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Sortir du nucléaire n°42



Mai 2009

Tchernobyl

J’ai marché à Pripyat le 11 août 2006

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°42 - Mai 2009

 Tchernobyl
Article publié le : 1er mai 2009


Depuis 3 ans, je réalise des performances photographiques : je marche 4,5km dans des villes d’Europe et je fixe sur la mémoire sensible de mon appareil photo les atmosphères citadines que je croise ce jour-là.



Ensuite j’expose mon chemin sur Internet ou sur des murs, dans l’ordre chronologique de ma découverte, les images se suivent minute par minute, comme un roman photo. C’est le souvenir d’une ville, un certain jour. Un soir de festival à Cannes, un matin d’hiver à Zermatt, le 8 mars à Rome, un dimanche à Vilnius, j’ai déjà visité 30 villes d’Europe.

Visite d’une ville morte

Ce 11 août 2006 à 12h32, je suis seul dans une ville qui ne vit plus. Elle n’est pas encore classée ville morte, pour l’instant elle est juste rayée de la carte.

Qu’est que c’est une ville qui ne vit plus :
Une cité oubliée et retrouvée pour la plus grande joie des archéologues et des touristes ? Non, une ville qui ne vit plus, n’attire personne.

Une ville où les odeurs de la mort et de la guerre planent entre les murs brûlés et criblés de l’impact des balles ? Il y a bien eu un affrontement, mais il n’y a pas de trace, l’ennemi était invisible, sournois et traître. L’adversaire n’épargna personne, les héros touchés au fond de leurs chaires sont partis mourir ailleurs. Une ville qui n’a pas su protéger ses fils et ses filles, n’a pas le droit à son nom dans les livres d’histoire.

Donc le 11 août 2006 à 12h32, après un concours de circonstances rocambolesque, le chauffeur me dépose à la gare routière de Pripyat, au cœur de la zone interdite. La radioactivité y est encore importante, il est déconseillé de rester plus de 20 mn. J’ai de la chance : Une pluie légère colle la poussière au sol, les conditions idéales pour découvrir Pripyat, qui fête cette année 20 ans de non-vie.

Pas une âme à la ronde

Je suis seul, pas une âme à 10km à la ronde. Face à moi la bête endormie. Le monstre est endigué dans son cénotaphe monumental ; le tombeau de béton est sertit de poutrelles rouillées et de conduites en aluminium ; d’épaisses fumerolles laiteuses courent le long des flancs du mausolée. Un colossal rostre tubulaire émerge du sommet, à contre-jour dans le ciel gris, les passerelles qui l’entourent se font dentelles de coton noir.

Ces quelques centaines de m3 de béton qui me cachent la vue, focalisent les regards du monde entier, alors que la vérité commence derrière moi à quelques centaines de mètres. C’est la cité Pripyat, ville témoin de l’industrie nucléaire, victime collatérale de la réaction en chaîne non contrôlée du 26 avril fatidique.

Pripyat a été construite en 1970 en même temps que la centrale électrique. Les architectes ont utilisé les meilleurs concepts soviétiques en matières d’urbanisme, de joie de vivre et de culture.
Très vite, une cité de 48 000 âmes s’est développée. Avec sa grande place centrale décorée d’une fontaine majestueuse, sur la droite de l’esplanade l’hôtel Polissa, à ses côtés le centre culturel “Energetik”, la poste, une école technique, enfin le parc de la Culture et sa grande roue. Bref, une ville exemple, promue à un avenir exemplaire.
Son maire est heureux, il est membre du parti, et rayonne sur sa ville. En cette fin d’avril 86, toute la mairie est occupée à préparer la manifestation du 1er mai, la fête du travail.
M. le maire ne sait pas encore qu’il va être le dernier maire de la première ville d’Europe qui ne vit plus, il aurait peut-être aimé le contraire !

Le 26 avril, le vent souffle dans le mauvais sens, la ville reçoit poussières de graphite, pluies d’isotope accompagnées des rayonnements bêtas, gamma. Une aubaine pour les observateurs internationaux des catastrophes non naturelles. Un drame humain d’une ampleur impensable, sur lequel je ne reviendrais pas, mais que je vous invite à ne pas oublier.

