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Sortir du nucléaire n°64



Février 2015

International

L’ingénieur nucléaire qui filme contre Areva

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°64 - Février 2015

 Luttes et actions  Projets nucléaires


Pradeep Indulkar, ex-ingénieur dans un centre de recherche nucléaire à Mumbai, est devenu un anti-nucléaire actif et un réalisateur de documentaires militants qui sillonne le monde pour faire connaître l’état du nucléaire indien. Son dernier court-métrage, Jaitapur en direct (montré pour la première fois en France à l’automne 2014, avec son précédent film High Power), concerne Jaitapur où Areva veut aller construire six réacteurs EPR côte à côte...



André Larivière : Comment expliquer une telle conversion personnelle ?

Pradeep Indulkar : En 1983, jeune ingénieur nouvellement diplômé, on m’offre un poste prestigieux dans le nucléaire. Nul ne possède à ce moment-là en Inde d’infos critiques sur le nucléaire. Je me sens comblé pendant les six-sept premières années. Puis surgissent d’étranges problèmes de santé : allergies, immenses fatigues et faiblesses jusqu’à ne pas pouvoir sortir de chez moi pendant des mois. Je commence à observer mes collègues dans la même tranche d’âge (jeune trentaine). Certains sont en partie paralysés et d’autres ont eu des enfants difformes ou mentalement attardés. Et plusieurs des vieux collègues proches de la retraite ont le cancer. Tout cela m’effraie. Je donne ma démission en 1994.

Mais encore là, aucune info critique disponible. Et je ne sais à qui m’adresser, ne serait-ce que pour raconter ce que j’ai vécu au centre de recherche. Mais vers 2004, sitôt que j’entends parler d’une mouvance anti-nucléaire qui se crée autour du projet de Jaitapur, je rejoins et fais ma part. J’écris des articles et prends la parole. Mais mon histoire semble peu toucher les paysans et pêcheurs sur place. Je choisis donc de d’abord leur donner la parole dans leur langue régionale ; et par un outil plus audio-visuel, le film.

A.L : Quelle est la situation actuelle du nucléaire indien et l’état des luttes anti-nucléaires ?

P.I : Actuellement, 22 tout petits réacteurs (entre 150 et 250 MW chacun) sur sept sites différents qui fournissent à peine 3 % de l’électricité du pays. Système très centralisé relevant directement de l’État indien et qui reste le plus opaque possible souvent sous couvert de secret défense. Les autres sources d’énergie pour la production électrique sont le charbon (65-67 %), l’hydro-électricité (autour de 20 %) et les renouvelables (11-12 %) mais implantées chez les particuliers et non reliées au réseau national. Par contre, le nouveau gouvernement a de grands projets d’industrialisation qui seraient alimentés par l’énergie nucléaire... Il voudrait ainsi faire passer la part du nucléaire de 3 à 20% dans les vingt prochaines années.

Le mouvement anti-nucléaire indien est encore très jeune. Il date de 2004-2005. Avant Fukushima, il concernait presque exclusivement les riverains des sites prévus. Mais Fukushima (dont les médias n’ont pas pu ne pas parler) a fait réaliser aux (nouvelles) classes moyennes urbaines qu’il y avait un problème avec le nucléaire. Et depuis, des groupes commencent aussi à se créer dans diverses villes pour soutenir ceux qui résistent près des sites de centrales.

A.L : Ce jeune mouvement anti-nucléaire a-t-il déjà quelques victoires à son actif ?

P.I : Oui, à Haripur dans le Bengale de l’Ouest, un projet de centrale a été abandonné par le gouvernement indien et le constructeur russe Rosatom à cause d’une résistance virulente autour du site prévu. Bien sûr, ils cherchent maintenant un autre endroit où s’installer... Deux nouveaux projets de mines d’uranium (dans le Karnataka et dans le Mizoram) sont aussi bloqués jusqu’à maintenant par les populations environnantes.

