Faire un don

Sortir du nucléaire n°44



Automne 2009

Interview

"L’efficacité énergétique est primordiale pour répondre au défi du changement climatique"

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°44 - Automne 2009

 Politique énergétique
Article publié le : 1er novembre 2009


La Suède est l’un des rares pays industriels à avoir réduit ses émissions de C02 : près de 9 % entre 1990 et 2006. Directeur de l’agence suédoise de l’énergie, Tomas Kaberger évoque les priorités de son pays à la veille du Sommet de Copenhague sur le changement climatique de décembre 2009. Il fait le point sur la politique énergétique suédoise dont pourraient s’inspirer avec profit nombre de pays européens.



La Suède est à la tête du Conseil des ministres de l’Union européenne jusqu’au 31 décembre 2009. Forte de sa crédibilité en matière environnementale, quels messages pourrait-elle faire passer à Copenhague ?

Tomas Kaberger : La Suède témoignera de la possibilité de conjuguer croissance économique et réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous y sommes parvenus. Nous pourrons également démontrer qu’il est possible de diminuer les émissions de C02 tout en réduisant la production d’électricité d’origine nucléaire. Mais le gouvernement suédois voudrait surtout mettre en avant l’importance d’améliorer l’efficacité énergétique de nos économies. C’est un outil essentiel pour répondre au défi du changement climatique tout en améliorant la compétitivité économique et industrielle des pays.

Quels exemples mettrez-vous en avant ?

T.K. : Nous pouvons nous targuer notamment de notre succès en matière de biocombustibles dont le développement a été favorisé par la création de taxes sur les énergies fossiles et non par des subventions publiques. Dans les années 1970-1980, on pensait surtout aux productions de biomasse cultivée sur des terres agricoles. Mais ce sont en fait les résidus de l’industrie forestière et de l’industrie agroalimentaire qui se sont montrés les plus efficaces et les plus avantageux d’un point de vue économique. Nous n’avons plus aucun besoin, désormais, d’utiliser des terres agricoles pour produire de la biomasse. Nous avons triplé notre production de biocombustibles en l’espace de 30 ans. Nous sommes de loin ceux qui utilisent le plus de biocombustibles par habitant dans le monde : uniquement les résidus des industries forestières et agroalimentaires et les déchets des ménages. L’industrie forestière suédoise tire donc de substantiels revenus de ce qu’elle considérait, jusque-là, comme des déchets non valorisables.

Quels sont les effets sur l’économie suédoise ?

T.K. : En réduisant notre dépendance aux énergies fossiles, nous avons développé la compétitivité de notre industrie. Lors de la crise pétrolière des années 2005-2006 et la flambée du prix du pétrole à 140 dollars le baril, les industries forestières suédoises qui assumaient déjà leurs besoins énergétiques avec les biocombustibles ont été totalement épargnées par l’augmentation du prix du pétrole. Elles ont même vendu leurs surplus !

La Suède est-elle totalement dépourvue d’énergies fossiles ?

T.K. : Oui, la Suède ne dispose d’aucune ressource en pétrole, en gaz ou en charbon. Toutes nos énergies fossiles sont importées. L’objectif est donc de réduire massivement ces importations. Le charbon est surtout utilisé par l’industrie métallurgique, son usage domestique a été remplacé en quasi-totalité par de la biomasse. Le pétrole, qui servait essentiellement à produire de la chaleur et de l’électricité dans l’habitat dans les années 1970, est remplacé par des centrales de cogénération alimentées par des biocombustibles. Reste quelques usages résiduels dans certaines industries. Mais ils diminuent rapidement. Les transports restent le seul secteur dans lequel le pétrole est encore utilisé de manière significative. Quant au gaz naturel, nous l’utilisons très peu en Suède. Nous n’y avons recours que pour quelques centrales de cogénération et quelques industriels.

La Suède s’est fixé l’objectif de sortir des énergies fossiles à l’horizon 2050. Cet objectif sera atteint quand une part significative du bouquet énergétique suédois reposera sur des énergies alternatives.

Qu’en est-il aujourd’hui des énergies renouvelables ?

T.K. : Au-delà des biocombustibles, la Suède satisfait une bonne partie de ses besoins grâce à l’énergie hydroélectrique, abondante chez nous. Et aussi avec le nucléaire. Nous comptons beaucoup, dans un avenir proche, sur le développement de l’énergie éolienne. Celui-ci a été retardé car nous disposions d’importants gisements d’hydroélectricité mais aussi parce que, dans les années 1970 et 1980, nous avons construit plus de centrales nucléaires que nos besoins ne le justifiaient. Cette surcapacité a généré une baisse des prix de l’électricité et ôté tout intérêt au développement de sources d’énergies renouvelables. Depuis la hausse des prix provoquée par l’internationalisation du marché de l’énergie, l’énergie éolienne est devenue intéressante, même en Suède. Elle représente aujourd’hui 1 à 2 % de notre bouquet énergétique. L’éolien produit actuellement 2 TWh (milliards de kWh) par an, nous comptons atteindre 30 TWh annuels d’ici 2020. En 2007, le plus grand parc d’éoliennes offshore d’Europe du Nord a été inauguré dans l’Öresund, au large de la Côte Sud de la Suède. Ces 48 turbines génèrent 110 MWh, ce qui correspond aux besoins électriques de 60 000 foyers.