Revenons à Pripyat évacuée le 27 avril 1986, les gens sont partis, depuis RIEN

RIEN, si ce n’est les saisons qui poursuivent le temps, la végétation enfin libre de sa fonction décorative envahit lentement, mais sûrement, l’espace réservé autrefois aux humains.
Autre particularité d’une ville sans vie, le silence qui règne en maître, la ville n’émet aucun bruit, pas le moindre son, rien ne vient troubler cette quiétude malsaine. Même le vent frais, vent du matin, le colporteur de ce malheur, refuse de chanter dans la cime des grands pins !

Une renaissance virtuelle

1996, pour les 10 ans d’une ville sans vie, on a reconstruit Pripyat sur Internet. Une renaissance virtuelle de la cité, avec ses magasins en ligne, son blog littéraire et sa place de rencontre.
D’ailleurs au centre de la vraie ville sans vie, se trouve un panneau bleu et blanc qui annonce “on se rencontre maintenant sur www.pripyat.com, je ne sais pas pour qui il est là, puisque la zone est fermée, mais c’est le seul indice dans toute la cité qui prouve que la vie a continué pour les pripiatiens après l’accident, mais sur internet seulement.
D’ailleurs, la célébrité de “Pripyat la virtuelle” a dépassé nettement “Pripyat désertée”. De nombreux jeux vidéo ont adopté le nom Pripyat pour désigner une ville radioactive remplit de mutants à abattre ; certains originaux vouent même un culte à la capitale provinciale ukrainienne.

2006, c’est le jubilé des 20 ans de “une ville sans vie” malgré ce titre unique, personnes n’est venu pour fêter l’événement.
Ma surprise fut d’autant plus grande, quand je découvre en primeur, le travail de sept artistes russes et allemands. Ils sont entrés illégalement et ont peint une vingtaine d’œuvres murales au centre même de la ville.
C’est le premier acte culturel “in situ” en 20 ans à Pripyat.
Les graffitis représentent des enfants qui jouent, devant la poste un garçonnet habillé de jaune fait le pied de nez aux fantômes qui passent. A l’hôtel, une jeune fille regarde pousser les chardons (Post Lux Ténébras), elle a le temps. Les bambins sont figés sur les murs comme atomisés, ces ombres immobiles sont les seuls témoins de mon passage.
Je contourne le centre culturel, la porte est ouverte, je rentre. A l’intérieur, éparpillés dans les couloirs, les panneaux de la manifestation du 1er mai 1986. Ils sont poussiéreux, mais prêts à être utilisés.

Déjà 12 minutes, je continue en direction du parc de la Culture, sa grande roue et son kiosque à glace. J’ai failli croiser un peu de vie, mais c’était déjà trop tard. Le corps d’un rat fraîchement mort gît sur la place de la Culture.
Je retourne vers le centre, en pressant le pas. Les façades morbides me regardent, comme si j’étais le fautif de ce cauchemar. Je leur promets à l’avenir de ne consommer que de l’énergie verte (à Genève c’est possible) ; leurs regards s’adoucissent.
13h02 : le chauffeur m’attend à l’angle de la rue Kourchatova et de l’avenue Lénine, face à la cabine téléphonique jaune.

Sur le chemin du retour à quelques km, des ouvriers réparent la route, d’autres dégagent les panneaux “Attention radioactivité” et repeignent quelques reliques soviétiques. Derrière ces banalités s’annonce la venue du tourisme, eh oui pour quelques dollars vous pourrez prochainement visiter la seule ville sans vie d’Europe, son exposition d’art urbain, vous verrez aussi le sarcophage de la bête endormie. Vous signerez une décharge, comme quoi vous avez connaissance des risques encourus. Vous aurez inclus dans le prix, un dosimètre pour prouver votre contamination, une gourmandise iodée et un autocollant “Je suis allé à Tchernobyl”.

