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Sortir du nucléaire n°55



Automne 2012

Alternatives

Cogénération et utilisation rationnelle de l’énergie

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°55 - Automne 2012

 Energies renouvelables


Dans les prémices d’un débat démocratique concernant la politique énergétique, tant attendu en France comme en Europe, ce sont surtout les oppositions entre des technologies qui dominent. Et ces oppositions recourent à des concepts comme "durable, renouvelable" qu’il faudrait manier avec plus de circonspection. Mais ces concepts sont fragiles. Les semi-conducteurs du photovoltaïque commencent par requérir des quantités impressionnantes d’énergies primaire et secondaire pour être produits. Les atomes nécessaires à la production des cellules solaires sont en quantités finies dans l’écorce terrestre ni plus ni moins que les hydrocarbures et les radioéléments. Les structures de l’éolien et de l’hydraulique mobilisent une production cimentière requérant des températures de près de 2000°C.

On revendique à juste titre la diversification technologique pour créer joules et calories. Mais la France, ayant fait initialement le choix du tout au charbon, ensuite du tout aux hydrocarbures, puis du tout à la fission nucléaire, voit les monopoles privés qui dominent très largement le secteur de l’énergie procéder à de solides diversifications. Pour preuve, la présence du groupe Suez, via ses filiales, dans pratiquement toutes les filières énergétiques présentes sur le marché. Et l’histoire du développement capitaliste témoigne de cette volonté permanente d’une course au chiffre d’affaire, donc poussant aux consommations partout où il est possible de vendre, quel que soit le vecteur énergétique.

L’utilisation rationnelle de l’énergie, une nécessité

A contrario, le débat politique engagé devrait amplifier la volonté de construire une politique rationnelle d’utilisation de l’énergie (URE) couplée à des investissements plus intenses dans la recherche en matière d’énergie. En particulier dans la valorisation de biomasses (à l’exclusion des biocarburants), dans la cogénération et dans l’industrialisation de la fonction chlorophyllienne.

Bien que le moteur électrique et les versions de celui à combustion interne aient le même âge, le développement des transports en commun électrifiés est bien loin d’avoir le même profil que celui de la croissance du parc des voitures individuelles. Le rendement énergétique global d’un 4x4 transportant un passager n’atteint guère les 5 %, l’essentiel du réservoir servant à chauffer et polluer l’atmosphère. Parallèlement, les motoristes s’échinent à répandre des gadgets pseudo sportifs. On a déferré des réseaux de trams et de trains pour y substituer des bus. Les efforts d’isolation des bâtiments sont précaires vu la faiblesse de la politique de rénovation. L’électronucléaire belge a réussi à éclairer les autoroutes et envisagea, un moment, de les chauffer l’hiver. On pourrait additionner les négations d’une politique d’URE. Celle-ci est d’autant plus justifiée que, sachant que la limitation démographique de l’espèce humaine est dépendante d’une élévation du niveau de vie et culturel moyen mondial, la satisfaction des besoins élémentaires "là-bas" justifiera une réduction des gaspillages "ici".

Retour aux évidences de la thermodynamique

Après le premier choc pétrolier, voici près de 40 ans, des progressistes belges partirent des travaux des thermodynamiciens Rankine-Hirn et Carnot pour constater qu’une centrale électrique, tous combustibles confondus, transformait utilement environ 40 % seulement de l’énergie consommée en électricité. La "source chaude" étant la chaudière qui produit une vapeur surchauffée à haute pression et la "source froide", le condenseur traitant la vapeur détendue à basse pression. Classiquement, les calories à "perdre" sont rejetées dans l’environnement, l’air, le cours d’eau, la mer – et donc gaspillées.

En raccordant la "source froide" à un réseau de chauffage collectif et/ou à de gros consommateurs industriels permanents de chaleur, on pourrait valoriser cette chaleur. Ainsi, on doublerait au moins le rendement de la centrale, tout en réduisant notamment la pollution thermique accentuée par l’étiage des rivières. Ce développement de la cogénération, soit de la production combinée de chaleur et d’électricité, induirait des effets notoirement positifs, sauf pour les marchands d’énergie.

