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Sortir du nucléaire n°26



Février 2005

Irradiés de la République : Vérité et justice

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°26 - Février 2005

 Nucléaire militaire
Article publié le : 1er février 2005


Si les anciens travailleurs de Moruroa, les vétérans français et les victimes algériennes des essais au Sahara prennent en main leur lutte pour que soient reconnu leurs droits et qu’avancent « Justice et vérité », ils ont besoin du soutien de l’opinion publique et des militants.



Depuis bientôt trois ans, la proposition de loi sur le suivi sanitaire des essais nucléaires déposée par Marie-Hélène Aubert, alors vice-présidente Verte de l’Assemblée nationale n’est toujours pas inscrite à l’agenda de l’Assemblée nationale.

Depuis bientôt un an et demi, la promesse de Jacques Chirac faite publiquement à Tahiti d’une commission interministérielle — en lien avec les association — sur le suivi des essais nucléaires français ne connaît toujours pas de concrétisation.

Les anciens travailleurs de Moruroa, les vétérans français et les victimes algériennes des essais au Sahara en ont assez de ce mépris. Ils lancent une campagne d’action en direction du président de la République, du Premier ministre et des députés intitulée « Vérité et justice : une loi pour les victimes des essais nucléaires ».

Chair à neutrons

En 2004, l’indifférence des autorités politico-militaires à l’égard de ces quelque 150 000 hommes (et quelques femmes) qui ont été envoyés, souvent sans préparation et sans information, sur les sites d’essais du Sahara et de la Polynésie, rejoint leur incapacité à considérer naguère leurs subordonnées — jeunes militaires de 20 ans pour la grande majorité — autrement que comme de la « chair à neutrons ». Avec 3 800 adhérents en Polynésie et près de 3 000 en métropole, les associations Moruroa e tatou et Aven commencent à ouvrir les archives de cette histoire que nos stratèges du nucléaire voudraient bien occulter. Leurs témoignages sont parfois éloquents. Au regard de ce que nous savons aujourd’hui des risques de la radioactivité — Tchernobyl est passé chez nous ! —, les recommandations des autorités militaires de l’époque paraissent insupportables. Aux populations voisines de Reggane, au Sahara, où eurent lieu les premiers tirs aériens français, on affirmait que « la France qui leur voulait tant de bien, ne pouvait pas leur faire de mal ». Aux appelés, en short, chemisette et chaussures de brousse qui assistaient, béats d’admiration, au développement du champignon nucléaire au dessus de leurs têtes, on recommandait de « ne pas écouter les racontars » et on leur distribuait des imprimés indiquant que « les radiations sont sans aucun danger ». Texto !

Sans trop en rajouter tant les faits rapportés sont nombreux et concordants, voici un témoignage récemment envoyé à l’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven), caractéristique de « l’ambiance » qui régnait sur les sites. Ce jeune marin (cuisinier du bord) venait d’assister avec la candeur de ses 19 ans au dernier tir aérien de la France à Moruroa — 330 kilotonnes ou vingt-deux fois la puissance de la bombe d’Hiroshima : « Je me souviens de ce 14 septembre 1974, après que les haut-parleurs diffusèrent un grandiose “Alléluia” (!), nous dûmes mettre les petits plats dans les grands pour un festin qui marquait le “der des der” comme on nous l’avait dit : Messieurs vous avez eu le grand honneur d’assister au dernier des tirs aériens français, sachez que beaucoup envieraient votre place…  » Vingt ans plus tard, notre ancien marin se voyait atteint d’un cancer de la thyroïde qui aujourd’hui détruit sa vie et celle de sa famille.

Recours en justice

Si les victimes veulent interpeller la classe politique, elles n’en oublient pas moins l’institution judiciaire. En novembre 2003, les associations Moruroa e tatou et Aven, accompagnées par quinze plaignants individuels, déposaient plainte contre X devant le doyen des juges d’instruction de Paris pour « homicide involontaire, atteinte à l’intégrité physique…  ». Dix mois après, fin septembre 2004, deux juges d’instruction du pôle sanitaire du parquet de Paris étaient désignées pour instruire la plainte. Délais inhabituel quand on sait que, pour d’autres affaires, quelques semaines suffisent… Ainsi, pour la première fois, la justice en tant que telle, va se saisir du dossier des essais nucléaires et désigner les responsabilités. Gageons que cette procédure permettra aux tenants de l’innocuité des essais nucléaires de revenir sur leurs propos insultants à l’égard des victimes dont ils citaient «  les hypothétiques problèmes de santé ». On sait en effet, qu’un juge d’instruction a toute latitude pour auditionner les victimes, les experts de tous bords et même — le cas est arrivé — faire ouvrir les archives secrètes militaires, au besoin par des perquisitions jusque dans les ministères… Évidemment, il ne faut pas s’attendre à quelques semaines d’instruction : le délai avant la désignation des responsabilités se compte souvent en années.

