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Les mirages du nucléaire du futur

"Incinérer" les déchets nucléaires : un fantasme, pas une solution

Article publié le 12 janvier 2012



Qu’est-ce que la "transmutation" ?

Mais d’abord, qu’est-ce que la "transmutation" ? Il s’agit en théorie de bombarder de neutrons des atomes fortement radioactifs pour les casser en atomes moins radioactifs ou qui perdent plus rapidement leur radioactivité - bref, d’en faire des déchets nucléaires "moins dangereux". Les partisans de la transmutation affirment qu’elle pourrait apporter une solution au problème que posent certaines des substances radioactives les plus dangereuses qui se créent dans un réacteur nucléaire, et que l’on retrouve dans le combustible usé : les actinides mineurs (américium, curium et neptunium). Ces déchets nucléaires sont très radiotoxiques et le restent pendant des centaines de milliers d’années.

Isoler les éléments à transmuter : un obstacle technologique et économique majeur

Avant d’envisager de transmuter les actinides mineurs en des éléments moins radioactifs, il est d’abord impératif d’être capable de les isoler un à un, en les extrayant du combustible usé où ils sont tous mélangés. Or, les technologies de séparation des actinides sont elles-mêmes encore au stade de la simulation informatique et de la recherche de laboratoire (CEA, Clefs n°60, été 2011, p.6-9). Autrement dit : on ne sait même pas encore récupérer dans le combustible usé les radioéléments que l’on prétend pouvoir transmuter.

Dans leur rapport "L’aval du cycle nucléaire", publié en 1998 par l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, le député pro-nucléaire Christian Bataille et l’ex-ministre et cadre du CEA Robert Galley indiquaient d’ailleurs que "la séparation des actinides mineurs ne pourra se faire que dans des chaînes d’atelier complexes nouvelles. Elle sera sans doute onéreuse. La raison essentielle en est que les actinides mineurs ont une radioactivité spontanée telle qu’il faut prendre des précautions pour les manipuler."

Réduire la quantité de déchets... ou bien l’augmenter ?

Le "retraitement" des combustibles usés n’est rien d’autre qu’une séparation plus ou moins poussée de ses constituants ; actuellement, on n’isole que l’uranium dit "de retraitement" et le plutonium. Les autres produits de fission, contenant les actinides mineurs, demeurent non séparés. Or, toute opération de "retraitement" produit de nouveaux déchets radioactifs dus au processus industriel de retraitement lui-même : outils et équipements de travail contaminés, boues radioactives diverses, etc.

À ce propos, voici ce qu’écrivaient en 1998 les deux rapporteurs de l’OPCEST : "Il reste, semble-t-il, à déterminer l’impact du retraitement poussé, sur les volumes des déchets technologiques. Ce point semble fondamental pour l’acceptation par le public de la séparation et la transmutation. Une diminution significative de la période des déchets ultimes sera d’autant plus convaincante qu’elle ne s’accompagnera pas d’une augmentation importante des déchets générés par les opérations de séparation."

Quatorze ans plus tard, on n’en sait pas beaucoup plus quant à l’ampleur des déchets technologiques que générerait une séparation des actinides mineurs. Seule certitude, à la lumière du "retraitement" actuel : les volumes de déchets seront considérables.

La transmutation n’apporte aucune solution au problème n°1, le plutonium

Déjà en 1998, MM. Bataille et Galley écrivaient que "Le plutonium contribuant pour plus de 90 % à la radiotoxicité totale du combustible irradié, pendant une période de 100 000 ans, il est absurde de se préoccuper de la transmutation des actinides mineurs si le plutonium lui-même n’est pas éliminé dans du MOX ou dans des RNR [réacteurs à neutrons rapides]."

Or il se trouve que le plutonium n’est pas éliminé dans du MOX (un combustible nucléaire particulier, basé sur un mélange d’uranium et de plutonium) ou dans des RNR (réacteurs à neutrons rapides, un échec industriel). Conclusion : il est absurde de se préoccuper de la transmutation des actinides mineurs, puisque de toute façon on n’a aucune solution pour gérer le problème n°1 que posent les déchets nucléaires, à savoir l’accumulation de plutonium.

En effet, les RNR - réacteurs à neutrons rapides, du type du réacteur "surgénérateur" Superphénix à Creys-Malville (38) - sont un échec industriel et financier colossal. Fermé en 1997 après 12 années de pannes diverses, le "surgénérateur" Superphénix a coûté 9,7 milliards d’euros.

Quant au MOX, le même rapport reconnaît par ailleurs que : "Le recyclage du plutonium dans les REP [réacteurs à eau sous pression, qui composent le parc nucléaire français] avec le MOX, entraîne une dégradation continue de la qualité isotopique du plutonium qui limite le nombre envisageable de recyclages successifs." Il le limite même tellement, qu’en réalité ce nombre de "recyclages successifs" est égal à... un ; au terme de cette ré-utilisation, on obtient à cause du MOX des quantités supérieures d’actinides mineurs, dont la transmutation est justement supposée par ailleurs réduire la quantité !

