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Sortir du nucléaire n°37



Déc - janv 2008

Prospective

Bientôt la fin du pétrole ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°37 - Déc - janv 2008

 Politique énergétique
Article publié le : 1er janvier 2008


Depuis le mois d’août 2007, le prix du pétrole brut ne cesse de battre record sur record et a atteint, début janvier 2008, la barre fatidique des 100$ le baril.



Cette montée des prix a commencé en 2002 et n’a cessé de s’accélérer depuis lors. L’année 2007 est de loin la pire puisque le prix du baril est passé de 50$ en janvier à 96$ fin octobre. Pourtant, cette année, aucun événement majeur ou aucune rupture importante des approvisionnements ne sont survenus. Alors que se passe-t-il avec le pétrole depuis cinq ans ? Viendrait-il à manquer de manière durable ?

Le premier septembre 2005, après une réunion au sommet avec des experts en énergie, le Premier ministre Dominique de Villepin a fait une annonce fracassante : “Nous sommes entrés dans l’ère de l’après pétrole”. C’est dans la foulée qu’il a accéléré les programmes prévus dans la loi sur l’énergie votés deux mois plus tôt en juillet 2005.

Il existe bien un problème sérieux sur le marché pétrolier. Et ce problème s’aggrave de mois en mois et ne cessera de s’aggraver. Pourquoi ? Parce que l’exploitation du pétrole dans un gisement suit une courbe en cloche : la production croît jusqu’à un plateau, ou un pic, puis décline quand la moitié des réserves du gisement a été exploitée. C’est ce qu’on appelle le pic de production de pétrole d’un gisement. Après ce pic, la production décline irrémédiablement. Bien que susceptible de remonter provisoirement, elle n’atteindra plus jamais le niveau du pic de production. Ce phénomène concerne aussi la production de pétrole à l’échelle d’un pays ou du monde. Le pic le plus notoire est celui des USA, survenu en 1970. Depuis, bien qu’ils aient été chercher du pétrole en Alaska et dans les profondeurs du Golfe du Mexique et malgré l’utilisation de techniques d’exploitation les plus avancées du moment, leur production n’a jamais retrouvé les niveaux de cette année-là. En 2007, sur les 98 pays producteurs de pétrole, 63 ont passé leur pic de production, soit les deux tiers.

Les découvertes de gisements de pétrole suivent aussi une courbe en cloche. Les découvertes annuelles de pétrole n’ont jamais été plus importantes que durant les années 60 et n’ont cessé de décliner depuis. C’est au début des années 80 que les découvertes annuelles de pétrole ont commencées à être inférieures à la production annuelle. Depuis 1982, nous extrayons plus de pétrole que ce que nous n’en découvrons. Aujourd’hui, le ratio est d’un baril découvert pour trois barils extraits. Cette situation ne peut bien sûr se poursuivre. Le pic des découvertes est logiquement suivi un jour d’un pic de production. Le pic des découvertes aux USA s’est produit au cours des années 30 et le pic de production a eu lieu 40 ans plus tard. A l’échelle mondiale, voila aussi 40 années que le pic des découvertes est passé…
Alors, peut-on donc penser que la montée progressive et exponentielle des prix depuis 2002 est le signe de l’imminence du pic mondial de production ? De nombreux indices semblent l’indiquer. Le pic de production mondial n’arrive pas seul. Avant lui, des pics de production s’appliquent à une portion à chaque fois plus importante de la production mondiale. Depuis les années 70, de nombreux pays ont passé leur pic de production.
C’est à partir de 1999 que les choses se sont accélérées. Cette année-là, la Grande-Bretagne, alors neuvième producteur mondial, est parvenue à son pic de production. Suite à quoi son taux de déclin a atteint 10% par an. Sa production a presque été divisée par deux entre 1999 et 2007. Le déclin de la Grande-Bretagne a entraîné celui de l’ensemble de la production de la Mer du Nord. En 2001, le pic de production de la Norvège a précipité le déclin de la production en Mer du Nord, entraînant celui de la production domestique de l’ensemble des pays industrialisés (OCDE : Amérique du Nord, Europe de l’Ouest, Australie, Japon, Corée) , c’est-à-dire des principaux consommateurs de pétrole.

