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Des accidents nucléaires partout

France : Anomalie générique : Risque de blocage de grappes de commande, 2 réacteurs concernés, 22 autres à vérifier




26 février 2018


C’est arrivé à Belleville et à Saint-Alban, 24 réacteurs pourraient être affectés par le même problème : l’usure d’une pièce provoque le blocage de grappe de commande. Ces grappes sont un des rares moyens de contrôler la réaction nucléaire dans le cœur d’un réacteur. Or un rapport de l’ASN nous apprend que l’usure de la pièce était tellement avancée que la pièce s’est rompue. On y apprend aussi que les conclusions d’EDF quant à l’état d’usure se sont avérés fausses, malgré des contrôles visuels réalisés après l’accident. L’Autorité de sûreté nucléaire émet de sérieux doutes sur la méthodes et la validité des mesures réalisées, et questionne clairement la surveillance exercée par l’exploitant. Il reste encore 22 réacteurs à vérifier, mais comme EDF va attendre les arrêts programmés de chacun, il faudra patienter jusqu’à mi-2019 pour savoir réellement ce qu’il en est.


Tout commence à Belleville, en 2017. Le site est placé sous surveillance renforcée par l’Autorité de sûreté nucléaire depuis septembre. Augmentation du nombre d’incidents, problèmes de conduite des réacteurs, trop peu de suivi et de surveillance des installations, équipements dans un état de délabrement importants, les risques pour la sûreté sont sérieux. Une plainte pour 46 infractions sera d’ailleurs déposée à l’encontre d’EDF et du directeur de la centrale le 20 octobre 2017 par le Réseau “Sortir du nucléaire“ et l’association Sortir du nucléaire Berry-Giennois-Puisaye.

Le réacteur 1, arrêté le 28 mai 2017 pour renouvellement du combustible et maintenance, sera reconnecté au réseau 6 mois plus tard, le 25 octobre. Un arrêt un peu long, dont le redémarrage a été marqué notamment une pression trop élevée dans le circuit secondaire et des contrôles incomplets. Il faudra donc arrêter de nouveau le réacteur quelques jours plus tard pour réaliser ces contrôles. En parallèle, le réacteur 2 est mis à l’arrêt le 7 octobre, devant lui aussi subir de lourds travaux de maintenance. Et cet arrêt ne se passe pas non plus sans aléas, il a d’ailleurs été prolongé jusqu’au 18 mars 2018 alors qu’il devait se terminer en février. Le 13 décembre 2017, des essais sont en cours sur ce réacteur 2 en vue de son redémarrage. C’est alors qu’une grappe de commande reste bloquée. Ces grappes sont des éléments essentiels. Elles contiennent des matériaux absorbant les neutrons. En étant introduites ou retirées du cœur du réacteur, elles servent à réguler la réaction nucléaire [1].

Selon le communiqué de l’exploitant qui déclare l’évènement le 26 février 2018, ce blocage est dû à l’usure de la manchette thermique correspondante à cette grappe. Or la même usure a été observée sur une pièce similaire du réacteur 2 de Saint-Alban. Le réacteur a été arrêté le 2 février pour visite décennale. Le réacteur 1 de Saint-Alban a été mis à l’arrêt le 17 février pour procéder aux vérifications. Deux semaines pour tester la manœuvrabilité des grappes de commande, mais aucune annonce de l’exploitant quant aux résultats des essais dans l’annonce du redémarrage du réacteur 1 de Saint-Alban. EDF va devoir vérifier l’état des manchettes thermiques des tous les réacteurs de 1300 MWe et de 1450 MWe, car l’usure de cette pièce est synonyme de problèmes de manœuvrabilité des grappes de commande pouvant aller jusqu’au blocage total comme cela a été le cas à Belleville. Les contrôles vont être effectués au profit des arrêts programmés des différents réacteurs. Certains devront donc attendre pour savoir. En plus de Belleville et de Saint-Alban, les sites de Cattenom (Lorraine), Flamanville (Basse-Normandie), Golfech (Tarn-et-Garonne), Nogent-sur-Seine (Aube), Paluel (Seine-Maritime), Penly (Seine-Maritime), Civaux (Vienne) et Chooz (Ardennes) sont potentiellement concernés. Pour le moment déclarée comme générique car commune à 2 réacteurs, ce serait en fait 24 réacteurs répartis sur toute la France qui pourraient être affectés par cette "anomalie". Mais on ne va pas le savoir tout de suite, il faudra attendre jusqu’à mi-2019.

