moteurs thermiques en fonctionnement normal, lors des accélérations inutiles à l’arrêt et des démarrages par temps froid.

Jacky Berthomé : Si l’on tient compte de l’ensemble du cycle de vie (de la fabrication au traitement des voitures en fin de vie), la comparaison des voitures électriques et thermiques diffère nettement selon les études. Certaines, dont une étude de l’ADEME [3], tendent à donner l’avantage à la voiture thermique.

Certes, dans le cas où les voitures électriques seraient rechargées exclusivement par des énergies renouvelables (ENR), le bilan écologique global pourrait peut-être leur être favorable. Encore faudrait-il que la politique énergétique française soit clairement orientée dans le sens d’un développement massif des énergies renouvelables, avant de promouvoir la voiture électrique à tout va ! Ce n’est malheureusement pas le chemin que prennent les gouvernements français successifs.

Et en l’absence d’une politique pro-ENR massive, la voiture électrique ne peut être que le cheval de Troie du nucléaire. Selon le bureau d’études ADETEC (spécialiste de la mobilité), en l’absence d’un développement massif réel des ENR, si l’on introduisait 5 millions de véhicules électriques, la puissance appelée serait de 15 GW, ce qui nécessiterait 7 à 9 GW de puissance complémentaire, soit autant de réacteurs nucléaires de 1000 MW [4]. Si les 31 millions de voitures particulières devenaient électriques, il faudrait au moins 60 réacteurs nucléaires supplémentaires, soit davantage que le parc actuel (58 réacteurs). Ne parlons pas de l’électrification de la totalité du parc routier, y compris les utilitaires, camions et bus !

L’écologie politique s’est toujours opposée au "tout bagnole". Selon vous, dans quel cadre est-il possible d’articuler un soutien à la généralisation de la voiture électrique avec le souci écologique qui sous-tend la lutte antinucléaire ? La mobilité automobile n’est-elle pas elle-même à mettre en cause ?

Jean-Louis Gaby : Environ 40 % de la population habite dans des territoires à faible densité périurbains et ruraux où les problèmes de stationnement ne se posent généralement pas, aussi une voiture électrique peut permettre d’effectuer tous ses déplacement habituels, rejoindre le train, le tram ou le bus et à l’avenir son usage pourra évoluer vers l’automobile partagée. Pour réduire l’impact de leur fabrication, nous devrions aussi avoir des voitures électriques plus petites, plus légères et moins rapides.

Dans ces territoires favorables, des transports collectifs fréquents représentent un gaspillage d’énergie, car la consommation moyenne des bus circulant sur les réseaux urbains (hors Ile-de-France) est d’environ 4 litres/100 km par passager [5].

Jacky Berthomé : La mobilité locale, qui concerne les déplacements (tous moyens confondus) que les gens réalisent dans un rayon de 80 km autour de leur domicile, représente 98 % des déplacements des Français, essentiellement liés aux activités quotidiennes (travail, études, courses, loisirs, vie privée...).

Dans ce cadre, la distance moyenne parcourue quotidiennement est passée de 17,4 km à 25,2 km par personne entre 1982 et 2008, pour un nombre moyen stable d’environ trois déplacements par jour. 65 % de ces déplacements (totalisant 83 % des km parcourus) sont effectués en voiture, dont les trois quarts sans aucun passager ! [6]

Une forte proportion de ces déplacements pourrait être effectuée avec des moyens de transport bien moins impactants que la voiture individuelle, qui déplace environ une tonne de matériaux pour transporter une ou deux personnes. Parmi les alternatives, on connaît bien les transports en commun, la marche, le vélo. On connaît moins le vélomobile, qui commence à se répandre ailleurs en Europe : ce véhicule de 35 à 50 kg, mû par la force humaine (pédalage) éventuellement aidée d’une assistance électrique (250 W), répond très bien à ce type de déplacement pour une grande majorité de gens. Plus facile d’utilisation qu’une bicyclette (environ 5 fois moins d’efforts), plus rapide, doté d’un carénage (carrosserie légère), le vélomobile permet des déplacements quotidiens de plusieurs dizaines de kilomètres, à l’abri des intempéries ; son usage n’est ainsi pas réservé aux seuls déplacements urbains.

À une échelle plus large, la re-localisation en ville des nombreuses activités qui ont été renvoyées à leur périphérie (commerces, activités de loisir, etc.) réduirait substantiellement les distances à parcourir, et réduirait le besoin de voitures.

