Dans le mouvement altermondialisation, tout le monde est contre les OGM, contre la répression syndicale, contre la spéculation financière, etc. Mais, étonnamment, il n’y a pas tout à fait la même unanimité contre l’industrie nucléaire.
Pourtant, le mouvement antinucléaire est mobilisé sur des valeurs fondamentales du mouvement altermondialisation :
- lintérêt collectif : il sagit en particulier déviter une catastrophe nucléaire
- la solidarité, en particulier avec les générations futures qui ne doivent pas assumer nos déchets nucléaires.
- lexigence démocratique : toutes les centrales nucléaires ont été imposées aux populations.
Qui plus est, le mouvement antinucléaire est confronté à des problèmes que rencontre aussi le mouvement altermondialisation :
- un lobby puissant (EDF, Cogéma, les gouvernements successifs, etc.)
- une répression policière menée depuis plus de trente ans.
Or, en France, il se trouve que des organisations (ou du moins certains de leurs dirigeants) qui se définissent comme altermondialistes soutiennent lindustrie nucléaire :
- des syndicats de salariés du nucléaire, en particulier la puissante CGT-Energie.
- des partis politiques. Il ne sagit pas ici de discuter de lappartenance des divers partis au mouvement altermondialiste. Notons simplement que le Parti communiste français et le Parti socialiste réclament officiellement la construction de nouvelles centrales nucléaires.
Arrêtons nous un moment sur le cas de la puissante composante du mouvement altermondialisation quest lassociation Attac. Ses principaux dirigeants imposent une position très ambiguë qui consiste à ne pas se prononcer. Dans un pays ayant 58 réacteurs nucléaires, nous considérons que cela revient à un soutien objectif (« Qui ne dit mot consent »). Mais, alors que nous entrons dans une période cruciale où le lobby nucléaire veut construire de nouveaux réacteurs, cette position est-elle encore tenable ?
On peut lire ici où là qu’Attac na pas vocation à se prononcer sur la question du nucléaire. Elle la pourtant fait - et tant mieux - concernant les OGM. Aussi, des membres de la direction dAttac, de toute évidence favorables au nucléaire, se sont fendus dargumentaires pour essayer de montrer quon ne peut raisonner sur le nucléaire comme sur les OGM. On comprend leur angoisse, vu ladoption quasi unanime des thèses anti-OGM par le mouvement altermondialisation
Notons dailleurs que des sections nationales, comme Attac-Allemagne, se sont résolument prononcées contre le nucléaire
Nous ne développerons pas ici les raisons qui font que le nucléaire est une industrie à proscrire absolument (catastrophes, déchets laissés en « cadeau » aux générations futures, stérilisation de toute politique déconomies dénergie et de développement des énergies renouvelables, démocratie étouffée, etc.)
Par contre, les promoteurs du nucléaire avancent quelques arguments qui semblent au premier abord en phase avec les revendications du mouvement altermondialisation :
Préservation des emplois :
Cet argument ne tient pas : de même que pour la fabrications darmes, etc., il y a des secteurs qui ne sont moralement pas défendables. Bien sûr, il ne sagit pas de pousser les salariés au chômage et à la misère : le mouvement altermondialisation revendique de toute façon des conditions de vie décentes pour tous. Notons aussi que chacun doit pouvoir gagner sa vie sans avoir à être irradié, ce qui est hélas le cas de nombreux travailleurs du nucléaire, en très grande majorité des précaires, intérimaires.
De plus, le développement des énergies renouvelables est très fortement créateur demplois, bien plus que le nucléaire. En Allemagne, plus de 130 000 emplois ont ainsi été créés avec les énergies renouvelables, 250.000 emplois supplémentaires sont prévus dici 2010 (étude de lInstitut allemand pour la recherche économique (DIW), citée dans le Rapport environnemental allemand 2002). La sortie du nucléaire est une chance pour lemploi.
Enfin, notons que le nucléaire ne protège même pas de la privatisation. Le mouvement antinucléaire est quasi unanimement attaché au service public et voit avec dépit le lobby nucléaire préparer la privatisation dEDF.
Accès pour tous à lénergie (en particulier habitants des pays du Sud) :
Il existe des projets fous de construction de centrales nucléaires partout sur la planète. Il manque juste un « détail » : la demande des populations ! Or, jusquà preuve du contraire, on na jamais vu des peuples manifester pour obtenir des centrales nucléaires. Jamais. Dailleurs, le pays qui construit la majorité des nouvelles centrales nucléaires actuellement est la Chine, pays où les militants antinucléaires (et pas seulement eux) sont des militants morts ou emprisonnés. Le « lobby nucléaire » français travaille pourtant la main dans la main avec la Chine, des salariés dEDF et/ou Areva y construisent des centrales nucléaires. Le parc nucléaire français a été construit au moyen dune « corruption légale » (des millions pour les communes « élues ») et dune forte répression policière. Les mêmes méthodes seraient inévitablement de mise pour la construction de centrales dans dautres pays, sur dautres continents. Avec le soutien des nucléo-altermondialistes ?