A.L : Dans le film sur Jaitapur et sa résistance, le ministre d’État du Maharashtra déclare que "le solaire est le futur énergétique de l’Inde". Sont-ce là seulement de belles paroles ou bien y a-t-il des gestes à l’appui ?

P.I : Des signes semblent indiquer que les gestes sont proches... si le nucléaire ne prend pas toute la place et les budgets. L’Inde est quand même un pays qui bénéficie de neuf mois entiers de plein soleil. Nous avons donc un grand espoir dans le solaire. Chaque État indien a maintenant son ministère des Énergies renouvelables. Bien que pro-nucléaire, le nouveau gouvernement donne aussi plus d’importance aux renouvelables. Un nouveau grand parc solaire de 550 MW dans le Gujarat est sur le point d’être connecté au réseau national d’électricité. Mais il n’existe pas encore de filière indienne pour la production de panneaux photovoltaïques. Tout est pour le moment importé d’Allemagne et de Chine...

A.L : Comment vois-tu le nucléaire français ?

P.I : Après ma deuxième tournée en France en un an, je constate que malgré la jolie image du nucléaire donnée au monde entier par les autorités et les lobbies pro-nucléaire, beaucoup de gens dans la population ne sont pas heureux du tout avec ce choix énergétique imposé ; et ce, même quand ils ne vivent pas à proximité d’un site nucléaire.

A.L : Et comment vois-tu la mouvance anti-nucléaire française ?

P.I : Comparativement à d’autres pays que j’ai visités, le mouvement anti-nucléaire français me semble mieux organisé et très bien informé, avec des groupes partout à travers le pays. Bien informé pas seulement sur le fonctionnement et les tares du nucléaire ; mais aussi sur l’organisation des résistances, les renouvelables et les économies d’énergie.

A.L : Un dernier mot ?

P.I : Nous sollicitons un soutien visible de votre part pour Jaitapur ; et de toutes les façons possibles. Et ce, d’autant plus qu’il s’agit du groupe français Areva qui viendrait y construire la plus grande centrale nucléaire au monde. Une bonne campagne (nationale et internationale) pour bien salir l’image du monstre Areva – qui déjà chancelle sur le plan financier - ne serait-elle pas envisageable ?

Propos recueillis par André Larivière

Le film High Power de Pradeep Indulkar a obtenu le prix "Yellow Oscar" du meilleur documentaire en court-métrage au 3e Festival international du film d’Uranium à Rio de Janeiro.

André Larivière : Comment expliquer une telle conversion personnelle ?

Pradeep Indulkar : En 1983, jeune ingénieur nouvellement diplômé, on m’offre un poste prestigieux dans le nucléaire. Nul ne possède à ce moment-là en Inde d’infos critiques sur le nucléaire. Je me sens comblé pendant les six-sept premières années. Puis surgissent d’étranges problèmes de santé : allergies, immenses fatigues et faiblesses jusqu’à ne pas pouvoir sortir de chez moi pendant des mois. Je commence à observer mes collègues dans la même tranche d’âge (jeune trentaine). Certains sont en partie paralysés et d’autres ont eu des enfants difformes ou mentalement attardés. Et plusieurs des vieux collègues proches de la retraite ont le cancer. Tout cela m’effraie. Je donne ma démission en 1994.

Mais encore là, aucune info critique disponible. Et je ne sais à qui m’adresser, ne serait-ce que pour raconter ce que j’ai vécu au centre de recherche. Mais vers 2004, sitôt que j’entends parler d’une mouvance anti-nucléaire qui se crée autour du projet de Jaitapur, je rejoins et fais ma part. J’écris des articles et prends la parole. Mais mon histoire semble peu toucher les paysans et pêcheurs sur place. Je choisis donc de d’abord leur donner la parole dans leur langue régionale ; et par un outil plus audio-visuel, le film.

A.L : Quelle est la situation actuelle du nucléaire indien et l’état des luttes anti-nucléaires ?