Cet événement majeur, totalement inconnu du grand public, a eu des répercussions géopolitiques très importantes. Consommant plus de 60% du pétrole dans le monde, les 30 pays de l’OCDE n’en produisent que 25% et leur production a décliné de presque 15% depuis 2001. Les importations de pétrole en provenance du Moyen-Orient, de Russie et d’Afrique ont donc fortement augmenté au sein de l’OCDE ces dernières années. Mais, dans le même temps, la Chine et l’Inde sont entrées dans le grand jeu du marché pétrolier mondial en tant qu’importateurs. Le Moyen-Orient contenant au moins 40% des réserves restantes de pétrole dans le monde, il est plus compréhensible que cette région devienne le centre d’attention des grandes puissances de ce monde…

En 2004, quand le Mexique, cinquième producteur mondial, a entamé son déclin, la production de pétrole dans le monde, en dehors de l’OPEP et de l’ex-URSS, a atteint un pic. Dès lors, seuls les grands exportateurs (OPEP et ex-URSS) sont en mesure de retarder le pic mondial. Mais, en 2005, la production du Moyen-Orient commence à décliner. Alors que la production russe s’était fortement redressée depuis la fin des années 90 suite à l’effondrement de l’empire soviétique, la croissance de sa production a commencé à ralentir fin 2004 et se trouve actuellement sur un plateau. Par conséquent, la production mondiale stagne depuis 2005 autour de 85 millions de barils. Se trouve-t-elle sur le point de décliner ?

Un groupe de chercheurs allemands, Energy Watch Group, a publié courant octobre 2007 un rapport sur la production de pétrole et a annoncé que le pic de production mondial pourrait avoir bien eu lieu en 2006. Les géologues de l’ASPO (Association for Study of Peak Oil) le prévoit plutôt pour 2010.
Au sein de l’industrie pétrolière, après de multiples concertations internes, un consensus a été dégagé selon lequel le pic de production mondial devrait se produire aux alentours de 2015, moment où ils prévoient le pic du Moyen-Orient.

Selon l’ASPO et Energy Watch Group, les estimations officielles des réserves mondiales sont largement surestimées, surtout au Moyen-Orient, d’environ 300 milliards de barils. Par conséquent nous aurions déjà extrait plus de la moitié des réserves mondiales, ce qui, en toute logique, devrait entraîner le pic de production.

Ce n’est donc pas la fin du pétrole car il en reste encore beaucoup, mais il sera de plus en plus cher à exploiter et il sera produit dans un contexte de production mondiale déclinante. C’est donc bien la fin du pétrole bon marché. C’est aussi la fin prochaine de la croissance économique car celle-ci est inconciliable avec un contexte de déclin de la production pétrolière. Colin Campbell, de l’ASPO, appelle la nouvelle ère qui s’ouvre, le Second Age du Pétrole. Celui-ci ne pourra pas fonctionner sur les mêmes règles que le précédent. Un autre monde va advenir… Quel sera-t-il ? A nos générations de trouver la réponse pour éviter un scénario cauchemardesque.

Emmanuel Broto
https://www.terredebrut.org

Cette montée des prix a commencé en 2002 et n’a cessé de s’accélérer depuis lors. L’année 2007 est de loin la pire puisque le prix du baril est passé de 50$ en janvier à 96$ fin octobre. Pourtant, cette année, aucun événement majeur ou aucune rupture importante des approvisionnements ne sont survenus. Alors que se passe-t-il avec le pétrole depuis cinq ans ? Viendrait-il à manquer de manière durable ?

Le premier septembre 2005, après une réunion au sommet avec des experts en énergie, le Premier ministre Dominique de Villepin a fait une annonce fracassante : “Nous sommes entrés dans l’ère de l’après pétrole”. C’est dans la foulée qu’il a accéléré les programmes prévus dans la loi sur l’énergie votés deux mois plus tôt en juillet 2005.

Il existe bien un problème sérieux sur le marché pétrolier. Et ce problème s’aggrave de mois en mois et ne cessera de s’aggraver. Pourquoi ? Parce que l’exploitation du pétrole dans un gisement suit une courbe en cloche : la production croît jusqu’à un plateau, ou un pic, puis décline quand la moitié des réserves du gisement a été exploitée. C’est ce qu’on appelle le pic de production de pétrole d’un gisement. Après ce pic, la production décline irrémédiablement. Bien que susceptible de remonter provisoirement, elle n’atteindra plus jamais le niveau du pic de production. Ce phénomène concerne aussi la production de pétrole à l’échelle d’un pays ou du monde. Le pic le plus notoire est celui des USA, survenu en 1970. Depuis, bien qu’ils aient été chercher du pétrole en Alaska et dans les profondeurs du Golfe du Mexique et malgré l’utilisation de techniques d’exploitation les plus avancées du moment, leur production n’a jamais retrouvé les niveaux de cette année-là. En 2007, sur les 98 pays producteurs de pétrole, 63 ont passé leur pic de production, soit les deux tiers.

