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Des accidents nucléaires partout

France : Gravelines : Cumul d’erreurs et d’incidents sur le réacteur 2




25 mars 2020


Panne d’un circuit essentiel, arrêt forcé du réacteur, vanne du circuit de refroidissement fermée, fuite sur un filtre, des mètres cubes d’eau de mer déversées dans l’installation, de l’eau trop froide pour un générateur de vapeur fragilisé par des défauts de fabrication... Trois évènements significatifs différents se sont produits en même temps sur le même réacteur à Gravelines (Hauts de France). Tous en lien avec le refroidissement. Un cumul de défaillances matérielles et d’erreurs d’EDF qui a généré une situation risquée.


Le 12 mars 2020, le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Gravelines (Nord) doit être mis à l’arrêt à cause d’un problème sur le circuit d’injection de sécurité [1] (qui permet notamment d’injecter de l’eau et du bore dans le circuit primaire en cas de fuite pour continuer le refroidissement du réacteur et stopper la réaction nucléaire). Lors de l’arrêt, les équipes "rencontrent des difficultés au niveau du circuit de refroidissement". Difficile d’en savoir plus, tant les communiqués de l’exploitant sont elliptiques, mais on comprend que le réacteur n’est pas refroidi comme il devrait : une vanne était fermée, le circuit ne fonctionnait qu’en partie, et ce depuis le dernier arrêt du réacteur pour maintenance, en 2019. L’exploitant nucléaire ne s’était rendu compte de rien. Malgré un incident similaire en 2017. Et des mesures prises pour éviter le renouvellement. EDF a déclaré un évènement significatif pour la sûreté le 17 mars, sans préciser comment il a été possible de lancer l’arrêt du réacteur sans avoir - a minima - vérifié que les circuits sollicités étaient correctement configurés.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. EDF a déclaré 2 autres évènements significatifs survenus ce même jour, le 12 mars 2020 et le 14. Les déclarations de l’exploitant sont faites de manière totalement indépendantes, mais si on y regarde bien, elles sont toutes liées. Et viennent dessiner une situation sur le réacteur 2 qui n’a fait que se compliquer et devenir de plus en plus risquée.

Le 12 mars, non seulement une vanne servant à effectuer la commande de régulation est en position fermée, rendant le système de refroidissement partiellement indisponible (1er évènement significatif, voir notre article ici), mais vers midi, une fuite d’eau de mer est découverte. Depuis quand, comment s’est-elle produite, là non plus aucune explication de l’exploitant. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) précisera qu’il s’agit d’une fuite sur un filtre du circuit d’eau brute secourue (SEC [2].), qui contribue, en fonctionnement normal et en cas de mise à l’arrêt du réacteur, au refroidissement d’équipements cruciaux tels que les pompes primaires ou la piscine de stockage du combustible.

Cette fuite laisse supposer un très mauvais état des équipements, une mauvaise surveillance et un manque d’entretien. Au début un mètre cube par heure se déverse dans l’installation. Mais malgré une surveillance par les équipes d’EDF, la fuite s’aggrave. À 20h, le débit est 5 fois plus important qu’à midi : 5.6mètres cube d’eau de mer se déversent dans l’installation nucléaire toutes les heures. Cette eau de mer sert normalement à refroidir plusieurs équipements importants en zones nucléaires. En conséquence de la fuite, le circuit d’eau brute secourue est à sec, et ne peut plus refroidir quoique ce soit. Heureusement, les tuyauteries était doublées (redondance des circuits les plus importants), et l’autre voie n’a pas fuitée. EDF a déclaré un évènement significatif le 17 mars 2020, uniquement pour le fait de n’avoir pas réparé la fuite en moins de 24 heures. Et n’évoque à aucun moment dans son communiqué la coexistence d’un autre problème de refroidissement en parallèle, dû à une vanne mal positionnée. L’exploitant nucléaire présente les 2 incidents indépendamment l’un de l’autre.

