Sâto, pris en tenailles entre sa colère et son sentiment d’impuissance, rivé à l’écran de son smartphone qui lui délivre en temps réel des nouvelles le plus souvent déprimantes, se débat dans un Japon post-Fukushima sous la coupe de technocrates insensibles et véreux, un pays qu’il aimait et qu’il se prend désormais à détester.

Lire le manga "Colère nucléaire" n’est pas "fun", ludique ou distrayant. La série est une expérience de lecture, elle vient perturber le lecteur à l’instar du personnage principal. Nous partageons avec vous quelques planches (attention au sens de lecture : de droite à gauche !). Catastrophe nucléaire qui s’installe dans la durée, et atermoiements des gouvernants qui louvoient pour rejoindre le TPP (un accord de libre-échange avec les États-Unis, avatar japonais du TAFTA qui nous est plus familier, et tout aussi destructeur)...

Sâto s’évertue, avec quelques amis et connaissances, à agir, de manifestation en manifestation, et à se forger une compréhension de la situation, d’élucubrations de comptoir en lectures d’essais académiques.

Pas spécialement sympathique, parfois franchement médiocre ou agaçant, mais en même temps habité d’une inextinguible indignation et de velléités d’action, Sâto nous fait saisir, et ressentir au long des pages, le mélange de rage, d’envie d’agir, d’espoir, d’ennui, de dépression, d’impuissance, de vacuité, qui pourrait saisir n’importe qui d’entre nous si, demain, nous devions nous aussi continuer à vivre dans une France "d’après la catastrophe".

Une lecture grinçante et amère, et un auteur à la démarche singulière, engagée et courageuse, rugueuse aussi.

À la fin de chaque tome, l’auteur livre, sous forme textuelle, un entretien avec une personnalité politique ou académique, avec qui il cherche à éclairer divers aspects de la situation japonaise traités dans le manga.

Xavier Rabilloud