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Sortir du nucléaire n°23



Décembre 2003

Nucléaire militaire

La prolifération nucléaire, un jeu toujours en pleine expansion !

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°23 - Décembre 2003

 Nucléaire militaire
Article publié le : 1er décembre 2003


Deux pays sont actuellement stigmatisés dans le camp de “ l’axe du mal ” par l’AIEA (Agence internationale pour l’énergie atomique), les Américains et les Européens : l’Iran, soupçonné de détourner ses infrastructures nucléaires civiles à des fins militaires, et la Corée du nord qui a révélé en octobre 2002 détenir un programme d’enrichissement d’uranium à des fins militaires.



Iran et Corée du Nord

Comment ces deux pays ont-ils trouvé les ressources (financières, techniques, humaines) pour parvenir à constituer des complexes de recherches nucléaires militaires ?

La réponse à cette question se trouve en partie dans la contradiction inscrite au cœur même du Traité de non-prolifération nucléaire. En effet, le TNP indique que “ toutes les parties au Traité s’engagent à faciliter un échange aussi large que possible d’équipements, de matières et de renseignements scientifiques et technologiques en vue des utilisations de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, et ont le droit d’y participer ”. Or, la frontière entre le nucléaire civil et la bombe atomique n’est pas d’ordre technique mais politique. La démonstration en est faite, une fois de plus. Les États qui bénéficient de la technologie nucléaire civile et maîtrisent l’ensemble du processus, sont capables de construire, dans un délai relativement court (en général moins de trois ans), une bombe atomique. L’Iran et la Corée du Nord sont des exemples typiques de cette prolifération verticale.

Ces deux pays ont bénéficié d’une aide étrangère importante pour mettre en place leurs complexes nucléaires. La France, l’Allemagne, les États-Unis et la Russie sont les principaux fournisseurs de technologie nucléaire civile à travers le monde. Ils ont “ arrosé ” toute la planète à travers des programmes de coopération “ civile ”, d’une technologie éminemment duale. Pourtant, lorsque le monde apprend la naissance d’une nouvelle puissance nucléaire, aucun des États ayant fourni la technique nécessaire à la maîtrise du cycle nucléaire n’admettra en être responsable pour une large part. Ils prétendront au contraire que cette arme est née uniquement d’un détournement de la technologie civile opéré à leur insu par le pays acheteur. Nos dirigeants seraient-ils naïfs à ce point ?

Des milliards de dollars dans un programme nucléaire

Quelles raisons ont poussé l’Iran à investir des milliards de dollars dans un programme nucléaire qui produira de l’électricité à un coût supérieur par exemple à celui de centrales thermiques chauffées au gaz ? Compte tenu de la production pétrolière (3,6 millions de barils par jour) et gazière du pays (16 % des réserves mondiales), un tel projet ne peut être ici qu’un simple paravent à un programme nucléaire militaire. Officiellement, l’Iran veut se doter d’ici à 2020 d’une capacité de production de quelque 6 000 mégawatts d’électricité d’origine nucléaire. La Russie ne peut pas être le seul pays proliférant à être mis en cause dans la fourniture de centrales, d’installations et de matières nucléaires. Alors à qui la faute ? Où ce pays s’est-il procuré les techniques nécessaires pour enrichir de l’uranium ?

Retour dans les années 1970 où la France, l’Allemagne et les États-Unis souhaitaient la nucléarisation civile et par conséquent militaire de ce pays sous le règne du Chah d’Iran. Ainsi, la France (“ autorisée ” par les États-Unis), pour financer sa propre usine d’enrichissement d’uranium Eurodif, acceptait un financement iranien, qui permettait à Téhéran (via la société Sofidif, Société franco-iranienne d’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse) d’une part de recevoir cette matière et d’autre part de connaître les techniques et le savoir-faire pour l’enrichissement de l’uranium. Avec la création de la République islamique d’Iran, ce contrat ne fut pas totalement honoré, mais l’argent iranien conservé ! Les conséquences furent fatales pour la France, frappée alors dans les années 1980 par des attentats et des enlèvements avec la complicité de Téhéran.

