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Sortir du nucléaire n°56



Hiver 2012-2013

Alternatives

Au Bangladesh, l’énergie solaire pour tous

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°56 - Hiver 2012-2013

 Energies renouvelables


L’entreprise Grameen Shakti installe plus de 500 équipements solaires domestiques par jour dans les campagnes du Bangladesh et organise un réseau de maintenance directement implanté parmi les populations rurales.



Dans l’un des pays les plus pauvres de la planète, une entreprise de services active dans les énergies renouvelables installe près d’un millier d’équipements solaires domestiques par jour. Et ceci non pas dans la capitale ou dans les centres urbains animés, mais là où vivent 80 % de la population : dans le Bangladesh rural.

Cette entreprise s’appelle Grameen Shakti, ce qui, traduit littéralement, signifie "énergie rurale". À la fin de cette année 2012, Grameen aura installé au total un million d’équipements solaires et prévoit d’en installer 5 millions d’ici 2015. Shakti réussit là où l’industrie traditionnelle a échoué, et au cours de "l’année de l’énergie durable pour tous"1, c’est un succès que tout le monde devrait connaître.

Comme dans d’autres pays en développement, le monde rural est incroyablement difficile à desservir et les villageois sont très pauvres. Comment donc Grameen Shakti s’y prend-elle pour leur vendre du "solaire coûteux" ?

Répondre aux vrais besoins des gens

Shakti a résolu une partie du problème en adaptant précisément ses installations solaires aux besoins des gens, tel ce vendeur ambulant, M. Majid, qui avait besoin d’un équipement solaire de 25 W lui permettant d’éclairer sa charrette d’épicerie et d’alimenter son lecteur de cassettes. Ensuite Shakti a combiné la solution sur mesure avec un financement, en fournissant à M. Majid un prêt qu’il pouvait rembourser aisément, étant donné qu’il a pu doubler son revenu mensuel, en pouvant d’une part travailler après le crépuscule et aussi attirer plus de clients en passant de la musique populaire.

Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là : les clients ruraux sont difficiles à atteindre. Mais dans le delta bangladeshi des puissants fleuves Gange, Brahmapoutre et Meghna, c’est encore bien plus difficile. Dans cette région, les villages deviennent des îles à la saison des pluies, lorsque près de la moitié du pays est inondée. D’autres régions, où le niveau des terres est plus bas que le niveau de la mer, se transforment en immenses lacs, obligeant les villageois à se déplacer en bateau sept mois de l’année durant. Desservir les clients villageois du delta signifie donc voyager par des pistes boueuses et cahotantes, traverser des rivières, à pied, à vélo, en bateau et en rickshaw. Atteindre quelques clients peut ainsi prendre plusieurs heures durant la saison des pluies.

Au plus près des populations rurales

Shakti relève ce défi en créant des chaînes rurales d’approvisionnement et de service après-vente. Ses ingénieurs et techniciens vivent, travaillent et sont formés sur le tas dans les villages. Ils deviennent des membres à part entière de la communauté, restent en contact étroit avec leurs clients et s’assurent que les installations solaires fonctionnent. S’il y a un problème, Shakti est sur place pour le résoudre, même en cas de désastre.

Durant le contrecoup du cyclone Sidr, les membres des équipes des succursales de Shakti allaient faire des réparations dans l’heure dans des régions que des équipes de secours auraient mis des jours, voire des semaines, à atteindre. Pour Shakti, toute l’activité est rurale. Ses responsables de filiales dirigent 1500 bureaux dans chaque district du Bangladesh. Ils garantissent un service complet : de l’installation, la maintenance, et la réparation jusqu’au service à la clientèle et à la formation.

Cette focalisation sur le service rural date de la fondation de Grameen Shakti, en 1996. Dès le début, Grameen envoya de jeunes et brillants ingénieurs dans l’arrière-pays pour mettre sur pied les premières filiales. Ils ont gagné la confiance des villageois, formé des techniciens locaux, géré le financement, l’installation et la maintenance des équipement solaires. Ceci a assuré les fondations du service de qualité et de la croissance constante de Shakti, mais il a fallu des années pour le développer.

Shakti a mis sur pied 45 centres technologiques pour produire et réparer les pièces solaires. De cette manière, la production est déplacée de la capitale vers les villages, ce qui résout les problèmes de coût, de logistique et de croissance rapide dans une entreprise fortement décentralisée. Les centres sont dirigés par des femmes ingénieurs qui, comme leurs collègues masculins, vivent, travaillent et forment au sein de la communauté rurale. Ce qui est important ici, c’est que ces centres technologiques fonctionnent comme couveuses pour une autre innovation : l’entrepreneur villageois en énergie.