Lutte contre leffet de serre :
Objectif hautement altermondialiste - à juste titre - depuis que limportance des questions environnementales est reconnue. Lindustrie nucléaire, dégageant peu de gaz à effet de serre, serait la solution incontournable. Cest perdre de vue la seule raison pour laquelle il est effectivement nécessaire de lutter contre leffet de serre : il sagit de laisser une Terre habitable aux générations futures. On voit alors bien à quel point il est inepte de poursuivre cet objectif en contaminant la planète pour des centaines de milliers dannées avec le nucléaire. Autant soigner la peste avec le choléra
Il apparaît donc que les « raisons » de défendre le nucléaire ne sont liées à aucun objectif du mouvement altermondialisation. Pire, il faut rappeler que le plutonium nécessaire à la fabrication des bombes atomiques s »obtient en faisant fonctionner des centrales nucléaires « civiles ». Voir Irak (réacteur Osirak vendu par la France en 1975), voir Corée du Nord, etc.
Ecrasé par la répression dans les années 80, le mouvement antinucléaire revient aujourdhui en force. Il représente une très importante composante de laltermondialisation : des luttes menées depuis plus de trente ans, un potentiel populaire et massif maintes fois démontré, une implantation locale partout en France mais aussi dans de nombreux pays européens, des revendications exclusivement basées sur lintérêt général et la solidarité.
La lutte contre le nucléaire nest pas une option, elle est indissociable du mouvement altermondialiste.
Et si louverture du capital dEDF passait par le nucléaire ?
Si le sujet est controversé sur la place publique, tous les acteurs dEDF sont, sans surprise, de fervents partisans de lutilisation de lénergie nucléaire comme principale source délectricité en France.
Et les points daccord entre la direction et les syndicats de lélectricien public se font si rares de nos jours, comme en témoignent les tensions qui entourent la réforme du financement du régime spécial des retraites des agents EDF-GDF, que la question de la relance du nucléaire pourrait bien être un élément central dans le dossier de louverture du capital dEDF.
Le donnant-donnant que la direction pourrait proposer à EDF se résumerait de la sorte : « assurez-nous une paix sociale au moment de louverture du capital et lon vous assure une relance massive du nucléaire avec, en prime, un statut spécial pour les agents travaillant directement dans le nucléaire ».
« Il a été dit que le gouvernement peut être tenté dutiliser la relance du nucléaire comme un élément de consensus social », a noté une source proche des négociations.
La CGT, syndicat majoritaire au sein dEDF, appelle régulièrement à un lancement de lEPR, le réacteur nucléaire de troisième génération, et souhaiterait la mise en place dune convention collective pour lensemble des 100.000 salariés du nucléaire, EDF ou non.
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« Sil y a une annonce sur la décision de lEPR, nous laccueillerons avec soulagement », a estimé Denis Cohen, secrétaire général de la Fédération Mines et énergie de la CGT.
La question de la relance du nucléaire a été au cur du débat public sur lénergie mené par les autorités publiques ces trois derniers mois, qui doit aboutir à un projet de loi dorientation énergétique dici à la fin de lannée.
Cest également à la fin de lannée que les changements nécessaires à louverture du capital dEDF - la réforme du financement du régime spécial et le changement de statut - devraient trouver leur traduction législative.
« De fait, le point de vue des salariés du nucléaire est un élément important dans la poursuite du nucléaire », a noté Jean-Pierre Sotura, secrétaire général de lUFICT-CGT (ingénieurs et cadres).
« Utiliser la relance du nucléaire pour sassurer la paix au sein dEDF, cest, du point de vue du gouvernemental, sans doute de bonne politique. Mais cela nentamera pas la détermination de la CGT sur louverture du capital », a-t-il toutefois ajouté.
Bercy exclut officiellement que le nucléaire puisse être instrumentalisé dans les négociations sur louverture du capital, mais une source proche du dossier a qualifié la proximité dans le temps des textes sur lorientation énergétique et sur le changement de statut dEDF de « coïncidence heureuse ».
Extraits dune dépêche de lagence Reuters du 21 mai 2003
Stéphane Lhomme
Porte-parole du Réseau « Sortir du nucléaire »
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