L’ex-URSS fut le principal partenaire de Pyongyang, en lui fournissant outre le savoir-faire, des réacteurs plutonigènes. C’est au milieu des années 1970 qu’une accélération de la militarisation du programme nucléaire nord-coréen fut entreprise. Les recherches se concentrèrent alors sur la production de plutonium (extraction, retraitement). Cependant, cette technique se révéla non seulement longue, mais surtout visible par l’AIEA qui pouvait venir contrôler les installations nucléaires de Pyongyang depuis 1985, date de son adhésion. La Corée du Nord choisit donc la seconde voie pour produire sa bombe nucléaire : l’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse, une technique plus discrète. Ce procédé lui fut divulgué, selon les agences de renseignements américains, par le Pakistan. En effet, le père de la bombe atomique pakistanaise, Adbul Qadeer Khan, fut formé en Allemagne, puis employé dans la compagnie d’enrichissement d’uranium Urenco (néerlando-germano-britannique, la “ sœur ” d’Eurodif). La rencontre entre ces deux pays ne pouvait mieux tomber. Au terme d’un accord secret, il fut décidé un échange de technologie. Le Pakistan allait recevoir des pièces pour la construction de missiles No-dong, rebaptisés Ghauri. La Corée du Nord obtiendra en contrepartie les plans et divers matériaux nécessaires à la construction de centrifugeuses à gaz.

Détournement d’une technologie nucléaire dite civile vers un usage militaire

Les cinq puissances nucléaires militaires “officielles” (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine) connaissent parfaitement ce schéma de détournement d’une technologie nucléaire dite civile vers un usage militaire pour l’avoir largement pratiqué en leur temps…

Que l’accession de nouvelles puissances à l’arme nucléaire représente un danger est une évidence. Reste qu’en la matière nous nageons en pleine hypocrisie. En effet, le TNP lors de sa mise en place, prend acte de l’existence de cinq puissances nucléaires avérées. Les États non dotés d’armes nucléaires acceptent d’une part de renoncer au nucléaire militaire en échange de l’accession aux technologies nucléaires civiles — même si les savoir-faire pour un usage militaire sont identiques ! D’autre part, les cinq puissances nucléaires prennent l’engagement sans équivoque d’entamer un processus de désarmement de leurs arsenaux atomiques, selon l’article VI dudit traité…

Or, que s’est-il passé depuis les années 1970 ? Les puissances atomiques non seulement poursuivent leurs programmes nucléaires mais n’ont de cesse de le rendre encore plus performant. Les mesures présentées comme du désarmement sont d’ordre quantitatif… et largement compensées par les améliorations qualitatives (1).

Sans compter que tous les États ne sont pas logés à la même enseigne, comme l’a montré un nouvelle fois la réunion annuelle de l’AIEA qui s’est déroulée mi-septembre 2003 à Vienne (Autriche). Cette agence onusienne, chargée notamment de contrôler l’application du TNP, a appelé son membre iranien à suspendre toute activité d’enrichissement et décidé l’envoi d’experts, mais reste particulièrement silencieuse à l’encontre des armes nucléaires possédées par Israël, État non signataire du TNP, mais membre de l’AIEA…
Créé en 1984, le Centre de Documentation et de Recherche pour la Paix et les Conflits (CDRPC) est un centre d’observation et d’expertise français indépendant qui effectue des recherches et diffuse de l’information sur les questions de défense et de sécurité. Le CDRPC a pour objectif d’encourager une politique de transparence sur le commerce des armes, dans la perspective d’une démilitarisation progressive. A cette fin le CDRPC a mis en place deux observatoires :

- Observatoire des transferts d’armements ;

- Observatoire des armes nucléaires françaises.