Le 18 janvier 2018, l’ASN a conduit une inspection sur le site de Belleville pour étudier d’un peu plus près cette affaire. Le rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire vaut le détour : l’usure de la manchette était tellement avancée que la partie supérieure de la pièce s’est rompue, et est venue coincer le mécanisme de commande de la grappe. D’ailleurs, malgré ce que conclue un rapport d’EDF, il y a d’autres pièces adjacentes qui sont usées, pas seulement la manchette. Les conclusions du rapport d’EDF sont donc fausses, alors qu’elles sont basées sur l’analyse de contrôles télévisuels. L’Autorité de sûreté nucléaire émet d’ailleurs de sérieux doutes sur les méthodes utilisées pour mesurer l’usure des pièces, sur la validité des résultats et questionne la surveillance exercée par EDF.

Ce que dit EDF :

Le 26/02/2018

Déclaration d’un événement de niveau 1 (échelle INES) lié au risque de blocage d’une grappe de commande, dans les centrales de Belleville-sur-Loire (Cher) et de Saint-Alban (Isère)

Le 13 décembre 2017, à l’occasion des essais de redémarrage du réacteur numéro 2 de la centrale de Belleville-sur-Loire, il a été observé un blocage d’une grappe de commande [2]. Après analyses, il est apparu que ce blocage était dû à l’usure de la manchette thermique [3] du couvercle de la cuve correspondant à cette grappe.

Une situation comparable d’usure de ce composant a été observée sur une grappe de commande du réacteur numéro 2 de la centrale de Saint-Alban, sans blocage de celle-ci.

Pour ces deux réacteurs, la manchette thermique conduisant à cette déclaration sera remplacée avant le redémarrage des unités de production.

Afin d’identifier les éventuels réacteurs des paliers 1300 MWe et N4 [4] (24 réacteurs au total) pouvant être concernés par ces défauts, EDF a décidé de mener des examens sur tous les réacteurs qui sont actuellement à l’arrêt puis, lors du prochain arrêt programmé des réacteurs en fonctionnement. Ces examens ont débuté et se poursuivront jusqu’au deuxième trimestre 2019. L’unité de production numéro 1 de la centrale de Saint-Alban a été mise à l’arrêt, le 17 février 2018, afin de mener ces expertises.

Les défauts à l’origine de cette déclaration n’ont eu aucun impact sur la sûreté des installations, la sécurité des salariés ni sur l’environnement. Cependant, ils constituent un écart aux règles d’exploitation.

EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le 14 février 2018, un Événement significatif de sûreté dit « générique » car commun à deux unités de production, classé au niveau 1 de l’échelle INES, échelle internationale de classement des événements nucléaires qui en compte 7.

https://www.edf.fr/groupe-edf/nos-energies/carte-de-nos-implantations-industrielles-en-france/centrale-nucleaire-de-belleville/actualites/declaration-d-un-evenement-de-niveau-1-echelle-ines-lie-au-risque-de-blocage-d-une-grappe-de-commande-dans-les-centrales-de-belleville

https://www.edf.fr/groupe-edf/nos-energies/carte-de-nos-implantations-industrielles-en-france/centrale-nucleaire-de-saint-alban/actualites/declaration-d-un-evenement-de-niveau-1-echelle-ines-lie-au-risque-de-blocage-d-une-grappe-de-commande-dans-les-centrales-de-belleville


Ce que dit l’ASN :

Le 27/03/18

Incident de niveau 1 concernant un risque de blocage de grappes de commande du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire et du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Saint-Alban

Le 14 février 2018, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif au risque de blocage de grappes de commande dû à l’usure prononcée des manchettes thermiques des couvercles des cuves du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire et du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Saint-Alban.

Les couvercles de la cuve des réacteurs électronucléaires sont équipés de manchettes thermiques à l’endroit où les grappes de commande les traversent. Les grappes de commande sont des groupes de tiges solidaires et mobiles contenant une matière absorbant les neutrons. Elles permettent de contrôler le niveau de puissance du réacteur grâce à leur insertion dans le cœur du réacteur et de stopper la réaction nucléaire en cas de situation incidentelle ou accidentelle.

