Faire un don

Sortir du nucléaire n°82



Été 2019

Nucléaire militaire

Conférence du TNP à l’ONU - De la non-prolifération au désarmement nucléaire ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°82 - Été 2019

 Luttes et actions  Organisations antinucléaires françaises  Nucléaire militaire


Abolition des armes nucléaires — Maison de Vigilance, ICAN France, Mouvement de la Paix..., les associations françaises se sont retrouvées nombreuses à New York pour plaider la cause de l’interdiction des armes nucléaires où, du 29 avril au 10 mai, se déroulait au sein de l’ONU la troisième et dernière réunion préparatoire (Prepcom) de la conférence d’examen quinquennal du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 2020 (voir ci-dessous).



150 États — sur les 191 membres du TNP — ont participé au moins à un des trois comités préparatoires. Les divergences entre “États dotés“ et “États non dotés“ d’armes nucléaires – ou pour être plus précis, entre ceux qui ne respectent pas leur engagement de désarmement au titre de l’article VI du TNP et ceux qui le respectent ! – se sont, une nouvelle fois, exprimées de manière forte. Aucun consensus n’a été trouvé durant cette session [1] . Raison “officielle“ : les États dotés se réfugient derrière un contexte stratégique qui ne serait pas favorable à des avancées pour le désarmement. C’est vrai que la tension est montée d’un cran ces derniers mois. Mais qui en est la cause ? Retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires : Russie et États-Unis. Remise en cause de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran : États-Unis. La véritable raison est l’adoption par l’ONU du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) à l’initiative justement des États “non dotés“ avec l’aide de la société civile.

Lors de la manifestation en marge de la conférence.

L’ambassadeur d’Afrique du Sud a d’ailleurs bien résumé la situation : “Certains États parties ne peuvent pas fonctionner comme un petit gang !“. Ce qu’a confirmé la rencontre de la délégation des ONG françaises avec l’ambassadeur de la France, “caractérisée par plusieurs “dénis” : déni absolu de l’existence d’un risque de guerre nucléaire, déni d’une modernisation des armements nucléaires par la France, déni d’une complémentarité du TIAN par rapport au TNP [2] .“

Une telle attitude ne peut qu’affaiblir le régime de non-prolifération et conduire à renforcer l’insécurité et le risque d’une relance de la prolifération nucléaire avec en corollaire celui de son utilisation.

Patrice Bouveret (www.obsarm.org)


3 questions à Aurélie, membre de la délégation d’Abolition des armes nucléaires

C’est la première fois que tu participes à une telle réunion au sein de l’ONU ? Qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?

C’était la première fois que je prenais part à une réunion d’États sur le désarmement nucléaire. Par contre, j’avais déjà pris part à des conférences onusiennes, quand j’étais en stage avec l’Union européenne, ainsi qu’avec l’unité de support à l’implémentation de la convention sur les armes biologiques.

Ce qui m’a le plus marquée, c’est sans doute certaines prises de position américaines. Quand les membres de la délégation des États-Unis ont rencontré les jeunes d’ICAN en marge de la conférence, un d’eux a mentionné que le non-usage des armes nucléaires était l’ancien paradigme sous lequel ces armes avaient été envisagées. Il a de plus suggéré que ce paradigme était en train de changer sous l’impulsion d’autres États, qui envisagent une miniaturisation de ces armes, des usages tactiques des armes nucléaires, etc. Alors qu’il est bien connu que les États-Unis sont en grande partie à l’origine de cette dérive. Je ne m’attendais pas à ce que ce genre de contre-vérités soit affirmé de manière aussi décomplexée.

À quoi sert la société civile dans ce type de conférence ?

Le rôle de la société civile est vraiment multiple dans ces conférences, mais il reste à mon sens principalement d’interpeller les délégations sur l’urgence du désarmement nucléaire. On a rencontré la délégation française pour leur poser des questions sur leur approche du TNP, du TIAN, mais aussi en ce qui concerne les pistes de désarmement nucléaire en général. Je pense qu’il était très utile d’emmener des jeunes, comme moi, à ces rencontres, pour montrer que la jeunesse s’intéresse à ces questions qui peuvent paraître oubliées de la sphère publique française. On a aussi rencontré d’autres délégations, dont celle du président du comité préparatoire, et celle des États-Unis. On a entendu des délégations étatiques proches de la cause du désarmement expliquer les dynamiques actuelles au sein du TNP. Ces échanges permettent de mieux comprendre ce qu’on peut promouvoir et comment. On a aussi participé à une manifestation dans les rues adjacentes à l’ONU, pour pouvoir mettre en lumière la présence de la société civile et la campagne ICAN. Participer au TNP, c’est aussi tisser du lien avec la société civile ailleurs qu’en France. En comprenant ce qui s’est fait ailleurs, et en créant des réseaux, on peut espérer trouver des idées pour mieux se mobiliser ici en France, mais aussi des façons de soutenir les projets de la société civile pour le désarmement nucléaire ailleurs.

Tu as participé à l’organisation d’un événement spécifique, en quoi cela consistait ?

