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Sortir du nucléaire n°68



Février 2016

Fukushima, cinq ans après : retour à l’anormal

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°68 - Février 2016

 Fukushima  Pollution radioactive


Tchernobyl l’a montré, une catastrophe nucléaire dure des décennies. Mais les autorités japonaises espèrent accélérer le processus de réhabilitation des territoires contaminés. Le gouvernement a même annoncé, en mai 2015, vouloir lever les ordres d’évacuer avant mars 2017 et cesser les indemnisations un an plus tard, à l’exception des territoires classés en "zones de retour difficile". Pour les quelques 25 000 évacués "volontaires" qui bénéficient d’un logement gratuit, cette aide cessera aussi. Les jeux olympiques de 2020 pourront avoir lieu sans mauvaise conscience.



L’ordre d’évacuer a déjà été levé dans des parties de Kawauchi et Tamura en 2014, puis dans toute la commune de Naraha en septembre 2015. Ces zones étaient parmi les moins contaminées dans un rayon de 20km de la centrale de Fukushima Daï-ichi. Mais, le taux de retour des populations, qui souffrent pourtant de leur statut de personnes déplacées, y est faible. Pourquoi ?

Il y a encore environ 100 000 évacués forcés à cause de la pollution radioactive. Le gouvernement a lancé un immense chantier de décontamination avec 12 000 travailleurs qui, chaque jour, raclent la terre, ratissent, coupent les herbes et arbustes, élaguent, nettoient les maisons, routes, caniveaux... dans le but de faire baisser le débit de dose ambiant. Dans les territoires évacués, c’est le gouvernement qui a la responsabilité des travaux qui demeurent limités aux environs immédiats des zones où il y aura retour. Il a mandaté des majors du BTP qui sous-traitent à une multitude de petites compagnies. Dans les territoires non-évacués, ce sont les communes qui en ont la charge.

Les violations du droit du travail sont malheureusement courantes et la quantité de déchets engendrés immense. Dans la seule province de Fukushima, entre 16 et 22 millions de mètres cube, après réduction des volumes par incinération, sont attendus. Le gouvernement veut entreposer tout cela sur un site de 16 km2 tout autour de la centrale accidentée. Face à la réticence des anciens résidents, tous évacués, le gouvernement s’est engagé à tout reprendre d’ici 30 ans pour le stocker définitivement en dehors de la province. C’est même inscrit dans la loi. Mais qui peut y croire ?

Il faudrait plus d’un million de voyages en camion pour tout transférer. Et surtout, les autorités n’ont pas la moindre idée de comment trouver et faire accepter le site définitif. Alors, ça coince. En novembre 2015, seulement 22 propriétaires avaient signé un contrat autorisant l’entreposage des déchets sur leur terrain. Ailleurs, les autorités n’ont pas plus de succès. Dès qu’un site, définitif cette fois-ci, est retenu pour y mettre les déchets radioactifs de la province engendrés par la catastrophe nucléaire, il y a opposition des riverains. Parfois l’accès est bloqué dès que des investigations doivent y être menées. Alors, en attendant, les déchets s’amoncellent un peu partout, dans des parcs, des cours, dans des champs... À Fukushima, il y aurait déjà plus de 9 millions de sacs d’un mètre cube répartis sur 114 700 sites.

Certains sont endommagés et plusieurs centaines ont été emportés par les flots lors du passage du typhon Etau en septembre 2015. Mais le gouvernement ne désarme pas et maintient son calendrier de retour des populations, même si le résultat de la décontamination est très décevant. Les débits de dose ambiants n’ont pas baissé autant qu’espéré, surtout si l’on compare aux forêts voisines, non décontaminées. Alors il a changé de stratégie et de "thermomètre" sans demander l’avis des populations concernées.

Petit retour en arrière : en mars 2011, les autorités japonaises ont d’abord ordonné l’évacuation, dans l’urgence, de toute la population comprise dans un rayon de 20 km, puis recommandé l’évacuation jusqu’à 30 km. Mais les rejets radioactifs sont allés bien au-delà et, le 22 avril, le gouvernement a ordonné l’évacuation d’une zone contaminée pointant vers le Nord-Ouest. Pour définir cette zone, il a choisi un seuil d’évacuation fixé à 20 mSv/an, qui correspond à la fourchette haute des recommandations internationales de la CIPR (Commission internationale de protection radiolo- gique) et à la limite pour les travailleurs du nucléaire en Europe. C’était beaucoup trop élevé aux yeux de beaucoup de Japonais, surtout pour les familles avec enfants, plus sensibles aux radiations. De nombreuses personnes sont donc parties d’elles-mêmes, sans indemnisation. Certaines bénéficient d’un logement gratuit.