En plus du problème sur le circuit d’injection, de la vanne fermée sur le circuit de refroidissement, du déversement de plusieurs mètres cube d’eau de mer dans l’installation qui a (entre autres) mis hors d’usage toute une partie du circuit de refroidissement SEC , EDF communique quelques jours plus tard sur un autre problème, lié là aussi à son manque de surveillance et de rigueur dans la gestion de son installation, avec pour conséquences des prises de risques et une perte de maîtrise. L’état où est le réacteur le 12 mars (mise à l’arrêt et problèmes de refroidissement), sachant qu’un de ses générateur de vapeur est atteint de défauts de fabrication (concentration en carbone supérieure à ce qu’elle aurait dû être, ce qui a un impact direct sur la résistance du métal aux chocs thermiques et mécaniques) impose à EDF de mettre en place des mesures dites compensatoires. Parmi ces mesures obligatoires, la température de l’eau au refoulement de la pompe de refroidissement du réacteur à l’arrêt doit être supérieur à 30° Celsius. Or, le 14 mars, l’exploitant réalise que ce n’est pas le cas : la température est passée bien en dessous de cette limite imposée pour des raisons de sûreté, jusqu’à 23,8°C. EDF a mis plus de 3 heures pour s’en rendre compte et réagir. Ce qui lui a valu une troisième déclaration d’évènement significatif, faite le 23 mars à l’Autorité de sûreté nucléaire. Une déclaration faite là encore de manière totalement indépendamment des 2 précédentes, comme si les évènements n’avaient aucun lien entre eux. Or si chacun d’eux est important en soit, leur cumul est fondamental. C’est par leur prise en compte ensemble qu’il est possible de se faire une idée de l’état global du réacteur et de la sûreté (ou non) de l’installation.

Un réacteur nucléaire qui doit être arrêté à cause d’un problème sur un circuit essentiel en cas d’accident, un circuit de refroidissement qui ne marche qu’à moitié à cause d’une vanne mal positionnée, une fuite d’eau de mer qui survient au même moment, qui s’aggrave malgré la surveillance de l’exploitant et qui vient encore plus fragiliser le refroidissement des équipements, une température du circuit de refroidissement qui n’est pas surveillée correctement, qui est trop basse durant plusieurs heures et qui ne respecte pas les précautions à prendre en raison d’un générateur de vapeur fragilisé par des défauts de fabrication... Ce qu’il s’est passé à Gravelines entre le 12 et le 14 mars 2020 donne un aperçu des situations générées par les multiples manquements d’EDF. Un bel exemple de l’éventail possible des erreurs, qui vont de l’entretien des matériels à la surveillance des systèmes et des opérations, en passant par la vérification de leur état et de leur configuration. Il est dès lors peu surprenant que l’exploitant nucléaire n’ai pas cherché à donner une vision globale de la situation.

  • Ce que dit EDF :

Déclaration d’un événement significatif de sûreté de niveau 1

Publié le 19/03/2020

Le 12 mars 2019, alors que l’unité de production n° 2 de la centrale de Gravelines est en phase de repli pour intervention, une fuite d’eau de mer d’environ 1 m3 / h est identifiée vers 12h par le service conduite dans la partie non nucléaire de l’installation.Alors que les équipes d’exploitation surveillent visuellement cette fuite à chaque quart, elles constatent à 20h que le débit de la fuite évolue et atteint 5,6 m3 / h. Cela a pour conséquence l’indisponibilité d’un système assurant la réfrigération d’une partie nucléaire de l’installation.

L’unité de production étant en cours de repli, les spécifications d’exploitation imposent un délai de réparation inférieur à 24h à compter du 15 mars (date à laquelle le repli de l’installation est considéré comme effectif). La réparation de la tuyauterie n’étant pas réalisable en 24h, cette prescription n’a pas pu être respectée.