Mais tout ne se passera pas à Paris. De nombreux tribunaux de France vont avoir à traiter des dossiers de demandes de pensions et d’indemnisation des vétérans des essais. Outre le fait que les associations souhaitent obtenir ainsi une jurisprudence favorable aux victimes des essais, l’impact sera médiatique car, étant donnée la dispersion des plaignants sur le territoire national, les médias répercuteront, comme à leur habitude, les témoignages accablants des vétérans. Même en Polynésie, à Papeete, le tribunal va être saisi d’une quarantaine de dossiers d’anciens travailleurs polynésiens de Moruroa : une grande séance judiciaire est en prévision pour le courant de l’année 2005. À défaut d’une association algérienne qui connaît beaucoup de difficultés pour se mettre en place, plusieurs dossiers de citoyens algériens sont pris en charge par l’avocat commun des associations.

Soutien médiatique

Si les victimes prennent en main leur lutte pour qu’avancent « Justice et vérité », elles ont besoin du soutien de l’opinion publique et des militants. Il faut souligner l’immense soutien reçu par les médias qui ont permis le développement des associations. Nous ne comptons plus les passages en télévision et les enquêtes dans la presse écrite. Des programmes télévisés de grande écoute sont en préparation et même des « fictions » s’appuyant sur le témoignage de vétérans vont être diffusés. Il n’empêche que pour faire reconnaître le droit, l’action militante est de première importance. Le soutien du Réseau « Sortir du nucléaire » et de plus d’une dizaine d’autres associations est le bienvenu pour exprimer une solidarité avec ceux qui, se réveillant parfois longtemps après les essais nucléaires, sauront montrer la même solidarité envers ceux qui, côtoyant des installations nucléaires dites « civiles », commencent à s’interroger sur les risques actuels pour la santé humaine de multiples centrales, centres d’études nucléaires, usines de retraitement dédiés au développement de l’énergie nucléaire que tant proclament , à grands renforts de spots télévisés, comme un bienfait pour l’humanité.
Campagne : Mode d’emploi

La campagne « Vérité et justice : une loi pour les victimes des essais nucléaires » consiste à envoyer massivement des cartes postales au président de la République, au Premier ministre et à son député. Le Réseau « Sortir du nucléaire » soutien cette campagne qui a démarré en octobre dernier et se poursuit jusqu’à fin mars 2005.

Les cartes et le document de présentation de la campagne sont disponibles auprès de :

Aven : 187, montée de Choulans

69005 Lyon

1 € l’exemplaire et à partir de 10 exemplaires

0,75 € l’exemplaire port compris

(chèque à l’ordre de l’Aven).
Bruno Barrillot

Depuis bientôt trois ans, la proposition de loi sur le suivi sanitaire des essais nucléaires déposée par Marie-Hélène Aubert, alors vice-présidente Verte de l’Assemblée nationale n’est toujours pas inscrite à l’agenda de l’Assemblée nationale.

Depuis bientôt un an et demi, la promesse de Jacques Chirac faite publiquement à Tahiti d’une commission interministérielle — en lien avec les association — sur le suivi des essais nucléaires français ne connaît toujours pas de concrétisation.

Les anciens travailleurs de Moruroa, les vétérans français et les victimes algériennes des essais au Sahara en ont assez de ce mépris. Ils lancent une campagne d’action en direction du président de la République, du Premier ministre et des députés intitulée « Vérité et justice : une loi pour les victimes des essais nucléaires ».

Chair à neutrons

En 2004, l’indifférence des autorités politico-militaires à l’égard de ces quelque 150 000 hommes (et quelques femmes) qui ont été envoyés, souvent sans préparation et sans information, sur les sites d’essais du Sahara et de la Polynésie, rejoint leur incapacité à considérer naguère leurs subordonnées — jeunes militaires de 20 ans pour la grande majorité — autrement que comme de la « chair à neutrons ». Avec 3 800 adhérents en Polynésie et près de 3 000 en métropole, les associations Moruroa e tatou et Aven commencent à ouvrir les archives de cette histoire que nos stratèges du nucléaire voudraient bien occulter. Leurs témoignages sont parfois éloquents. Au regard de ce que nous savons aujourd’hui des risques de la radioactivité — Tchernobyl est passé chez nous ! —, les recommandations des autorités militaires de l’époque paraissent insupportables. Aux populations voisines de Reggane, au Sahara, où eurent lieu les premiers tirs aériens français, on affirmait que « la France qui leur voulait tant de bien, ne pouvait pas leur faire de mal ». Aux appelés, en short, chemisette et chaussures de brousse qui assistaient, béats d’admiration, au développement du champignon nucléaire au dessus de leurs têtes, on recommandait de « ne pas écouter les racontars » et on leur distribuait des imprimés indiquant que « les radiations sont sans aucun danger ». Texto !