Pour le retour des populations, les autorités s’accrochent à cette limite de 20 mSv/an qui n’est pas acceptable. La CIPR elle-même recommande un retour progressif à une valeur de référence de 1 mSv/an, sans fixer toutefois de calendrier. Les directives américaines prévoient l’évacuation des populations pouvant être exposés à plus de 20 millisieverts la première année. Les objectifs à long terme sont de maintenir les doses à moins de 5 mSv/an les années suivantes avec un total ne devant pas dépasser 50 mSv accumulés sur 50 ans.

Pour tenter de convaincre les évacués, le gouverne- ment japonais propose une autre méthode de mesure qui affichera des valeurs beaucoup plus basses : distribuer un dosimètre à chacun pour apprendre à vivre en territoire contaminé en faisant attention. Pour de nombreuses familles, tout contrôler n’est pas un avenir à proposer à leurs enfants. Pour des personnes âgées qui veulent rentrer à tout prix, cela peut être une aide. Enfin, beaucoup sont déchirés et ne peuvent pas décider. D’où les faibles taux de retour. Par ailleurs, les infrastructures n’ont pas toutes été rétablies : il n’ya pas toujours de centre de soins ou ou de centre commercial à proximité. À Naraha, il y a plus de travailleurs du nucléaire hébergés dans des préfabriqués que d’habitants rentrés.

Le maire de Kawauchi, commune située entre 20 et 30 km de la centrale accidentée, pense qu’il n’est plus possible de retrouver le village tel qu’il était avant l’accident. Sur les 3000 habitants qui y vivaient, seulement 1600 sont rentrés. Ce chiffre correspond au nombre d’habitants estimé en 2030. La catastrophe nucléaire a accéléré le processus de dépeuplement. Seulement 20% des moins de 40 ans sont de retour. Bon nombre de personnes sont en train de refaire leur vie ailleurs, bien qu’elles soient toujours qualifiées d’évacuées. Revenir reviendrait à une réinstallation et avec une nouvelle période d’adaptation.

Restées ou parties, de gré ou de force, les populations, face à de telles incertitudes pour l’avenir, sont désemparées, ce qui engendre beaucoup de souffrances et de stress. Les Principes directeurs de l’ONU exigent des États concernés que "des efforts particuliers seront faits pour assurer la pleine participation des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à la planification et à la gestion de leur retour ou réinstallation et de leur réintégration." On est loin du compte au Japon. Que ce soit pour la gestion des déchets ou le retour des populations, les autorités s’en tiennent à l’approche traditionnelle - Décider, Annoncer, Défendre - qui est un échec. Elles restent convaincues à tort qu’une meilleure communication sur les risques viendra à bout des réticences et des "rumeurs néfastes". Mais les victimes d’une catastrophe nucléaire ont besoin de retrouver une dignité et d’être soutenues dans leurs démarches vers une nouvelle vie. Dans un contexte où les fondements mêmes de la démocratie vacillent, de nouveaux modes de gouvernance sont nécessaires, avec une réelle prise en compte des inquiétudes des populations et une reconnaissance des risques liés aux faibles doses de radioactivité. Les autorités, quant à elles, doivent admettre que tout retour à la normale, comme préconisé dans les textes internationaux, est impossible et elles ont un devoir de vérité et de transparence auprès de leurs concitoyens.

Les citoyens japonais ont été très actifs après la catastrophe. Ils se sont lancés dans la mesure de la radioactivité et ont tout contrôlé. Chikurin, le laboratoire citoyen monté par l’ACRO à Tokyo ne cesse de s’étendre. Toutes ces initiatives ont imposé un meilleur contrôle de l’alimentation et la nourriture consommée est peu ou pas contaminée, sauf quelques exceptions comme les plantes sauvages ou l’auto-production. Pourquoi un tel processus pluraliste, imposé par les citoyens japonais, ne serait-il pas possible pour décider de l’avenir des personnes déplacées et de celles qui n’ont pas pu partir des territoires contaminés ? Mais les préoccupations du gouvernement sont ailleurs, car une catastrophe nucléaire coûte très cher. Il a donc retenu les limites hautes pour l’évacuation et le retour afin de limiter les indemnisations, et des limites plus basses qu’en Europe pour l’alimentation afin de restaurer la confiance des consommateurs.

