La nouvelle, advenue dans la rumeur des canons, na pas fait autant de bruit que le choix effectué par lAllemagne, en 2000, de sortir du nucléaire. Mais le 24 février, en annonçant la nouvelle politique énergétique du Royaume-Uni, axée sur la question climatique et définissant des voies originales, Tony Blair a confirmé le tournant majeur que prend lEurope.
Après que la Belgique, par un dernier vote du Sénat, ait entériné, le 16 janvier, la sortie du nucléaire dici à 2025, il est clair quun chemin européen de lénergie se dessine : il diverge de loption suivie par Washington et sécarte de lénergie nucléaire.
Pas de paix durable tant quexisteront une injustice et une pauvreté flagrantes
Dans son discours devant la Chambre des communes, le premier ministre anglais a nettement posé limportance des questions énergétiques en référence à la situation internationale. Soulignant la « polarité » Nord-Sud, il a affirmé : « il ny aura pas de paix durable tant quexisteront une injustice et une pauvreté flagrantes, pas de vraie sécurité si la planète est ravagée par le changement climatique ». Cette partie du discours aurait pu être prononcée par M. Schröder ou par M. Chirac. Celui-ci, lors du Sommet des Nations unies pour le développement durable en septembre dernier, avait eu de fortes paroles sur limpossibilité de généraliser le mode de vie occidental à lensemble de la planète.
Il y a sur cette question une divergence majeure danalyse entre lEurope et les Etats-Unis. Les dirigeants américains visent à maintenir une croissance énergétique soutenue, ce qui se traduit par la politique étrangère que lon connaît. Au contraire, la diplomatie européenne est active et unie sur les questions du changement climatique et du développement durable : ici, lUnion européenne établit depuis quelques années une alliance avec les pays du Sud, isolant, de leur fait, les Etats-Unis.
Cette démarche ne se traduit pas seulement par un geste diplomatique, mais par des choix énergétiques que lAllemagne, puis la Belgique et maintenant le Royaume-Uni marquent avec force. Le discours de M. Blair sappuie sur un Livre blanc dont la lecture sera particulièrement instructive pour le public français (*). Intitulé « Notre futur énergétique », le document du gouvernement anglais affirme que le premier défi de la politique énergétique est environnemental, avec la menace du changement climatique. Le deuxième problème majeur du Royaume-Uni est que, du fait de lépuisement de ses ressources pétrolières et gazières, il va devenir importateur dénergie.
Face à ces deux questions, le texte fixe trois buts : la réduction en 2050 de 60 % des émissions de gaz carbonique (le principal gaz à effet de serre), la sécurité énergétique, le maintien de marchés compétitifs, garantie dun juste prix de lénergie. Plus intéressants encore sont les moyens par lesquels le gouvernement de M. Blair veut atteindre ces objectifs : en donnant la priorité aux énergies renouvelables et à lefficacité énergétique. Soulignant que le découplage entre consommation énergétique et croissance économique est bien engagé, les experts estiment possible daller beaucoup plus loin dans ce sens. Ils jugent aussi que, loin dêtre une contrainte, le développement des énergies nouvelles et de lefficacité énergétique renforcera lindustrie britannique, en augmentant sa compétitivité et en la plaçant au meilleur rang de ces technologies nouvelles. Le nucléaire ne rentre pas dans ce dessein : certes, il német pas de gaz à effet de serre. « Cependant, ses performances économiques actuelles nen font pas une option attractive, et limportant problème des déchets nucléaires doit être résolu. » Le ministre de lénergie, Brian Wilson, a explicité le message : « Si lénergie renouvelable et lefficacité énergétique peuvent prouver dans les cinq ans leurs qualités, il ny aura pas besoin de nouvelle centrale nucléaire. Cest clairement ce qui est dit »
(The Independent, 25 février 2003).
Débat mal engagé en France
Linventaire des solutions auquel procède le Livre blanc montre à quel point lavenir énergétique, sil nest pas simple, est technologiquement ouvert : éolien, solaire, biomasse, cogénération, mais aussi éolien offshore, énergie des vagues et des marées, sont opérationnels ou prometteurs. Des technologies propres devraient aussi permettre de brûler le charbon de façon moins polluante. Pour ce qui est de lefficacité énergétique, le document affirme quun effort majeur sera fait sur les nouvelles normes de construction de lhabitat, tandis que les matériels électroménagers ou les ordinateurs devraient aussi voir leurs performances énergétiques saméliorer. Du côté du transport, les experts prévoient le développement des voitures hybrides et les carburants à base végétale.