Cette découverte n’avait rien d’original. Avant les années 1970, tous les pays nordiques et bien des pays du bloc socialiste avaient largement généralisé les chauffages urbains centralisés. Les bâtiments du centre de Paris étaient chauffés par la combustion des ordures et des exemples existaient ailleurs en Europe. Cependant, l’étude fouillée de la Société de Développement Régionale Wallonne visant à chauffer une dizaine de villes à partir d’une adaptation à la cogénération de centrales existantes et proches dort toujours dans les tiroirs. Car ni Pétrofina, ni Distrigaz, ni Electrabel, sociétés passées depuis dans l’orbite de Suez, n’en avaient cure. Car, à supposer qu’un pays importe la quasi-totalité de ses énergies primaires (pétrole, gaz, charbon, uranium)- ce qui est le cas de la France, de la Belgique et de bon nombre de pays de l’UE - la balance commerciale du pays considéré est largement obérée par cette dépendance.

En doublant le rendement des centrales grâce à la cogénération, on économiserait une part de ces importations équivalente à celle qui sert actuellement à faire tourner ces centrales, puisque les calories désormais valorisées serviraient à chauffer des bâtiments publics, des logements privés et sociaux, en réduisant d’autant la demande en gaz, en fioul, en électricité. Et la pollution urbaine due, pour 30 % au moins aux chaudières individuelles qui ne traitent pas les fumées en sera réduite d’autant. En gros, généraliser la cogénération au parc des centrales françaises, ce serait réduire sensiblement la dépendance énergétique, ce parc devenant producteur de vapeur ou d’eau chaude distribuée dans des zones urbaines voisines. Et investir dans ces réseaux collectifs n’est en rien lié au mode de production de l’électricité thermique. La cogénération est totalement neutre quant au choix du combustible. (1)

Du macro au micro

D’une approche macro économique de la politique énergétique, on peut passer à des aspects plus territoriaux. La cogénération n’est pas que l’affaire d’installations à capital intensif. Depuis plus de deux décennies, l’idée de traiter les déchets organiques émanant de l’agriculture, des centrales d’épuration d’eaux usées, de l’industrie alimentaire et de résidus ménagers pour produire du méthane a fait plus que du chemin.

Les lisiers bovins, porcins et, mieux encore, ceux issus des volailles constituent une ressource pour la méthanisation. L’accumulation des déchets évoqués dans des cuves adaptées (digesteurs) permet, par fermentation anaérobie, la production de CH4 en continu. Celui-ci, selon la taille des installations, permet d’alimenter un gros moteur ou une chaudière couplée à une turbine et un alternateur. Dans les deux cas on produit par la combustion du méthane de l’électricité et de l’eau chaude. Dans le cas du moteur à gaz couplé à un alternateur, ce sont les gaz d’échappement et le circuit de refroidissement qui sont à l’origine des calories produites. Dans le second cas, on recopie en plus petit la centrale électrique. Soit pour assurer les besoins en chaleur d’une ferme, d’une entreprise horticole couplée ou d’une centaine de bâtiments publics et privés voisins. En toute cohérence, on s’assurera des consommations estivales comme le séchage du bois, de légumes ou de fruits.

Dans de telles installations, on reste en deçà du MW électrique et thermique installé. L’investissement se situe aux alentours du million d’euros avec un retour sur investissement de 7 à 8 ans. L’énergie est vendue au réseau EDF à plus de 12 centimes d’euro le kWh. Le rendement global de l’installation est de l’ordre de 85 % dont 35 % en production électrique et 50 % en chaleur. On est ici dans le "micro". Avec des références partout en Europe, plus rares en France.

Énergie et ruralité

Au niveau d’un département rural comme le Lot, il était intéressant d’examiner l’impact d’une telle perspective de diversification énergétique. Les ressources en déchets agricoles se situent dans l’ordre de 1,6 million de tonnes de lisiers par an. S’y ajoutent les boues d’épuration et d’autres résidus. Un mètre cube de lisier produit 20 m³ de méthane, l’équivalent d’un litre de fioul ou de 10 kWh. Au stade actuel, ces déchets sont épandus, mis en décharge ou compostés avec comme corollaire une production massive de CO². On ajoutera que les épandages de lisiers sont à la base même de l’élévation de la teneur en nitrates des eaux de captage, particulièrement dans les zones d’élevage intensif.

