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Sortir du nucléaire n°34



Mars à mai 2007

Santé

Cancers : l’oubli des vraies questions

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°34 - Mars à mai 2007

 Nucléaire et santé
Article publié le : 1er mai 2007


Dans l’Ecologiste n°21 de décembre 2006, à propos de l’enquête EN3N de l’Inserm auprès de 100 000 femmes en France, il est remarqué qu’aucune question ne porte sur la qualité de leur environnement. Pourquoi ?



On trouve la réponse auprès de Jacqueline Clavel, chercheuse dans ce même institut de recherche ; dans un interview de mai 2005 (1), elle déclare : « L’effet du tabac ou de l’alcool masque celui des facteurs environnementaux ». De même dans le Plan Cancers 2003-2007 voulu par Jacques Chirac, on peut lire : « Les principaux facteurs de risque favorisant l’apparition de cancers sont le tabac, l’hygiène alimentaire et l’excès d’alcool ».


Le choix d’une population qui ne révèle pas les problèmes

La conséquence de ce constat, général dans le milieu médical et scientifique (je l’ai vérifié lors d’un colloque international à l’Unesco le 9 novembre 2006 (2)), est que les études sur la répartition géographique des cancers en France ne portent que sur une population : les enfants de moins de 15 ans, parce qu’il seraient à l’abri des effets directs de l’alcool et du tabac. C’est le cas, par exemple, de la célèbre étude sur les cancers autour de La Hague par le Pr Viel de la faculté de Besançon, publiée en Angleterre en 1993, reprise et infirmée en 2001 par les instances officielles françaises (3). De même, l’étude Inserm-IRSN (3) sur les cancers autour des installations nucléaires en France entre 90 et 98, porte sur les cas nouveaux observés (incidences) de leucémies et de lymphomes chez les enfants de moins de 15 ans (4). Aucun des 65 sites n’indique de différence significative entre cas observés et cas attendus. Aussi, lors du colloque de novembre à l’Unesco, le Dr Belpomme, évoquant ces travaux, a-t-il rejeté ma demande d’inclure le plutonium parmi les « CMR » (cancérigènes, mutagènes, ou reprotoxiques). Or dans les « chiffres du cancers » publiés dans le programme du Plan Cancer 2003-2007, les nouveaux cas de cancers en 2000 en France sont au nombre de 6 243 pour les leucémies à tous âges, et des 41 845 pour les cancers du sein chez les femmes, de 40 209 pour ceux de la prostate chez les hommes, de 36257 pour ceux du colon-rectum et de 27 743 pour ceux du poumon. Ces chiffres méritent-ils qu’on s’y arrête ?

Mme Jacqueline Clavel, dans l’interview citée, dit : « il faut donc mettre en place des études systématiques pour rechercher un excès de risque localisé autour des sites suspectés ». Cela a été fait dans seulement 12 départements à ce jour.
Dans la Manche, qui inclut les « installations nucléaires du Nord Cotentin », le Centre de la Hague, principalement, un Registre des Cancers a été réalisé en 1994 par une enquête auprès des médecins, biologistes, pharmaciens et infirmières du département. Un dépliant est diffusé (5) ; il porte sur tous les types de cancers, par communes, incidences et morts, selon les âges et les sexes, sur la période 1994-2001. Les résultats montrent un excès de cas significatifs de cancers de l’estomac et du poumon autour de La Hague. Les cas de leucémie et de lymphomes sont peu nombreux. Le Registre de la Manche a été homologué par le Comité National des Cancers en 1997. La difficulté de la procédure volontariste de création d’une association dans le milieu médical explique peut-être le faible nombre de registres, on peut le regretter.