De plus, seuls 5 % du plutonium issu du "retraitement" sont effectivement ré-utilisés dans du combustible MOX - dont la demande mondiale est en déclin suite à la catastrophe de Fukushima, dont le réacteur n°3 utilisait un tel combustible fourni par Areva, à tel point que la Grande-Bretagne a définitivement fermé son usine de fabrication de MOX à Sellafield, la France demeurant le dernier producteur de MOX au niveau mondial. Le combustible MOX est 5 à 7 fois plus radiotoxique qu’un combustible "classique".

Des dizaines de tonnes de plutonium s’accumulent sur le site de La Hague (Normandie). Avec seulement 3 à 4 kg de plutonium, on peut fabriquer une bombe nucléaire, et l’inhalation d’un microgramme de plutonium suffit à provoquer un cancer du poumon.

Transmuter... les euros en plomb

Les budgets annoncés pour les installations de recherche sur la transmutation sont une fois de plus extrêmement élevés.

Le journal Le Point indique ainsi que : "Avec son accélérateur d’un mètre de long, sa source qui tient dans une armoire et son minicœur de 2 mètres de hauteur, Guinevere n’est encore qu’une maquette, d’un coût total de 10 millions d’euros. Selon Hamid Aït Abderrahim, directeur adjoint du SCK.CEN, ce prototype préfigure Myrrha, un pilote préindustriel doté d’un accélérateur de 200 mètres de long qui pourrait être opérationnel en 2023, également à Mol, et dont le coût est évalué à un milliard d’euros."

On peut raisonnablement parier que ce coût d’un milliard d’euros (simplement pour construire un "pilote pré-industriel") serait amené au moins à doubler si le projet devait entrer un jour en chantier, à l’instar du réacteur nucléaire EPR de Flamanville, qui devrait coûter au moins 6 à 7 milliards d’euros alors qu’EDF annonçait en 2004 un budget de 3,3 milliards.

En résumé

La transmutation des déchets radioactifs n’est rien d’autre qu’une de ces chimères technologiques que l’industrie nucléaire agite régulièrement pour essayer de cacher le problème insoluble des déchets radioactifs qui s’accumulent année après année. La seule option raisonnable est d’arrêter de produire de tels déchets, ce qui implique de sortir du nucléaire.

À lire également :

La pierre philosophale des centrales nucléaires (2008)

Avec la “transmutation”, l’alchimie peut-elle nous délivrer des déchets nucléaires ? (2003)

La transmutation n’est pas une alternative à l’enfouissement (1998)

Peut-on recycler les déchets nucléaires ? - Coûts, risques et enjeux de l’industrie du plutonium

Qu’est-ce que la "transmutation" ?

Mais d’abord, qu’est-ce que la "transmutation" ? Il s’agit en théorie de bombarder de neutrons des atomes fortement radioactifs pour les casser en atomes moins radioactifs ou qui perdent plus rapidement leur radioactivité - bref, d’en faire des déchets nucléaires "moins dangereux". Les partisans de la transmutation affirment qu’elle pourrait apporter une solution au problème que posent certaines des substances radioactives les plus dangereuses qui se créent dans un réacteur nucléaire, et que l’on retrouve dans le combustible usé : les actinides mineurs (américium, curium et neptunium). Ces déchets nucléaires sont très radiotoxiques et le restent pendant des centaines de milliers d’années.

Isoler les éléments à transmuter : un obstacle technologique et économique majeur

Avant d’envisager de transmuter les actinides mineurs en des éléments moins radioactifs, il est d’abord impératif d’être capable de les isoler un à un, en les extrayant du combustible usé où ils sont tous mélangés. Or, les technologies de séparation des actinides sont elles-mêmes encore au stade de la simulation informatique et de la recherche de laboratoire (CEA, Clefs n°60, été 2011, p.6-9). Autrement dit : on ne sait même pas encore récupérer dans le combustible usé les radioéléments que l’on prétend pouvoir transmuter.

Dans leur rapport "L’aval du cycle nucléaire", publié en 1998 par l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, le député pro-nucléaire Christian Bataille et l’ex-ministre et cadre du CEA Robert Galley indiquaient d’ailleurs que "la séparation des actinides mineurs ne pourra se faire que dans des chaînes d’atelier complexes nouvelles. Elle sera sans doute onéreuse. La raison essentielle en est que les actinides mineurs ont une radioactivité spontanée telle qu’il faut prendre des précautions pour les manipuler."

Réduire la quantité de déchets... ou bien l’augmenter ?

Le "retraitement" des combustibles usés n’est rien d’autre qu’une séparation plus ou moins poussée de ses constituants ; actuellement, on n’isole que l’uranium dit "de retraitement" et le plutonium. Les autres produits de fission, contenant les actinides mineurs, demeurent non séparés. Or, toute opération de "retraitement" produit de nouveaux déchets radioactifs dus au processus industriel de retraitement lui-même : outils et équipements de travail contaminés, boues radioactives diverses, etc.