Pour gérer la variation des énergies solaire et éolienne, certains scénarios envisagent d’utiliser les batteries des voitures électriques garées comme un réseau décentralisé de stockage de courte durée. Que pensez-vous de cette réponse aux enjeux du stockage de l’énergie et de la stabilité du réseau électrique ?

Jean-Louis Gaby : Pour bénéficier au maximum des apports solaires et éoliens, nos voitures électriques devront être le plus souvent possible connectées au réseau, évitant ainsi que les recharges lors du retour au domicile ne provoquent une surcharge sur le réseau. Un préalable indispensable est donc l’installation de bornes de recharge publiques et dans les entreprises, alimentées en électricité certifiée provenant de nouvelles installations renouvelables.

Quel que soit l’endroit de la recharge, et selon l’autonomie que l’on choisira, les systèmes de régulation autoriseront la recharge prioritairement pendant les moments de production d’électricité renouvelable, et permettront de pallier éventuellement les besoins du réseau (projet Move in Pure).

Ainsi les batteries de 10 millions de voitures raccordées au réseau peuvent par exemple fournir ou absorber la puissance de 20 réacteurs pendant deux heures [7].

Le déploiement de la voiture électrique à l’échelle mondiale implique la fabrication et l’utilisation massive de batteries au lithium. De votre point de vue, cela ne constitue-t-il pas un risque grave d’atteinte à l’environnement et aux droits des populations vivant là où se situent les principaux gisements de lithium ?

Jean-Louis Gaby : Les accumulateurs au lithium nécessitent environ 3 kg de ce métal par batterie de voiture électrique [8]. Les ressources en lithium ont été évaluées à 33 Mt, pouvant ainsi équiper environ 10 milliards de voitures électriques, mais elles pourraient aussi dépasser les 160 Mt [9].

Le lithium n’étant pas un métal toxique (contrairement au plomb des batteries de nos voitures), la mine de lithium du salar d’Atacama au Chili, exploitée depuis les années 80, n’a fait l’objet ni de pollutions ni de problèmes sociaux révélés.

Par ailleurs, le recyclage des batteries au lithium ne semble pas poser de problèmes techniques, les métaux pouvant être recyclés à 98 % [10].

Jacky Berthomé : On sait par expérience que dans tous les cas similaires, l’argent et le profit passent avant l’autodétermination et les conditions de vie des populations locales.

Par ailleurs, selon ADETEC, "les réserves mondiales de lithium sont évaluées entre 11 et 16 millions de tonnes, dont seulement 40 % seraient utilisables dans les conditions actuelles pour fabriquer des batteries d’automobiles. Plus de 75 % des réserves se trouvent sur les plateaux andins du Chili, d’Argentine et de Bolivie et 12 % en Chine, plus précisément au Tibet. Il faut 3 kg de lithium pour fabriquer une batterie automobile au lithium. Les réserves disponibles permettraient donc de fabriquer 1,5 à 2,2 milliards de batteries de ce type, alors qu’il y a actuellement près d’un milliard de voitures dans le monde, que la durée de vie d’une batterie est évaluée à 8 ans et que le FMI prévoit un triplement du parc automobile d’ici à 2050. En outre, […] le lithium sert à d’autres usages. Les réserves de lithium seraient donc épuisées en quelques décennies."

Les voitures électriques sont généralement plus chères que les voitures équivalentes, qui elles possèdent une plus grande autonomie. Aussi est-ce rentable aujourd’hui d’acquérir une voiture électrique ?

Jean-Louis Gaby : Installer chez soi une centrale photovoltaïque avec un kit de 3 kWc (moins de 20 m2), coûte environ 4000€HT, et permet de parcourir annuellement environ 20000 km et pendant plus de 20 ans.

Le bonus écologique de 6 300 € pourrait être porté à 10 000 € lors de la mise au rebut d’un véhicule diesel (lemonde.fr du 26 juin 2014), mais pour garantir que l’impact de la consommation de la voiture soit minimum (donc exclure le nucléaire), son attribution devrait être conditionnée par la certification de recharges en électricité verte.

La location de la batterie est rentable dès lors que l’on fait plus de 12 000 kilomètres par an, car le prix de la recharge est très bas (environ 2 € pour faire 100 km, contre un plein à environ 9 € pour parcourir la même distance).