Le Livre blanc nest pas exempt de critiques, notamment dans son traitement trop rapide de la question des transports. Mais lessentiel est bien dans la direction politique prise par le gouvernement de M. Blair. Sil faut linscrire dans le contexte anglais notamment dune situation proche de la faillite du système de production délectricité nucléaire, sa cohérence avec les choix faits par lAllemagne et la Belgique dessine la politique européenne de lénergie. Son analyse devrait être menée très attentivement par les responsables français, alors que le gouvernement a lancé un débat national sur lénergie (www.debat-energie.gouv.fr).
Ce débat semble mal engagé : le gouvernement et de nombreux députés ont lourdement laissé entendre quil sagissait de « consacrer une place reconnue pour lénergie nucléaire », selon la formule de M. Raffarin lors de sa déclaration de politique générale en juillet 2002. Et outre cette affirmation de la conclusion avant toute discussion, un lobby fait pression pour que le débat serve à légitimer lengagement dun nouveau type de réacteur nucléaire, dit EPR (european pressurized reactor). La crédibilité de lactuelle majorité aussi bien que sa capacité à comprendre le monde sont ici engagées : ce débat naurait pas de sens sil ne sinterrogeait pas sur lisolement de la France sur la scène énergétique européenne, sil ne comparait pas lintérêt pour léconomie française de consacrer les 2 à 3 milliards deuros que coûterait lEPR à une politique déterminée de recherche sur les énergies renouvelables et sur lefficacité énergétique, si, enfin, il ne se posait pas, au moins à titre dexercice intellectuel, la question de la sortie du nucléaire. Il est légitime de penser que les gouvernements de MM. Schröder, Verhofstadt et Blair se trompent. Il est nécessaire dexaminer lhypothèse quils ont raison.
Petit mémento énergétique
Eléments pour un débat sur l’énergie en France
Lassociation Global Chance dont une des vocations est de mettre lexpertise scientifique de ses membres à la disposition du débat public, a décidé de participer à ces divers débats en mettant à disposition des citoyens certains des éléments factuels et pédagogiques qui manquent la plupart du temps aux non-spécialistes.
Le domaine de lénergie est longtemps resté et reste encore largement le domaine réservé dun très petit nombre dexperts, souvent liés à des lobbies industriels puissants, et dune administration peu encline à partager son savoir et jalouse de ses prérogatives.
Les concepts utilisés, les unités, le vocabulaire et le formalisme employés, contribuent à rendre opaques et incompréhensibles les enjeux et les options du débat. Le citoyen se trouve dans lincapacité de juger de la pertinence des solutions proposées (ou imposées). La démocratie participative, « louverture transparente et pluraliste », commencent par une information factuelle compréhensible et accessible aux non-spécialistes.
Lassociation Global Chance met à la disposition du public une vingtaine de fiches, courtes, factuelles sur des sujets où les discours contradictoires sappuient sur les chiffres les plus fantaisistes, où les amalgames et les contrevérités foisonnent, où lomission et la manipulation sont fréquentes. Les sujets abordés sont ceux qui font lobjet des discours les plus contradictoires ou les plus fantaisistes, ou ceux qui nont pas droit de cité dans le débat tant ils semblent des faits acquis.
Les fiches sappuient sur des références accessibles au public. Elles sont conçues pour être lues de façon autonome. Elles sont néanmoins regroupées en 5 chapitres principaux :
- les chiffres sur lénergie (comptabilité énergétique, bilan de lélectricité et place des sources dénergie, la dépendance énergétique),
- la prospective (projections énergétiques mondiales et françaises, besoins de nouvelles centrales en France, lhydrogène, les piles à combustible),
- la maîtrise de lénergie (dans lhabitat et le tertiaire, dans les transports, de la demande délectricité, les énergies renouvelables),
- le nucléaire (léconomie prospective de la filière nucléaire, le retraitement et le MOX, lEPR),
- leffet de serre (laccord de Kyoto, lélectricité primaire et leffet de serre dans le monde, les combustibles fossiles et leffet de serre, les émissions de CO2 du système énergétique français).
Ce petit mémento énergétique sous forme de fiches est un outil remarquable. Il est disponible contre un chèque de 10 euros (port compris) en écrivant au Réseau « Sortir du nucléaire » 9, rue Dumenge 69317 Lyon cedex 04.
Hervé Kempf
(*) www.dti.gov.uk/energy/whitepaper
Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.