La Suède devra-t-elle encore compter sur l’énergie nucléaire, dans un futur proche, pour produire de l’électricité ?

T.K. : En 1980, le Parlement Suédois a pris la décision d’achever la construction des 12 réacteurs nucléaires en projet avant de mettre un terme au développement de cette énergie. Puis, dans les années 1990, deux réacteurs nucléaires ont été fermés et leur production devait être remplacée par l’énergie éolienne et la biomasse. Le gouvernement de droite, en place depuis 2006, est revenu sur cette décision en annulant l’interdiction de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Parallèlement, cette même loi a mis l’accent sur la responsabilité économique des propriétaires de réacteurs en cas d’accident et durcit la législation en matière de stockage des déchets.
Malgré cette nouvelle loi, il y a peu de chance qu’un nouveau réacteur soit construit, principalement pour des raisons de compétitivité économique. Il est devenu difficile de soutenir que le nucléaire ­– une énergie de plus en plus chère ­– a encore un rôle économique à jouer au moment où l’éolien est devenu de plus en plus accessible.
Le nouveau gouvernement a donc fait fi du référendum populaire de mars 1980 qui s’était prononcé pour une sortie du nucléaire à l’horizon 2010 ?

T.K :Le gouvernement est en effet en train de revenir sur cette décision si l’on se place au niveau légal. Mais au sein même du gouvernement, ceux qui demeurent opposés au nucléaire semblent dire que cette loi n’aura pas réellement de conséquence car nous sortirons de toute façon, selon eux, du nucléaire pour des raisons économiques.

Comment gérez-vous vos déchets nucléaires ?

T.K. : La Suède a opté pour un stockage à long terme. L’idée est d’enfouir les déchets nucléaires dans des boîtes en acier étanches à 500 mètres de profondeur. Les industriels, propriétaires des centrales nucléaires qui conduisent ces recherches, sont sur le point de sélectionner le site d’enfouissement. Ce sera sans doute l’une des communes où se trouvent déjà implantées des réacteurs. L’opinion publique semble plutôt favorable à cette solution.
Au contraire, les organismes de protection de l’environnement dénoncent un choix motivé par l’absence d’opposition de l’opinion plutôt que par la recherche de critères de sécurité. Le débat public se réveillera probablement au moment où la décision approchera...

Propos recueillis par Eric Tariant

D’après une interview parue dans le numéro 22 de la Revue Alliance pour une Europe des consciences. Site : www.terre-du-ciel.fr

Pour aller plus loin :

www.energimyndigheten.se: le site de l’Agence suédoise de l’énergie

www.energy.eu: portail européen de l’énergie

La Suède est à la tête du Conseil des ministres de l’Union européenne jusqu’au 31 décembre 2009. Forte de sa crédibilité en matière environnementale, quels messages pourrait-elle faire passer à Copenhague ?

Tomas Kaberger : La Suède témoignera de la possibilité de conjuguer croissance économique et réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous y sommes parvenus. Nous pourrons également démontrer qu’il est possible de diminuer les émissions de C02 tout en réduisant la production d’électricité d’origine nucléaire. Mais le gouvernement suédois voudrait surtout mettre en avant l’importance d’améliorer l’efficacité énergétique de nos économies. C’est un outil essentiel pour répondre au défi du changement climatique tout en améliorant la compétitivité économique et industrielle des pays.

Quels exemples mettrez-vous en avant ?

T.K. : Nous pouvons nous targuer notamment de notre succès en matière de biocombustibles dont le développement a été favorisé par la création de taxes sur les énergies fossiles et non par des subventions publiques. Dans les années 1970-1980, on pensait surtout aux productions de biomasse cultivée sur des terres agricoles. Mais ce sont en fait les résidus de l’industrie forestière et de l’industrie agroalimentaire qui se sont montrés les plus efficaces et les plus avantageux d’un point de vue économique. Nous n’avons plus aucun besoin, désormais, d’utiliser des terres agricoles pour produire de la biomasse. Nous avons triplé notre production de biocombustibles en l’espace de 30 ans. Nous sommes de loin ceux qui utilisent le plus de biocombustibles par habitant dans le monde : uniquement les résidus des industries forestières et agroalimentaires et les déchets des ménages. L’industrie forestière suédoise tire donc de substantiels revenus de ce qu’elle considérait, jusque-là, comme des déchets non valorisables.

Quels sont les effets sur l’économie suédoise ?

T.K. : En réduisant notre dépendance aux énergies fossiles, nous avons développé la compétitivité de notre industrie. Lors de la crise pétrolière des années 2005-2006 et la flambée du prix du pétrole à 140 dollars le baril, les industries forestières suédoises qui assumaient déjà leurs besoins énergétiques avec les biocombustibles ont été totalement épargnées par l’augmentation du prix du pétrole. Elles ont même vendu leurs surplus !