David Boilley

ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest)

L’ordre d’évacuer a déjà été levé dans des parties de Kawauchi et Tamura en 2014, puis dans toute la commune de Naraha en septembre 2015. Ces zones étaient parmi les moins contaminées dans un rayon de 20km de la centrale de Fukushima Daï-ichi. Mais, le taux de retour des populations, qui souffrent pourtant de leur statut de personnes déplacées, y est faible. Pourquoi ?

Il y a encore environ 100 000 évacués forcés à cause de la pollution radioactive. Le gouvernement a lancé un immense chantier de décontamination avec 12 000 travailleurs qui, chaque jour, raclent la terre, ratissent, coupent les herbes et arbustes, élaguent, nettoient les maisons, routes, caniveaux... dans le but de faire baisser le débit de dose ambiant. Dans les territoires évacués, c’est le gouvernement qui a la responsabilité des travaux qui demeurent limités aux environs immédiats des zones où il y aura retour. Il a mandaté des majors du BTP qui sous-traitent à une multitude de petites compagnies. Dans les territoires non-évacués, ce sont les communes qui en ont la charge.

Les violations du droit du travail sont malheureusement courantes et la quantité de déchets engendrés immense. Dans la seule province de Fukushima, entre 16 et 22 millions de mètres cube, après réduction des volumes par incinération, sont attendus. Le gouvernement veut entreposer tout cela sur un site de 16 km2 tout autour de la centrale accidentée. Face à la réticence des anciens résidents, tous évacués, le gouvernement s’est engagé à tout reprendre d’ici 30 ans pour le stocker définitivement en dehors de la province. C’est même inscrit dans la loi. Mais qui peut y croire ?

Il faudrait plus d’un million de voyages en camion pour tout transférer. Et surtout, les autorités n’ont pas la moindre idée de comment trouver et faire accepter le site définitif. Alors, ça coince. En novembre 2015, seulement 22 propriétaires avaient signé un contrat autorisant l’entreposage des déchets sur leur terrain. Ailleurs, les autorités n’ont pas plus de succès. Dès qu’un site, définitif cette fois-ci, est retenu pour y mettre les déchets radioactifs de la province engendrés par la catastrophe nucléaire, il y a opposition des riverains. Parfois l’accès est bloqué dès que des investigations doivent y être menées. Alors, en attendant, les déchets s’amoncellent un peu partout, dans des parcs, des cours, dans des champs... À Fukushima, il y aurait déjà plus de 9 millions de sacs d’un mètre cube répartis sur 114 700 sites.

Certains sont endommagés et plusieurs centaines ont été emportés par les flots lors du passage du typhon Etau en septembre 2015. Mais le gouvernement ne désarme pas et maintient son calendrier de retour des populations, même si le résultat de la décontamination est très décevant. Les débits de dose ambiants n’ont pas baissé autant qu’espéré, surtout si l’on compare aux forêts voisines, non décontaminées. Alors il a changé de stratégie et de "thermomètre" sans demander l’avis des populations concernées.

Petit retour en arrière : en mars 2011, les autorités japonaises ont d’abord ordonné l’évacuation, dans l’urgence, de toute la population comprise dans un rayon de 20 km, puis recommandé l’évacuation jusqu’à 30 km. Mais les rejets radioactifs sont allés bien au-delà et, le 22 avril, le gouvernement a ordonné l’évacuation d’une zone contaminée pointant vers le Nord-Ouest. Pour définir cette zone, il a choisi un seuil d’évacuation fixé à 20 mSv/an, qui correspond à la fourchette haute des recommandations internationales de la CIPR (Commission internationale de protection radiolo- gique) et à la limite pour les travailleurs du nucléaire en Europe. C’était beaucoup trop élevé aux yeux de beaucoup de Japonais, surtout pour les familles avec enfants, plus sensibles aux radiations. De nombreuses personnes sont donc parties d’elles-mêmes, sans indemnisation. Certaines bénéficient d’un logement gratuit.