L’usure prononcée de plusieurs manchettes thermiques a conduit à la rupture de leur partie supérieure, qui a alors formé un anneau métallique. Cet anneau est ensuite venu bloquer la course d’une des grappes de commande. Un tel blocage a été constaté par EDF le 3 novembre 2017 sur le réacteur 2 de Saint-Alban et les 5 et 13 décembre 2017 sur le réacteur 2 de Belleville-sur-Loire.

EDF a mené des contrôles approfondis des deux réacteurs concernés et procède à la réparation des manchettes les plus usées. Elle procède également à des contrôles de ses autres réacteurs.

L’ASN contrôle la mise en œuvre par EDF de ce programme d’identification et de réparation des manchettes détériorées.

Compte tenu de ses conséquences potentielles pour la sûreté des centrales nucléaires, l’événement est classé au niveau 1 de l’échelle INES pour le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Belleville et le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Saint Alban.

https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Incident-de-niveau-1-concernant-un-risque-de-blocage-de-grappes-de-commande

Le 29/01/2018

Inspection n° INSSN-OLS-2018-0607 du 18 janvier 2018 : « Suivi de l’aléa relatif à la grappe H8 » (extraits du rapport)

Lors des essais physiques à puissance nulle réalisés dans le cadre du redémarrage de la tranche n° 2 en décembre dernier, des défauts ont été détectés sur la grappe de régulation H8. Plus précisément, ces défauts se sont traduits par des phénomènes de blocages mécaniques lors des essais de manœuvrabilité ainsi que lors des essais de chute des grappes.

Un défaut de manœuvrabilité des grappes de contrôle est susceptible de remettre en cause l’efficacité d’un arrêt automatique du réacteur (...).

Lors des différentes expertises menées pour comprendre l’origine du dysfonctionnement rencontré, vous avez détecté la présence d’un corps étranger métallique à proximité du mécanisme de commande de la grappe. Cette pièce métallique, qui proviendrait de la rupture de la partie supérieure de la manchette thermique consécutive à son usure, serait ainsi à l’origine des blocages constatés. Une dégradation de l’adaptateur accueillant la manchette thermique, élément soumis à la pression du circuit primaire, aurait également été détectée.

Après avoir procédé au retrait du corps étranger qui pourrait avoir été à l’origine des blocages, vous avez entrepris de vérifier le niveau d’usure de l’ensemble des manchettes thermiques des différentes grappes. Une des méthodes mises en œuvre consiste en l’utilisation d’un dispositif appliquant une poussée verticale destinée à mesurer le jeu présent entre la partie supérieure de la manchette thermique et la partie inférieure du mécanisme de commande. Les résultats associés à ces mesures sont en cours d’analyse et n’ont pas encore été transmis.

Lors de l’inspection du 18 janvier dernier, les inspecteurs ont examiné le dossier d’intervention de votre prestataire en charge de la réalisation de ces mesures. A l’issue de cet examen, les inspecteurs s’interrogent sur les conditions de réalisation, en amont de l’intervention, de la qualification du dispositif utilisé et sur l’impact de certains écarts constatés sur la validité des résultats.

Par ailleurs, les inspecteurs constatent, au regard des derniers éléments d’analyse, que les conclusions d’un premier rapport établi par vos services d’ingénierie, sur la base des contrôles télévisuels, se sont révélées fausses, concernant l’état de l’adaptateur associé à la grappe H8. Le point nécessite d’être analysé.

  • Rapport d’expertise relatif aux examens télévisuels mis en œuvre suite au blocage de la grappe H8 :

Le 4 janvier 2018, vos services m’ont transmis le rapport d’expertise référencé D309517035987 indice B relatif à l’analyse des résultats des examens télévisuels effectués pour comprendre l’origine du blocage de la grappe H8.

Plus précisément, ces examens ont notamment porté sur le tube-guide de grappe, le mécanisme de commande, la manchette thermique, l’adaptateur, la tige de commande et l’assemblage combustible associé.