Pour des enquêtes cancers autour des centrales

La Fédération Régionale de Protection de la Nature dans la Drôme (Frapna 26), que je représente dans la Commission Locale d’Information du Tricastin (CIGEET, Commission d’Information sur les Grands Equipements Energétiques du Tricastin), m’a chargé de déposer une demande d’enquête-cancers autour de Pierrelatte à l’occasion de l’Enquête Publique sur la nouvelle usine d’enrichissement de l’uranium. Il n’y a aucun registre de cancers dans les quatre départements qui entourent Pierrelatte : la Drôme, L’Ardèche, le Gard, le Vaucluse. Un registre est cependant en cours d’élaboration dans le Gard. Aussi, pour une telle enquête, nous ne disposons que du registre des déclarations de décès, par commune, centralisées par l’Inserm ( Cepic DC). Un projet d’étude va être déposé en janvier 2007 auprès de la Cigeet.
La proposition a été retenue et approuvée par les Commissaires Enquêteurs dans leur rapport remis au Préfet de la Drôme le 4 septembre 2006. Suite aux remarques des DDASS de la Drôme du Vaucluse et du Gard, la Commission d’Enquête a recommandé de « compléter l’évaluation des risques sanitaires afin de disposer d’une étude complète, sans ambiguïté méthodologique, et compréhensible par le public ». Elle a recommandé « la création d’un Registre des Cancers dans le département de la Drôme, comme il en existe dans d’autres départements de France ». En effet, la Commission rappelle que « compte tenu des effets psychologiques et politiques désastreux engendrés par une communication insuffisante sur l’accident de TCHERNOBYL et sur ses conséquences sanitaires, la mise en place d’une information transparente autour des grands sites nucléaires est désormais nécessaire. Cela passe aussi par la mise en place au niveau local d’un dispositif de veille sanitaire, dont les travaux doivent pouvoir être rendus publics. »
La procédure de démocratie participative que constitue l’Enquête Publique serait-elle enfin en train d’évoluer vers plus d’objectivité et d’efficacité ? D’autres initiatives comme celle du Registre des Cancers de la Manche, vont-elle enfin voir le jour ? Les Commissions Locales d’Information (CLI), inscrites dans la loi française depuis juillet 2006, vont-elles susciter des enquêtes sur les cancers autour des sites nucléaires, alors que la nocivité des faibles doses de radioactivité est à l’étude ? A Tchernobyl, 20 ans après la catastrophe, des enfants meurent par la consommation des produits de la terre contaminée pour des siècles.

Jean-Pierre Morichaud, représentant la Frapna- Drôme auprès de la Commission Locale d’Information du Tricastin (CIGEET).
1. Le Concours Médical du 25-5-2005.
2. « Environnement et santé durable » organisé par l’ARTAC, présidée par le Dr Belpomme, cancérologue.
3. Institut de Recherche sur la Sûreté Nucléaire.
4. Incidence des leucémies de l’enfant aux alentours des sites nucléaires français entre 1990 et 1998, BEH n°4/2006
5. Association pour un Registre des Cancers en Manche, ARKM, BP208, 50102 Cherbourg-Cedex.
6. Interview de Jacques Répussard, directeur de l’IRSN, pour la Revue Pétrole et Gaz, juillet 2006.

On trouve la réponse auprès de Jacqueline Clavel, chercheuse dans ce même institut de recherche ; dans un interview de mai 2005 (1), elle déclare : « L’effet du tabac ou de l’alcool masque celui des facteurs environnementaux ». De même dans le Plan Cancers 2003-2007 voulu par Jacques Chirac, on peut lire : « Les principaux facteurs de risque favorisant l’apparition de cancers sont le tabac, l’hygiène alimentaire et l’excès d’alcool ».


Le choix d’une population qui ne révèle pas les problèmes

La conséquence de ce constat, général dans le milieu médical et scientifique (je l’ai vérifié lors d’un colloque international à l’Unesco le 9 novembre 2006 (2)), est que les études sur la répartition géographique des cancers en France ne portent que sur une population : les enfants de moins de 15 ans, parce qu’il seraient à l’abri des effets directs de l’alcool et du tabac. C’est le cas, par exemple, de la célèbre étude sur les cancers autour de La Hague par le Pr Viel de la faculté de Besançon, publiée en Angleterre en 1993, reprise et infirmée en 2001 par les instances officielles françaises (3). De même, l’étude Inserm-IRSN (3) sur les cancers autour des installations nucléaires en France entre 90 et 98, porte sur les cas nouveaux observés (incidences) de leucémies et de lymphomes chez les enfants de moins de 15 ans (4). Aucun des 65 sites n’indique de différence significative entre cas observés et cas attendus. Aussi, lors du colloque de novembre à l’Unesco, le Dr Belpomme, évoquant ces travaux, a-t-il rejeté ma demande d’inclure le plutonium parmi les « CMR » (cancérigènes, mutagènes, ou reprotoxiques). Or dans les « chiffres du cancers » publiés dans le programme du Plan Cancer 2003-2007, les nouveaux cas de cancers en 2000 en France sont au nombre de 6 243 pour les leucémies à tous âges, et des 41 845 pour les cancers du sein chez les femmes, de 40 209 pour ceux de la prostate chez les hommes, de 36257 pour ceux du colon-rectum et de 27 743 pour ceux du poumon. Ces chiffres méritent-ils qu’on s’y arrête ?