Contact :

CDRPC, 187, montée de Choulans, 69005 Lyon

Tél. 04 78 36 93 03 / Fax 04 78 36 36 83

www.obsarm.org
Jean-Marie Collin

Journaliste indépendant, membre du CDRPC
1. Pour en savoir plus : Vers une Europe sans armes nucléaires, études de Jean-Marie Collin publiée par l’Observatoire des armes nucléaires. Disponible auprès du CDRPC contre 12 euros port compris (chèque à l’ordre du CDRPC, CCP 3305 96 S Lyon)

Iran et Corée du Nord

Comment ces deux pays ont-ils trouvé les ressources (financières, techniques, humaines) pour parvenir à constituer des complexes de recherches nucléaires militaires ?

La réponse à cette question se trouve en partie dans la contradiction inscrite au cœur même du Traité de non-prolifération nucléaire. En effet, le TNP indique que “ toutes les parties au Traité s’engagent à faciliter un échange aussi large que possible d’équipements, de matières et de renseignements scientifiques et technologiques en vue des utilisations de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, et ont le droit d’y participer ”. Or, la frontière entre le nucléaire civil et la bombe atomique n’est pas d’ordre technique mais politique. La démonstration en est faite, une fois de plus. Les États qui bénéficient de la technologie nucléaire civile et maîtrisent l’ensemble du processus, sont capables de construire, dans un délai relativement court (en général moins de trois ans), une bombe atomique. L’Iran et la Corée du Nord sont des exemples typiques de cette prolifération verticale.

Ces deux pays ont bénéficié d’une aide étrangère importante pour mettre en place leurs complexes nucléaires. La France, l’Allemagne, les États-Unis et la Russie sont les principaux fournisseurs de technologie nucléaire civile à travers le monde. Ils ont “ arrosé ” toute la planète à travers des programmes de coopération “ civile ”, d’une technologie éminemment duale. Pourtant, lorsque le monde apprend la naissance d’une nouvelle puissance nucléaire, aucun des États ayant fourni la technique nécessaire à la maîtrise du cycle nucléaire n’admettra en être responsable pour une large part. Ils prétendront au contraire que cette arme est née uniquement d’un détournement de la technologie civile opéré à leur insu par le pays acheteur. Nos dirigeants seraient-ils naïfs à ce point ?

Des milliards de dollars dans un programme nucléaire

Quelles raisons ont poussé l’Iran à investir des milliards de dollars dans un programme nucléaire qui produira de l’électricité à un coût supérieur par exemple à celui de centrales thermiques chauffées au gaz ? Compte tenu de la production pétrolière (3,6 millions de barils par jour) et gazière du pays (16 % des réserves mondiales), un tel projet ne peut être ici qu’un simple paravent à un programme nucléaire militaire. Officiellement, l’Iran veut se doter d’ici à 2020 d’une capacité de production de quelque 6 000 mégawatts d’électricité d’origine nucléaire. La Russie ne peut pas être le seul pays proliférant à être mis en cause dans la fourniture de centrales, d’installations et de matières nucléaires. Alors à qui la faute ? Où ce pays s’est-il procuré les techniques nécessaires pour enrichir de l’uranium ?

Retour dans les années 1970 où la France, l’Allemagne et les États-Unis souhaitaient la nucléarisation civile et par conséquent militaire de ce pays sous le règne du Chah d’Iran. Ainsi, la France (“ autorisée ” par les États-Unis), pour financer sa propre usine d’enrichissement d’uranium Eurodif, acceptait un financement iranien, qui permettait à Téhéran (via la société Sofidif, Société franco-iranienne d’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse) d’une part de recevoir cette matière et d’autre part de connaître les techniques et le savoir-faire pour l’enrichissement de l’uranium. Avec la création de la République islamique d’Iran, ce contrat ne fut pas totalement honoré, mais l’argent iranien conservé ! Les conséquences furent fatales pour la France, frappée alors dans les années 1980 par des attentats et des enlèvements avec la complicité de Téhéran.

