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Sortir du nucléaire n°85



printemps 2020

S’ouvrir : Nucléaire militaire

De la non-prolifération au désarmement ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°85 - printemps 2020

 Nucléaire militaire


À l’heure où la politique de contrôle des armements est remise en cause, le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), cinquante ans après sa naissance, semble échapper à cette entreprise de démolition [1] . Mais combien de temps pourra-t-il encore se maintenir sans que les obligations de désarmement qu’il contient soient mises en œuvre ?



© AdobeStock

Entré en vigueur le 5 mars 1970, le TNP est toujours présenté comme le “rempart irremplaçable face au risque de prolifération nucléaire [2] “. Problème : la prolifération a un double visage. Et selon quelle face on regarde, le résultat est diamétralement à l’opposé.

Le TNP est effectivement un succès en termes de contrôle de la prolifération horizontale : 188 États sur les 192 membres de l’ONU ont ratifié le traité. Sans cet accord, il est certain que le nombre de puissances nucléaires serait plus important que les neuf actuelles. Les quatre États non signataires du traité — Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord — sont devenus des puissances nucléaires après son entrée en vigueur.

Mais le traité est un échec au niveau de la prolifération verticale : les cinq États reconnus comme “dotés“ de l’arme nucléaire au moment de la signature du TNP — États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France et Chine — n’ont de cesse de moderniser leur arsenal, “clef de voûte“ de leur stratégie militaire, contrairement à l’article VI du traité qui les engage “à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire [3] “.

Sources : icanw.org/healthcare_cost

L’inégalité inscrite au cœur du traité

Dans son discours le 8 décembre 1953 devant l’Assemblée générale de l’ONU [4] — connu sous le nom de “Atomes pour la paix“ —, le président des États-Unis, Dwight Eisenhower, soulignait à la fois les bienfaits de l’utilisation pacifique du nucléaire et les dangers que représente l’immense potentiel de destruction des armes atomiques. Il affirmait également la détermination des États-Unis à en faire usage si nécessaire. Pour limiter la prolifération de ces armes, il propose la création d’une agence chargée de contrôler l’usage des matières nucléaires. Elle verra le jour en 1957 sous le nom d’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le TNP, dix ans après, viendra encadrer juridiquement la lutte contre la prolifération.

Le principe de favoriser l’usage purement pacifique du nucléaire, tout en interdisant le développement de son utilisation militaire ôte, de fait, toute efficience à la lutte contre la prolifération. Car le TNP contient cette particularité unique en droit international : l’inscription de deux catégories de membres aux droits et devoirs inégaux. D’un côté, les États “non dotés“ qui renoncent à développer des armes nucléaires, en échange de l’accès au nucléaire “civil“ dans la mesure où leurs installations sont placées sous la surveillance de l’AIEA. De l’autre, les États “dotés“ — qui ont procédé à un essai nucléaire avant l’adoption du traité —, qui peuvent conserver leur arsenal, certes en échange de l’engagement à négocier le désarmement nucléaire, mais sans calendrier, ni contrainte, par exemple, de soumettre leurs installations nucléaires au contrôle de l’AIEA.

Pour mesurer l’avancée des obligations contractées par chaque membre — accès à l’usage pacifique, lutte contre la prolifération et négociation d’un plan de désarmement nucléaire —, une conférence d’examen se déroule tous les cinq ans. Celle de 2015, faute de consensus, s’est terminée sans l’adoption d’une feuille de route commune, après d’âpres discussions. Raison principale : la non mise en œuvre des mesures prises lors des précédentes conférences d’examen, notamment celle de 1995 concernant l’établissement d’une zone sans armes nucléaires au Moyen-Orient, ou celles adoptées en 2000 et en 2010 concernant le désarmement.

© ShutterStock

Seule solution : l’interdiction

La prochaine conférence d’examen sera encore plus tendue. Les puissances nucléaires, loin de faire un pas en direction du désarmement, ont toutes engagé des processus de renouvellement de leur arsenal nucléaire, et déconstruit les accords existants : retrait des États-Unis de l’accord avec l’Iran ; arrêt du traité américano-russe sur les Forces nucléaires intermédiaires (FNI), etc. Les États non nucléaires ne veulent plus être de simples spectateurs. Dans une large majorité, ils ont participé aux négociations du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) [5] , adopté par l’ONU le 7 juillet 2017.

Le TIAN est la pièce manquante indispensable pour que le désarmement nucléaire puisse juridiquement et concrètement s’engager, en complémentarité avec le TNP. Il interdit la possession, la fabrication, le commerce des armes nucléaires ainsi que la menace d’utilisation, c’est-à-dire la stratégie de la dissuasion nucléaire. Signé au 24 mars 2020 par 81 États et ratifié par 36, le TIAN entrera en vigueur une fois que 50 pays l’auront ratifié, ce qui devrait être fait avant la fin de l’année. La France, comme les autres puissances nucléaires et leurs alliés, refuse de le signer.

À nous de faire en sorte d’inverser la situation.

