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Des accidents nucléaires partout

France : Belleville : Feu d’hydrogène sur le parc à gaz : 2 blessés et aucune information d’EDF




10 avril 2020


Le 9 avril 2020, un feu d’hydrogène s’est produit à l’extérieur de la salle des machines du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Belleville (Centre Val de Loire). Les mairies à proximité ont été informées, mais EDF n’a rien communiqué au grand public.

Le feu s’est déclenché sur le parc à gaz du réacteur. Un flexible a été arraché lors de la manipulation de bouteilles de ce gaz hautement inflammable et explosif. Un intervenant chargé de la manutention des bouteilles de gaz a été blessé en faisant une chute alors qu’il s’éloignait de l’incendie. Un autre a fait un malaise après coup. Le feu a été éteint en 1h45. Les pompiers ont arrosé les bouteilles de gaz pour en faire baisser la température et ont mis hors service du matériel de chantier qui était à quelques mètres de l’incendie et encore sous tension.

Si l’incident s’est terminé plutôt rapidement, la communication de l’exploitant faite autour de l’évènement mérite d’être soulignée pour son inexistence. En effet, si ce n’est par un mail adressé aux mairies environnantes, EDF n’a pas jugé nécessaire d’informer sur cet incendie survenu sur une de ses installations nucléaire par un communiqué sur la page Actualités de la centrale nucléaire de Belleville. Au 14 avril 2020, soit 4 jours plus tard, toujours rien. La gravité de la survenue d’un incendie sur un site nucléaire, qui plus est sur un endroit de stockage de bouteilles de gaz inflammable, et le fait que 2 intervenants sur 3 soient blessés au cours de l’incident aurait pourtant mérité une information au titre de la fameuse "transparence" si souvent mise en avant par EDF.

Interrogé, le service communication de la centrale nucléaire reconnaîtra les faits. Le flexible aurait été mal fixé, d’où le fait qu’il se soit arraché lors de la manipulation de bouteilles. EDF précisera avoir en plus des maires à proximité informé l’Autorité de sûreté nucléaire, la préfecture et le président de la commission d’information (CLI). Cette instance est censée servir de relai et d’espace de dialogue entre exploitant nucléaire, élus et citoyens.Le président de la CLI de Belleville a donc été informé de l’accident, mais n’a manifestement pas non plus jugé nécessaire de transmettre l’information au reste du monde. La encore un bel exemple de "transparence".


Malgré la crise sanitaire relative à la pandémie de Covid-19 et le confinement en France, l’Autorité de sûreté nucléaire a diligenté des inspecteurs de la sûreté et du travail sur le site quelques jours plus tard. Le rapport de l’inspection publié le 23 avril 2020 fait plus de 10 pages, et ce qu’il révèle ne manque pas de sel. De nombreux problèmes concernant le remplacement des bouteilles d’hydrogènes, à la fois organisationnels et matériels ont été découverts. De même dans les moyens mis à disposition de l’équipe qui est intervenue pour éteindre l’incendie. Sans compter plusieurs entorses à l’arrêté INB [1] c’est à dire des infractions aux obligations légales concernant la gestion du parc à gaz et la maîtrise des risques qu’il représente.

On apprend de nombreuses choses dans ce rapport. En premier lieu, qu’il y avait une fuite d’hydrogène sur un raccord de l’alternateur du réacteur n°1 connue d’EDF depuis octobre 2019. En raison de cette fuite et de son importance (la perte courante en hydrogène est d’environ 8 à 25Nm 3 /jour alors qu’elle est actuellement d’environ 158 Nm 3 /jour), les activités de remplacements d’hydrogène sont bien plus fréquentes que de coutume [2] .

Du fait des travaux en cours, le parc à gaz était accessible (non fermé à clé). Le rack en service, presque vide, n’a pas été déconnecté de l’installation. L’opérateur en charge de la manutention s’est trompé de cadre (il n’y avait aucune indication du rack en service alors que ces panneaux existent spécifiquement pour les identifier). Il a commencé à sortir le rack en service, ce qui arrache le flexible qui raccorde ce rack à l’installation, ce qui provoque la détonation et l’inflammation de l’hydrogène sous pression restante dans les tuyauteries d’un côté et dans le rack de l’autre.

EDF a affirmé à l’ASN que le personnel en charge de la manutention recevrait une sensibilisation spécifique aux risques supplémentaires liés à la présence de canalisation d’hydrogène. Or, un des prestataires en charge de la manutention des cadres a indiqué aux inspecteurs n’avoir reçu aucune formation particulière aux risques liés à l’hydrogène. En fait il n’y a même eu aucune action de surveillance de ces activités qu’EDF confie à des prestataires. Activité qu’EDF ne considérait pas comme importante car n’ayant pas des enjeux notamment environnementaux (au motif que la combustion d’hydrogène ne dégage que de l’eau. Mais comme le soulignera l’ASN, cette argument ne tient pas car c’est sans compter la combustion des matériaux impactés par l’incendie, qui génère des impacts pour l’environnement).