P.I : Actuellement, 22 tout petits réacteurs (entre 150 et 250 MW chacun) sur sept sites différents qui fournissent à peine 3 % de l’électricité du pays. Système très centralisé relevant directement de l’État indien et qui reste le plus opaque possible souvent sous couvert de secret défense. Les autres sources d’énergie pour la production électrique sont le charbon (65-67 %), l’hydro-électricité (autour de 20 %) et les renouvelables (11-12 %) mais implantées chez les particuliers et non reliées au réseau national. Par contre, le nouveau gouvernement a de grands projets d’industrialisation qui seraient alimentés par l’énergie nucléaire... Il voudrait ainsi faire passer la part du nucléaire de 3 à 20% dans les vingt prochaines années.

Le mouvement anti-nucléaire indien est encore très jeune. Il date de 2004-2005. Avant Fukushima, il concernait presque exclusivement les riverains des sites prévus. Mais Fukushima (dont les médias n’ont pas pu ne pas parler) a fait réaliser aux (nouvelles) classes moyennes urbaines qu’il y avait un problème avec le nucléaire. Et depuis, des groupes commencent aussi à se créer dans diverses villes pour soutenir ceux qui résistent près des sites de centrales.

A.L : Ce jeune mouvement anti-nucléaire a-t-il déjà quelques victoires à son actif ?

P.I : Oui, à Haripur dans le Bengale de l’Ouest, un projet de centrale a été abandonné par le gouvernement indien et le constructeur russe Rosatom à cause d’une résistance virulente autour du site prévu. Bien sûr, ils cherchent maintenant un autre endroit où s’installer... Deux nouveaux projets de mines d’uranium (dans le Karnataka et dans le Mizoram) sont aussi bloqués jusqu’à maintenant par les populations environnantes.

A.L : Dans le film sur Jaitapur et sa résistance, le ministre d’État du Maharashtra déclare que "le solaire est le futur énergétique de l’Inde". Sont-ce là seulement de belles paroles ou bien y a-t-il des gestes à l’appui ?

P.I : Des signes semblent indiquer que les gestes sont proches... si le nucléaire ne prend pas toute la place et les budgets. L’Inde est quand même un pays qui bénéficie de neuf mois entiers de plein soleil. Nous avons donc un grand espoir dans le solaire. Chaque État indien a maintenant son ministère des Énergies renouvelables. Bien que pro-nucléaire, le nouveau gouvernement donne aussi plus d’importance aux renouvelables. Un nouveau grand parc solaire de 550 MW dans le Gujarat est sur le point d’être connecté au réseau national d’électricité. Mais il n’existe pas encore de filière indienne pour la production de panneaux photovoltaïques. Tout est pour le moment importé d’Allemagne et de Chine...

A.L : Comment vois-tu le nucléaire français ?

P.I : Après ma deuxième tournée en France en un an, je constate que malgré la jolie image du nucléaire donnée au monde entier par les autorités et les lobbies pro-nucléaire, beaucoup de gens dans la population ne sont pas heureux du tout avec ce choix énergétique imposé ; et ce, même quand ils ne vivent pas à proximité d’un site nucléaire.

A.L : Et comment vois-tu la mouvance anti-nucléaire française ?

P.I : Comparativement à d’autres pays que j’ai visités, le mouvement anti-nucléaire français me semble mieux organisé et très bien informé, avec des groupes partout à travers le pays. Bien informé pas seulement sur le fonctionnement et les tares du nucléaire ; mais aussi sur l’organisation des résistances, les renouvelables et les économies d’énergie.

A.L : Un dernier mot ?

P.I : Nous sollicitons un soutien visible de votre part pour Jaitapur ; et de toutes les façons possibles. Et ce, d’autant plus qu’il s’agit du groupe français Areva qui viendrait y construire la plus grande centrale nucléaire au monde. Une bonne campagne (nationale et internationale) pour bien salir l’image du monstre Areva – qui déjà chancelle sur le plan financier - ne serait-elle pas envisageable ?

Propos recueillis par André Larivière

Le film High Power de Pradeep Indulkar a obtenu le prix "Yellow Oscar" du meilleur documentaire en court-métrage au 3e Festival international du film d’Uranium à Rio de Janeiro.



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