Patrice Bouveret
Observatoire des armements (www.obsasrm.org)


Notes

[1La Xe conférence d’examen du TNP, prévue du 27 avril au 22 mai à New-York, est reportée à la fin de l’été, voire même en 2021.

[2Comme l’a souligné le 26 février 2020 devant le Conseil de sécurité le représentant permanent de la France auprès des Nations unies : https://frama.link/Discours-260220

[3Texte du TNP : https://frama.link/TNP

[4Texte intégral : https://frama.link/ONU-81253

[5Texte du TIAN et liste des engagements sur https://frama.link/TIAN

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Entré en vigueur le 5 mars 1970, le TNP est toujours présenté comme le “rempart irremplaçable face au risque de prolifération nucléaire [1] “. Problème : la prolifération a un double visage. Et selon quelle face on regarde, le résultat est diamétralement à l’opposé.

Le TNP est effectivement un succès en termes de contrôle de la prolifération horizontale : 188 États sur les 192 membres de l’ONU ont ratifié le traité. Sans cet accord, il est certain que le nombre de puissances nucléaires serait plus important que les neuf actuelles. Les quatre États non signataires du traité — Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord — sont devenus des puissances nucléaires après son entrée en vigueur.

Mais le traité est un échec au niveau de la prolifération verticale : les cinq États reconnus comme “dotés“ de l’arme nucléaire au moment de la signature du TNP — États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France et Chine — n’ont de cesse de moderniser leur arsenal, “clef de voûte“ de leur stratégie militaire, contrairement à l’article VI du traité qui les engage “à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire [2] “.

Sources : icanw.org/healthcare_cost

L’inégalité inscrite au cœur du traité

Dans son discours le 8 décembre 1953 devant l’Assemblée générale de l’ONU [3] — connu sous le nom de “Atomes pour la paix“ —, le président des États-Unis, Dwight Eisenhower, soulignait à la fois les bienfaits de l’utilisation pacifique du nucléaire et les dangers que représente l’immense potentiel de destruction des armes atomiques. Il affirmait également la détermination des États-Unis à en faire usage si nécessaire. Pour limiter la prolifération de ces armes, il propose la création d’une agence chargée de contrôler l’usage des matières nucléaires. Elle verra le jour en 1957 sous le nom d’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le TNP, dix ans après, viendra encadrer juridiquement la lutte contre la prolifération.

Le principe de favoriser l’usage purement pacifique du nucléaire, tout en interdisant le développement de son utilisation militaire ôte, de fait, toute efficience à la lutte contre la prolifération. Car le TNP contient cette particularité unique en droit international : l’inscription de deux catégories de membres aux droits et devoirs inégaux. D’un côté, les États “non dotés“ qui renoncent à développer des armes nucléaires, en échange de l’accès au nucléaire “civil“ dans la mesure où leurs installations sont placées sous la surveillance de l’AIEA. De l’autre, les États “dotés“ — qui ont procédé à un essai nucléaire avant l’adoption du traité —, qui peuvent conserver leur arsenal, certes en échange de l’engagement à négocier le désarmement nucléaire, mais sans calendrier, ni contrainte, par exemple, de soumettre leurs installations nucléaires au contrôle de l’AIEA.

Pour mesurer l’avancée des obligations contractées par chaque membre — accès à l’usage pacifique, lutte contre la prolifération et négociation d’un plan de désarmement nucléaire —, une conférence d’examen se déroule tous les cinq ans. Celle de 2015, faute de consensus, s’est terminée sans l’adoption d’une feuille de route commune, après d’âpres discussions. Raison principale : la non mise en œuvre des mesures prises lors des précédentes conférences d’examen, notamment celle de 1995 concernant l’établissement d’une zone sans armes nucléaires au Moyen-Orient, ou celles adoptées en 2000 et en 2010 concernant le désarmement.

© ShutterStock

Seule solution : l’interdiction

La prochaine conférence d’examen sera encore plus tendue. Les puissances nucléaires, loin de faire un pas en direction du désarmement, ont toutes engagé des processus de renouvellement de leur arsenal nucléaire, et déconstruit les accords existants : retrait des États-Unis de l’accord avec l’Iran ; arrêt du traité américano-russe sur les Forces nucléaires intermédiaires (FNI), etc. Les États non nucléaires ne veulent plus être de simples spectateurs. Dans une large majorité, ils ont participé aux négociations du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) [4] , adopté par l’ONU le 7 juillet 2017.

Le TIAN est la pièce manquante indispensable pour que le désarmement nucléaire puisse juridiquement et concrètement s’engager, en complémentarité avec le TNP. Il interdit la possession, la fabrication, le commerce des armes nucléaires ainsi que la menace d’utilisation, c’est-à-dire la stratégie de la dissuasion nucléaire. Signé au 24 mars 2020 par 81 États et ratifié par 36, le TIAN entrera en vigueur une fois que 50 pays l’auront ratifié, ce qui devrait être fait avant la fin de l’année. La France, comme les autres puissances nucléaires et leurs alliés, refuse de le signer.

À nous de faire en sorte d’inverser la situation.

Patrice Bouveret
Observatoire des armements (www.obsasrm.org)



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