Concernant le sommet du tube-guide de grappe, le rapport précise qu’aucune zone de marquage n’a été mise en évidence. Dans un second temps, vos services ont pourtant établi que des marquages étaient bien visibles sur les clichés transmis en annexe du rapport, sur le sommet du tube-guide de la grappe.

D’autre part, le rapport indique l’absence de désordre au niveau de l’adaptateur et de la manchette thermique et précise qu’« aucune [des] observations ne remet en cause l’intégrité des composants  ». Au travers de la découverte par la suite des dégradations au niveau de la manchette thermique et de l’adaptateur, ces conclusions se sont également avérées erronées.

  • Qualification avant utilisation du dispositif de mesure de jeu entre la manchette thermique et le mécanisme de commande de grappe :

Les inspecteurs ont examiné le rapport de qualification du dispositif utilisé pour mesurer le jeu entre la partie supérieure des manchettes thermiques et la partie inférieure des mécanismes de commande des grappes. L’analyse des distances mesurées doit permettre d’évaluer le niveau de dégradation et d’usure de ces éléments ainsi que les conséquences de celles-ci sur la fonctionnalité des grappes de commande.

L’un des paramètres associés à la qualification du dispositif est relatif à la précision du déplacement vertical. La vérification de cette précision est réalisée en comparant la distance réellement parcourue par le dispositif avec la distance lue sur l’afficheur en s’assurant que l’écart entre les deux valeurs est inférieur à 3 mm. Malgré un écart de 13 mm mesuré entre les deux valeurs, le procès-verbal de qualification n° 6 conclut à la conformité de la qualification de ce paramètre. Lors de l’inspection, vos services n’ont pas été en mesure d’expliquer aux inspecteurs cette conclusion au regard du non-respect du critère prédéfini.

Le 24 janvier, vous avez transmis une justification de cet écart en indiquant qu’il s’agissait d’une erreur de lecture de l’agent en charge de l’opération de qualification, sans toutefois nous apporter des éléments permettant de conclure à cette hypothèse avec certitude. (...)

Enfin, les inspecteurs ont examiné le dossier de suivi de l’intervention relative à la réalisation des mesures précitées. Ce dossier précise qu’une surveillance de la phase de qualification du dispositif a été exercée par EDF. Plus précisément, le phasage de l’activité prévoyait, pour l’étape de qualification du dispositif, un point de convocation consistant en un contact téléphonique entre le chargé d’affaires EDF et le prestataire en charge de la réalisation de l’activité.

Au regard du constat des écarts précités détectés par les inspecteurs, je m’interroge sur l’efficacité d’une telle surveillance et sur sa conformité vis-à-vis des exigences règlementaires en la matière précisées par l’article 2.2.3 de l’arrêté du 7 février 2012 qui prévoit que « la surveillance de l’exécution des activités importantes pour la protection réalisées par un intervenant extérieur doit être exercée par l’exploitant ».

https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Lettres-de-suite-d-inspection-des-installations-nucleaires/Suivi-de-l-alea-relatif-a-la-grappe-H8


[1II convient, en marche normale du réacteur, de maintenir certaines grappes à un niveau suffisant, fixé par les spécifications techniques, d’une part pour que leur chute puisse étouffer efficacement la réaction nucléaire en cas d’arrêt d’urgence, d’autre part pour assurer une bonne répartition du flux de neutrons - https://www.asn.fr/Lexique/G/Grappes-de-commande

[2Les grappes de commande contiennent des matériaux absorbant les neutrons. Ces grappes permettent, avec l’ajustement de la concentration en bore dans l’eau du circuit primaire, de contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur.

[3Une manchette thermique de grappe de commande est un composant qui limite l’impact sur la cuve du choc thermique lié aux mouvements d’eau sous le couvercle à l’occasion des déplacements de la grappe de commande.

[4Le palier 1300 MWe comprend les centrales de Belleville-sur-Loire (Cher), Cattenom (Lorraine), Flamanville (Basse-Normandie), Golfech (Tarn-et-Garonne), Nogent-sur-Seine (Aube), Paluel (Seine-Maritime), Penly (Seine-Maritime) et Saint-Alban (Isère). Le palier N4 comprend les centrales de Civaux (Vienne) et Chooz (Ardennes).


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