À titre d’exemple, on notera qu’une unité de production de 16 000 porcs dégage une masse de lisier annuelle capable de chauffer une centaine d’habitations proches. Que la méthanisation de ces déchets induira la production locale d’électricité et de chaleur, celle d’un compost de qualité restitué aux agriculteurs, une gestion améliorée des épandages donc de la qualité des eaux de surface devenant précaire dans le département. En sus, on règle les problèmes olfactifs locaux.

Évoquant les déchets "verts", on ne peut ignorer la forêt. Une gestion rationnelle de celle-ci serait indiquée dans la mesure où l’ONF, faute de moyens et de l’absence d’une politique nationale cohérente, reste inopérante quant à la valorisation d’une forêt privée, parcellisée par les successions. Le cas du département du Lot n’est pas un fait isolé quant aux bricolages constatés de l’exploitation forestière, l’insuffisance d’une valorisation des bois d’œuvres et d’une filière bois. Au plan énergétique, une gestion forestière rationnelle permet aussi, via les déchets de l’élagage et d’un entretien de la futaie, d’alimenter des installations de cogénération de plus grandes puissances que celles précédemment évoquées. Donc, l’alimentation de réseaux de chauffage urbain concernant un millier et plus d’habitants est une réalité. Des quartiers entiers de logements sociaux à Limoges sont chauffés à partir d’une centrale de cogénération au bois ainsi que le CHU.

Le bois, combustible "vert" ?

Contrairement au discours ambiant, le bois est un sérieux polluant. Comme le diesel, il produit des nano-particules responsables de maladies cardiovasculaires. Le récent rapport de l’OMS confirme que 40 000 Français décèdent chaque année du fait de ces émissions. Le développement d’une cogénération à partir du bois se doit donc d’intégrer des moyens sérieux de filtration des fumées. Le lecteur aura compris que notre plaidoyer pour la cogénération porte autant sur des économies d’énergie, sur une indépendance énergétique plus forte que sur la réduction de la production de CO² et de CH4 et d’autres polluants.

À ce propos, la politique menée par l’ADEME qui vise à promouvoir des petits réseaux de chauffage au bois dans les bourgs est particulièrement néfaste. On assiste en effet en Midi-Pyrénées, et sans doute ailleurs, à une caricature de politique de transition énergétique. Les réseaux locaux de chauffage collectif sont financés à 70 % par des aides publiques. Les chaudières à bois localisées en plein centre des villages émettent des fumées insuffisamment filtrées car les promoteurs refusent de dépenser 4 % d’investissement en plus pour protéger la santé des riverains. Aucune estimation préalable sur l’accès au "gisement bois" n’a été réalisée, la forêt lotoise étant laissée en déshérence. Il n’y a pas de cogénération. Aucun effort n’a été fait pour valoriser les déchets agricoles locaux. Ces réseaux fonctionnent 7 mois l’an et le prix du kWh vendu est indexé sur ceux du gaz, de l’électricité et du fioul !

Une alternative au gaz de schiste

Depuis peu, les monopoles énergétiques proposent de casser le sous-sol - avec toutes les conséquences négatives en termes de ressources hydriques - pour assurer la pérennité des hydrocarbures. On peut y répondre par une politique de valorisation de ce qui existe et est inexploité en surface. Ceci réduirait la production de gaz à effet de serre, les pollutions diverses de l’air et de l’eau, consoliderait le travail des PME agricoles et pourrait aussi produire localement du méthane à destiner au transport public et aux engins agricoles.

C’est pourquoi, dans un État où trop se décide à Paris, la production combinée de chaleur et d’électricité ne représente que 3% du volume électrique vendu nationalement. Dix fois moins qu’au Danemark. Globalement, un retard magistral par rapport aux pays du Nord de l’UE. La valorisation, dans le Lot, du gisement "biomasse" pourrait satisfaire 10 à 15 % des besoins énergétiques de la population. Qui plus est, dans la quasi totalité des réseaux recensés, les équipements divers sont allemands, suisses, autrichiens ou tchèques.

Comme quoi, on peut n’avoir ni pétrole, ni idées.

Pierre Beauvois

Ingénieur, membre de l’exécutif du PCF lotois

Notes :

1 : Note de la rédaction : sur ce point précis, il existe une divergence entre l’auteur et le Réseau "Sortir du nucléaire". Pour le Réseau, il est en effet inenvisageable - en termes tant de sûreté que techniques et économiques - de développer la cogénération couplée aux centrales nucléaires, y compris dans le cadre d’un plan de sortie du nucléaire.