L’ex-URSS fut le principal partenaire de Pyongyang, en lui fournissant outre le savoir-faire, des réacteurs plutonigènes. C’est au milieu des années 1970 qu’une accélération de la militarisation du programme nucléaire nord-coréen fut entreprise. Les recherches se concentrèrent alors sur la production de plutonium (extraction, retraitement). Cependant, cette technique se révéla non seulement longue, mais surtout visible par l’AIEA qui pouvait venir contrôler les installations nucléaires de Pyongyang depuis 1985, date de son adhésion. La Corée du Nord choisit donc la seconde voie pour produire sa bombe nucléaire : l’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse, une technique plus discrète. Ce procédé lui fut divulgué, selon les agences de renseignements américains, par le Pakistan. En effet, le père de la bombe atomique pakistanaise, Adbul Qadeer Khan, fut formé en Allemagne, puis employé dans la compagnie d’enrichissement d’uranium Urenco (néerlando-germano-britannique, la “ sœur ” d’Eurodif). La rencontre entre ces deux pays ne pouvait mieux tomber. Au terme d’un accord secret, il fut décidé un échange de technologie. Le Pakistan allait recevoir des pièces pour la construction de missiles No-dong, rebaptisés Ghauri. La Corée du Nord obtiendra en contrepartie les plans et divers matériaux nécessaires à la construction de centrifugeuses à gaz.

Détournement d’une technologie nucléaire dite civile vers un usage militaire

Les cinq puissances nucléaires militaires “officielles” (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine) connaissent parfaitement ce schéma de détournement d’une technologie nucléaire dite civile vers un usage militaire pour l’avoir largement pratiqué en leur temps…

Que l’accession de nouvelles puissances à l’arme nucléaire représente un danger est une évidence. Reste qu’en la matière nous nageons en pleine hypocrisie. En effet, le TNP lors de sa mise en place, prend acte de l’existence de cinq puissances nucléaires avérées. Les États non dotés d’armes nucléaires acceptent d’une part de renoncer au nucléaire militaire en échange de l’accession aux technologies nucléaires civiles — même si les savoir-faire pour un usage militaire sont identiques ! D’autre part, les cinq puissances nucléaires prennent l’engagement sans équivoque d’entamer un processus de désarmement de leurs arsenaux atomiques, selon l’article VI dudit traité…

Or, que s’est-il passé depuis les années 1970 ? Les puissances atomiques non seulement poursuivent leurs programmes nucléaires mais n’ont de cesse de le rendre encore plus performant. Les mesures présentées comme du désarmement sont d’ordre quantitatif… et largement compensées par les améliorations qualitatives (1).

Sans compter que tous les États ne sont pas logés à la même enseigne, comme l’a montré un nouvelle fois la réunion annuelle de l’AIEA qui s’est déroulée mi-septembre 2003 à Vienne (Autriche). Cette agence onusienne, chargée notamment de contrôler l’application du TNP, a appelé son membre iranien à suspendre toute activité d’enrichissement et décidé l’envoi d’experts, mais reste particulièrement silencieuse à l’encontre des armes nucléaires possédées par Israël, État non signataire du TNP, mais membre de l’AIEA…
Créé en 1984, le Centre de Documentation et de Recherche pour la Paix et les Conflits (CDRPC) est un centre d’observation et d’expertise français indépendant qui effectue des recherches et diffuse de l’information sur les questions de défense et de sécurité. Le CDRPC a pour objectif d’encourager une politique de transparence sur le commerce des armes, dans la perspective d’une démilitarisation progressive. A cette fin le CDRPC a mis en place deux observatoires :

- Observatoire des transferts d’armements ;

- Observatoire des armes nucléaires françaises.

Contact :

CDRPC, 187, montée de Choulans, 69005 Lyon

Tél. 04 78 36 93 03 / Fax 04 78 36 36 83

www.obsarm.org
Jean-Marie Collin

Journaliste indépendant, membre du CDRPC
1. Pour en savoir plus : Vers une Europe sans armes nucléaires, études de Jean-Marie Collin publiée par l’Observatoire des armes nucléaires. Disponible auprès du CDRPC contre 12 euros port compris (chèque à l’ordre du CDRPC, CCP 3305 96 S Lyon)



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