Pour le retour des populations, les autorités s’accrochent à cette limite de 20 mSv/an qui n’est pas acceptable. La CIPR elle-même recommande un retour progressif à une valeur de référence de 1 mSv/an, sans fixer toutefois de calendrier. Les directives américaines prévoient l’évacuation des populations pouvant être exposés à plus de 20 millisieverts la première année. Les objectifs à long terme sont de maintenir les doses à moins de 5 mSv/an les années suivantes avec un total ne devant pas dépasser 50 mSv accumulés sur 50 ans.

Pour tenter de convaincre les évacués, le gouverne- ment japonais propose une autre méthode de mesure qui affichera des valeurs beaucoup plus basses : distribuer un dosimètre à chacun pour apprendre à vivre en territoire contaminé en faisant attention. Pour de nombreuses familles, tout contrôler n’est pas un avenir à proposer à leurs enfants. Pour des personnes âgées qui veulent rentrer à tout prix, cela peut être une aide. Enfin, beaucoup sont déchirés et ne peuvent pas décider. D’où les faibles taux de retour. Par ailleurs, les infrastructures n’ont pas toutes été rétablies : il n’ya pas toujours de centre de soins ou ou de centre commercial à proximité. À Naraha, il y a plus de travailleurs du nucléaire hébergés dans des préfabriqués que d’habitants rentrés.

Le maire de Kawauchi, commune située entre 20 et 30 km de la centrale accidentée, pense qu’il n’est plus possible de retrouver le village tel qu’il était avant l’accident. Sur les 3000 habitants qui y vivaient, seulement 1600 sont rentrés. Ce chiffre correspond au nombre d’habitants estimé en 2030. La catastrophe nucléaire a accéléré le processus de dépeuplement. Seulement 20% des moins de 40 ans sont de retour. Bon nombre de personnes sont en train de refaire leur vie ailleurs, bien qu’elles soient toujours qualifiées d’évacuées. Revenir reviendrait à une réinstallation et avec une nouvelle période d’adaptation.

Restées ou parties, de gré ou de force, les populations, face à de telles incertitudes pour l’avenir, sont désemparées, ce qui engendre beaucoup de souffrances et de stress. Les Principes directeurs de l’ONU exigent des États concernés que "des efforts particuliers seront faits pour assurer la pleine participation des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à la planification et à la gestion de leur retour ou réinstallation et de leur réintégration." On est loin du compte au Japon. Que ce soit pour la gestion des déchets ou le retour des populations, les autorités s’en tiennent à l’approche traditionnelle - Décider, Annoncer, Défendre - qui est un échec. Elles restent convaincues à tort qu’une meilleure communication sur les risques viendra à bout des réticences et des "rumeurs néfastes". Mais les victimes d’une catastrophe nucléaire ont besoin de retrouver une dignité et d’être soutenues dans leurs démarches vers une nouvelle vie. Dans un contexte où les fondements mêmes de la démocratie vacillent, de nouveaux modes de gouvernance sont nécessaires, avec une réelle prise en compte des inquiétudes des populations et une reconnaissance des risques liés aux faibles doses de radioactivité. Les autorités, quant à elles, doivent admettre que tout retour à la normale, comme préconisé dans les textes internationaux, est impossible et elles ont un devoir de vérité et de transparence auprès de leurs concitoyens.

Les citoyens japonais ont été très actifs après la catastrophe. Ils se sont lancés dans la mesure de la radioactivité et ont tout contrôlé. Chikurin, le laboratoire citoyen monté par l’ACRO à Tokyo ne cesse de s’étendre. Toutes ces initiatives ont imposé un meilleur contrôle de l’alimentation et la nourriture consommée est peu ou pas contaminée, sauf quelques exceptions comme les plantes sauvages ou l’auto-production. Pourquoi un tel processus pluraliste, imposé par les citoyens japonais, ne serait-il pas possible pour décider de l’avenir des personnes déplacées et de celles qui n’ont pas pu partir des territoires contaminés ? Mais les préoccupations du gouvernement sont ailleurs, car une catastrophe nucléaire coûte très cher. Il a donc retenu les limites hautes pour l’évacuation et le retour afin de limiter les indemnisations, et des limites plus basses qu’en Europe pour l’alimentation afin de restaurer la confiance des consommateurs.

David Boilley

ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest)



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