JJK

Texte et images : agence www.jjkphoto.ch

Je vous invite à découvrir toutes les photos “J’ai marché à Pripyat”
https://www.jjkphoto.ch/photo_pripyat.htm

Ensuite j’expose mon chemin sur Internet ou sur des murs, dans l’ordre chronologique de ma découverte, les images se suivent minute par minute, comme un roman photo. C’est le souvenir d’une ville, un certain jour. Un soir de festival à Cannes, un matin d’hiver à Zermatt, le 8 mars à Rome, un dimanche à Vilnius, j’ai déjà visité 30 villes d’Europe.

Visite d’une ville morte

Ce 11 août 2006 à 12h32, je suis seul dans une ville qui ne vit plus. Elle n’est pas encore classée ville morte, pour l’instant elle est juste rayée de la carte.

Qu’est que c’est une ville qui ne vit plus :
Une cité oubliée et retrouvée pour la plus grande joie des archéologues et des touristes ? Non, une ville qui ne vit plus, n’attire personne.

Une ville où les odeurs de la mort et de la guerre planent entre les murs brûlés et criblés de l’impact des balles ? Il y a bien eu un affrontement, mais il n’y a pas de trace, l’ennemi était invisible, sournois et traître. L’adversaire n’épargna personne, les héros touchés au fond de leurs chaires sont partis mourir ailleurs. Une ville qui n’a pas su protéger ses fils et ses filles, n’a pas le droit à son nom dans les livres d’histoire.

Donc le 11 août 2006 à 12h32, après un concours de circonstances rocambolesque, le chauffeur me dépose à la gare routière de Pripyat, au cœur de la zone interdite. La radioactivité y est encore importante, il est déconseillé de rester plus de 20 mn. J’ai de la chance : Une pluie légère colle la poussière au sol, les conditions idéales pour découvrir Pripyat, qui fête cette année 20 ans de non-vie.

Pas une âme à la ronde

Je suis seul, pas une âme à 10km à la ronde. Face à moi la bête endormie. Le monstre est endigué dans son cénotaphe monumental ; le tombeau de béton est sertit de poutrelles rouillées et de conduites en aluminium ; d’épaisses fumerolles laiteuses courent le long des flancs du mausolée. Un colossal rostre tubulaire émerge du sommet, à contre-jour dans le ciel gris, les passerelles qui l’entourent se font dentelles de coton noir.

Ces quelques centaines de m3 de béton qui me cachent la vue, focalisent les regards du monde entier, alors que la vérité commence derrière moi à quelques centaines de mètres. C’est la cité Pripyat, ville témoin de l’industrie nucléaire, victime collatérale de la réaction en chaîne non contrôlée du 26 avril fatidique.

Pripyat a été construite en 1970 en même temps que la centrale électrique. Les architectes ont utilisé les meilleurs concepts soviétiques en matières d’urbanisme, de joie de vivre et de culture.
Très vite, une cité de 48 000 âmes s’est développée. Avec sa grande place centrale décorée d’une fontaine majestueuse, sur la droite de l’esplanade l’hôtel Polissa, à ses côtés le centre culturel “Energetik”, la poste, une école technique, enfin le parc de la Culture et sa grande roue. Bref, une ville exemple, promue à un avenir exemplaire.
Son maire est heureux, il est membre du parti, et rayonne sur sa ville. En cette fin d’avril 86, toute la mairie est occupée à préparer la manifestation du 1er mai, la fête du travail.
M. le maire ne sait pas encore qu’il va être le dernier maire de la première ville d’Europe qui ne vit plus, il aurait peut-être aimé le contraire !

Le 26 avril, le vent souffle dans le mauvais sens, la ville reçoit poussières de graphite, pluies d’isotope accompagnées des rayonnements bêtas, gamma. Une aubaine pour les observateurs internationaux des catastrophes non naturelles. Un drame humain d’une ampleur impensable, sur lequel je ne reviendrais pas, mais que je vous invite à ne pas oublier.

