Deux pays sont actuellement stigmatisés dans le camp de laxe du mal par lAIEA (Agence internationale pour l’énergie atomique), les Américains et les Européens : lIran, soupçonné de détourner ses infrastructures nucléaires civiles à des fins militaires, et la Corée du nord qui a révélé en octobre 2002 détenir un programme denrichissement duranium à des fins militaires.
Iran et Corée du Nord
Comment ces deux pays ont-ils trouvé les ressources (financières, techniques, humaines) pour parvenir à constituer des complexes de recherches nucléaires militaires ?
La réponse à cette question se trouve en partie dans la contradiction inscrite au cur même du Traité de non-prolifération nucléaire. En effet, le TNP indique que toutes les parties au Traité sengagent à faciliter un échange aussi large que possible déquipements, de matières et de renseignements scientifiques et technologiques en vue des utilisations de lénergie nucléaire à des fins pacifiques, et ont le droit dy participer . Or, la frontière entre le nucléaire civil et la bombe atomique nest pas dordre technique mais politique. La démonstration en est faite, une fois de plus. Les États qui bénéficient de la technologie nucléaire civile et maîtrisent lensemble du processus, sont capables de construire, dans un délai relativement court (en général moins de trois ans), une bombe atomique. LIran et la Corée du Nord sont des exemples typiques de cette prolifération verticale.
Ces deux pays ont bénéficié dune aide étrangère importante pour mettre en place leurs complexes nucléaires. La France, lAllemagne, les États-Unis et la Russie sont les principaux fournisseurs de technologie nucléaire civile à travers le monde. Ils ont arrosé toute la planète à travers des programmes de coopération civile , dune technologie éminemment duale. Pourtant, lorsque le monde apprend la naissance dune nouvelle puissance nucléaire, aucun des États ayant fourni la technique nécessaire à la maîtrise du cycle nucléaire nadmettra en être responsable pour une large part. Ils prétendront au contraire que cette arme est née uniquement dun détournement de la technologie civile opéré à leur insu par le pays acheteur. Nos dirigeants seraient-ils naïfs à ce point ?
Des milliards de dollars dans un programme nucléaire
Quelles raisons ont poussé lIran à investir des milliards de dollars dans un programme nucléaire qui produira de lélectricité à un coût supérieur par exemple à celui de centrales thermiques chauffées au gaz ? Compte tenu de la production pétrolière (3,6 millions de barils par jour) et gazière du pays (16 % des réserves mondiales), un tel projet ne peut être ici quun simple paravent à un programme nucléaire militaire. Officiellement, lIran veut se doter dici à 2020 dune capacité de production de quelque 6 000 mégawatts délectricité dorigine nucléaire. La Russie ne peut pas être le seul pays proliférant à être mis en cause dans la fourniture de centrales, dinstallations et de matières nucléaires. Alors à qui la faute ? Où ce pays sest-il procuré les techniques nécessaires pour enrichir de luranium ?
Retour dans les années 1970 où la France, lAllemagne et les États-Unis souhaitaient la nucléarisation civile et par conséquent militaire de ce pays sous le règne du Chah dIran. Ainsi, la France ( autorisée par les États-Unis), pour financer sa propre usine denrichissement duranium Eurodif, acceptait un financement iranien, qui permettait à Téhéran (via la société Sofidif, Société franco-iranienne denrichissement de luranium par diffusion gazeuse) dune part de recevoir cette matière et dautre part de connaître les techniques et le savoir-faire pour lenrichissement de luranium. Avec la création de la République islamique dIran, ce contrat ne fut pas totalement honoré, mais largent iranien conservé ! Les conséquences furent fatales pour la France, frappée alors dans les années 1980 par des attentats et des enlèvements avec la complicité de Téhéran.
Lex-URSS fut le principal partenaire de Pyongyang, en lui fournissant outre le savoir-faire, des réacteurs plutonigènes. Cest au milieu des années 1970 quune accélération de la militarisation du programme nucléaire nord-coréen fut entreprise. Les recherches se concentrèrent alors sur la production de plutonium (extraction, retraitement). Cependant, cette technique se révéla non seulement longue, mais surtout visible par lAIEA qui pouvait venir contrôler les installations nucléaires de Pyongyang depuis 1985, date de son adhésion. La Corée du Nord choisit donc la seconde voie pour produire sa bombe nucléaire : lenrichissement de luranium par diffusion gazeuse, une technique plus discrète. Ce procédé lui fut divulgué, selon les agences de renseignements américains, par le Pakistan. En effet, le père de la bombe atomique pakistanaise, Adbul Qadeer Khan, fut formé en Allemagne, puis employé dans la compagnie denrichissement duranium Urenco (néerlando-germano-britannique, la sur dEurodif). La rencontre entre ces deux pays ne pouvait mieux tomber. Au terme dun accord secret, il fut décidé un échange de technologie. Le Pakistan allait recevoir des pièces pour la construction de missiles No-dong, rebaptisés Ghauri. La Corée du Nord obtiendra en contrepartie les plans et divers matériaux nécessaires à la construction de centrifugeuses à gaz.
Détournement dune technologie nucléaire dite civile vers un usage militaire
Les cinq puissances nucléaires militaires officielles (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine) connaissent parfaitement ce schéma de détournement dune technologie nucléaire dite civile vers un usage militaire pour lavoir largement pratiqué en leur temps
Que laccession de nouvelles puissances à larme nucléaire représente un danger est une évidence. Reste quen la matière nous nageons en pleine hypocrisie. En effet, le TNP lors de sa mise en place, prend acte de lexistence de cinq puissances nucléaires avérées. Les États non dotés darmes nucléaires acceptent dune part de renoncer au nucléaire militaire en échange de laccession aux technologies nucléaires civiles même si les savoir-faire pour un usage militaire sont identiques ! Dautre part, les cinq puissances nucléaires prennent lengagement sans équivoque dentamer un processus de désarmement de leurs arsenaux atomiques, selon larticle VI dudit traité
Or, que sest-il passé depuis les années 1970 ? Les puissances atomiques non seulement poursuivent leurs programmes nucléaires mais nont de cesse de le rendre encore plus performant. Les mesures présentées comme du désarmement sont dordre quantitatif et largement compensées par les améliorations qualitatives (1).
Sans compter que tous les États ne sont pas logés à la même enseigne, comme la montré un nouvelle fois la réunion annuelle de lAIEA qui sest déroulée mi-septembre 2003 à Vienne (Autriche). Cette agence onusienne, chargée notamment de contrôler lapplication du TNP, a appelé son membre iranien à suspendre toute activité denrichissement et décidé lenvoi dexperts, mais reste particulièrement silencieuse à lencontre des armes nucléaires possédées par Israël, État non signataire du TNP, mais membre de lAIEA
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Jean-Marie Collin
Journaliste indépendant, membre du CDRPC
1. Pour en savoir plus : Vers une Europe sans armes nucléaires, études de Jean-Marie Collin publiée par l’Observatoire des armes nucléaires. Disponible auprès du CDRPC contre 12 euros port compris (chèque à l’ordre du CDRPC, CCP 3305 96 S Lyon)
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