Mme Jacqueline Clavel, dans l’interview citée, dit : « il faut donc mettre en place des études systématiques pour rechercher un excès de risque localisé autour des sites suspectés ». Cela a été fait dans seulement 12 départements à ce jour.
Dans la Manche, qui inclut les « installations nucléaires du Nord Cotentin », le Centre de la Hague, principalement, un Registre des Cancers a été réalisé en 1994 par une enquête auprès des médecins, biologistes, pharmaciens et infirmières du département. Un dépliant est diffusé (5) ; il porte sur tous les types de cancers, par communes, incidences et morts, selon les âges et les sexes, sur la période 1994-2001. Les résultats montrent un excès de cas significatifs de cancers de l’estomac et du poumon autour de La Hague. Les cas de leucémie et de lymphomes sont peu nombreux. Le Registre de la Manche a été homologué par le Comité National des Cancers en 1997. La difficulté de la procédure volontariste de création d’une association dans le milieu médical explique peut-être le faible nombre de registres, on peut le regretter.

Pour des enquêtes cancers autour des centrales

La Fédération Régionale de Protection de la Nature dans la Drôme (Frapna 26), que je représente dans la Commission Locale d’Information du Tricastin (CIGEET, Commission d’Information sur les Grands Equipements Energétiques du Tricastin), m’a chargé de déposer une demande d’enquête-cancers autour de Pierrelatte à l’occasion de l’Enquête Publique sur la nouvelle usine d’enrichissement de l’uranium. Il n’y a aucun registre de cancers dans les quatre départements qui entourent Pierrelatte : la Drôme, L’Ardèche, le Gard, le Vaucluse. Un registre est cependant en cours d’élaboration dans le Gard. Aussi, pour une telle enquête, nous ne disposons que du registre des déclarations de décès, par commune, centralisées par l’Inserm ( Cepic DC). Un projet d’étude va être déposé en janvier 2007 auprès de la Cigeet.
La proposition a été retenue et approuvée par les Commissaires Enquêteurs dans leur rapport remis au Préfet de la Drôme le 4 septembre 2006. Suite aux remarques des DDASS de la Drôme du Vaucluse et du Gard, la Commission d’Enquête a recommandé de « compléter l’évaluation des risques sanitaires afin de disposer d’une étude complète, sans ambiguïté méthodologique, et compréhensible par le public ». Elle a recommandé « la création d’un Registre des Cancers dans le département de la Drôme, comme il en existe dans d’autres départements de France ». En effet, la Commission rappelle que « compte tenu des effets psychologiques et politiques désastreux engendrés par une communication insuffisante sur l’accident de TCHERNOBYL et sur ses conséquences sanitaires, la mise en place d’une information transparente autour des grands sites nucléaires est désormais nécessaire. Cela passe aussi par la mise en place au niveau local d’un dispositif de veille sanitaire, dont les travaux doivent pouvoir être rendus publics. »
La procédure de démocratie participative que constitue l’Enquête Publique serait-elle enfin en train d’évoluer vers plus d’objectivité et d’efficacité ? D’autres initiatives comme celle du Registre des Cancers de la Manche, vont-elle enfin voir le jour ? Les Commissions Locales d’Information (CLI), inscrites dans la loi française depuis juillet 2006, vont-elles susciter des enquêtes sur les cancers autour des sites nucléaires, alors que la nocivité des faibles doses de radioactivité est à l’étude ? A Tchernobyl, 20 ans après la catastrophe, des enfants meurent par la consommation des produits de la terre contaminée pour des siècles.

Jean-Pierre Morichaud, représentant la Frapna- Drôme auprès de la Commission Locale d’Information du Tricastin (CIGEET).
1. Le Concours Médical du 25-5-2005.
2. « Environnement et santé durable » organisé par l’ARTAC, présidée par le Dr Belpomme, cancérologue.
3. Institut de Recherche sur la Sûreté Nucléaire.
4. Incidence des leucémies de l’enfant aux alentours des sites nucléaires français entre 1990 et 1998, BEH n°4/2006
5. Association pour un Registre des Cancers en Manche, ARKM, BP208, 50102 Cherbourg-Cedex.
6. Interview de Jacques Répussard, directeur de l’IRSN, pour la Revue Pétrole et Gaz, juillet 2006.



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