Une belle opportunité pour Kohinur...

Kohinur, par exemple, a été formée dans un centre technologique pour devenir entrepreneur en énergie. Elle gagne son salaire en fabriquant et en réparant des accessoires solaires, elle est indépendante et reçoit un soutien régulier de la part du centre de technologie pour son travail. Pour de petites réparations, les gens des environs amènent désormais leurs équipements solaires à Kohinur plutôt que de contacter la filiale de Shakti. Les ingénieurs du centre technologique supervisent le travail de Kohinur et effectuent un contrôle de qualité.

Kohinur a quitté l’école au 8ème degré et n’avait pas de formation professionnelle et aucune source de revenu. Actuellement, elle contribue à raison de 5000 taka (environ 50€) par mois au revenu de sa famille. C’est autant que ce que gagne son père en livrant du poisson au port de pêche de Khulna, et donc une augmentation substantielle du revenu mensuel pour une famille pauvre.

L’histoire de Kohinur pourrait être celle des 1,3 milliards d’êtres humains sans accès à l’électricité. Mais on entend encore et toujours que les énergies renouvelables telles que le solaire sont chères et que les pauvres ruraux sont soit trop pauvres soit trop difficiles à atteindre. L’histoire de Grameen Shakti, décrite dans le livre "Green energy for a billion poor"2 montre clairement que cette manière de voir est dépassée et hors de propos. Avec plus de 5 millions de villageois jouissant de l’électricité solaire et des techniciens de Shakti installant un millier d’équipements solaires par jour, il est temps pour nos institutions de développement de mettre leurs maigres moyens au service de telles initiatives. Personne ne peut faire de miracles dans une société rurale traditionnelle, mais des compagnies entreprenantes telles que Shakti prouvent qu’on peut faire beaucoup, beaucoup mieux que ce qui se fait le plus souvent.

Nancy Wimmer

Cet article est initialement paru sur un blog du "Sierra Club’s Compass". Nancy Wimmer, directrice de microSOLAR, est aussi l’auteure du livre "Green Energy for a Billion Poor".

Article traduit de l’anglais au français par Michel Schmid pour le Réseau "Sortir du nucléaire" .

Notes :
1 : www.un.org/fr/events/sustainableenergyforall

2 : "Énergie verte pour un milliard de pauvres", voir aussi : www.energyforall.info/green-energy-for-a-billion-poor-a-winning-model-for-social-business/

Dans l’un des pays les plus pauvres de la planète, une entreprise de services active dans les énergies renouvelables installe près d’un millier d’équipements solaires domestiques par jour. Et ceci non pas dans la capitale ou dans les centres urbains animés, mais là où vivent 80 % de la population : dans le Bangladesh rural.

Cette entreprise s’appelle Grameen Shakti, ce qui, traduit littéralement, signifie "énergie rurale". À la fin de cette année 2012, Grameen aura installé au total un million d’équipements solaires et prévoit d’en installer 5 millions d’ici 2015. Shakti réussit là où l’industrie traditionnelle a échoué, et au cours de "l’année de l’énergie durable pour tous"1, c’est un succès que tout le monde devrait connaître.

Comme dans d’autres pays en développement, le monde rural est incroyablement difficile à desservir et les villageois sont très pauvres. Comment donc Grameen Shakti s’y prend-elle pour leur vendre du "solaire coûteux" ?

Répondre aux vrais besoins des gens

Shakti a résolu une partie du problème en adaptant précisément ses installations solaires aux besoins des gens, tel ce vendeur ambulant, M. Majid, qui avait besoin d’un équipement solaire de 25 W lui permettant d’éclairer sa charrette d’épicerie et d’alimenter son lecteur de cassettes. Ensuite Shakti a combiné la solution sur mesure avec un financement, en fournissant à M. Majid un prêt qu’il pouvait rembourser aisément, étant donné qu’il a pu doubler son revenu mensuel, en pouvant d’une part travailler après le crépuscule et aussi attirer plus de clients en passant de la musique populaire.

Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là : les clients ruraux sont difficiles à atteindre. Mais dans le delta bangladeshi des puissants fleuves Gange, Brahmapoutre et Meghna, c’est encore bien plus difficile. Dans cette région, les villages deviennent des îles à la saison des pluies, lorsque près de la moitié du pays est inondée. D’autres régions, où le niveau des terres est plus bas que le niveau de la mer, se transforment en immenses lacs, obligeant les villageois à se déplacer en bateau sept mois de l’année durant. Desservir les clients villageois du delta signifie donc voyager par des pistes boueuses et cahotantes, traverser des rivières, à pied, à vélo, en bateau et en rickshaw. Atteindre quelques clients peut ainsi prendre plusieurs heures durant la saison des pluies.