La Suède est-elle totalement dépourvue d’énergies fossiles ?

T.K. : Oui, la Suède ne dispose d’aucune ressource en pétrole, en gaz ou en charbon. Toutes nos énergies fossiles sont importées. L’objectif est donc de réduire massivement ces importations. Le charbon est surtout utilisé par l’industrie métallurgique, son usage domestique a été remplacé en quasi-totalité par de la biomasse. Le pétrole, qui servait essentiellement à produire de la chaleur et de l’électricité dans l’habitat dans les années 1970, est remplacé par des centrales de cogénération alimentées par des biocombustibles. Reste quelques usages résiduels dans certaines industries. Mais ils diminuent rapidement. Les transports restent le seul secteur dans lequel le pétrole est encore utilisé de manière significative. Quant au gaz naturel, nous l’utilisons très peu en Suède. Nous n’y avons recours que pour quelques centrales de cogénération et quelques industriels.

La Suède s’est fixé l’objectif de sortir des énergies fossiles à l’horizon 2050. Cet objectif sera atteint quand une part significative du bouquet énergétique suédois reposera sur des énergies alternatives.

Qu’en est-il aujourd’hui des énergies renouvelables ?

T.K. : Au-delà des biocombustibles, la Suède satisfait une bonne partie de ses besoins grâce à l’énergie hydroélectrique, abondante chez nous. Et aussi avec le nucléaire. Nous comptons beaucoup, dans un avenir proche, sur le développement de l’énergie éolienne. Celui-ci a été retardé car nous disposions d’importants gisements d’hydroélectricité mais aussi parce que, dans les années 1970 et 1980, nous avons construit plus de centrales nucléaires que nos besoins ne le justifiaient. Cette surcapacité a généré une baisse des prix de l’électricité et ôté tout intérêt au développement de sources d’énergies renouvelables. Depuis la hausse des prix provoquée par l’internationalisation du marché de l’énergie, l’énergie éolienne est devenue intéressante, même en Suède. Elle représente aujourd’hui 1 à 2 % de notre bouquet énergétique. L’éolien produit actuellement 2 TWh (milliards de kWh) par an, nous comptons atteindre 30 TWh annuels d’ici 2020. En 2007, le plus grand parc d’éoliennes offshore d’Europe du Nord a été inauguré dans l’Öresund, au large de la Côte Sud de la Suède. Ces 48 turbines génèrent 110 MWh, ce qui correspond aux besoins électriques de 60 000 foyers.

La Suède devra-t-elle encore compter sur l’énergie nucléaire, dans un futur proche, pour produire de l’électricité ?

T.K. : En 1980, le Parlement Suédois a pris la décision d’achever la construction des 12 réacteurs nucléaires en projet avant de mettre un terme au développement de cette énergie. Puis, dans les années 1990, deux réacteurs nucléaires ont été fermés et leur production devait être remplacée par l’énergie éolienne et la biomasse. Le gouvernement de droite, en place depuis 2006, est revenu sur cette décision en annulant l’interdiction de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Parallèlement, cette même loi a mis l’accent sur la responsabilité économique des propriétaires de réacteurs en cas d’accident et durcit la législation en matière de stockage des déchets.
Malgré cette nouvelle loi, il y a peu de chance qu’un nouveau réacteur soit construit, principalement pour des raisons de compétitivité économique. Il est devenu difficile de soutenir que le nucléaire ­– une énergie de plus en plus chère ­– a encore un rôle économique à jouer au moment où l’éolien est devenu de plus en plus accessible.
Le nouveau gouvernement a donc fait fi du référendum populaire de mars 1980 qui s’était prononcé pour une sortie du nucléaire à l’horizon 2010 ?

T.K :Le gouvernement est en effet en train de revenir sur cette décision si l’on se place au niveau légal. Mais au sein même du gouvernement, ceux qui demeurent opposés au nucléaire semblent dire que cette loi n’aura pas réellement de conséquence car nous sortirons de toute façon, selon eux, du nucléaire pour des raisons économiques.

Comment gérez-vous vos déchets nucléaires ?

T.K. : La Suède a opté pour un stockage à long terme. L’idée est d’enfouir les déchets nucléaires dans des boîtes en acier étanches à 500 mètres de profondeur. Les industriels, propriétaires des centrales nucléaires qui conduisent ces recherches, sont sur le point de sélectionner le site d’enfouissement. Ce sera sans doute l’une des communes où se trouvent déjà implantées des réacteurs. L’opinion publique semble plutôt favorable à cette solution.
Au contraire, les organismes de protection de l’environnement dénoncent un choix motivé par l’absence d’opposition de l’opinion plutôt que par la recherche de critères de sécurité. Le débat public se réveillera probablement au moment où la décision approchera...

Propos recueillis par Eric Tariant

D’après une interview parue dans le numéro 22 de la Revue Alliance pour une Europe des consciences. Site : www.terre-du-ciel.fr

Pour aller plus loin :

www.energimyndigheten.se: le site de l’Agence suédoise de l’énergie

www.energy.eu: portail européen de l’énergie



Soyez au coeur de l'information !

Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.

Je m'abonne à la revue du Réseau