Cet écart n’a pas eu de conséquence réelles sur la sûreté des installations ou sur l’environnement. En effet, le système assurant la réfrigération d’une partie nucléaire de l’installation disposait toujours d’une seconde voie d’alimentation pleinement disponible. Néanmoins, en raison du non-respect des spécifications techniques d’exploitation, il a été déclaré par la centrale de Gravelines le 17 mars 2020 à l’Autorité de sûreté nucléaire au niveau 1, sur l’échelle INES.

https://www.edf.fr/groupe-edf/nos-energies/carte-de-nos-implantations-industrielles-en-france/centrale-nucleaire-de-gravelines/actualites/declaration-d-un-evenement-significatif-de-surete-de-niveau-1

Ce que dit l’ASN :

Non-respect des spécifications techniques d’exploitation du réacteur

Publié le 02/04/2020

Centrale nucléaire de Gravelines - Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 17 mars 2020, l’exploitant de la centrale nucléaire de Gravelines a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des spécifications techniques d’exploitation du réacteur 2 concernant la disponibilité d’un circuit de refroidissement.

Le circuit d’eau brute secourue (SEC) permet de refroidir un autre circuit qui assure le refroidissement des matériels important pour la sûreté du réacteur. Il s’agit d’un circuit dit « de sauvegarde », constitué de deux voies redondantes comportant chacune deux pompes et deux échangeurs de chaleur. Ce circuit contribue également, en fonctionnement normal et en cas de mise à l’arrêt du réacteur, au refroidissement d’un certain nombre d’autres équipements, tels que les pompes primaires ou la piscine de stockage du combustible.

Le 12 mars 2020, le réacteur 2 est en cours de repli pour effectuer une intervention en raison d’une anomalie sur le circuit d’injection de sécurité [3]. Ce même jour, EDF détecte une fuite d’eau sur un filtre d’une des deux voies du circuit d’eau brute secourue (SEC), ce qui rend indisponible la voie concernée.

Le 15 mars 2020, le repli du réacteur étant effectif, les spécifications techniques d’exploitation demandent alors d’effectuer la réparation du circuit SEC sous 24 heures. Cette réparation n’a pas pu être réalisée dans le délai de 24 heures prescrit par les spécifications techniques d’exploitation. La seconde voie du circuit d’eau brute secourue est restée disponible.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur l’environnement ou sur les travailleurs. Il est classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

Depuis le 21 mars 2020, Le réacteur 2 est en arrêt pour maintenance et rechargement en combustible. La remise en état du circuit SEC s’est achevée le 23 mars 2020.

https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Non-respect-des-specifications-techniques-d-exploitation-du-reacteur4


  • Ce que dit EDF :

Déclaration d’un événement significatif de sûreté de niveau 1 relatif au non-respect d’une mesure compensatoire

Publié le 25/03/2020

Le 12/03/2020, en raison d’un aléa rencontré sur une motopompe du circuit d’injection de sécurité, les équipes initient le repli de l’unité de production n° 2. Les consignes applicables dans cet état de l’installation, sachant qu’un générateur de vapeur a un défaut de conception, stipulent que le circuit de refroidissement doit respecter plusieurs mesures compensatoires, dont une température de ce circuit supérieure à 30°C.

Le 14/03/20 à 5h21, la température enregistrée sur le circuit de refroidissement devient inférieure à 30°C. Le 14/03/2020 à 07h30, lors de la relève de l’équipe de Conduite et après avoir effectué un point sûreté, un opérateur constate l’écart et effectue les manœuvres d’exploitation permettant de remonter et de stabiliser la température du circuit de refroidissement supérieure à 30°C dès 8h35. Durant 3 heures et 14 minutes, la mesure compensatoire associée aux consignes d’exploitation n‘a pas été respectée.