Avec ICAN France, on a organisé un événement sur la jeunesse et le désarmement nucléaire dans la francophonie. Avec deux autres jeunes femmes activistes, qui sont venues spécialement de Tunisie, on a exposé la problématique des jeunes et du désarmement nucléaire, de notre point de vue. Des professeurs de Sciences Po, où je viens de finir mes études, m’avaient communiqué les résultats de sondages encore non publiés sur ce que les gens savent de l’armement nucléaire. Les résultats sont sidérants et mettent en lumière un manque d’éducation patent dans ce domaine dont dépend tout de même la survie de l’humanité. J’ai aussi partagé quelques exemples de matériel éducatif inadéquats en France, dont un manuel destiné aux élèves de troisième qui dresse un portrait des armes nucléaires comme protégeant la démocratie et la liberté. Le Japon, qui promeut l’éducation au désarmement nucléaire au sein du TNP, était présent à ce séminaire et intéressé par notre propos.

Aurélie lors de sa présentation sur la jeunesse et l’armement nucléaire

Propos recueillis par P. B


Le TNP, quésaco ?

Jusqu’à l’adoption par l’ONU le 7 juillet 2017 du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), l’encadrement juridique de ces armes de destruction massive reposait sur le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) [3] . Ce dernier, entré en vigueur en 1970, est — ce qu’il faut bien appeler par son nom — un marché de dupes. Au moment de son adoption, seuls les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU — États-Unis, Russie, France, Chine, Royaume-Uni — disposaient d’une force nucléaire. En signant le TNP, les États n’ayant pas encore procédé à un tir d’essai nucléaire, renoncent à développer la bombe atomique en échange de quoi ils auront accès au nucléaire civil. Les cinq États dotés de l’arme nucléaire s’engagent de leur côté “à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire“ (article VI). Trois États voulant développer leur arsenal ne s’engagent pas dans le TNP : Israël, Inde et Pakistan. La Corée du Nord se retirera du traité en 2003. La suite on la connaît : aucun des États “dotés“ ne veut renoncer à ses armes nucléaires ; bien au contraire puisqu’ils placent ces dernières au cœur de leur stratégie militaire et ne cessent de procéder à leur modernisation. Tous les cinq ans l’ONU réunit une Conférence d’examen, précédée de trois comités préparatoires. Conformément aux décisions prises lors de la prolongation indéfinie du TNP en 1995, les comités préparatoires ont pour objet d’examiner “des principes, des objectifs et des moyens de promouvoir la mise en œuvre intégrale du Traité, ainsi que son universalité, et de faire des recommandations.“ La prochaine Conférence d’examen va se dérouler du 27 avril au 22 mai 2020 à New-York.

P. B.


Notes

[1Pour retrouver tous les documents du comité préparatoire : http://www.reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/npt/2019

[2Luigi Mosca dans Abolition n° 276, juin 2019. Disponible sur : http://abolitiondesarmesnucleaires.org/2019/06/16/lettre-dinformation-de-juin-2019/

150 États — sur les 191 membres du TNP — ont participé au moins à un des trois comités préparatoires. Les divergences entre “États dotés“ et “États non dotés“ d’armes nucléaires – ou pour être plus précis, entre ceux qui ne respectent pas leur engagement de désarmement au titre de l’article VI du TNP et ceux qui le respectent ! – se sont, une nouvelle fois, exprimées de manière forte. Aucun consensus n’a été trouvé durant cette session [1] . Raison “officielle“ : les États dotés se réfugient derrière un contexte stratégique qui ne serait pas favorable à des avancées pour le désarmement. C’est vrai que la tension est montée d’un cran ces derniers mois. Mais qui en est la cause ? Retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires : Russie et États-Unis. Remise en cause de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran : États-Unis. La véritable raison est l’adoption par l’ONU du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) à l’initiative justement des États “non dotés“ avec l’aide de la société civile.

Lors de la manifestation en marge de la conférence.

L’ambassadeur d’Afrique du Sud a d’ailleurs bien résumé la situation : “Certains États parties ne peuvent pas fonctionner comme un petit gang !“. Ce qu’a confirmé la rencontre de la délégation des ONG françaises avec l’ambassadeur de la France, “caractérisée par plusieurs “dénis” : déni absolu de l’existence d’un risque de guerre nucléaire, déni d’une modernisation des armements nucléaires par la France, déni d’une complémentarité du TIAN par rapport au TNP [2] .“

Une telle attitude ne peut qu’affaiblir le régime de non-prolifération et conduire à renforcer l’insécurité et le risque d’une relance de la prolifération nucléaire avec en corollaire celui de son utilisation.

Patrice Bouveret (www.obsarm.org)


3 questions à Aurélie, membre de la délégation d’Abolition des armes nucléaires

C’est la première fois que tu participes à une telle réunion au sein de l’ONU ? Qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?

C’était la première fois que je prenais part à une réunion d’États sur le désarmement nucléaire. Par contre, j’avais déjà pris part à des conférences onusiennes, quand j’étais en stage avec l’Union européenne, ainsi qu’avec l’unité de support à l’implémentation de la convention sur les armes biologiques.