Au plus près des populations rurales

Shakti relève ce défi en créant des chaînes rurales d’approvisionnement et de service après-vente. Ses ingénieurs et techniciens vivent, travaillent et sont formés sur le tas dans les villages. Ils deviennent des membres à part entière de la communauté, restent en contact étroit avec leurs clients et s’assurent que les installations solaires fonctionnent. S’il y a un problème, Shakti est sur place pour le résoudre, même en cas de désastre.

Durant le contrecoup du cyclone Sidr, les membres des équipes des succursales de Shakti allaient faire des réparations dans l’heure dans des régions que des équipes de secours auraient mis des jours, voire des semaines, à atteindre. Pour Shakti, toute l’activité est rurale. Ses responsables de filiales dirigent 1500 bureaux dans chaque district du Bangladesh. Ils garantissent un service complet : de l’installation, la maintenance, et la réparation jusqu’au service à la clientèle et à la formation.

Cette focalisation sur le service rural date de la fondation de Grameen Shakti, en 1996. Dès le début, Grameen envoya de jeunes et brillants ingénieurs dans l’arrière-pays pour mettre sur pied les premières filiales. Ils ont gagné la confiance des villageois, formé des techniciens locaux, géré le financement, l’installation et la maintenance des équipement solaires. Ceci a assuré les fondations du service de qualité et de la croissance constante de Shakti, mais il a fallu des années pour le développer.

Shakti a mis sur pied 45 centres technologiques pour produire et réparer les pièces solaires. De cette manière, la production est déplacée de la capitale vers les villages, ce qui résout les problèmes de coût, de logistique et de croissance rapide dans une entreprise fortement décentralisée. Les centres sont dirigés par des femmes ingénieurs qui, comme leurs collègues masculins, vivent, travaillent et forment au sein de la communauté rurale. Ce qui est important ici, c’est que ces centres technologiques fonctionnent comme couveuses pour une autre innovation : l’entrepreneur villageois en énergie.

Une belle opportunité pour Kohinur...

Kohinur, par exemple, a été formée dans un centre technologique pour devenir entrepreneur en énergie. Elle gagne son salaire en fabriquant et en réparant des accessoires solaires, elle est indépendante et reçoit un soutien régulier de la part du centre de technologie pour son travail. Pour de petites réparations, les gens des environs amènent désormais leurs équipements solaires à Kohinur plutôt que de contacter la filiale de Shakti. Les ingénieurs du centre technologique supervisent le travail de Kohinur et effectuent un contrôle de qualité.

Kohinur a quitté l’école au 8ème degré et n’avait pas de formation professionnelle et aucune source de revenu. Actuellement, elle contribue à raison de 5000 taka (environ 50€) par mois au revenu de sa famille. C’est autant que ce que gagne son père en livrant du poisson au port de pêche de Khulna, et donc une augmentation substantielle du revenu mensuel pour une famille pauvre.

L’histoire de Kohinur pourrait être celle des 1,3 milliards d’êtres humains sans accès à l’électricité. Mais on entend encore et toujours que les énergies renouvelables telles que le solaire sont chères et que les pauvres ruraux sont soit trop pauvres soit trop difficiles à atteindre. L’histoire de Grameen Shakti, décrite dans le livre "Green energy for a billion poor"2 montre clairement que cette manière de voir est dépassée et hors de propos. Avec plus de 5 millions de villageois jouissant de l’électricité solaire et des techniciens de Shakti installant un millier d’équipements solaires par jour, il est temps pour nos institutions de développement de mettre leurs maigres moyens au service de telles initiatives. Personne ne peut faire de miracles dans une société rurale traditionnelle, mais des compagnies entreprenantes telles que Shakti prouvent qu’on peut faire beaucoup, beaucoup mieux que ce qui se fait le plus souvent.

Nancy Wimmer

Cet article est initialement paru sur un blog du "Sierra Club’s Compass". Nancy Wimmer, directrice de microSOLAR, est aussi l’auteure du livre "Green Energy for a Billion Poor".

Article traduit de l’anglais au français par Michel Schmid pour le Réseau "Sortir du nucléaire" .

Notes :
1 : www.un.org/fr/events/sustainableenergyforall

2 : "Énergie verte pour un milliard de pauvres", voir aussi : www.energyforall.info/green-energy-for-a-billion-poor-a-winning-model-for-social-business/



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