Revenons à Pripyat évacuée le 27 avril 1986, les gens sont partis, depuis RIEN

RIEN, si ce n’est les saisons qui poursuivent le temps, la végétation enfin libre de sa fonction décorative envahit lentement, mais sûrement, l’espace réservé autrefois aux humains.
Autre particularité d’une ville sans vie, le silence qui règne en maître, la ville n’émet aucun bruit, pas le moindre son, rien ne vient troubler cette quiétude malsaine. Même le vent frais, vent du matin, le colporteur de ce malheur, refuse de chanter dans la cime des grands pins !

Une renaissance virtuelle

1996, pour les 10 ans d’une ville sans vie, on a reconstruit Pripyat sur Internet. Une renaissance virtuelle de la cité, avec ses magasins en ligne, son blog littéraire et sa place de rencontre.
D’ailleurs au centre de la vraie ville sans vie, se trouve un panneau bleu et blanc qui annonce “on se rencontre maintenant sur www.pripyat.com, je ne sais pas pour qui il est là, puisque la zone est fermée, mais c’est le seul indice dans toute la cité qui prouve que la vie a continué pour les pripiatiens après l’accident, mais sur internet seulement.
D’ailleurs, la célébrité de “Pripyat la virtuelle” a dépassé nettement “Pripyat désertée”. De nombreux jeux vidéo ont adopté le nom Pripyat pour désigner une ville radioactive remplit de mutants à abattre ; certains originaux vouent même un culte à la capitale provinciale ukrainienne.

2006, c’est le jubilé des 20 ans de “une ville sans vie” malgré ce titre unique, personnes n’est venu pour fêter l’événement.
Ma surprise fut d’autant plus grande, quand je découvre en primeur, le travail de sept artistes russes et allemands. Ils sont entrés illégalement et ont peint une vingtaine d’œuvres murales au centre même de la ville.
C’est le premier acte culturel “in situ” en 20 ans à Pripyat.
Les graffitis représentent des enfants qui jouent, devant la poste un garçonnet habillé de jaune fait le pied de nez aux fantômes qui passent. A l’hôtel, une jeune fille regarde pousser les chardons (Post Lux Ténébras), elle a le temps. Les bambins sont figés sur les murs comme atomisés, ces ombres immobiles sont les seuls témoins de mon passage.
Je contourne le centre culturel, la porte est ouverte, je rentre. A l’intérieur, éparpillés dans les couloirs, les panneaux de la manifestation du 1er mai 1986. Ils sont poussiéreux, mais prêts à être utilisés.

Déjà 12 minutes, je continue en direction du parc de la Culture, sa grande roue et son kiosque à glace. J’ai failli croiser un peu de vie, mais c’était déjà trop tard. Le corps d’un rat fraîchement mort gît sur la place de la Culture.
Je retourne vers le centre, en pressant le pas. Les façades morbides me regardent, comme si j’étais le fautif de ce cauchemar. Je leur promets à l’avenir de ne consommer que de l’énergie verte (à Genève c’est possible) ; leurs regards s’adoucissent.
13h02 : le chauffeur m’attend à l’angle de la rue Kourchatova et de l’avenue Lénine, face à la cabine téléphonique jaune.

Sur le chemin du retour à quelques km, des ouvriers réparent la route, d’autres dégagent les panneaux “Attention radioactivité” et repeignent quelques reliques soviétiques. Derrière ces banalités s’annonce la venue du tourisme, eh oui pour quelques dollars vous pourrez prochainement visiter la seule ville sans vie d’Europe, son exposition d’art urbain, vous verrez aussi le sarcophage de la bête endormie. Vous signerez une décharge, comme quoi vous avez connaissance des risques encourus. Vous aurez inclus dans le prix, un dosimètre pour prouver votre contamination, une gourmandise iodée et un autocollant “Je suis allé à Tchernobyl”.

JJK

Texte et images : agence www.jjkphoto.ch

Je vous invite à découvrir toutes les photos “J’ai marché à Pripyat”
https://www.jjkphoto.ch/photo_pripyat.htm



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