Ce qui m’a le plus marquée, c’est sans doute certaines prises de position américaines. Quand les membres de la délégation des États-Unis ont rencontré les jeunes d’ICAN en marge de la conférence, un d’eux a mentionné que le non-usage des armes nucléaires était l’ancien paradigme sous lequel ces armes avaient été envisagées. Il a de plus suggéré que ce paradigme était en train de changer sous l’impulsion d’autres États, qui envisagent une miniaturisation de ces armes, des usages tactiques des armes nucléaires, etc. Alors qu’il est bien connu que les États-Unis sont en grande partie à l’origine de cette dérive. Je ne m’attendais pas à ce que ce genre de contre-vérités soit affirmé de manière aussi décomplexée.

À quoi sert la société civile dans ce type de conférence ?

Le rôle de la société civile est vraiment multiple dans ces conférences, mais il reste à mon sens principalement d’interpeller les délégations sur l’urgence du désarmement nucléaire. On a rencontré la délégation française pour leur poser des questions sur leur approche du TNP, du TIAN, mais aussi en ce qui concerne les pistes de désarmement nucléaire en général. Je pense qu’il était très utile d’emmener des jeunes, comme moi, à ces rencontres, pour montrer que la jeunesse s’intéresse à ces questions qui peuvent paraître oubliées de la sphère publique française. On a aussi rencontré d’autres délégations, dont celle du président du comité préparatoire, et celle des États-Unis. On a entendu des délégations étatiques proches de la cause du désarmement expliquer les dynamiques actuelles au sein du TNP. Ces échanges permettent de mieux comprendre ce qu’on peut promouvoir et comment. On a aussi participé à une manifestation dans les rues adjacentes à l’ONU, pour pouvoir mettre en lumière la présence de la société civile et la campagne ICAN. Participer au TNP, c’est aussi tisser du lien avec la société civile ailleurs qu’en France. En comprenant ce qui s’est fait ailleurs, et en créant des réseaux, on peut espérer trouver des idées pour mieux se mobiliser ici en France, mais aussi des façons de soutenir les projets de la société civile pour le désarmement nucléaire ailleurs.

Tu as participé à l’organisation d’un événement spécifique, en quoi cela consistait ?

Avec ICAN France, on a organisé un événement sur la jeunesse et le désarmement nucléaire dans la francophonie. Avec deux autres jeunes femmes activistes, qui sont venues spécialement de Tunisie, on a exposé la problématique des jeunes et du désarmement nucléaire, de notre point de vue. Des professeurs de Sciences Po, où je viens de finir mes études, m’avaient communiqué les résultats de sondages encore non publiés sur ce que les gens savent de l’armement nucléaire. Les résultats sont sidérants et mettent en lumière un manque d’éducation patent dans ce domaine dont dépend tout de même la survie de l’humanité. J’ai aussi partagé quelques exemples de matériel éducatif inadéquats en France, dont un manuel destiné aux élèves de troisième qui dresse un portrait des armes nucléaires comme protégeant la démocratie et la liberté. Le Japon, qui promeut l’éducation au désarmement nucléaire au sein du TNP, était présent à ce séminaire et intéressé par notre propos.

Aurélie lors de sa présentation sur la jeunesse et l’armement nucléaire

Propos recueillis par P. B


Le TNP, quésaco ?

Jusqu’à l’adoption par l’ONU le 7 juillet 2017 du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), l’encadrement juridique de ces armes de destruction massive reposait sur le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) [3] . Ce dernier, entré en vigueur en 1970, est — ce qu’il faut bien appeler par son nom — un marché de dupes. Au moment de son adoption, seuls les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU — États-Unis, Russie, France, Chine, Royaume-Uni — disposaient d’une force nucléaire. En signant le TNP, les États n’ayant pas encore procédé à un tir d’essai nucléaire, renoncent à développer la bombe atomique en échange de quoi ils auront accès au nucléaire civil. Les cinq États dotés de l’arme nucléaire s’engagent de leur côté “à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire“ (article VI). Trois États voulant développer leur arsenal ne s’engagent pas dans le TNP : Israël, Inde et Pakistan. La Corée du Nord se retirera du traité en 2003. La suite on la connaît : aucun des États “dotés“ ne veut renoncer à ses armes nucléaires ; bien au contraire puisqu’ils placent ces dernières au cœur de leur stratégie militaire et ne cessent de procéder à leur modernisation. Tous les cinq ans l’ONU réunit une Conférence d’examen, précédée de trois comités préparatoires. Conformément aux décisions prises lors de la prolongation indéfinie du TNP en 1995, les comités préparatoires ont pour objet d’examiner “des principes, des objectifs et des moyens de promouvoir la mise en œuvre intégrale du Traité, ainsi que son universalité, et de faire des recommandations.“ La prochaine Conférence d’examen va se dérouler du 27 avril au 22 mai 2020 à New-York.

P. B.



Soyez au coeur de l'information !

Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.

Je m'abonne à la revue du Réseau