Dans les prémices d’un débat démocratique concernant la politique énergétique, tant attendu en France comme en Europe, ce sont surtout les oppositions entre des technologies qui dominent. Et ces oppositions recourent à des concepts comme "durable, renouvelable" qu’il faudrait manier avec plus de circonspection. Mais ces concepts sont fragiles. Les semi-conducteurs du photovoltaïque commencent par requérir des quantités impressionnantes d’énergies primaire et secondaire pour être produits. Les atomes nécessaires à la production des cellules solaires sont en quantités finies dans l’écorce terrestre ni plus ni moins que les hydrocarbures et les radioéléments. Les structures de l’éolien et de l’hydraulique mobilisent une production cimentière requérant des températures de près de 2000°C.

On revendique à juste titre la diversification technologique pour créer joules et calories. Mais la France, ayant fait initialement le choix du tout au charbon, ensuite du tout aux hydrocarbures, puis du tout à la fission nucléaire, voit les monopoles privés qui dominent très largement le secteur de l’énergie procéder à de solides diversifications. Pour preuve, la présence du groupe Suez, via ses filiales, dans pratiquement toutes les filières énergétiques présentes sur le marché. Et l’histoire du développement capitaliste témoigne de cette volonté permanente d’une course au chiffre d’affaire, donc poussant aux consommations partout où il est possible de vendre, quel que soit le vecteur énergétique.

L’utilisation rationnelle de l’énergie, une nécessité

A contrario, le débat politique engagé devrait amplifier la volonté de construire une politique rationnelle d’utilisation de l’énergie (URE) couplée à des investissements plus intenses dans la recherche en matière d’énergie. En particulier dans la valorisation de biomasses (à l’exclusion des biocarburants), dans la cogénération et dans l’industrialisation de la fonction chlorophyllienne.

Bien que le moteur électrique et les versions de celui à combustion interne aient le même âge, le développement des transports en commun électrifiés est bien loin d’avoir le même profil que celui de la croissance du parc des voitures individuelles. Le rendement énergétique global d’un 4x4 transportant un passager n’atteint guère les 5 %, l’essentiel du réservoir servant à chauffer et polluer l’atmosphère. Parallèlement, les motoristes s’échinent à répandre des gadgets pseudo sportifs. On a déferré des réseaux de trams et de trains pour y substituer des bus. Les efforts d’isolation des bâtiments sont précaires vu la faiblesse de la politique de rénovation. L’électronucléaire belge a réussi à éclairer les autoroutes et envisagea, un moment, de les chauffer l’hiver. On pourrait additionner les négations d’une politique d’URE. Celle-ci est d’autant plus justifiée que, sachant que la limitation démographique de l’espèce humaine est dépendante d’une élévation du niveau de vie et culturel moyen mondial, la satisfaction des besoins élémentaires "là-bas" justifiera une réduction des gaspillages "ici".

Retour aux évidences de la thermodynamique

Après le premier choc pétrolier, voici près de 40 ans, des progressistes belges partirent des travaux des thermodynamiciens Rankine-Hirn et Carnot pour constater qu’une centrale électrique, tous combustibles confondus, transformait utilement environ 40 % seulement de l’énergie consommée en électricité. La "source chaude" étant la chaudière qui produit une vapeur surchauffée à haute pression et la "source froide", le condenseur traitant la vapeur détendue à basse pression. Classiquement, les calories à "perdre" sont rejetées dans l’environnement, l’air, le cours d’eau, la mer – et donc gaspillées.

En raccordant la "source froide" à un réseau de chauffage collectif et/ou à de gros consommateurs industriels permanents de chaleur, on pourrait valoriser cette chaleur. Ainsi, on doublerait au moins le rendement de la centrale, tout en réduisant notamment la pollution thermique accentuée par l’étiage des rivières. Ce développement de la cogénération, soit de la production combinée de chaleur et d’électricité, induirait des effets notoirement positifs, sauf pour les marchands d’énergie.