Jean-Louis Gaby (solaire2000@wanadoo.fr) est administrateur du Réseau Jacky Berthomé est ex-administrateur du Réseau


Notes

[1Dans le monde, depuis 2011, le parc double tous les ans. www.breezcar.com/actualites/article/ ventes-monde-voitures-electriques- croissance-marche-400000-en-2014

[2ERDF, Gilles Bernard, 23 novembre 2009, "Problématique de gestion de pointe du distributeur pour la recharge des véhicules électriques".

[3ADEME, 2013, "Élaboration selon les principes des ACV des bilans énergétiques, des émissions de gaz à effet de serre et des autres impacts environnementaux induits par l’ensemble des filières de véhicules électriques et de véhicules thermiques, VP de segment B (citadine polyvalente) et VUL à l’horizon 2012 et 2020".

[4ADETEC, Bruno Cordier, "La voiture électrique : domaine de pertinence, contraintes et limites", https://www.adetec-deplacements.com/voiture-electrique.pdf

[6Revue du Commissariat Général au Développement Durable, décembre 2010, "Plus de voyages, plus de kilomètres quotidiens : une tendance à l’homogénéisation des comportements de mobilité des Français, sauf entre ville et campagne".

[7En acceptant d’utiliser 1/5 de la capacité de 10 millions de batteries de 20 kWh = 40 GWh = la production de 20 réacteurs de 1 000 MW pendant 2 heures.

[8https://www.ineris.fr/centredoc/ ve-technologies-batteries-couv-ineris.pdf

[9US Geological Survey (USGS)/ 2011

[10https://www.electron- economy.org/article-22441076.html

Du point de vue de la lutte antinucléaire, quels sont pour vous les principaux enjeux qui justifient d’être pour ou contre la généralisation de la voiture électrique en France, dont la production d’électricité repose pour l’instant à 75 % sur le nucléaire ?

Jean-Louis Gaby : En France, 1,8 million de voitures neuves sont immatriculées chaque année. Réduire de façon drastique leur production et utiliser des transports en commun, ou autres solutions, est totalement inenvisageable à court terme dans notre société.

Aussi, pour réduire rapidement leurs pollutions et supprimer les émissions de gaz carbonique, la progression inéluctable des ventes des voitures électriques semble être une bonne nouvelle [1].

Hélas, en France, on risque d’aller vers un parc important de voitures électro-nucléaires, car alimenté à 75 % par nos 58 réacteurs, justifiant de conserver un important parc de centrales.

Pour éviter ce problème, nous devons faire savoir largement que la solution réside dans des voitures électriques alimentées en électricité renouvelable produite par de nouvelles installations dédiées, relançant ainsi le marché, et que c’est souvent possible facilement à très bon marché. Il y a aussi la possibilité de recharge en électricité verte chez soi, en étant abonné à Enercoop.

Jacky Berthomé : À ce jour, l’enjeu énergétique majeur est la réduction des consommations d’énergie. L’utilisation de l’électricité devrait donc être limitée à ses usages réellement pertinents, au lieu d’en multiplier tous azimuts les usages.

Il faudrait commencer par éliminer les utilisations thermiques de l’électricité (chauffe-eau, radiateurs et gazinières électriques) pour les remplacer par les solutions équivalentes qui utilisent une énergie renouvelable, tout en utilisant les appareils électroménagers les plus performants là où l’électricité n’est pas substituable.

Il est bien évident que si, de l’autre côté, on vient rajouter dans chaque foyer un voire deux véhicules consommateurs d’électricité, le bilan de consommation électrique sera malgré tout défavorable, étant donné qu’une voiture électrique consomme environ 3 MWh par an pour 15 000 km parcourus [2].

Est-il juste de considérer que la voiture électrique est moins polluante que la voiture à moteur thermique (pétrole ou agrocarburant) ?

Jean-Louis Gaby : Avec des voitures possédant une autonomie minimum de 100 km, nous avons la possibilité de remplacer nos 10 millions de secondes voitures, celles qui font en moyenne 45 km/jour, par des voitures électriques alimentées en électricité renouvelable.

En terme de rendement surfacique et d’impact visuel (voir revue n° 62 page 28), le choix du solaire pour alimenter les voitures électriques est de loin le meilleur et, avec l’éolien et l’hydraulique, ces électricités sont les moins chères, souvent même par rapport à l’électricité du nucléaire, et sont sans aucune pollution lors de la production d’électricité.

Lors de leur utilisation, les voitures électriques n’émettent aucun gaz et ont un impact environnemental minimum car, grâce à la récupération d’énergie au freinage, l’usure des plaquettes de frein est très fortement réduite. Nous n’avons plus la pollution sonore des moteurs thermiques en fonctionnement normal, lors des accélérations inutiles à l’arrêt et des démarrages par temps froid.