À ce propos, voici ce qu’écrivaient en 1998 les deux rapporteurs de l’OPCEST : "Il reste, semble-t-il, à déterminer l’impact du retraitement poussé, sur les volumes des déchets technologiques. Ce point semble fondamental pour l’acceptation par le public de la séparation et la transmutation. Une diminution significative de la période des déchets ultimes sera d’autant plus convaincante qu’elle ne s’accompagnera pas d’une augmentation importante des déchets générés par les opérations de séparation."

Quatorze ans plus tard, on n’en sait pas beaucoup plus quant à l’ampleur des déchets technologiques que générerait une séparation des actinides mineurs. Seule certitude, à la lumière du "retraitement" actuel : les volumes de déchets seront considérables.

La transmutation n’apporte aucune solution au problème n°1, le plutonium

Déjà en 1998, MM. Bataille et Galley écrivaient que "Le plutonium contribuant pour plus de 90 % à la radiotoxicité totale du combustible irradié, pendant une période de 100 000 ans, il est absurde de se préoccuper de la transmutation des actinides mineurs si le plutonium lui-même n’est pas éliminé dans du MOX ou dans des RNR [réacteurs à neutrons rapides]."

Or il se trouve que le plutonium n’est pas éliminé dans du MOX (un combustible nucléaire particulier, basé sur un mélange d’uranium et de plutonium) ou dans des RNR (réacteurs à neutrons rapides, un échec industriel). Conclusion : il est absurde de se préoccuper de la transmutation des actinides mineurs, puisque de toute façon on n’a aucune solution pour gérer le problème n°1 que posent les déchets nucléaires, à savoir l’accumulation de plutonium.

En effet, les RNR - réacteurs à neutrons rapides, du type du réacteur "surgénérateur" Superphénix à Creys-Malville (38) - sont un échec industriel et financier colossal. Fermé en 1997 après 12 années de pannes diverses, le "surgénérateur" Superphénix a coûté 9,7 milliards d’euros.

Quant au MOX, le même rapport reconnaît par ailleurs que : "Le recyclage du plutonium dans les REP [réacteurs à eau sous pression, qui composent le parc nucléaire français] avec le MOX, entraîne une dégradation continue de la qualité isotopique du plutonium qui limite le nombre envisageable de recyclages successifs." Il le limite même tellement, qu’en réalité ce nombre de "recyclages successifs" est égal à... un ; au terme de cette ré-utilisation, on obtient à cause du MOX des quantités supérieures d’actinides mineurs, dont la transmutation est justement supposée par ailleurs réduire la quantité !

De plus, seuls 5 % du plutonium issu du "retraitement" sont effectivement ré-utilisés dans du combustible MOX - dont la demande mondiale est en déclin suite à la catastrophe de Fukushima, dont le réacteur n°3 utilisait un tel combustible fourni par Areva, à tel point que la Grande-Bretagne a définitivement fermé son usine de fabrication de MOX à Sellafield, la France demeurant le dernier producteur de MOX au niveau mondial. Le combustible MOX est 5 à 7 fois plus radiotoxique qu’un combustible "classique".

Des dizaines de tonnes de plutonium s’accumulent sur le site de La Hague (Normandie). Avec seulement 3 à 4 kg de plutonium, on peut fabriquer une bombe nucléaire, et l’inhalation d’un microgramme de plutonium suffit à provoquer un cancer du poumon.

Transmuter... les euros en plomb

Les budgets annoncés pour les installations de recherche sur la transmutation sont une fois de plus extrêmement élevés.

Le journal Le Point indique ainsi que : "Avec son accélérateur d’un mètre de long, sa source qui tient dans une armoire et son minicœur de 2 mètres de hauteur, Guinevere n’est encore qu’une maquette, d’un coût total de 10 millions d’euros. Selon Hamid Aït Abderrahim, directeur adjoint du SCK.CEN, ce prototype préfigure Myrrha, un pilote préindustriel doté d’un accélérateur de 200 mètres de long qui pourrait être opérationnel en 2023, également à Mol, et dont le coût est évalué à un milliard d’euros."

On peut raisonnablement parier que ce coût d’un milliard d’euros (simplement pour construire un "pilote pré-industriel") serait amené au moins à doubler si le projet devait entrer un jour en chantier, à l’instar du réacteur nucléaire EPR de Flamanville, qui devrait coûter au moins 6 à 7 milliards d’euros alors qu’EDF annonçait en 2004 un budget de 3,3 milliards.

En résumé

La transmutation des déchets radioactifs n’est rien d’autre qu’une de ces chimères technologiques que l’industrie nucléaire agite régulièrement pour essayer de cacher le problème insoluble des déchets radioactifs qui s’accumulent année après année. La seule option raisonnable est d’arrêter de produire de tels déchets, ce qui implique de sortir du nucléaire.

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