Cette découverte n’avait rien d’original. Avant les années 1970, tous les pays nordiques et bien des pays du bloc socialiste avaient largement généralisé les chauffages urbains centralisés. Les bâtiments du centre de Paris étaient chauffés par la combustion des ordures et des exemples existaient ailleurs en Europe. Cependant, l’étude fouillée de la Société de Développement Régionale Wallonne visant à chauffer une dizaine de villes à partir d’une adaptation à la cogénération de centrales existantes et proches dort toujours dans les tiroirs. Car ni Pétrofina, ni Distrigaz, ni Electrabel, sociétés passées depuis dans l’orbite de Suez, n’en avaient cure. Car, à supposer qu’un pays importe la quasi-totalité de ses énergies primaires (pétrole, gaz, charbon, uranium)- ce qui est le cas de la France, de la Belgique et de bon nombre de pays de l’UE - la balance commerciale du pays considéré est largement obérée par cette dépendance.

En doublant le rendement des centrales grâce à la cogénération, on économiserait une part de ces importations équivalente à celle qui sert actuellement à faire tourner ces centrales, puisque les calories désormais valorisées serviraient à chauffer des bâtiments publics, des logements privés et sociaux, en réduisant d’autant la demande en gaz, en fioul, en électricité. Et la pollution urbaine due, pour 30 % au moins aux chaudières individuelles qui ne traitent pas les fumées en sera réduite d’autant. En gros, généraliser la cogénération au parc des centrales françaises, ce serait réduire sensiblement la dépendance énergétique, ce parc devenant producteur de vapeur ou d’eau chaude distribuée dans des zones urbaines voisines. Et investir dans ces réseaux collectifs n’est en rien lié au mode de production de l’électricité thermique. La cogénération est totalement neutre quant au choix du combustible. (1)

Du macro au micro

D’une approche macro économique de la politique énergétique, on peut passer à des aspects plus territoriaux. La cogénération n’est pas que l’affaire d’installations à capital intensif. Depuis plus de deux décennies, l’idée de traiter les déchets organiques émanant de l’agriculture, des centrales d’épuration d’eaux usées, de l’industrie alimentaire et de résidus ménagers pour produire du méthane a fait plus que du chemin.

Les lisiers bovins, porcins et, mieux encore, ceux issus des volailles constituent une ressource pour la méthanisation. L’accumulation des déchets évoqués dans des cuves adaptées (digesteurs) permet, par fermentation anaérobie, la production de CH4 en continu. Celui-ci, selon la taille des installations, permet d’alimenter un gros moteur ou une chaudière couplée à une turbine et un alternateur. Dans les deux cas on produit par la combustion du méthane de l’électricité et de l’eau chaude. Dans le cas du moteur à gaz couplé à un alternateur, ce sont les gaz d’échappement et le circuit de refroidissement qui sont à l’origine des calories produites. Dans le second cas, on recopie en plus petit la centrale électrique. Soit pour assurer les besoins en chaleur d’une ferme, d’une entreprise horticole couplée ou d’une centaine de bâtiments publics et privés voisins. En toute cohérence, on s’assurera des consommations estivales comme le séchage du bois, de légumes ou de fruits.

Dans de telles installations, on reste en deçà du MW électrique et thermique installé. L’investissement se situe aux alentours du million d’euros avec un retour sur investissement de 7 à 8 ans. L’énergie est vendue au réseau EDF à plus de 12 centimes d’euro le kWh. Le rendement global de l’installation est de l’ordre de 85 % dont 35 % en production électrique et 50 % en chaleur. On est ici dans le "micro". Avec des références partout en Europe, plus rares en France.

Énergie et ruralité

Au niveau d’un département rural comme le Lot, il était intéressant d’examiner l’impact d’une telle perspective de diversification énergétique. Les ressources en déchets agricoles se situent dans l’ordre de 1,6 million de tonnes de lisiers par an. S’y ajoutent les boues d’épuration et d’autres résidus. Un mètre cube de lisier produit 20 m³ de méthane, l’équivalent d’un litre de fioul ou de 10 kWh. Au stade actuel, ces déchets sont épandus, mis en décharge ou compostés avec comme corollaire une production massive de CO². On ajoutera que les épandages de lisiers sont à la base même de l’élévation de la teneur en nitrates des eaux de captage, particulièrement dans les zones d’élevage intensif.

À titre d’exemple, on notera qu’une unité de production de 16 000 porcs dégage une masse de lisier annuelle capable de chauffer une centaine d’habitations proches. Que la méthanisation de ces déchets induira la production locale d’électricité et de chaleur, celle d’un compost de qualité restitué aux agriculteurs, une gestion améliorée des épandages donc de la qualité des eaux de surface devenant précaire dans le département. En sus, on règle les problèmes olfactifs locaux.