Jacky Berthomé : Si l’on tient compte de l’ensemble du cycle de vie (de la fabrication au traitement des voitures en fin de vie), la comparaison des voitures électriques et thermiques diffère nettement selon les études. Certaines, dont une étude de l’ADEME [3], tendent à donner l’avantage à la voiture thermique.

Certes, dans le cas où les voitures électriques seraient rechargées exclusivement par des énergies renouvelables (ENR), le bilan écologique global pourrait peut-être leur être favorable. Encore faudrait-il que la politique énergétique française soit clairement orientée dans le sens d’un développement massif des énergies renouvelables, avant de promouvoir la voiture électrique à tout va ! Ce n’est malheureusement pas le chemin que prennent les gouvernements français successifs.

Et en l’absence d’une politique pro-ENR massive, la voiture électrique ne peut être que le cheval de Troie du nucléaire. Selon le bureau d’études ADETEC (spécialiste de la mobilité), en l’absence d’un développement massif réel des ENR, si l’on introduisait 5 millions de véhicules électriques, la puissance appelée serait de 15 GW, ce qui nécessiterait 7 à 9 GW de puissance complémentaire, soit autant de réacteurs nucléaires de 1000 MW [4]. Si les 31 millions de voitures particulières devenaient électriques, il faudrait au moins 60 réacteurs nucléaires supplémentaires, soit davantage que le parc actuel (58 réacteurs). Ne parlons pas de l’électrification de la totalité du parc routier, y compris les utilitaires, camions et bus !

L’écologie politique s’est toujours opposée au "tout bagnole". Selon vous, dans quel cadre est-il possible d’articuler un soutien à la généralisation de la voiture électrique avec le souci écologique qui sous-tend la lutte antinucléaire ? La mobilité automobile n’est-elle pas elle-même à mettre en cause ?

Jean-Louis Gaby : Environ 40 % de la population habite dans des territoires à faible densité périurbains et ruraux où les problèmes de stationnement ne se posent généralement pas, aussi une voiture électrique peut permettre d’effectuer tous ses déplacement habituels, rejoindre le train, le tram ou le bus et à l’avenir son usage pourra évoluer vers l’automobile partagée. Pour réduire l’impact de leur fabrication, nous devrions aussi avoir des voitures électriques plus petites, plus légères et moins rapides.

Dans ces territoires favorables, des transports collectifs fréquents représentent un gaspillage d’énergie, car la consommation moyenne des bus circulant sur les réseaux urbains (hors Ile-de-France) est d’environ 4 litres/100 km par passager [5].

Jacky Berthomé : La mobilité locale, qui concerne les déplacements (tous moyens confondus) que les gens réalisent dans un rayon de 80 km autour de leur domicile, représente 98 % des déplacements des Français, essentiellement liés aux activités quotidiennes (travail, études, courses, loisirs, vie privée...).

Dans ce cadre, la distance moyenne parcourue quotidiennement est passée de 17,4 km à 25,2 km par personne entre 1982 et 2008, pour un nombre moyen stable d’environ trois déplacements par jour. 65 % de ces déplacements (totalisant 83 % des km parcourus) sont effectués en voiture, dont les trois quarts sans aucun passager ! [6]

Une forte proportion de ces déplacements pourrait être effectuée avec des moyens de transport bien moins impactants que la voiture individuelle, qui déplace environ une tonne de matériaux pour transporter une ou deux personnes. Parmi les alternatives, on connaît bien les transports en commun, la marche, le vélo. On connaît moins le vélomobile, qui commence à se répandre ailleurs en Europe : ce véhicule de 35 à 50 kg, mû par la force humaine (pédalage) éventuellement aidée d’une assistance électrique (250 W), répond très bien à ce type de déplacement pour une grande majorité de gens. Plus facile d’utilisation qu’une bicyclette (environ 5 fois moins d’efforts), plus rapide, doté d’un carénage (carrosserie légère), le vélomobile permet des déplacements quotidiens de plusieurs dizaines de kilomètres, à l’abri des intempéries ; son usage n’est ainsi pas réservé aux seuls déplacements urbains.

À une échelle plus large, la re-localisation en ville des nombreuses activités qui ont été renvoyées à leur périphérie (commerces, activités de loisir, etc.) réduirait substantiellement les distances à parcourir, et réduirait le besoin de voitures.