Cet écart de Sûreté n’a pas eu de conséquence sur la sûreté des installations, ni sur l’environnement et a été déclaré le 23 mars 2020 à l’Autorité de sûreté nucléaire au niveau 1, sur l’échelle INES.

https://www.edf.fr/groupe-edf/nos-energies/carte-de-nos-implantations-industrielles-en-france/centrale-nucleaire-de-gravelines/actualites/declaration-d-un-evenement-significatif-de-surete-de-niveau-1-relatif-au-non-respect-d-une-mesure-compensatoire

Ce que dit l’ASN :

Non-respect d’une mesure compensatoire liée à la ségrégation du carbone présente sur un générateur de vapeur

Publié le 02/04/2020

Centrale nucléaire de Gravelines - Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 23 mars 2020, l’exploitant de la centrale nucléaire de Gravelines a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect d’une mesure compensatoire liée à la présence d’une zone de ségrégation du carbone sur un générateur de vapeur du réacteur 2.

Le fond primaire  [4] d’un des générateurs de vapeur [5] du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Gravelines présente, dans sa zone centrale, une concentration supérieure à la norme en carbone. Celle-ci, appelée ségrégation du carbone, doit normalement être éliminée de la pièce finale lors des opérations de forgeage, ce qui n’a pas été le cas lors de la fabrication de ce fond. Cette zone présente potentiellement des propriétés mécaniques, en particulier de résistance à la propagation de fissures, plus faibles qu’attendues.

Afin d’éviter d’exposer le générateur de vapeur à des chocs de température lors des phases de démarrage ou d’arrêt du réacteur, les spécifications techniques d’exploitation du réacteur 2 ont été modifiées pour tenir compte de cette situation, notamment en définissant des mesures compensatoires d’exploitation. Cela consiste notamment, lors de l’arrêt du réacteur, à maintenir une température minimale (30 °C) au refoulement de la pompe de refroidissement du réacteur à l’arrêt, lorsque le circuit primaire est encore en pression.

Le 12 mars 2020, le réacteur 2 est replié pour effectuer une intervention en raison d’une anomalie sur le circuit d’injection de sécurité [6]. Le 14 mars 2020, un opérateur constate que la température en sortie de la pompe de refroidissement du réacteur à l’arrêt atteint la valeur de 23,8 °C. Des manœuvres d’exploitation sont immédiatement mises en œuvre afin de retrouver une température conforme, qui est atteinte au bout de trois heures et quatorze minutes. La température du circuit primaire est toujours restée, quant à elle, au-dessus de 30°C.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur l’environnement ou sur les travailleurs. Il est classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Non-respect-d-une-mesure-compensatoire-liee-a-la-segregation-du-carbone


[1Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. https://www.asn.fr/Lexique/R/RIS

[2Circuit d’eau brute secourue (SEC) : ce circuit sert à refroidir un autre circuit, appelé circuit de refroidissement intermédiaire, qui assure le refroidissement des matériels importants pour la sûreté du réacteur. C’est un circuit dit « de sauvegarde » constitué de deux lignes redondantes, comportant chacune deux pompes et deux échangeurs. Il fonctionne en permanence, même lorsque le réacteur est à l’arrêt, afin d’assurer, entre autres, le refroidissement de la piscine de stockage du combustible. Ce circuit permet l’évacuation, via le circuit de refroidissement intermédiaire, de la puissance résiduelle du combustible dans certaines situations post-accidentelles (accident de perte de réfrigérant primaire, rupture de tuyauterie vapeur) et lors de la mise et du maintien en arrêt à froid du réacteur. Le circuit SEC contribue également, en fonctionnement normal et en cas de mise à l’arrêt du réacteur, au refroidissement d’un certain nombre d’autres équipements tels que les pompes primaires ou la piscine de stockage du combustible https://www.asn.fr/Lexique/S/SEC

[3Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur.

[4Le fond primaire est un composant en acier qui a la forme d’une portion de sphère située à la base du générateur de vapeur. Il permet de confiner l’eau du circuit primaire.

[5Un générateur de vapeur (GV) est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température (320 °C) et à pression élevée (155 bars) dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine. Les réacteurs à eau sous pression de 900 MWe comportent 3 générateurs de vapeur.

[6Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur.

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