Évoquant les déchets "verts", on ne peut ignorer la forêt. Une gestion rationnelle de celle-ci serait indiquée dans la mesure où l’ONF, faute de moyens et de l’absence d’une politique nationale cohérente, reste inopérante quant à la valorisation d’une forêt privée, parcellisée par les successions. Le cas du département du Lot n’est pas un fait isolé quant aux bricolages constatés de l’exploitation forestière, l’insuffisance d’une valorisation des bois d’œuvres et d’une filière bois. Au plan énergétique, une gestion forestière rationnelle permet aussi, via les déchets de l’élagage et d’un entretien de la futaie, d’alimenter des installations de cogénération de plus grandes puissances que celles précédemment évoquées. Donc, l’alimentation de réseaux de chauffage urbain concernant un millier et plus d’habitants est une réalité. Des quartiers entiers de logements sociaux à Limoges sont chauffés à partir d’une centrale de cogénération au bois ainsi que le CHU.

Le bois, combustible "vert" ?

Contrairement au discours ambiant, le bois est un sérieux polluant. Comme le diesel, il produit des nano-particules responsables de maladies cardiovasculaires. Le récent rapport de l’OMS confirme que 40 000 Français décèdent chaque année du fait de ces émissions. Le développement d’une cogénération à partir du bois se doit donc d’intégrer des moyens sérieux de filtration des fumées. Le lecteur aura compris que notre plaidoyer pour la cogénération porte autant sur des économies d’énergie, sur une indépendance énergétique plus forte que sur la réduction de la production de CO² et de CH4 et d’autres polluants.

À ce propos, la politique menée par l’ADEME qui vise à promouvoir des petits réseaux de chauffage au bois dans les bourgs est particulièrement néfaste. On assiste en effet en Midi-Pyrénées, et sans doute ailleurs, à une caricature de politique de transition énergétique. Les réseaux locaux de chauffage collectif sont financés à 70 % par des aides publiques. Les chaudières à bois localisées en plein centre des villages émettent des fumées insuffisamment filtrées car les promoteurs refusent de dépenser 4 % d’investissement en plus pour protéger la santé des riverains. Aucune estimation préalable sur l’accès au "gisement bois" n’a été réalisée, la forêt lotoise étant laissée en déshérence. Il n’y a pas de cogénération. Aucun effort n’a été fait pour valoriser les déchets agricoles locaux. Ces réseaux fonctionnent 7 mois l’an et le prix du kWh vendu est indexé sur ceux du gaz, de l’électricité et du fioul !

Une alternative au gaz de schiste

Depuis peu, les monopoles énergétiques proposent de casser le sous-sol - avec toutes les conséquences négatives en termes de ressources hydriques - pour assurer la pérennité des hydrocarbures. On peut y répondre par une politique de valorisation de ce qui existe et est inexploité en surface. Ceci réduirait la production de gaz à effet de serre, les pollutions diverses de l’air et de l’eau, consoliderait le travail des PME agricoles et pourrait aussi produire localement du méthane à destiner au transport public et aux engins agricoles.

C’est pourquoi, dans un État où trop se décide à Paris, la production combinée de chaleur et d’électricité ne représente que 3% du volume électrique vendu nationalement. Dix fois moins qu’au Danemark. Globalement, un retard magistral par rapport aux pays du Nord de l’UE. La valorisation, dans le Lot, du gisement "biomasse" pourrait satisfaire 10 à 15 % des besoins énergétiques de la population. Qui plus est, dans la quasi totalité des réseaux recensés, les équipements divers sont allemands, suisses, autrichiens ou tchèques.

Comme quoi, on peut n’avoir ni pétrole, ni idées.

Pierre Beauvois

Ingénieur, membre de l’exécutif du PCF lotois

Notes :

1 : Note de la rédaction : sur ce point précis, il existe une divergence entre l’auteur et le Réseau "Sortir du nucléaire". Pour le Réseau, il est en effet inenvisageable - en termes tant de sûreté que techniques et économiques - de développer la cogénération couplée aux centrales nucléaires, y compris dans le cadre d’un plan de sortie du nucléaire.



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