Les découvertes de gisements de pétrole suivent aussi une courbe en cloche. Les découvertes annuelles de pétrole n’ont jamais été plus importantes que durant les années 60 et n’ont cessé de décliner depuis. C’est au début des années 80 que les découvertes annuelles de pétrole ont commencées à être inférieures à la production annuelle. Depuis 1982, nous extrayons plus de pétrole que ce que nous n’en découvrons. Aujourd’hui, le ratio est d’un baril découvert pour trois barils extraits. Cette situation ne peut bien sûr se poursuivre. Le pic des découvertes est logiquement suivi un jour d’un pic de production. Le pic des découvertes aux USA s’est produit au cours des années 30 et le pic de production a eu lieu 40 ans plus tard. A l’échelle mondiale, voila aussi 40 années que le pic des découvertes est passé…
Alors, peut-on donc penser que la montée progressive et exponentielle des prix depuis 2002 est le signe de l’imminence du pic mondial de production ? De nombreux indices semblent l’indiquer. Le pic de production mondial n’arrive pas seul. Avant lui, des pics de production s’appliquent à une portion à chaque fois plus importante de la production mondiale. Depuis les années 70, de nombreux pays ont passé leur pic de production.
C’est à partir de 1999 que les choses se sont accélérées. Cette année-là, la Grande-Bretagne, alors neuvième producteur mondial, est parvenue à son pic de production. Suite à quoi son taux de déclin a atteint 10% par an. Sa production a presque été divisée par deux entre 1999 et 2007. Le déclin de la Grande-Bretagne a entraîné celui de l’ensemble de la production de la Mer du Nord. En 2001, le pic de production de la Norvège a précipité le déclin de la production en Mer du Nord, entraînant celui de la production domestique de l’ensemble des pays industrialisés (OCDE : Amérique du Nord, Europe de l’Ouest, Australie, Japon, Corée) , c’est-à-dire des principaux consommateurs de pétrole.

Cet événement majeur, totalement inconnu du grand public, a eu des répercussions géopolitiques très importantes. Consommant plus de 60% du pétrole dans le monde, les 30 pays de l’OCDE n’en produisent que 25% et leur production a décliné de presque 15% depuis 2001. Les importations de pétrole en provenance du Moyen-Orient, de Russie et d’Afrique ont donc fortement augmenté au sein de l’OCDE ces dernières années. Mais, dans le même temps, la Chine et l’Inde sont entrées dans le grand jeu du marché pétrolier mondial en tant qu’importateurs. Le Moyen-Orient contenant au moins 40% des réserves restantes de pétrole dans le monde, il est plus compréhensible que cette région devienne le centre d’attention des grandes puissances de ce monde…

En 2004, quand le Mexique, cinquième producteur mondial, a entamé son déclin, la production de pétrole dans le monde, en dehors de l’OPEP et de l’ex-URSS, a atteint un pic. Dès lors, seuls les grands exportateurs (OPEP et ex-URSS) sont en mesure de retarder le pic mondial. Mais, en 2005, la production du Moyen-Orient commence à décliner. Alors que la production russe s’était fortement redressée depuis la fin des années 90 suite à l’effondrement de l’empire soviétique, la croissance de sa production a commencé à ralentir fin 2004 et se trouve actuellement sur un plateau. Par conséquent, la production mondiale stagne depuis 2005 autour de 85 millions de barils. Se trouve-t-elle sur le point de décliner ?

Un groupe de chercheurs allemands, Energy Watch Group, a publié courant octobre 2007 un rapport sur la production de pétrole et a annoncé que le pic de production mondial pourrait avoir bien eu lieu en 2006. Les géologues de l’ASPO (Association for Study of Peak Oil) le prévoit plutôt pour 2010.
Au sein de l’industrie pétrolière, après de multiples concertations internes, un consensus a été dégagé selon lequel le pic de production mondial devrait se produire aux alentours de 2015, moment où ils prévoient le pic du Moyen-Orient.

Selon l’ASPO et Energy Watch Group, les estimations officielles des réserves mondiales sont largement surestimées, surtout au Moyen-Orient, d’environ 300 milliards de barils. Par conséquent nous aurions déjà extrait plus de la moitié des réserves mondiales, ce qui, en toute logique, devrait entraîner le pic de production.

Ce n’est donc pas la fin du pétrole car il en reste encore beaucoup, mais il sera de plus en plus cher à exploiter et il sera produit dans un contexte de production mondiale déclinante. C’est donc bien la fin du pétrole bon marché. C’est aussi la fin prochaine de la croissance économique car celle-ci est inconciliable avec un contexte de déclin de la production pétrolière. Colin Campbell, de l’ASPO, appelle la nouvelle ère qui s’ouvre, le Second Age du Pétrole. Celui-ci ne pourra pas fonctionner sur les mêmes règles que le précédent. Un autre monde va advenir… Quel sera-t-il ? A nos générations de trouver la réponse pour éviter un scénario cauchemardesque.

Emmanuel Broto
https://www.terredebrut.org



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