Sans trop en rajouter tant les faits rapportés sont nombreux et concordants, voici un témoignage récemment envoyé à l’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven), caractéristique de « l’ambiance » qui régnait sur les sites. Ce jeune marin (cuisinier du bord) venait d’assister avec la candeur de ses 19 ans au dernier tir aérien de la France à Moruroa — 330 kilotonnes ou vingt-deux fois la puissance de la bombe d’Hiroshima : « Je me souviens de ce 14 septembre 1974, après que les haut-parleurs diffusèrent un grandiose “Alléluia” (!), nous dûmes mettre les petits plats dans les grands pour un festin qui marquait le “der des der” comme on nous l’avait dit : Messieurs vous avez eu le grand honneur d’assister au dernier des tirs aériens français, sachez que beaucoup envieraient votre place…  » Vingt ans plus tard, notre ancien marin se voyait atteint d’un cancer de la thyroïde qui aujourd’hui détruit sa vie et celle de sa famille.

Recours en justice

Si les victimes veulent interpeller la classe politique, elles n’en oublient pas moins l’institution judiciaire. En novembre 2003, les associations Moruroa e tatou et Aven, accompagnées par quinze plaignants individuels, déposaient plainte contre X devant le doyen des juges d’instruction de Paris pour « homicide involontaire, atteinte à l’intégrité physique…  ». Dix mois après, fin septembre 2004, deux juges d’instruction du pôle sanitaire du parquet de Paris étaient désignées pour instruire la plainte. Délais inhabituel quand on sait que, pour d’autres affaires, quelques semaines suffisent… Ainsi, pour la première fois, la justice en tant que telle, va se saisir du dossier des essais nucléaires et désigner les responsabilités. Gageons que cette procédure permettra aux tenants de l’innocuité des essais nucléaires de revenir sur leurs propos insultants à l’égard des victimes dont ils citaient «  les hypothétiques problèmes de santé ». On sait en effet, qu’un juge d’instruction a toute latitude pour auditionner les victimes, les experts de tous bords et même — le cas est arrivé — faire ouvrir les archives secrètes militaires, au besoin par des perquisitions jusque dans les ministères… Évidemment, il ne faut pas s’attendre à quelques semaines d’instruction : le délai avant la désignation des responsabilités se compte souvent en années.

Mais tout ne se passera pas à Paris. De nombreux tribunaux de France vont avoir à traiter des dossiers de demandes de pensions et d’indemnisation des vétérans des essais. Outre le fait que les associations souhaitent obtenir ainsi une jurisprudence favorable aux victimes des essais, l’impact sera médiatique car, étant donnée la dispersion des plaignants sur le territoire national, les médias répercuteront, comme à leur habitude, les témoignages accablants des vétérans. Même en Polynésie, à Papeete, le tribunal va être saisi d’une quarantaine de dossiers d’anciens travailleurs polynésiens de Moruroa : une grande séance judiciaire est en prévision pour le courant de l’année 2005. À défaut d’une association algérienne qui connaît beaucoup de difficultés pour se mettre en place, plusieurs dossiers de citoyens algériens sont pris en charge par l’avocat commun des associations.

Soutien médiatique

Si les victimes prennent en main leur lutte pour qu’avancent « Justice et vérité », elles ont besoin du soutien de l’opinion publique et des militants. Il faut souligner l’immense soutien reçu par les médias qui ont permis le développement des associations. Nous ne comptons plus les passages en télévision et les enquêtes dans la presse écrite. Des programmes télévisés de grande écoute sont en préparation et même des « fictions » s’appuyant sur le témoignage de vétérans vont être diffusés. Il n’empêche que pour faire reconnaître le droit, l’action militante est de première importance. Le soutien du Réseau « Sortir du nucléaire » et de plus d’une dizaine d’autres associations est le bienvenu pour exprimer une solidarité avec ceux qui, se réveillant parfois longtemps après les essais nucléaires, sauront montrer la même solidarité envers ceux qui, côtoyant des installations nucléaires dites « civiles », commencent à s’interroger sur les risques actuels pour la santé humaine de multiples centrales, centres d’études nucléaires, usines de retraitement dédiés au développement de l’énergie nucléaire que tant proclament , à grands renforts de spots télévisés, comme un bienfait pour l’humanité.
Campagne : Mode d’emploi

La campagne « Vérité et justice : une loi pour les victimes des essais nucléaires » consiste à envoyer massivement des cartes postales au président de la République, au Premier ministre et à son député. Le Réseau « Sortir du nucléaire » soutien cette campagne qui a démarré en octobre dernier et se poursuit jusqu’à fin mars 2005.

Les cartes et le document de présentation de la campagne sont disponibles auprès de :

Aven : 187, montée de Choulans

69005 Lyon

1 € l’exemplaire et à partir de 10 exemplaires

0,75 € l’exemplaire port compris

(chèque à l’ordre de l’Aven).
Bruno Barrillot



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