Les inspecteurs de l’ASN ont aussi constaté que les documents auxquels les équipes d’intervention devaient se référer pour agir contre l’incendie du parc à gaz étaient obsolètes ou inadaptés à la situation réelle. De plus, l’équipe n’étant pas informée de travaux en cours, elle n’avait pas connaissance qu’un poste à soudure était encore sous tension à seulement quelques mètres du foyer. "L’ASN constate donc que les équipes d’intervention du CNPE ne disposaient pas d’informations adaptées pour intervenir sur le sinistre en toute sécurité et éviter son extension sans mettre en danger le personnel." Les inspecteurs considèrent qu’il n’y a pas eu d’impact de la situation sanitaire sur la gestion de l’incendie. Toutefois la réduction des équipes de conduite (1 personne de moins) n’est pas hors de cause sur les multiples écarts relevés et la manifeste mauvaise gestion d’EDF.

Autre mention dans le rapport d’inspection, concernant la possibilité d’une accumulation d’hydrogène en partie haute de la salle des machines (risque d’explosion si concentration à 4%) : les services centraux d’EDF ont conclu à une absence de risque, sans toutefois qu’aucune justification de cette conclusion ne soit fournie aux inspecteurs. Et sans qu’il n’y ait eu de mesure réalisée dans salle des machines !

Un paragraphe assez instructif sur comment EDF a voulu présenter la situation est en fin de rapport (page 10) : malgré les flammes, malgré les dégâts manifestes, EDF considère que l’incendie n’a jamais été confirmé et ne l’a pas déclaré comme tel. Nous reprenons ici les commentaires de l’Autorité de sûreté nucléaire tels qu’ils sont formulés dans le rapport d’inspection :

Confirmation du feu

Le compte rendu de l’intervention fait état d’un feu qui n’a donc jamais été déclaré confirmé car à chaque instant maîtrisé par les moyens de première intervention. Cette position semble étonnante sauf à avoir une définition de la « confirmation » d’un incendie différente de la définition usuelle du terme « confirmé ». En effet, le feu a été « confirmé » par l’ensemble des acteurs et a été éteint par les intervenants. Le fait que la première intervention maîtrise le feu ne semble pas avoir un impact sur la confirmation du sinistre.

Enfin, des interrogations subsistent quant aux eaux utilisées pour éteindre l’incendie  : quel volume, quels résultats des analyses dans les bassins d’eaux pluviales où ces eaux ont été dirigées, lieu de rejet de ces eaux probablement polluées par les produits chimiques utilisés pour éteindre le feu ?

Une chose est certaine, l’incendie du parc à gaz à la centrale nucléaire de Belleville le 9 avril 2020 s’est produit en raison d’une multitude de choses pas faites convenablement, à tous les niveaux. Si l’accident n’a pas de rapport avec la radioactivité, il n’en demeure pas moins la preuve que les sites nucléaires d’EDF présentent de multiples dangers, dangers que l’exploitant par son manque de rigueur généralisé est loin de maîtriser. Le site de Belleville était d’ailleurs placé sous surveillance renforcée de 2017 à 2019. Mais il semble que l’ASN ait levé un peu trop tôt cette surveillance. Le groupe local du réseau Sortir du nucléaire a interpellé les médias ainsi que les autorités et a officiellement demandé à ce que soit réalisée une expertise indépendante du risque lié à l’Hydrogène sur le site nucléaire de Belleville (retrouvez leur communiqué de presse en bas de l’article). Étant donné l’incendie et les éléments fournis par l’inspection de l’ASN, il parait difficile de qualifier leur demande d’infondée !

Ce que dit EDF :

Information de la centrale de Belleville aux mairies de proximité

Le 10 avril 2020

Mesdames, Messieurs,

Nous vous informons que cet après-midi, lors d’une activité de manutention de bouteilles d’hydrogène qui se déroulait sur le parc à gaz* de l’unité de production n°1, l’arrachement d’un flexible a conduit à un feu d’hydrogène.

L’efficacité des équipes d’intervention du service Conduite a permis d’éteindre le feu et de refermer la vanne d’hydrogène en quinze minutes. A leur arrivée sur les lieux, les équipes du SDIS du Cher ont arrosé les bouteilles afin de faire baisser la température.

L’un des 2 intervenants chargés de la manutention des bouteilles a été blessé lors d’une chute de plain-pied en s’éloignant rapidement des lieux. Le second intervenant a ressenti un malaise après coup. Les 2 personnes ont été évacuées par le SDIS pour être placées en observation à l’hôpital de Bourges. Une troisième personne qui travaillait à proximité n’a pas été blessée.

La Direction du CNPE a Informé la Préfecture du Cher, l’Autorité de Sûreté Nucléaire à Orléans et le Président de la Commission Locale d’Information.

Nous restons à votre disposition pour toute précision.

*espace grillagé situé à l’extérieur de la salle des machines.


Communiqué de presse du groupe sortir du nucléaire Berry-Giennois-Puisaye

Ce que disent les médias :

Le Berry Républicain, par Rémy Beurion

Le 16/04/2020

https://www.leberry.fr/belleville-sur-loire-18240/actualites/un-feu-dhydrogene-sest-declare-a-la-centrale-de-belleville-sur-loire_13779145/


En savoir plus :

Téléchargez le rapport de l’inspection ASN faite sur place le 16 avril 2020 :

Inspection de l’ASN n°INSSN-OLS-2020-0702


[1arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base

[2L’hydrogène du parc à gaz est utilisé dans les alternateurs mais est également utilisé pour l’hydrogénation du circuit primaire. Les bouteilles sont regroupées dans un cadre et c’est tout l cadre qui est changé


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Installation(s) concernée(s)

Belleville

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