Si les anciens travailleurs de Moruroa, les vétérans français et les victimes algériennes des essais au Sahara prennent en main leur lutte pour que soient reconnu leurs droits et quavancent « Justice et vérité », ils ont besoin du soutien de lopinion publique et des militants.
Depuis bientôt trois ans, la proposition de loi sur le suivi sanitaire des essais nucléaires déposée par Marie-Hélène Aubert, alors vice-présidente Verte de lAssemblée nationale nest toujours pas inscrite à lagenda de lAssemblée nationale.
Depuis bientôt un an et demi, la promesse de Jacques Chirac faite publiquement à Tahiti dune commission interministérielle en lien avec les association sur le suivi des essais nucléaires français ne connaît toujours pas de concrétisation.
Les anciens travailleurs de Moruroa, les vétérans français et les victimes algériennes des essais au Sahara en ont assez de ce mépris. Ils lancent une campagne daction en direction du président de la République, du Premier ministre et des députés intitulée « Vérité et justice : une loi pour les victimes des essais nucléaires ».
Chair à neutrons
En 2004, lindifférence des autorités politico-militaires à légard de ces quelque 150 000 hommes (et quelques femmes) qui ont été envoyés, souvent sans préparation et sans information, sur les sites dessais du Sahara et de la Polynésie, rejoint leur incapacité à considérer naguère leurs subordonnées jeunes militaires de 20 ans pour la grande majorité autrement que comme de la « chair à neutrons ». Avec 3 800 adhérents en Polynésie et près de 3 000 en métropole, les associations Moruroa e tatou et Aven commencent à ouvrir les archives de cette histoire que nos stratèges du nucléaire voudraient bien occulter. Leurs témoignages sont parfois éloquents. Au regard de ce que nous savons aujourdhui des risques de la radioactivité Tchernobyl est passé chez nous ! , les recommandations des autorités militaires de lépoque paraissent insupportables. Aux populations voisines de Reggane, au Sahara, où eurent lieu les premiers tirs aériens français, on affirmait que « la France qui leur voulait tant de bien, ne pouvait pas leur faire de mal ». Aux appelés, en short, chemisette et chaussures de brousse qui assistaient, béats dadmiration, au développement du champignon nucléaire au dessus de leurs têtes, on recommandait de « ne pas écouter les racontars » et on leur distribuait des imprimés indiquant que « les radiations sont sans aucun danger ». Texto !
Sans trop en rajouter tant les faits rapportés sont nombreux et concordants, voici un témoignage récemment envoyé à lAssociation des vétérans des essais nucléaires (Aven), caractéristique de « lambiance » qui régnait sur les sites. Ce jeune marin (cuisinier du bord) venait dassister avec la candeur de ses 19 ans au dernier tir aérien de la France à Moruroa 330 kilotonnes ou vingt-deux fois la puissance de la bombe dHiroshima : « Je me souviens de ce 14 septembre 1974, après que les haut-parleurs diffusèrent un grandiose Alléluia (!), nous dûmes mettre les petits plats dans les grands pour un festin qui marquait le der des der comme on nous lavait dit : Messieurs vous avez eu le grand honneur dassister au dernier des tirs aériens français, sachez que beaucoup envieraient votre place » Vingt ans plus tard, notre ancien marin se voyait atteint dun cancer de la thyroïde qui aujourdhui détruit sa vie et celle de sa famille.
Recours en justice
Si les victimes veulent interpeller la classe politique, elles nen oublient pas moins linstitution judiciaire. En novembre 2003, les associations Moruroa e tatou et Aven, accompagnées par quinze plaignants individuels, déposaient plainte contre X devant le doyen des juges dinstruction de Paris pour « homicide involontaire, atteinte à lintégrité physique ». Dix mois après, fin septembre 2004, deux juges dinstruction du pôle sanitaire du parquet de Paris étaient désignées pour instruire la plainte. Délais inhabituel quand on sait que, pour dautres affaires, quelques semaines suffisent Ainsi, pour la première fois, la justice en tant que telle, va se saisir du dossier des essais nucléaires et désigner les responsabilités. Gageons que cette procédure permettra aux tenants de linnocuité des essais nucléaires de revenir sur leurs propos insultants à légard des victimes dont ils citaient « les hypothétiques problèmes de santé ». On sait en effet, quun juge dinstruction a toute latitude pour auditionner les victimes, les experts de tous bords et même le cas est arrivé faire ouvrir les archives secrètes militaires, au besoin par des perquisitions jusque dans les ministères Évidemment, il ne faut pas sattendre à quelques semaines dinstruction : le délai avant la désignation des responsabilités se compte souvent en années.
Mais tout ne se passera pas à Paris. De nombreux tribunaux de France vont avoir à traiter des dossiers de demandes de pensions et dindemnisation des vétérans des essais. Outre le fait que les associations souhaitent obtenir ainsi une jurisprudence favorable aux victimes des essais, limpact sera médiatique car, étant donnée la dispersion des plaignants sur le territoire national, les médias répercuteront, comme à leur habitude, les témoignages accablants des vétérans. Même en Polynésie, à Papeete, le tribunal va être saisi dune quarantaine de dossiers danciens travailleurs polynésiens de Moruroa : une grande séance judiciaire est en prévision pour le courant de lannée 2005. À défaut dune association algérienne qui connaît beaucoup de difficultés pour se mettre en place, plusieurs dossiers de citoyens algériens sont pris en charge par lavocat commun des associations.
Soutien médiatique
Si les victimes prennent en main leur lutte pour quavancent « Justice et vérité », elles ont besoin du soutien de lopinion publique et des militants. Il faut souligner limmense soutien reçu par les médias qui ont permis le développement des associations. Nous ne comptons plus les passages en télévision et les enquêtes dans la presse écrite. Des programmes télévisés de grande écoute sont en préparation et même des « fictions » sappuyant sur le témoignage de vétérans vont être diffusés. Il nempêche que pour faire reconnaître le droit, laction militante est de première importance. Le soutien du Réseau « Sortir du nucléaire » et de plus dune dizaine dautres associations est le bienvenu pour exprimer une solidarité avec ceux qui, se réveillant parfois longtemps après les essais nucléaires, sauront montrer la même solidarité envers ceux qui, côtoyant des installations nucléaires dites « civiles », commencent à sinterroger sur les risques actuels pour la santé humaine de multiples centrales, centres détudes nucléaires, usines de retraitement dédiés au développement de lénergie nucléaire que tant proclament , à grands renforts de spots télévisés, comme un bienfait pour lhumanité.
Campagne : Mode d’emploi
La campagne « Vérité et justice : une loi pour les victimes des essais nucléaires » consiste à envoyer massivement des cartes postales au président de la République, au Premier ministre et à son député. Le Réseau « Sortir du nucléaire » soutien cette campagne qui a démarré en octobre dernier et se poursuit jusquà fin mars 2005.
Les cartes et le document de présentation de la campagne sont disponibles auprès de :
Aven : 187, montée de Choulans
69005 Lyon
1 lexemplaire et à partir de 10 exemplaires
0,75 lexemplaire port compris
(chèque à lordre de lAven).
Bruno Barrillot
Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.