Pour gérer la variation des énergies solaire et éolienne, certains scénarios envisagent d’utiliser les batteries des voitures électriques garées comme un réseau décentralisé de stockage de courte durée. Que pensez-vous de cette réponse aux enjeux du stockage de l’énergie et de la stabilité du réseau électrique ?

Jean-Louis Gaby : Pour bénéficier au maximum des apports solaires et éoliens, nos voitures électriques devront être le plus souvent possible connectées au réseau, évitant ainsi que les recharges lors du retour au domicile ne provoquent une surcharge sur le réseau. Un préalable indispensable est donc l’installation de bornes de recharge publiques et dans les entreprises, alimentées en électricité certifiée provenant de nouvelles installations renouvelables.

Quel que soit l’endroit de la recharge, et selon l’autonomie que l’on choisira, les systèmes de régulation autoriseront la recharge prioritairement pendant les moments de production d’électricité renouvelable, et permettront de pallier éventuellement les besoins du réseau (projet Move in Pure).

Ainsi les batteries de 10 millions de voitures raccordées au réseau peuvent par exemple fournir ou absorber la puissance de 20 réacteurs pendant deux heures [7].

Le déploiement de la voiture électrique à l’échelle mondiale implique la fabrication et l’utilisation massive de batteries au lithium. De votre point de vue, cela ne constitue-t-il pas un risque grave d’atteinte à l’environnement et aux droits des populations vivant là où se situent les principaux gisements de lithium ?

Jean-Louis Gaby : Les accumulateurs au lithium nécessitent environ 3 kg de ce métal par batterie de voiture électrique [8]. Les ressources en lithium ont été évaluées à 33 Mt, pouvant ainsi équiper environ 10 milliards de voitures électriques, mais elles pourraient aussi dépasser les 160 Mt [9].

Le lithium n’étant pas un métal toxique (contrairement au plomb des batteries de nos voitures), la mine de lithium du salar d’Atacama au Chili, exploitée depuis les années 80, n’a fait l’objet ni de pollutions ni de problèmes sociaux révélés.

Par ailleurs, le recyclage des batteries au lithium ne semble pas poser de problèmes techniques, les métaux pouvant être recyclés à 98 % [10].

Jacky Berthomé : On sait par expérience que dans tous les cas similaires, l’argent et le profit passent avant l’autodétermination et les conditions de vie des populations locales.

Par ailleurs, selon ADETEC, "les réserves mondiales de lithium sont évaluées entre 11 et 16 millions de tonnes, dont seulement 40 % seraient utilisables dans les conditions actuelles pour fabriquer des batteries d’automobiles. Plus de 75 % des réserves se trouvent sur les plateaux andins du Chili, d’Argentine et de Bolivie et 12 % en Chine, plus précisément au Tibet. Il faut 3 kg de lithium pour fabriquer une batterie automobile au lithium. Les réserves disponibles permettraient donc de fabriquer 1,5 à 2,2 milliards de batteries de ce type, alors qu’il y a actuellement près d’un milliard de voitures dans le monde, que la durée de vie d’une batterie est évaluée à 8 ans et que le FMI prévoit un triplement du parc automobile d’ici à 2050. En outre, […] le lithium sert à d’autres usages. Les réserves de lithium seraient donc épuisées en quelques décennies."

Les voitures électriques sont généralement plus chères que les voitures équivalentes, qui elles possèdent une plus grande autonomie. Aussi est-ce rentable aujourd’hui d’acquérir une voiture électrique ?

Jean-Louis Gaby : Installer chez soi une centrale photovoltaïque avec un kit de 3 kWc (moins de 20 m2), coûte environ 4000€HT, et permet de parcourir annuellement environ 20000 km et pendant plus de 20 ans.

Le bonus écologique de 6 300 € pourrait être porté à 10 000 € lors de la mise au rebut d’un véhicule diesel (lemonde.fr du 26 juin 2014), mais pour garantir que l’impact de la consommation de la voiture soit minimum (donc exclure le nucléaire), son attribution devrait être conditionnée par la certification de recharges en électricité verte.

La location de la batterie est rentable dès lors que l’on fait plus de 12 000 kilomètres par an, car le prix de la recharge est très bas (environ 2 € pour faire 100 km, contre un plein à environ 9 € pour parcourir la même distance).

Jean-Louis Gaby (solaire2000@wanadoo.fr) est administrateur du Réseau Jacky Berthomé est ex-administrateur du Réseau



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